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et la cause de cette sentence terrible. Si, malgré tous vos raisonnements et vos preuves, si cet homme vous soutenait qu'il ne mourra point, et s'il affirmait avec obstination que, seul il est au-dessus de cette loi commune, et que cet arrêt ne saurait l'atteindre, ne le laisseriez-vous pas aussitôt dans son erreur, ne diriezvous pas que c'est un fou? Eh bien, je vous assure que la plupart des hommes vivent ainsi, comme s'ils ne devaient jamais mourir, ni quitter ce monde, où sans doute ils se trouvent assez bien... J'en conclus que ce sont des fous, et il y en a infiniment: Stultorum infinitus est numerus; car enfin ils mourront bientôt tous, bientôt ils quitteront la terre, et la folie des mondains ne les empêchera pas plus de mourir que celle de ce pauvre insensé. Je ne vois pas de différence entre eux, si ce n'est que le fou dit tout haut qu'il ne mourra pas, et que les autres, sans parler, vivent comme s'ils ne devaient jamais mourir. Ce n'est qu'une nuance dans la même maladie, et je ne sais quelle est la pire espèce.

Mais croire qu'on mourra tout entier, que tout sera fini à la mort, ou, comme parlent ces insensés, que tout est mort quand on est mort, serait une folie encore bien plus déplorable dans ses conséquences, puisque ce sentiment assimile l'homme à la bête, et le prive de sa fin et de ses destinées. Dès lors, en effet, il n'y a plus de sanction ni pour le bien ni pour le mal: donc plus de frein aux passions, plus de mérite pour la vertu... Il n'existe pas une source plus profonde de toutes sortes d'erreurs; et ce que je ne puis assez admirer, c'est la

réserve de ceux qui ont ces sentiments: je ne vois pas ce qui les empêche de se jeter comme des fous sur la société, de voler ce qu'ils désirent et de tuer ceux qui voudraient s'opposer à leurs prétentions. On voit bien tous les jours des fous troubler ainsi l'ordre de la société, et se livrer à ces tristes excès dont ils ne sont pas responsables; mais pour les hommes insensés dont je parle et qui n'ont pas d'autres pensées que celles de cette vie, qui ne croient pas à l'autre, je ne puis vraiment comprendre ce qui les arrête, si ce n'est peutêtre ce soin de la Providence générale qui veille à la conservation de son œuvre, et qui met un frein à la fureur des flots. De sorte que cette inconséquence même est une folie, mais une folie heureuse pour la société. Supposé en effet un homme qui ne croit pas à la vie de l'âme, à la vie éternelle, mais seulement à celle-ci et qui se voit privé du bonheur, le seul qu'il puisse désirer et espérer jamais, pourquoi ne se jetterait-il pas avec fureur sur le premier qu'il va rencontrer et qui possède tout ce que le sort semble lui avoir refusé, comme l'animal se jette sur la première proie qu'il a trouvée le matin? Je sais qu'il y a une loi ou un instinct de nature, qui empêche l'être privé de raison, de détruire son semblable; mais ici ce n'est pas une objection, c'est plutôt une preuve en faveur de la thèse que je soutiens en ce moment, car il est certain que le raisonnement de la passion devrait pousser à ces désordres l'homme qui ne croit plus. Mais il n'a plus que l'instinct des bêtes, et c'est ce qui nous sauve, ce qui

sauve la société qui est pleine de tous ces insensés. Qui sait pourtant si un jour, dans un délire furieux dont on a déjà entendu la menace et pressenti quelques symptômes, ils ne suivront pas l'impulsion de la colère!..... Alors on verra ce que c'est que l'homme qui n'a pour comprimer ses passions ni la pensée de son âme ni le sentiment de son avenir éternel. Rien, rien ne saurait l'arrêter... Je vous le demande : que peuvent faire les lois, l'honneur, la conscience? Les lois, il les regarde comme une injustice, l'honneur comme un mot, et la conscience, il n'en a point; il s'en moque, puisqu'il n'y a plus de sanction possible. Il arrivera donc,'il sera riche et heureux, ou il mourra.

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Concluons ces réflexions par quelques propositions dont tout homme sensé comprendra immédiatement la sagesse, et qui achèveront de convaincre de folie tous ceux qui refusent d'y croire et d'agir en conséquence. Il y a une autre vie, donc il faut y penser. Il y en a deux, donc il faut choisir. — La première est bien courte, donc il ne faut pas perdre de temps. La seconde va bientôt commencer, donc il faut s'y préparer; - et elle est éternelle, donc il faut la préférer, et travailler sans cesse pour cette vie. -Eh bien, vous, mon cher lecteur, qu'avez-vous fait jusqu'à présent? que voulez-vous faire désormais? Vous vivez, et vous allez bientôt mourir! Ayez pitié de votre âme, tâchez de comprendre et de ne plus oublier ainsi la fin pour laquelle vus avez été créé. Utinam saperent et intelligerent ac novissima providerent! (Deut., xxxII, 29.)

III

DEUXIÈME CARACTÈRE DE LA MALADIE

INUTILITÉ ABSOLUE DE LA VIE DES INSENSÉS... ET DE LA PLUPART

DES HOMMES.

Per totam noctem laborantes, nihil cepimus.

Nous avons travaillé toute la nuit, sans rien prendre. (Luc, v, 5.)

Quand on visite un de ces tristes asiles où l'on a renfermé les malheureuses victimes des affections mentales, dans l'espérance, hélas! trop souvent déçue, de les guérir, ou seulement pour les empêcher de nuire à la société, il est impossible de n'être pas aussitôt frappé d'une chose qui résulte de ce spectacle navrant; c'est l'inutilité absolue de la vie de ces infortunés. Il n'y a pas d'exception, ils ne font rien, rien du tout, ou, s'ils paraissent s'occuper, c'est pour faire des riens, c'est-à-dire des choses complétement inutiles. J'ai pu constater ce fait dans les plus célèbres maisons de santé de la capitale, comme dans les plus vastes asiles d'aliénés de France et d'Angleterre. La vie de ces pauvres malades offre partout le contraste étrange du repos absolu ou de l'activité stérile. J'en ai vu qui se tenaient assis ou debout appuyés contre un arbre, immobiles, en silence, les yeux éteints, sans l'ombre

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d'une pensée, sans l'ombre d'un mouvement; et cela pendant des heures, et des jours entiers et d'autres au contraire, d'un empressement vraiment incroyable et s'agitant sans cesse, couraient à perdre haleine, ou tournaient autour d'une colonne, sans s'arrêter jamais.... Il y en a qui parlent sans fin, avec une emphase ou une volubilité effrayante; d'autres écrivent jour et nuit, calculent et couvrent des pages entières de chiffres ou de mots inintelligibles, et récitent, déclament avec feu ces vaines compositions. C'est un travail incessant, une action continuelle, mais sans but, sans suite, sans fruit. Les uns ne font rien, les autres ne font que des riens! O! pitié, pitié profonde! Les yeux à ce spectacle s'emplissent de larmes, et le cœur se serre de douleur.

Eh bien, voyez le monde et pleurez; car si vous le contemplez avec les yeux de la foi, vous ne pourrez vous empêcher d'y reconnaître le même caractère dans la folie des pécheurs, nos pauvres malades. Ou ils ne font rien non plus, rien du tout, ou ils vivent dans une stérile activité, et malgré toutes ces agitations fébriles de leur esprit, ce travail incessant de leurs bras, ils ne font que des riens. La plupart pourront dire à la fin, qu'après s'être bien fatigués, ils n'ont rien fait, Per totam noctem laborantes, nihil cepimus. (Lnc, v, 5.) Toutes les paroles saintes de ce texte, méritent bien d'être méditées et porteront la lumière dans votre âme... La vie de l'homme sur la terre est bien courte; celle du sage peut se comparer à un jour qui passe vite... qui a passé même... Tanquam dies he

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