Page images
PDF
EPUB

maladie que vous, soit Normand, soit Gascon, il n'est pas bon que vous alliez ensemble, cela est évident. Vous vous dégoûteriez l'un l'autre du travail et de la maison.

<< Maintenant il peut y avoir des raisons plus graves...

« Quel que soit le motif.., dès que l'ordre de ne point aller ensemble vous est donné, si vous y manquiez, vous devriez être renvoyés de la maison: et si nous agissions autrement, nous trahirions la confiance de vos parents, et notre conscience.

« Du reste, c'est un ordre qui n'est pas bien difficile à observer: quand on a trois cents camarades, et qu'il en reste encore deux cent quatre-vingt-quinze, ou deux cent quatrevingt-dix-sept, avec lesquels on peut aller, il n'y a pas d'embarras, et on ne saurait se plaindre. Ces plaintes seraient injustes, et impliqueraient même un mépris pour les autres. « Et du reste, on ne vous oblige à aller avec personne... « Je vous défie d'ailleurs de trouver une maison où il y ait plus de jeunes gens de cœur et d'un esprit distingué...

« Si cela ne vous suffit pas, je ne sais ce qu'il vous faut, ni ce que vous êtes...

«De bonne foi, que cherchez-vous les uns avec les autres? A mettre en commun vos misères, qui sont quelquefois de tristes misères, ou le moins que je puis dire, de pitoyables vanitės; ou votre mauvais esprit, qui pourrait devenir par là un esprit détestable!

«< Car dans une maison comme celle-ci, où vingt-cinq prêtres, tous plus dévoués les uns que les autres, consacrent leur vie à vous élever, à vous sauver, si vous n'avez pas un esprit excellent, vous avez un esprit détestable, avec lequel, mes enfants, entendez bien cela, on tombe quelquefois dans des ingratitudes, dans des bassesses d'une honte ineffaçable, telles que si on n'avait pas plus de charité pour vous, on ne pourrait jamais vous les pardonner... »

Je ne sais si cet avis, tel qu'il est, répondait bien à ma pensée; mais mon intention, en le donnant, était de parler aux enfants tout à la fois le langage de la raison et de l'affection, de la douceur et de la force, de l'indulgence et d'une prudente sévérité.

VII

Tous ces moyens préventifs que nous venons de parcourir sont nécessaires, et excellents; cependant nous n'avons pas encore parlé du plus efficace de tous, du grand et surnaturel moyen de la religion, de tous les secours qu'offre la piété, et notamment de la confession et de la communion. Oui, et c'est la gloire de la divine religion de Jésus-Christ, il y a dans la piété chrétienne une efficacité merveilleuse pour garder pure la jeunesse, ou, ce qui n'est guère moins difficile, pour lui faire retrouver la pureté. La communion, la confession, sont ici tout à la fois les plus puissants préservatifs, et de divins remèdes. Il y a, par la grâce de NotreSeigneur Jésus-Christ, un homme à qui l'enfant, à qui le jeune homme ose faire d'humbles confidences qu'il ne ferait à personne, découvrir des plaies qu'il cacherait à tous les yeux; un homme qui regarde, qui voit tout, dans un jeune cœur; et cet homme a sans cesse accès auprès de la pauvre âme malade ou blessée : sa mission est de la soutenir, de l'empêcher de tomber, ou de la relever après la chute. Quelle puissance n'a pas cette action intime? que ne peut pas cette parole, qui a droit de tout dire, cette main qui peut toucher à toutes les plaies et y appliquer les remèdes de Dieu? Il est vrai que l'ennemi est redoutable, les périls croissants avec l'âge, certaines blessures bien difficiles à guérir; mais cette tâche s'accomplit avec bonheur, quand on y apporte du zèle, une sollicitude vigilante, un tendre amour, une persévérance infatigable. Sous les auspices d'un bon

prêtre, la confession, la direction fréquente, et la bonté de Notre-Seigneur dans la communion, voilà le sûr asile de la jeunesse chrétienne, et la plus grande puissance de l'Éducation sacerdotale.

[blocks in formation]

L'orgueil, la mollesse sont des vices terribles, qu'il faut attaquer de front et dompter de force. Quand une âme est capable de cette lutte, quelque profondément enracinés que soient ces vices, rien n'est désespéré, et les efforts de l'instituteur trouvant une heureuse correspondance dans l'âme. de celui qu'il élève, l'œuvre de l'Éducation est encore possible. Mais ce qui la compromet étrangement, ce qui lui apporte un des obstacles je dirai presque les plus désespérants, ce qui rend trop souvent inutiles les plus habiles maîtres et les soins les plus dévoués, c'est un troisième et malheureux défaut, qui fait que tout glisse sur l'enfant, que rien ne pénètre dans son âme : je parle de la légèreté, fille de ce vice capital que l'apôtre appelle la concupiscence des yeux, concupiscentia oculorum.

La concupiscence des yeux se rencontre chez l'enfant, chez le jeune homme, comme chez l'homme même, mais sous une forme particulière. Chez l'enfant, elle est particulièrement la légèreté, la dissipation, la curiosité étourdie. Or, l'âme légère, dissipée, curieuse, ouverte de tous côtés,

laisse tout perdre et ne garde rien nulle œuvre sérieuse n'est possible avec elle, ni en elle.

J'ai eu tout particulièrement à lutter contre ce défaut : je sais tout ce qu'il apporte de difficultés à l'Éducation ; j'ai dù le combattre tout à la fois dans les enfants et dans les maîtres.

J'avais une année, dans un des séminaires que j'ai dirigés, parmi des maîtres excellents, plusieurs jeunes professeurs, bons, mais trop jeunes d'àge et de caractère, légers pour leur compte et aussi pour le compte des enfants, légers d'esprit et de cœur, qui n'avaient pas assez compris la gravité de leur mission, ni toute l'importance de leurs devoirs.

J'avais aussi des enfants de la même trempe, qui ne prenaient plus rien au sérieux dans leur Éducation ni dans leur vie. Je pus craindre un moment que l'esprit de légèreté ne s'introduisît dans la maison, et alors c'en était fait de tout le reste.

Je dus donc insister sur ce défaut capital, et faire sur cette matière, à l'adresse de tous ceux qui avaient besoin de m'entendre, plusieurs entretiens, où je m'appliquai à faire comprendre les misères et les dangers de la légèreté.

I importe souverainement, en effet, que les enfants le sachent bien: ce défaut, le plus commun à leur âge, et aussi trop souvent le plus excusé, n'en est pas moins un défaut fatal, et peut, s'il persiste, si on ne le combat, ruiner nonseulement l'enfance, mais toute la vie.

Il faut de plus que, de leur côté, les hommes chargés de l'œuvre si grave de l'Education comprennent tout ce qu'elle a d'incompatible avec la légèreté de l'esprit et du caractère, tout ce qu'elle demande de gravité et de sérieux.

Je l'ajouterai enfin, il faut que les parents aussi sentent bien tout ce que cette dignité de père et de mère réclame de maturité dans ceux qui la portent, et qu'elle ne peut reposer avec sécurité sur des têtes légères.

I

Je dis donc qu'il y a chez l'enfant une sorte de curiosité avide et inquiète, ouvrant à tout son œil et ses désirs, et que caractérise exactement le nom de concupiscentia oculorum.

C'est l'ouverture des yeux et de l'âme à tout ce qui du dehors attire et séduit; c'est toute légèreté, toute propension indiscrète et sans retenue à tout voir, à tout connaître, à tout posséder, à jouir de tout: c'est une curiosité sans frein, pour le mal comme pour le bien, une cupidité passionnée; et c'est par là que ce vice rentre dans l'amour du plaisir: aussi les moralistes disent-ils avec raison que la concupiscence des yeux touche de près à la concupiscence de la chair.

Qui ne l'a observé? même chez les enfants les plus innocents, l'amour de la dissipation et du plaisir est ordinairement très-vif: ils veulent tout regarder, tout entendre, tout savourer, tout sentir.

Cet amour du plaisir, de la jouissance, se trahit d'abord par l'amour du jeu, par la passion de l'amusement, qui est quelquefois chez eux une fureur. C'est un premier et vrai danger, et il faut y prendre garde. Mais ce qui est plus redoutable, c'est le plaisir des yeux, et l'envie de tout voir; le plaisir des oreilles, et l'envie de tout entendre; le plaisir du goût, et l'envie de goûter de tout. Il est très-dangereux pour un enfant, pour un jeune homme, de laisser ainsi son âme, non-seulement accessible à toutes les séductions, mais comme tendue passionnément vers elles. A un certain âge surtout, lorsque l'homme commence à s'initier aux secrets de la vie, l'amour des choses visibles peut, si le jeune homme n'y veille avec une attention sévère, faire pénétrer en lui mille tyrans aussi vils qu'impérieux.

Dès lors il aura perdu tout empire sur lui-même, il sera

« PreviousContinue »