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dement, parce qu'encore qu'elle soit possible, elle choque leurs inclinations; et ainsi il ne faut pas s'étonner si nos discours leur déplaisent. Enfin la troisième cause de leur résistance, c'est qu'ils se plaignent de nous-mêmes, ou que nous ne prêchons pas comme il faut, ou que nous ne vivons pas comme nous prêchons; et ils se croient autorisés à mal faire en déchirant notre vie. Voilà, Messieurs, les froides raisons pour lesquelles ils méprisent les enseignemens que nous leur donnons de la part de Dieu; où vous verrez qu'ils mêlent ensemble, le faux, le vrai, le douteux: tant ils som obstinés à se défendre contre ceux qui ne demandent que leur salut.

Car pour ce que vous nous reprochez que la vie que nous prêchons est trop parfaite, et que vous ne pouvez pas y atteindre, cela est faux manifestement; parce que Dieu si sage et si bon ne commande pas l'impossible. Que si la cause pour laquelle nous vous déplaisons, c'est que nous contrarions vos désirs; pour cela nous confessons qu'il est véritable: aussi notre dessein n'est pas de vous plaire, mais de faire, si nous pouvons, que vous vous déplaisiez à vous-mêmes, afin de vous convertir à notre Seigneur. Enfin quand vous rejetez sur nous votre faute, et que vous dites que notre vie ou notre manière de dire en est cause; en cela peut-être que vous dites vrai, et peut-être aussi nous imposezvous. Mais qu'il soit vrai ou faux, notre faute ne vous justifie pas; et quoi qu'il soit de nous, qui ne sommes que foibles ministres, les vérités que nous annonçons doivent se soutenir par leur propre poids: c'est en peu de mots ce que j'ai à dire. Que

sert de vous demander vos attentions? vous n'êtes guère chrétiens, si vous la refusez à des matières si importantes. Commençons à combattre la première excuse, qui nous reproche que ce que nous prêchons est impossible.

PREMIER POINT.

La première raison de ceux qui, sous le nom du christianisme, mènent une vie païenne et séculière, c'est qu'il est d'une trop haute perfection de vivre selon l'Evangile ; et que cette grande pureté d'esprit et de corps, cette vie pénitente et mortifiée, cet amour des amis et des ennemis, passe la portée de l'esprit humain. De vouloir montrer en particulier la possibilité de chaque précepte, ce seroit une entreprise infinie: prouvons-le par une raison générale, et disons que c'est pécher contre les principes, que ce n'est pas entendre le mot de commandement, que de dire que l'exécution en est impossible. En effet le commandement, c'est la règle de l'action; or toute règle est une mesure: Mensura homogenea, dit saint Thomas, proportionata mensurato (1): « C'est une mesure, dit-il, qui doit » s'ajuster avec la chose » : par conséquent si la loi de Dieu est la règle et la mesure de nos actions, il faut qu'il y ait de la proportion, afin qu'elles puissent être égalées; toute mesure est fondée sur la proportion.

Que si le commandement que Dieu nous donne étoit au-dessus de nous, nous aurions raison de lui dire: Seigneur, vous me donnez une règle à laquelle

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(1) I. Part. quæst. 111, art. v, ad 2. I. 2. quæst. xix, art. IV, ad 2.

je ne puis me joindre, dont je ne puis pas même approcher cela n'est pas de votre sagesse. Aussi n'en est-il pas de la sorte; et lui-même en donnant sa loi, il a été soigneux de nous dire : Ah! mon peuple, ne te trompe pas; « le précepte que je te donne aujourd'hui n'est pas au-dessus de toi, il n'est pas

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séparé de toi par une longue distance » : Mandatum hoc, quod ego præcipio tibi hodie, non supra te est, neque procul positum (1): « il ne faut point >> monter au ciel, il ne faut point passer les mers » pour le trouver»: nec in cœlo situm ..... neque trans mare positum (2). C'est unc règle que je te donne; et afin que tu puisses t'ajuster à elle, je ľa mets au niveau, tout auprès de toi Juxta te est sermo valde, valde, valde : « Il est tout auprès, »en ta bouche, et en ton cœur pour l'accomplir: In ore tuo et in corde tuo, ut facias illum (3). Et vous direz après cela qu'il est impossible?

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Mais peut-être que vous penserez que cela s'entend du vieux Testament, qui est de beaucoup audessous de la perfection évangélique. Que de choses j'aurois à répondre pour combattre cette pensée ! car il est écrit que « les chemins tortus deviendront » droits » : Erunt prava in directa (4). Mais je m'arrête à cette raison; qu'elle est solide! qu'elle est chrétienne! Quel est le mystère de l'Evangile ? un Dieu homme, un Dieu abaissé : Et Verbum caro factum est (5): « Le Verbe s'est fait chair ». Et pourquoi s'est-il abaissé? Apprenez-le par la suite: Et habitavit in nobis (6): c'est afin de demeurer avec

(1) Deut. xxx. 11.— 111. 5.- (5) Joan. 1. 14.

(2) Ibid. 12, 13.— (3) Ibid. 14. — (4) Luc.

(6) I. Joan. 1. 3.

nous, dit le bien-aimé disciple: et ailleurs; pour lier société avec nous: ut societas nostra sit cum Patre et Filio ejus Jesu Christo. Il ne pouvoit y avoir de société entre sa grandeur et notre bassesse, entre sa majesté et notre néant; il s'abaisse, il s'anéantit pour s'accommoder à notre portée. Il se couvre d'un corps comme d'un nuage, non pour se cacher, dit saint Augustin, mais pour tempérer son éclat trop fort, qui auroit ébloui notre foible vue : Nube tegitur Christus, non ut obscuretur, sed ut temperetur(1). Ce Dieu, qui est descendu du ciel en la terre pour se mettre en égalité avec nous, mettra-t-il au-dessus de nous ses préceptes? et s'il veut que nous atteignions à sa personne, voudra-t-il que nous ne puissions atteindre à sa doctrine? Ah! mes Frères, ce n'est pas entendre le mystère d'un Dieu abaissé ; une telle hauteur ne s'accorde pas avec une telle condescendance.

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Ce n'est pas que je veuille rien diminuer de la perfection évangélique; mais je suis ravi en admiration, quand je considère attentivement par quels degrés Dieu nous y conduit. Il nous laisse, bégayer comme des enfans dans la loi de nature; il nous forme peu à peu dans la loi de Moïse il pose les fondemens de la vérité par des figures; il nous flatte, il nous attire au spirituel par promesses temporelles il supporte mille foiblesses, comme il dit lui-même, à cause de la dureté des cœurs à laquelle il s'accommode par condescendance; il ne nous mène au grand jour de son Evangile, qu'après nous y avoir ainsi disposés par de si longues préparations:

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des

(1) In Joan. Tract, xxiv. n. 4, tom. ш, part. 1, col. 535.

et encore dans cet Evangile il y a du lait pour les enfans, il y a du solide pour les hommes faits: Facti estis quibus lacte opus sit, non solido cibo (1): « Vous » êtes devenus comme des personnes à qui on ne de>> vroit donner que du lait, et non une nourriture » solide ». Lac vobis potum dedi (2) : « Je ne vous » ai nourris que de lait » : tout y est dispensé par ordre. Ce Dieu qui nous conduit ainsi pas à pas, et par un progrès insensible, ne nous montre-t-il pas manifestement qu'il a dessein de ménager nos forces, et non pas de les accabler par des commandemens impossibles qui nous passent? Venez, venez, et ne craignez pas, soumettez-vous à sa loi; c'est un joug, mais il est doux; c'est un fardeau, mais il est léger: Jugum enim meum suave est, et onus meum leve (3): c'est lui-même qui nous en assure; et il ne dit pas qu'il est impossible de le porter sur nos épaules.

Toutefois je passe plus loin, et je veux bien accorder, Messieurs, que les commandemens de Dieu sont impossibles : oui, à l'homme abandonné à luimême, et sans le secours de la grâce. Or c'est un article de notre foi, que cette grâce ne nous quitte pas que nous ne l'ayons premièrement rejetée; et si tu la perds, chrétien, Dieu te fera connoître un jour si évidemment que tu ne l'as perdue que par ta faute, que tu demeureras éternellement confondu de ta lâcheté Non deserit, si non deseratur (4); « Il ne se >> retire point à moins que l'on ne l'abandonne le >> premier ». « J'ai bien lu, dit saint Augustin, qu'il

(1) Heb. v. 12. (2) I. Cor. 111. 2.- (3) Matth. x1. 30.- (4) S. Aug. in Ps. cxLV, n. 9, tom. iv, col. 1629.

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