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vous jette dans un-abîme de péchés; au lieu de cette science du monde que vous vantez tant, et dont tout le fruit est de vous bâtir sur la terre des fortunes périssables que la mort détruira bientôt ; au lieu de tout cela, at:achez-vous aux vertus chrétiennes, qui font les élus et les prédestinés. Il n'y a pas un Saint dans le ciel, dont l'exemple ne soit pour vous une leçon : étudiez-les tous, et si vous voulez sanctifier votre ambition jusqu'à en faire une vertu, tâchez même à l'emporter sur eux: Emulamini charismata meliora (1. Cor., 12.). C'est ce que l'Église nous dit, et à quoi il faut que nous répondions.

Mais ce que l'Église ou plutôt ce que Dieu demande de nous, le pouvons-nous dans l'extrême foiblesse où nous sommes, et au milieu de tant d'obstacles que nous rencontrons dans le monde? Ah! Chrétiens, c'est ici le grand point de notre instruction, et le second effet de l'exemple des Saints. Oui, nous le pouvons; et quoique l'esprit d'impénitence et de libertinage, qui règne dans nous, puisse nous faire penser de contraire, ces élus de Dieu seront des preuves éternelles que la sainteté n'a rien d'impossible; qu'elle n'a rien même de fâcheux ni de difficile pour ceux qui aiment Dieu; qu'elle a ses douceurs, ses consolations, aussi bien que le monde, et des consolations, des douceurs infiniment plus pures que celles du monde. Vérités, mes chers auditeurs, dont les Saints rendront témoignage contre nous au jugement de Dieu, et le témoignage le plus convaincant. Appliquez-vous. Nous mettons la sainteté au rang des choses impossibles; c'est par où notre libertinage voudroit se maintenir. Mais Dieu nous empêche bien aujourd'hui de nous prévaloir de cette pensée. Il est vrai que pour être Saint il faut faire effort, prendre sur soi, renoncer aux sentiments naturels, fuir les plaisirs, dompter ses passions, mortifier ses sens ; et le moyen, dit-on, d'en venir là, et de s'y soutenir? Ah! Chrétiens, autre merveille de la sagesse de Dieu. Mirabilis Deus in Sanctis suis. Car je conviens que cela surpasse les forces de la nature, je conviens qu'il n'y a rien là que de grand; mais Dieu n'est-il pas admirable de nous avoir facilité tout cela, de nous l'avoir adouci jusqu'à pouvoir dire que si sa loi est un joug, c'est un joug léger et un fardeau aisé à porter? Jugum meum suave, et onus meum leve (MATTH., 11). Or il l'a fait, en nous donnant les Saints pour exemple. Avant cet exemple des Saints, nous pouvions trembler, et notre crainte sembloit raisonnable; mais maintenant qu'on nous montre tant de martyrs, tant de vierges, tant de glorieux confesseurs qui ont marché devant nous, et qui nous ont tracé le chemin, que pouvons-nous trouver d'impossible? Eh quoi! ils ont pu vivre dans les déserts et sur des rochers escarpés ; ils ont pu s'ensevelir dans l'obscurité du cloître, et en supporter toutes les austérités; ils ont pu joindre ensemble les prières presque continuelles, les longues et fréquentes veilles, les jeûnes rigoureux, les sanglantes macérations, tout ce qu'inspire l'esprit de pénitence et l'abnégation évangélique ; ils ont

pu se laisser condamner aux tourments les plus affreux, et les endurer. Voilà, disoit l'Apôtre, ce qu'ont fait et ce qu'ont souffert tant de Saints; ils ont bien voulu servir de sujets à la cruauté des hommes; ils se sont exposés aux outrages, aux fouets, aux chaînes, aux prisons; les uns ont éprouvé toute la violence du feu, les autres ont passé par le tranchant des épées, plusieurs ont été dévorés des bêtes féroces, ont été lapidés, ont été sciés : Lapidati sunt, secti sunt (Hebr., 11). Après cela, mes chers auditeurs, retranchez-vous sur votre foiblesse et sur une impossibilité prétendue. Avez-vous les mêmes combats à livrer? vous trouvez-vous dans les mêmes occasions de signaler votre courage et d'exercer votre patience? ce qu'on vous demande est-il comparable aux victoires que les Saints ont remportées, et aux obstacles qu'ils ont surmontés ? Mais, dites-vous, si la sainteté n'est pas impossible, du moins est-elle bien difficile. Non, mes Frères, rien n'est difficile à ceux qui aiment Dieu comme les Saints. L'ardeur de leur zèle, la ferveur de leur amour, leur générosité et leur résolution, leur ont aplani toutes les voies. Quand ont-ils senti les difficultés ? ou s'ils les ont senties, quand s'en sont-ils plaints? quand en ont-ils été étonnés? quand ont-ils balancé et délibéré? Dès que vous serez animés du même zèle, que vous serez brûlés du même amour, que vous aurez pris les mêmes résolutions et avec la même générosité, ces peines que vous vous figurez comme des monstres disparoîtront et s'évanouiront. Tout vous deviendra facile, et même agréable. Je dis agréable: car nous voulons trouver du plaisir jusque dans la sainteté : sentiment bien indigne d'un chrétien; mais tout indigne qu'il est, reprend saint Chrysostome, Dieu s'est accommodé en cela même à notre délicatesse, et l'exemple des Saints en est la preuve. Dès cette vie, ils ont goûté des douceurs et des consolations infiniment au-dessus de toutes les douceurs et de toutes les consolations du siècle. Au lieu de ces plaisirs infames et criminels que leur présentoit le monde, et dont ils ont eu tant d'horreur, Dieu leur en a préparé d'autres tout célestes et tout divins. Peut-être ne les concevons-nous pas, parceque, plongés dans les sens, nous ne voulons pas nous mettre comme eux en état de les comprendre. Mais les fréquentes épreuves qu'ils en ont faites, et que nous ne pouvons désavouer, doivent bien nous convaincre là-dessus, et nous confondre. Tandis qu'au milieu des flammes, ainsi que nous l'apprend l'Écriture, les réprouvés protestent qu'ils se sont lassés dans le chemin de l'iniquité, Lassati sumus in viâ iniquitatis (Sap., 5); tandis que les esclaves du monde nous rendent eux-mêmes témoignage, qu'il n'y a pour eux dans la vie qu'amertume, que trouble, qu'affliction d'esprit, Expectavimus pacem, et ecce turbatio (JEREM., 14): ces élus de Dieu nous assurent, tout au contraire, qu'ils n'ont jamais trouvé qu'en Dieu la source des vraies consolations; que plus ils ont eu soin de se mortifier pour lui, plus il leur a fait sentir l'onction intérieure de la grace; et que cette vie, qu'ils ont passée dans les pra

tiques les plus sévères du christianisme, bien loin de leur avoir paru dure et fâcheuse, étoit pour eux comme une béatitude anticipée. Pourquoi nous obstinerions-nous à ne les en pas croire, et quel intérêt auroient-ils eu à nous tromper? mais si nous les en croyons, pourquoi nous opiniâtrerions-nous à être plutôt malheureux avec le monde, qu'à chercher dans Dieu notre véritable bonheur?

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Ce n'est pas que j'ignore de combien de prétextes la nature corrompue tâche à se prévaloir pour nous éloigner de la sainteté. On dit, Le moyen de vivre en tel ou en tel état, et de s'y sanctifier? prétexte de la condition: on dit, Je suis détourné par mille autres soins qui m'occupent, et qui ne me donnent point de relâche; prétexte des affaires : on dit, J'ai un tempérament délicat que le moindre effort altère, et que je dois ménager; prétexte de la santé : on dit, J'ai des passions vives qui m'entraînent, et auxquelles je ne puis presque résister; prétexte des dispositions intérieures: on dit, J'ai des engagements qui m'attachent, et mon cœur est pris; prétexte de l'habitude : enfin, que ne dit-on pas? mais quoi qu'on dise, je prétends qu'un troisième effet de l'exemple des Saints est de nous ôter tout prétexte dont notre lacheté cherche à se couvrir et à s'autoriser. Car je le veux mon cher auditeur, vous êtes dans des conditions dangereuses; mais dans ces mêmes conditions n'y a-t-il pas eu des Saints, et même n'y en a-t-il pas eu dans des conditions qui les exposoient encore à de plus fréquents et à de plus grands dangers? Vous êtes obligé de vaquer à des emplois fatigants et embarrassants; mais dans ces mêmes emplois, tant d'autres avant vous ne se sont-ils pas sanctifiés? Avezvous moins de loisir pour penser à vous-même, que saint Louis sur le trône; et lorsqu'il gouvernoit un royaume, qu'il passoit les mers, qu'il commandoit les armées, qu'il donnoit des batailles, lui étoit-il plus libre qu'à vous de se recueillir et de se défendre des distractions du monde? Vous êtes foible, et d'une complexion qui vous engage à bien des ménagements, et qui vous met hors d'état d'agir; mais combien de Saints, surtout combien de vierges déja foibles par elles-mêmes, encore plus affoiblies par les abstinences, par les jeûnes, par de longues veilles, par de continuelles austérités, par tous les exercices de la pénitence et de l'abnégation chrétienne, n'ont pris néanmoins jamais aucun relâche, et, selon la parole de l'Apôtre, ont fait de leurs corps des hosties vivantes? Vous avez des passions à vaincre; mais en avez-vous de plus difficiles à surmonter que des millions de pécheurs et de pécheresses, qui, par de salutaires violences, aidés de la grace, ont triomphe de leur cœur, et en ont réprimé tous les mouvements? Enfin vous êtes dominé par l'habitude, vous êtes endurci dans le péché, vous êtes surchargé de dettes devant Dieu, vous êtes coupable à ses yeux d'un nombre infini d'offenses, et d'offenses très grièves; vous n'osez plus rien attendre de sa miséricorde. Ah! mon cher Frère, souvenez-vous des Saints, et vous apprendrez qu'il n'y a point d'ha

bitude si invétérée que vous ne puissiez détruire, qu'il n'y a point d'attachement si étroit que vous ne puissiez rompre, qu'il n'y a point d'état de péché d'où il ne soit en votre pouvoir de sortir, et qu'en quelques désordres que vous soyez tombé, vous n'avez point encore tellement éloigné Dieu de vous, que vous n'ayez des moyens prompts et sûrs pour le retrouver, et vous réconcilier avec lui. Car combien y at-il eu de saints pénitents qui, à certains temps de leur vie, ont été dans les mêmes habitudes que vous, ont été aussi redevables à la justice de Dieu que vous, ont eu autant de sujet, et peut-être même plus de sujet que vous de se défier de sa miséricorde et de désespérer de leur retour? Cependant ils sont revenus, ils se sont convertis, ils se sont remis dans leur devoir, ils s'y sont perfectionnés, ils se sont élevés à la plus sublime sainteté. Est-ce que la grace étoit plus puissante pour eux qu'elle ne l'est pour vous? est-ce que les trésors de la divine miséricorde, si abondants pour eux, sont épuisés pour vous? Non, sans doute; et dès que vous voudrez en faire l'épreuve comme les Saints, vous trouverez toujours un Dieu patient pour vous attendre, un Dieu prévenant pour vous rechercher, un Dieu bienfaisant pour vous combler de ses graces, un Dieu tout puissant pour opérer en vous des miracles de conversion et de sanctification. C'est ainsi qu'il renverse tous vos prétextes par l'exemple des Saints, et c'est en cela toujours qu'il est admirable: Mirabilis Deus in Sanctis suis. Mais en quoi vous êtes condamnables, Chrétiens, c'est de ne pas profiter de cet exemple. Qu'aurez-vous à répondre, quand Dieu, dans son jugement dernier, produira contre vous ces glorieux prédestinés, et qu'il vous demandera compte de l'affreuse différence qui paroîtra entre eux et vous, entre leur pénitence et votre obstination, entre leur courage et votre lâcheté, entre leur zèle, leur activité, leur ferveur, et votre mollesse, votre indolence, vos froideurs; entre leur sainteté, et les abominations de votre vie libertine et corrompue? Car voilà le jugement de comparaison que vous aurez à soutenir, et qui vous convaincra, qui vous confondra, qui vous réprouvera. Prévenons-le, mes chers auditeurs; et, comprenant qu'il ne tient qu'à nous de détourner ce triste malheur dont nous sommes menacés, aimons-nous assez nous-mêmes pour ne nous l'attirer pas volontairement. Si nous ne sommes pas encore Saints, et si même nous ne sommes rien moins que Saints, souhaitons de l'être, demandons à l'être, prenons toutes les mesures nécessaires pour l'être. Car, dit le Fils de Dieu, bienheureux ceux qui sont affamés et altérés de la sainteté et de la justice! Beati qui esuriunt et sitiunt justitiam (MATTH., 5)! Pourquoi? parceque cette faim et cette soif, parce que ce desir sincère, ardent, effi cace, les fera travailler fortement et solidement à acquérir le bien qu'ils souhaitent, et qui, sans contestation, est le plus précieux d tous les biens.

C'est, Sire, le soin important, le premier soin qui doit occuper les

rois aussi bien que les autres hommes, et même en quelque sorte plus que les autres hommes. Qui que nous soyons, nous avons tous une obligation générale de nous sanctifier, mais il est vrai que les grands en ont une particulière; et je ne craindrai point d'ajouter que cette obligation particulière pour les grands est encore plus étroite pour Votre Majesté. Ce n'est point assez ; et pourquoi ne dirai-je pas que vous avez sur cela une obligation qui vous est personnelle, et qui ne peut convenir à nul autre qu'à vous ? Cette obligation, Sire, qui vous est si propre, cette raison d'aspirer à la sainteté et à la plus sublime sainteté, c'est votre grandeur même, et le haut point d'élévation où nous vous voyons. Car, puisque le ciel a mis Votre Majesté au-dessus de tous les monarques de l'univers, et puisque entre toutes les puissances humaines il n'y a rien qui l'égale, elle se trouve spécialement obligée par-là, pour ne pas descendre, de se porter vers Dieu, de ne rechercher que Dieu, de ne s'attacher qu'à Dieu. C'est pour cela que Dieu vous a donné ces qualités éminentes qui font l'admiration de tous les peuples; c'est pour cela et pour cela seul qu'il vous a fait naître. Non, Sire, il ne vous a point fait naître précisément pour être grand dans le monde, ni pour être roi; mais il vous a fait roi, et le plus grand des rois, pour être Saint. Sans la sainteté, tout l'éclat de votre couronne, toute la splendeur de votre règne, tous ces titres qui vous sont si justement dus, de roi puissant, de roi sage, de roi magnifique, de roi conquérant, ne sont rien, ou ne sont, selon le langage de l'Écriture, qu'illusion et que vanité: Vanitas vanitatum. Voilà, Sire, ce qu'ose représenter à Votre Majesté le dernier de vos sujets, qui, jugeant des choses par les lumières de l'Évangile qu'il a l'honneur de vous prêcher, s'estimeroit mille fois plus heureux de donner sa vie pour le salut de votre ame, que pour l'accroissement de vos états. Non point qu'en fidèle et zélé sujet, je ne puisse et ne doive prendre part à ces succès éclatants qui font de votre royaume le plus florissant empire du monde: mais après tout, ce royaume de la terre passera, et le royaume du ciel ne finira jamais : l'un aura son temps, et l'autre, que Dieu réserve à ses Saints, n'aura pour terme que l'éternité bienheureuse, où nous conduise, etc.

AUTRE SERMON POUR LA FÊTE DE TOUS LES SAINTS.

Accesserunt ad eum discipuli ejus, et aperiens os suum, docebat eos.

Les disciples de Jésus-Christ s'étant approchés de lui, il se mit à les enseigner. SAINT MAT THIEU, chạp. V.

SIRE,

C'est pour cela que la sagesse de Dieu s'étoit incarnée, et que le Fils unique du Père étoit descendu du ciel ; c'est, dis-je, pour enseigner les hommes sur la terre. C'est ainsi que ce Dieu-Homme, après avoir long-temps parlé par la bouche des prophètes, qui avoient été ses précurseurs et ses organes, ouvroit enfin lui-même sa bouche sa

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