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où j'aimais à m'ensevelir pour penser plus librement et méditer plus à loisir... Disons simplement : j'étais dans les exercices de ma retraite annuelle, repos d'esprit et de cœur si nécessaire à ma vie... et je me répétais lentement, pour la centième fois peut-être depuis une heure, ces mots sacrés qui ont toujours fait sur mon âme une impression profonde : Quid enim prodest homini, si mundum universum lucretur, animæ vero suæ detrimentum patiatur? (Matth., xvi. 26.) « De quoi pourrait servir à un homme de posséder, de conquérir le monde entier s'il vient à perdre son âme? » Quand tout à coup je me sentis comme frappé d'une lumière surnaturelle. Je ne saurais trouver une autre. expression frappé, car ce fut si soudain, si imprévu et si fort à la fois!... d'une lumière, car j'ai vu!... mais d'une lumière surnaturelle, car elle venait certainement d'en haut; c'était Dieu qui parlait à mon cœur. A l'éclat de cette lumière, j'ai vu en un instant tout ce que je vais dire dans ce livre, et en ce moment même où j'écris ces lignes, je vois encore tout, et je voudrais pouvoir dire et écrire aussi vite que la pensée, qui possède et contemple ainsi toutes choses dans un regard, et renferme et embrasse toutes les conséquences dans un principe... dans un mot. — Et qu'ai-je vu dans cette lumière? La folie, l'aveuglement des hommes, et j'étais touché jusqu'aux larmes en les voyant s'égarer dans les passions du mal et se perdre pour l'éternité!... Je pleurai véritablement ce malheur pendant un jour entier; j'aurais voulu pouvoir ramener

à la vérité ces malheureuses intelligences et sauver ces pauvres cœurs égarés.

Le lendemain, il ne me restait plus que le souvenir de cette grâce; le sentiment avait disparu, ou du moins, il avait tant perdu de sa puissance et de sa douceur, que ce n'était plus qu'une simple pensée, mais gravée profondément dans mon âme. Pour raviver, s'il était possible, l'action de l'Esprit-Saint, je me mis à prier avec ferveur et à chercher dans la parole extérieure de Dieu, dans sa parole écrite, les témoignages de cette vérité sainte qui avait été comme révélée à mon cœur. Quelle fut ma surprise et en même temps mon bonheur de retrouver facilement dans ma mémoire une foule de textes qui auraient dû depuis longtemps me faire découvrir ce fait important, je veux dire la folie des hommes en matière de religion et pour tout ce qui concerne le salut, Dieu, l'éternité. C'est incroyable vraiment la multitude des textes sacrés qui peuvent servir à constater ce fait, hélas! incontestable. Il y en a plus de trois cents dans l'Ancien et le Nouveau Testament, comme il sera facile de s'en convaincre si on veut seulement prendre une Concordance de la Bible, et nous aurons d'ailleurs l'occasion d'en citer un bon nombre dans la suite de cet ouvrage, qui ne sera, à proprement parler, que la preuve et l'interprétation de cette sentence du plus sage des rois : Stultorum infinitus est numerus. (Eccl., 1, 15.)

Quelques semaines après, je devais commencer la station de Carême, à Paris, dans la paroisse des Mis

sions Étrangères, il m'était impossible de chercher, d'avoir même une autre pensée que celle qui avait à ce point frappé mon esprit ; c'était devenu comme une idée fixe; je n'essayai pas de lutter contre ce sentiment qui m'entraînait, et je me mis à étudier sérieusement cette question, pendant les quelques semaines qui restaient encore avant le temps de la Pénitence. Cette époque des plus grandes folies du monde, le carnaval, ne servit pas peu à m'entretenir et à m'encourager dans ce travail, et me persuada qu'il pourrait être vraiment utile pour la gloire de Dieu et le salut des ames. Je m'adressai à quelques médecins célèbres dans le traitement des aliénations mentales; je leur communiquai mes pensées; ils en parurent étonnés d'abord, puis satisfaits, et l'un d'eux', s'offrit à me prêter les ouvrages des auteurs qui ont écrit sur cette partie de la science médicale, et je me mis avec ardeur à étudier les traités de Pinel, d'Esquirol, etc. 2. Rien de plus frap

1 Le docteur Mitivié, médecin en chef de la Salpêtrière, neveu du célèbre Esquirol, auquel il succéda dans la direction de la maison d'lvry. Qu'il veuille bien agréer encore l'expression de ma vive reconnaissance.

2 Parmi tous les docteurs aliénistes, celui que j'ai le plus étudié c'est Pinel, médecin de l'Empereur, membre de l'Institut, etc.; et ce qui fait que j'aime à le citer surtout, c'est que cet homme, d'ailleurs trèshonnête, parait être, dans ses écrits, tout à fait en dehors des principes religieux; il parle bien avec quelque respect du Christianisme, mais on voit que ce n'est pas son fait et qu'il n'est pas fort. En voici une preuve des plus singulières. Après avoir reconnu et déclaré cent fois dans son admirable Traité médico-philosophique sur l'aliénation mentale (1809), que les passions sont la cause la plus ordinaire de cette triste maladie, l'excellent docteur (on l'appelait le bonhomme Pinel), au lieu d'indiquer le seul remède qui puisse diriger ou guérir ces malheureuses affections de l'âme, je veux dire la Religion, termine son livre par l'expression du

pant que les analogies entre les diverses sortes de folies dont ils parlent et les tristes égarements des pécheurs. Souvent même les principes de ces maladies sont semblables, identiques; les caractères offrent les mêmes nuances; les symptômes s'accordent, et, ce qui est plus suprenant, il y a des cas où le traitement peut servir aux deux affections, où les remèdes seront également efficaces. Il sera facile de s'en convaincre dans la suite, et lorsque nous serons amenés à parler des différentes classes ou catégories de nos pauvres malades.

On verra dans les discours préliminaires ces rapports singuliers et les caractères spéciaux de ces affections si variées. En ce moment, je ne veux plus signaler qu'une observation générale, et qui s'applique également à tous, c'est qu'il n'y a pas un seul fou qui croie l'être. Avouer sa maladie, reconnaître son état, ce serait le signe le plus sûr de la guérison immédiate, radicale. Et c'est ainsi que les pauvres pécheurs ne peuvent croire à leur malheur; que dis-je? Ils pensent plutôt que tous les autres se trompent et vivent dans l'erreur; mais il viendra un jour où ils seront tout à

vœu le plus bizarre : « Pour ramener les peuples à la pratique de la morale universelle, dont on a perdu le goût, » ne s'avise-t-il pas de proposer sérieusement « de faire revivre les sectes et les diverses écoles de philosophie qui illustrèrent l'ancienne Grèce, et de consacrer les dernières années de l'éducation de la jeunesse à une étude sérieuse et approfondie de la vie des grands hommes par Plutarque! » Risum teneatis amici! Mais non, c'est impossible de ne pas rire... de pitié. Comme si le catéchisme et la vie des saints ne valaient pas mieux que toutes ces écoles de philosophie et l'histoire de tous ces grands hommes!... Et voilà pourtant ce que c'est que d'être loin de la vérité, ou de ne pas oser la dire! On en devient plaisant quelquefois et ridicule.

coup éclairés, une heure où ils reviendront à la raison; mais, hélas! il ne sera plus temps. Ce sera le jour des regrets et des désespoirs éternels, l'heure de la mort enfin... Et que diront-ils alors?... Nous étions des insensés!... Nous nous sommes trompés... Nous pensions que la vie de ceux qui ne marchaient pas comme nous était une folie... et les voilà dans la lumière de la vérité, dans la gloire et la paix de Dieu ; ils sont ses enfants!... C'est nous qui étions des fous !... Nos insensati!... ergo erravimus !... Vitam illorum æstimabamus insaniam... Ecce quomodo computati sunt inter filios Dei. (Sap., v, 4-6.)

Heureux si nous pouvions guérir quelques-uns de ces infortunés avant ce grand jour ! Nous l'espérons, nous le demandons au Seigneur, en consacrant ce travail au Cœur de Jésus, au Cœur immaculé de Marie; c'est la seule récompense que nous ayons demandée au ciel. Quand un pécheur se convertit, il arrive précisément ce que l'on remarque dans les guérisons des affections mentales; ils disent tous ce que diront un jour, mais, hélas! trop tard, les âmes perdues pour l'éternité!... Vraiment, que j'étais insensé!... Quelle folie!... Je pensais que c'était si difficile... et voilà que je suis bien plus heureux! Oh! quelle grâce! quel bonheur !

J'affirme que je n'ai pas encore vu un homme revenir à la vérité, se convertir à la foi, qui n'ait répété cette parole et exprimé ce sentiment. Et fasse le ciel que la lecture de ces pages ramène quelques-unes de ces âmes égarées!

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