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Mais, dites-vous, l'impie dont l'iniquité est consommée, et qui, selon la parole de Salomon, est descendu dans le fond de l'abîme, ne doit plus craindre la mort, puisqu'il ne croit plus rien après la mort. Et moi je réponds: Peut-être jouiroit-il de cette paix, quoique fausse et criminelle, s'il pouvoit trouver un point fixe dans son erreur, et si la même impiété qui le fait douter de tout pouvoit le rendre sûr de quelque chose. Encore même, dit saint Augustin, ne laisseroit-il pas de craindre alors la mort pour l'intérêt de la vie qu'il aime, et dont il se verroit toujours à la veille d'être privé, sans rien apercevoir dans le futur, ni du côté de Dieu, ni du côté de la créature, qui le dédommageât de cette perte. Mais le malheur de sa condition va bien encore plus avant; car ne pouvant même s'assurer de ce néant chimérique et imaginaire qu'il se promet après la mort, et n'en ayant tout au plus qu'une foible opinion, combattue de mille doutes et de mille préjugés contraires, vivant dans le hasard du oui ou du non, et, malgré son infidélité, courant tout le risque d'une éternité affreuse, il faut nécessairement qu'il craigne même ce qu'il ne croit pas. Concevez bien cette pensée, qui est du chancelier Gerson; il faut, dis-je, qu'il craigne même ce qu'il ne croit pas; et cette crainte, dans un sens, est encore plus terrible pour lui que celle qui lui viendroit de la certitude des jugements de Dieu.

Mais son libertinage, répliquerez-vous, peut le rendre insensible à tout cela. Je le veux, Chrétiens, que son libertinage puisse aller jusques à ce point d'insensibilité, c'est-à-dire jusqu'à l'état des bêtes dont il envie peut-être le sort, et auxquelles il ambitionne d'être semblable: Homo cùm in honore esset, non intellexit. Comparatus est jumentis insipientibus, et similis factus est illis (Psalm. 48). Mais il faudroit examiner si ce seroit là un avantage pour lui, et si le parti de l'insensibilité, dans un danger d'une telle conséquence, le rendroit moins digne de compassion que les alarmes d'une juste crainte qu'il auroit à soutenir. Je dis dans un danger que lui-même il reconnoît tout au moins être danger, et auquel il avoue que son insensibilité ne remédie pas. Mais, quoi qu'il en soit, il est toujours vrai que tandis qu'il aura quelque sentiment, bien qu'il ne croie pas les suites de la mort, il les craindra. Or je prétends que ce sentiment ne s'éteindra jamais en lui, non plus que sa raison, et que dans les plus grands emportements, ou, pour mieux dire, dans la plus grande corruption de son esprit, il portera toujours au-dedans de soi un ver, une pensée fâcheuse et importune, qui lui représentera intérieurement: Mais si tu te trompes; mais si cette mort sensible et passagère qui détruit le corps est suivie d'une autre mort qui fasse la réprobation de l'ame; mais si ce qu'en ont cru tous les Saints et tous les sages du christianisme se trouvoit véritable; mais si la passion à laquelle tu t'en rapportes t'aveugloit et te séduisoit, où en serois-tu? Pensée qui le troublera pendant la vie, mais qui fera encore sur lui des impressions bien

plus vives aux approches de la mort; car c'est alors que l'impiété la plus fière et la plus résolue commence à s'ébranler et à se démentir; c'est alors que nous voyons ces braves, ces intrépides, ces hommes qui ne tenoient nul compte ni de la mort ni de l'enfer, et qui, dans la vigueur d'une santé parfaite, s'estimoient assez forts pour ne pas s'inquiéter de Dieu et de ses jugements; c'est alors que nous les voyons marquer des foiblesses pitoyables, être saisis de frayeur, tomber dans le désespoir, détester le passé, s'alarmer du présent, avoir horreur de l'avenir, mais une horreur, dit saint Chrysostome, pareille à celle des démons et des réprouvés, qui ne sert qu'à augmenter leur peine, et qui fait même une partie de leur damnation.

Ah! mes Frères, écrivoit saint Paul aux Thessaloniciens, souvenezvous d'une importante maxime, et qu'elle demeure éternellement gravée dans vos cœurs; car nous ne voulons pas que vous ignoriez ce que vous devez savoir touchant l'état de ceux qui meurent, ou plutôt qui dorment du sommeil de la mort, afin que vous ne vous en attristiez pas comme tous ceux qui n'ont point la même espérance que nous: Nolumus vos ignorare, Fratres, de dormientibus, ut non contristemini, sicut et cæteri qui spem non habent (1. Thess., 4). C'est à vous, mes chers auditeurs, que j'adresse aujourd'hui ces belles paroles. Observez, s'il vous plaît, le sens de l'Apôtre; il ne nous défend pas de craindre la mort, ni d'être touchés de la mort de nos amis et de nos proches; mais il nous défend de nous affliger et de craindre, comme ceux qui, vivant sans religion, vivent sans espérance des biens éternels, sicut et cæteri qui spem non habent; pourquoi ? parceque cette crainte et cette tristesse procédant alors d'un principe d'infidélité, ce n'est pas un moindre crime devant Dieu que l'infidélité même. En effet, il m'est permis de craindre la mort, mais il ne m'est pas permis de la craindre par toutes sortes de motifs, et je suis prévaricateur si je la crains d'une manière qui soit opposée à la pureté de ma foi. Cependant, Chrétiens, c'est un des désordres qui règnent parmi nous. On voit des hommes dans le christianisme qui craignent la mort, non pas en fidèles, mais en païens; des chrétiens de profession, mais qui, n'en ayant que le nom et que l'apparence, raisonnent sur l'autre vie comme des épicuriens; car vous diriez qu'il y a encore parmi nous des partisans de cette secte, et Dieu veuille que la réflexion que je fais ne convienne à personne de ceux qui m'écoutent!

Vous me demandez le moyen de se préserver d'une si damnable et si malheureuse disposition d'esprit et de cœur. Le voici, tiré d'un des plus illustres exemples que nous fournisse l'Écriture. C'est de faire dans la vue de la mort ce que faisoit le patriarche Job au milieu de ses souffrances, lorsque, accablé de calamités, il se voyoit languir et mourir; c'est de renouveler comme lui cette confession de foi, qui soutenoit sa patience et sa persévérance, quand il disoit : Scio quod Redemptor meus vivit, et in novissimo die de terrâ surrecturus sum, et

in carne meâ videbo Deum salvatorem meum. Reposita est hæc spes in sinu meo (JOB, 19). Je sais que j'ai un Rédempteur vivant dans le ciel, et que je ressusciterai du sein de la terre. Je sais que je verrai dans ma propre chair et de mes yeux ce Dieu mon Sauveur. Je sais que la mort n'est pour moi qu'un changement d'état, qu'un passage pour mon ame, et qu'un sommeil pour mon corps; qu'elle ne me va dépouiller que pour me revêtir; et qu'en m'ôtant une vie fragile et périssable, elle doit me mettre en possession d'une vie qui ne finira jamais. Oui, je le sais, et cette espérance que Dieu me laisse comme un précieux dépôt est ce qui me console dans mes misères, ce qui me fortifie dans mes défaillances, ce qui m'attache à mes devoirs, ce qui me rend invincible dans mes tentations, ce qui m'empêche de succomber à la violence des persécutions. Sans cette espérance, toute ma force m'abandonneroit en mille rencontres, et je céderois aux révoltes de la nature; mais cette espérance est mon support, et voilà pourquoi je la conserve dans mon cœur : Reposita est hæc spes in sinu meo.

Ah! Seigneur, s'écrioit David (autre sentiment bien capable d'affermir en nous la grace de la foi), il est vrai, Seigneur, vous nous avez humiliés dans ce séjour d'affliction et de larmes, en nous rendant sujets à la mort; mais la mort à laquelle vous nous avez condamnés n'est point une véritable mort, ce n'est qu'une ombre de la mort, dont vous nous avez couverts, pour nous faire porter les marques de votre justice, et pour nous faire sentir en même temps les effets de votre miséricorde: Humiliasti nos in loco afflictionis, et cooperuit nos umbra mortis (Psalm. 43). Non, dit saint Ambroise expliquant ce passage du Psaume, la mort du corps n'est qu'une ombre et une représentation de la mort: Mors carnis, umbra mortis (AMBR.). Et c'est la pensée dont se doivent armer et munir non seulement les pécheurs qui, par l'excès de leurs crimes, auroient en quelque sorte perdu le don de la foi, mais les Justes mêmes et les amis de Dieu, dont la foi, par une conduite particulière de la Providence, ne laisse pas souvent d'être ébranlée sur le sujet de la mort : car combien d'ames saintes et prédestinées ont souffert là-dessus les mêmes attaques que les plus déclarés impies! à combien de rudes épreuves Dieu n'a-t-il pas pris plaisir, pour faire triompher sa grace, d'exposer leur religion! et combien de fois un chrétien, au milieu même de ses ferveurs, n'a-t-il pas pu dire, aussi bien que David: Mei autem penè moti sunt pedes, penè effusi sunt gressus mei! A la vue de cet affreux chaos de l'éternité que j'attends, j'ai presque détourné mes pas de la voie où je marchois, et mes pieds ont été sur le point de glisser; car la foi qui devoit être mon unique appui, est devenue comme chancelante dans mon cœur. Combien, dis-je, ne trouve-t-on pas d'ames élues qui tiennent ce langage? Il est donc nécessaire qu'elles se mettent en garde contre cet esprit d'infidélité, qui seroit pour elles une pierre de scandale et un écueil où elles iroient échouer. Mais avançons, et voyons main

tenant l'état du mondain, qui craint la mort parcequ'il est attaché au monde. Autre espèce de crainte dont nous avons à nous préserver : c'est le sujet de la seconde partie.

DEUXIÈME PARTIE.

Le Saint-Esprit l'a dit, Chrétiens, et nous n'en sommes que trop convaincus par l'expérience sensible que nous avons de notre misère et de celle des autres, que rien n'est plus fâcheux ni plus amer que le souvenir de la mort pour un homme du monde, qui fait consister son repos et son bonheur dans la jouissance des biens temporels: Omors, quàm amara est memoria tua homini pacem habenti in substantiis suis (Eccles., 41)! Prenez garde, mes Frères, nous fait ingénieusement remarquer saint Augustin, aux deux termes dont se sert l'Écriture. Elle ne dit pas que la pensée de la mort est triste et affligeante à celui qui possède les biens temporels, mais à celui qui a établi sa paix et sa félicité dans la possession des biens temporels : Homini pacem habenti. De plus, pour exprimer ces sortes de biens, elle ne les appelle pas simplement biens, mais elle leur donne le nom de substance, et veut par-là signifier la fausse idée que nous en avons: In substantiis suis; car les Justes qui ont l'esprit de Dieu ne considèrent ces biens que comme de foibles accidents, dont ils peuvent aisément se passer; qu'ils ont aujourd'hui, et qu'ils n'auront pas demain ; dont la perte pourra leur causer quelque légère altération, mais sans préjudice de cette consistance ferme et immobile que la grace leur donne: au lieu que les mondains attachés à ces biens terrestres en font leur principal et leur capital, rapportant tout à ces biens, ne se mesurant que par ces biens, ne s'appuyant et ne faisant fond que sur ces biens, comme si eux-mêmes ils étoient faits pour ces biens, et que ces biens ne fussent pas plutôt faits pour eux : Homini pacem habenti in substantiis suis. Or c'est aux hommes de ce caractère, et non point absolument aux grands ni aux riches, que le souvenir de la mort fait horreur; c'est pour eux qu'il est plein d'amertume, Quàm amara est memoria tua! Car, comme dit saint Chrysostome, raisonnant sur les mêmes paroles de l'Écriture, on a vu des grands dans le christianisme et des riches, par un effet de la grace toute puissante de Dieu, méditer la mort avec plaisir, en entendre parler avec joie, en recevoir la nouvelle sans trouble; pourquoi? parceque tout riches, tout grands qu'ils étoient, leurs desirs ne se portoient ni aux grandeurs humaines ni aux richesses. Ils les possédoient sans attache, et ils les perdoient sans regret. Mais on n'a jamais vu de grands ni de riches attachés à ce qu'ils étoient et à ce qu'ils possédoient; ni jamais, si vous voulez, on n'a vu de petits et de pauvres attachés à ce qu'ils n'étoient pas et à ce qu'ils ne possédoient pas, qui ne fussent effrayés de la mort. En effet, Chrétiens, l'étrange et douloureuse pensée pour un homme du siècle qui vit à son aise, qui se voit bien établi dans le monde, qui se trouve re

vêtu d'une charge, d'une dignité honorable; qui ne manque de rien pour se maintenir dans la splendeur et dans l'éclat; qui, dans l'opulence, dans la réputation, dans le crédit où il est, peut tout et est audessus de tout; quelle pensée pour lui, au milieu de tout cela, que cette réflexion: Il faut mourir! Ne parlons point de ces fortunes si hautes ni si complètes qui font les heureux de la terre: comme elles sont aujourd'hui plus rares, cette moralité ne s'étendroit pas bien loin. Parlons de celles qui sont moins éclatantes et plus ordinaires. Quelle pensée pour un homme même du commun, qui voit sa famille honnêtement pourvue, qui a des biens suffisamment, qui en jouit et s'en fait honneur, qui n'a ni embarras ni soins, et dont la santé, les forces, l'âge, répondent à tout le reste (car c'est ainsi que le texte sacré nous le dépeint dans les paroles suivantes, Viro quieto, et cujus viæ directæ sunt in omnibus, et adhuc valenti accipere cibum (Eccles., 41); quel souvenir, dis-je, pour ce mondain, que cette sombre et désolante considération : Il faut mourir!

Or c'est en cela qu'il me paroît digne de compassion : non point seulement de ce qu'étant attaché d'esprit et de coeur aux biens de cette vie il appréhende la mort, mais de ce qu'envisagent la mort il a été assez aveugle pour s'attacher à des biens qui passent si vite, et de ce que la nécessité de mourir ne l'en détache pas. Voilà sur quoi je déplore son aveuglement. En effet, si la vie présente devoit toujours durer, je ne m'étonnerois pas qu'il y eût des ambitieux et des avares sujets aux passions déréglées qui les dominent. Quelque vaines et frivoles que soient ces passions, je comprends qu'elles deviendroient alors sérieuses et prudentes, et que, dégagés du souvenir de la mort, nous pourrions nous faire un point de sagesse de suivre et de contenter nos desirs; pourquoi ? parceque nous aurions droit de compter pour réel tout ce que le monde a de spécieux et d'apparent, et que notre raison même commenceroit à être d'intelligence avec la cupidité et l'ambition qui nous dominercient. Je dis encore plus: si nous devions seulement vivre autant que ces premiers patriarches, fondateurs du monde, à qui des siècles entiers, selon le témoignage de l'Écriture, n'étoient que la fleur de l'âge, et qui, sans vieillesse ni caducité, voyoient une longue et nombreuse suite de générations, peut-être consentirois-je que nous eussions pour les biens temporels quelque empressement et quelque ardeur. L'éloignement du terme sembleroit en quelque manière nous justifier, quoique alors même nous devrions toujours modérer nos inquiétudes et réprimer notre convoitise par la vue de la mort, qui, quelque éloignée qu'elle fût, étant néanmoins certaine et assurée, nous les raviroit enfin; et c'est la belle observation de saint Jérôme, que je vous prie de faire après lui. Il dit que c'est pour cela que Moïse dans la Genèse, faisant la supputation des années que chacun de ces premiers hommes avoit vécu, ajoutoit toujours cette conclusion générale: Et mortuus est, Et il mourut. Noé vécut

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