Page images
PDF
EPUB

s'il voudra bien la lire, non pas en votre présence, les hommes se cachent certaines émotions. Je vous autorise, pour le décider, et si vous le jugez nécessaire, à lui dire qu'il y va de ma vie ou de ma mort. S'il daigne...

- Daigne! fit le commandeur.

S'il daigne la lire, reprit avec dignité la duchesse, faites-lui une dernière observation. Vous le verrez à cinq heures, il dîne à cette heure, chez lui, aujourd'hui, je le sais; eh bien, il doit, pour toute réponse, venir me voir. Si trois heures après, si à huit heures, il n'est pas sorti, tout sera dit. La duchesse de Langeais aura disparu de ce monde. Je ne serai pas morte, cher, non; mais aucun pouvoir humain ne me retrouvera sur cette terre. Venez dîner avec moi, j'aurai du moins un ami pour m'assister dans mes dernières angoisses. Oui, ce soir, mon cher cousin, ma vie sera décidée; et, quoi qu'il arrive, elle ne peut être que cruellement ardente. Allez ! Silence, je ne veux rien entendre qui ressemble soit à des observations, soit à des avis. Causons, rions, dit-elle en lui tendant une main qu'il baisa. Soyons comme deux vieillards philosophes qui savent jouir de la vie jusqu'au moment de leur mort. Je me parerai, je serai bien coquette pour vous. Vous serez peut-être le dernier homme qui aura vu la duchesse de Langeais.

Le vidame ne répondit rien, il salua, prit la lettre et fit la commission. Il revint à cinq heures, trouva sa parente mise avec recherche, délicieuse enfin. Le salon était paré de fleurs comme pour une fête. Le repas fut exquis. Pour ce vieillard, la duchesse fit jouer tous les brillants de son esprit, et se montra plus attrayante qu'elle ne l'avait jamais été. Le commandeur voulut d'abord voir une plaisanterie de jeune femme dans tous ces apprêts; mais, de temps à autre, la fausse magie des séductions déployées par sa cousine pâlissait. Tantôt, il la surprenait à tressaillir émue par une sorte de terreur soudaine; et tantôt elle semblait écouter dans le silence. Alors, s'il lui disait :

- Qu'avez-vous?

- Chut! répondait-elle..

A sept heures, la duchesse quitta le vieillard, et revint promptement, mais habillée comme aurait pu l'être sa femme de chambre pour un voyage; elle réclama le bras de son convive qu'elle voulut

pour compagnon, se jeta dans une voiture de louage. Tous deux, ils furent, vers les huit heures moins un quart, à la porte de M. de Montriveau.

Armand, lui, pendant ce temps, avait médité la lettre sui

vante :

:

« Mon ami, j'ai passé quelques moments chez vous, à votre insu; j'y ai repris mes lettres. O Armand, de vous à moi, ce ne peut être indifférence, et la haine procède autrement. Si vous m'aimez, cessez un jeu cruel. Vous me tueriez. Plus tard, vous en seriez au désespoir, en apprenant combien vous êtes aimé. Si je vous ai malheureusement compris, si vous n'avez pour moi que de l'aversion, l'aversion comporte et mépris et dégoût; alors, tout espoir m'abandonne les hommes ne reviennent pas de ces deux sentiments. Quelque terrible qu'elle puisse être, cette pensée apportera des consolations à ma longue douleur. Vous n'aurez pas de regrets un jour. Des regrets! ah! mon Armand, que je les ignore! Si je vous en causais un seul... Non, je ne veux pas vous dire quels ravages il ferait en moi. Je vivrais et ne pourrais plus être votre femme. Après m'être entièrement donnée à vous en pensée, à qui donc me donner?... à Dieu. Oui, les yeux que vous avez aimés pendant un moment ne verront plus aucun visage d'homme; et puisse la gloire de Dieu les fermer ! Je n'entendrai plus de voix humaine, après avoir entendu la vôtre, si douce d'abord, si terrible hier, car je suis toujours au lendemain de votre vengeance; puisse donc la parole de Dieu me consumer! Entre sa colère et la vôtre, mon ami, il n'y aura pour moi que larmes et que prières. Vous vous demanderez peut-être pourquoi vous écrire? Hélas! ne m'en voulez pas de conserver une lueur d'espérance, de jeter encore un soupir sur la vie heureuse avant de la quitter pour jamais. Je suis dans une horrible situation. J'ai toute la sérénité que communique à l'âme une grande résolution, et sens encore les derniers grondements de l'orage. Dans cette terrible aventure qui m'a tant attachée à vous, Armand, vous alliez du désert à l'oasis, mené par un bon guide. Eh bien, moi, je me traîne de l'oasis au désert, et vous m'êtes un guide sans pitié. Néanmoins, vous seul, mon ami, pouvez comprendre la mélancolie des derniers regards que je jette au bon

heur, et vous êtes le seul auquel je puisse me plaindre sans rougir. Si vous m'exaucez, je serai heureuse; si vous êtes inexorable, j'expierai mes torts. Enfin, n'est-il pas naturel à une femme de vouloir rester dans la mémoire de son aimé, revêtue de tous les sentiments nobles? Oh! seul cher à moi! laissez votre créature s'ensevelir avec la croyance que vous la trouverez grande. Vos sévérités m'ont fait réfléchir; et, depuis que je vous aime bien, je me suis trouvée moins coupable que vous ne le pensez. Écoutez donc ma justification, je vous la dois; et, vous qui êtes tout pour moi dans le monde, vous me devez au moins un instant de justice.

>> J'ai su, par mes propres douleurs, combien mes coquetteries vous ont fait souffrir; mais, alors, j'étais dans une complète ignorance de l'amour. Vous êtes, vous, dans le secret de ces tortures, et vous me les imposez. Pendant les huit premiers mois que vous m'avez accordés, vous ne vous êtes point fait aimer. Pourquoi, mon ami? Je ne sais pas plus vous le dire que je ne puis vous expliquer pourquoi je vous aime. Ah! certes, j'étais flattée de me voir l'objet de vos discours passionnés, de recevoir vos regards de feu; mais vous me laissiez froide et sans désirs. Non, je n'étais point femme, je ne concevais ni le dévouement ni le bonheur de notre sexe. A qui la faute? Ne m'auriez-vous pas méprisée, si je m'étais livrée sans entraînement? Peut-être est-ce le sublime de notre sexe, de se donner sans recevoir aucun plaisir; peut-être n'y a-t-il aucun mérite à s'abandonner à des jouissances connues et ardemment désirées. Hélas! mon ami, je puis vous le dire, ces pensées me sont venues quand j'étais si coquette pour vous; mais je vous trouvais déjà si grand, que je ne voulais pas que vous me dussiez à la pitié... Quel mot viens-je d'écrire ! Ah! j'ai repris chez vous toutes mes lettres, je les jette au feu! Elles brûlent. Tu ne sauras jamais ce qu'elles accusaient d'amour, de passion, de folie... Je me tais, Armand, je m'arrête, je ne veux plus rien vous dire de mes sentiments. Si mes vœux n'ont pas été entendus d'âme à âme, je ne pourrais donc plus, moi aussi, moi la femme, ne devoir votre amour qu'à votre pitié. Je veux être aimée irrésistiblement ou laissée impitoyablement. Si vous refusez de lire cette lettre, elle sera brûlée. Si, l'ayant lue, vous n'êtes pas trois heures après pour toujours mon seul époux, je n'aurai point de honte à vous la savoir

entre les mains: la fierté de mon désespoir garantira ma mémoire de toute injure, et ma fin sera digne de mon amour. Vous-même, ne me rencontrant plus sur cette terre, quoique vivante, vous ne penserez pas sans frémir à une femme qui, dans trois heures, ne respirera plus que pour vous accabler de sa tendresse, à une femme consumée par un amour sans espoir, et fidèle, non pas à des plaisirs partagés, mais à des sentiments méconnus. La duchesse de la Vallière pleurait un bonheur perdu, sa puissance évanouie; tandis que la duchesse de Langeais sera heureuse de ses pleurs et restera pour vous un pouvoir. Oui, vous me regretterez. Je sens bien que je n'étais pas de ce monde, et vous remercie de me l'avoir prouvé. Adieu, vous ne toucherez point à ma hache: la vôtre était celle du bourreau, la mienne est celle de Dieu; la vôtre tue, et la mienne sauve. Votre amour était mortel, il ne savait supporter ni le dédain ni la raillerie; le mien peut tout endurer sans faiblir, il est immortellement vivace. Ah! j'éprouve une joie sombre à vous écraser, vous qui vous croyez si grand, à vous humilier par le sourire calme et protecteur des anges faibles qui prennent, en se couchant aux pieds de Dieu, le droit et la force de veiller en son nom sur les hommes. Vous n'avez eu que de passagers désirs; tandis que la pauvre religieuse vous éclairera sans cesse de ses ardentes prières, et vous couvrira toujours des ailes de l'amour divin. Je pressens votre réponse, Armand, et vous donne rendez-vous... dans le ciel. Ami, la force et la faiblesse y sont également admises; toutes deux sont des souffrances. Cette pensée apaise les agitations de ma dernière épreuve. Me voilà si calme, que je craindrais de ne plus t'aimer, si ce n'était pour toi que je quitte le monde.

>> ANTOINETTE. »>

-Cher vidame, dit la duchesse en arrivant à la maison de Montriveau, faites-moi la grâce de demander à la porte s'il est chez lui.

Le commandeur, obéissant à la manière des hommes du xvme siècle, descendit et revint dire à sa cousine un oui qui la fit frissonner. A ce mot, elle prit le commandeur, lui serra la main, se laissa baiser par lui sur les deux joues, et le pria de s'en aller sans l'espionner ni vouloir la protéger.

[blocks in formation]

-Personne ne peut me manquer de respect, répondit-elle.

Ce fut le dernier mot de la femme à la mode et de la duchesse. Le commandeur s'en alla. Madame de Langeais resta sur le seuil de cette porte en s'enveloppant de son manteau, et attendit que huit heures sonnassent. L'heure expira. Cette malheureuse femme se donna dix minutes, un quart d'heure; enfin, elle voulut voir une nouvelle humiliation dans ce retard, et la foi l'abandonna. Elle ne put retenir cette exclamation: «< O mon Dieu! » puis elle quitta ce funeste seuil. Ce fut le premier mot de la carmélite.

Montriveau avait une conférence avec quelques amis, il les pressa de finir, mais sa pendule retardait, et il ne sortit pour aller à l'hôtel de Langeais qu'au moment où la duchesse, emportée par une rage froide, fuyait à pied dans les rues de Paris. Elle pleura quand elle atteignit le boulevard d'Enfer. Là, pour la dernière fois, elle regarda Paris fumeux, bruyant, couvert de la rouge atmosphère produite par ses lumières; puis elle monta dans une voiture de place, et sortit de cette ville pour n'y jamais rentrer. Quand le marquis de Montriveau vint à l'hôtel de Langeais, il n'y trouval point sa maîtresse, et se crut joué. Il courut alors chez le vidame, et y fut reçu au moment où le bonhomme passait sa robe de chambre en pensant au bonheur de sa jolie parente. Montriveau lui jeta ce regard terrible dont la commotion électrique frappait également les hommes et les femmes.

- Monsieur, vous seriez-vous prêté à quelque cruelle plaisanterie? s'écria-t-il. Je viens de chez madame de Langeais, et ses gens la disent sortie.

- Il est sans doute arrivé, par votre faute, un grand malheur! répondit le vidame. J'ai laissé la duchesse à votre porte... - A quelle heure?

A huit heures moins un quart.

- Je vous salue, dit Montriveau, qui revint précipitamment chez lui pour demander à son portier s'il n'avait pas vu dans la soirée une dame à la porte.

— Oui, monsieur, une belle femme qui paraissait avoir bien du désagrément. Elle pleurait comme une Madeleine, sans faire de bruit, et se tenait droite comme un piquet. Enfin, elle a dit un :

VIII.

46

« PreviousContinue »