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INTRODUCTION

De toutes les branches si multiples et si variées de l'art chrétien, nous n'en connaissons pas qui offrent aux explorations de la critique un champ plus étendu que l'Hymnographie du Bréviaire romain. Ce fonds liturgique, dont nul autre, si ce n'est peut-être celui de l'Antiphonaire, n'égale la richesse, a de tout temps. fixé l'attention des hommes sérieux; mais jamais autant qu'à notre époque, il n'avait, ce semble, passionné l'érudit et provoqué de si laborieuses et de si ardentes investigations.

Il suffit d'être quelque peu familiarisé avec les manuscrits de nos hymnes pour avoir observé que beaucoup portent, en marge ou dans les interlignes, des gloses et des scholies, qui témoignent d'une amoureuse application à lire sous l'écorce de la lettre, et à y rechercher ces sens plus ou moins voilés que les ombres du symbolisme dérobent presque toujours aux yeux du lecteur inexercé ou à demi attentif. A vrai

a

dire, ce soin était peu nécessaire alors que le peuple lui-même possédait encore, aussi bien que le prêtre, la clef de la langue mystérieuse de l'Église; et c'est ce qui en explique la rareté, ou même l'absence totale, aux premiers âges de l'histoire hymnographique.

La plus ancienne glose peut-être, qui mérite d'être remarquée, ne nous paraît pas remonter au delà du XIIIe siècle. C'est celle d'Hilarius, dont le nom se rencontre partout, et la légende nulle part '.

Après, dans la période du xvio au XVIIe siècle, s'ouvre, à proprement parler, l'ère des commentateurs, parmi lesquels on distingue, à d'assez longs intervalles, Josse Clicthoue, docteur de Paris, chanoine de Chartres, Michel Timothée de Rimini et GrégoireValentien a Marsalia'. De nos jours enfin, les docteurs

1 Le P. Faustin Arevalo, après avoir cité Jacques de Lora (Aurea Expositio hymnorum, etc. Neapoli, 1504.) comme mentionnant pour la première fois, selon lui, le nom d'Hilarius, ajoute : Nihil præterea aliud novi de hocce prudenti viro Hilario, quem post Prudentium, Sedulum, sanctum Ambrosium, sanctum Gregorium vixisse Lora declarat. (Hymnodia Hispanica. Dissert. de hymn. Eccles. sect. XIV, n. 62, in not.) Mais Lora n'est pas, tant s'en faut, le premier qui ait parlé d'Hilarius; ce nom, en effet, sans autre éclaircissement d'ailleurs que cette vague désignation: Quidam vir prudens nomine Hilarius, figure au prologue de toutes les nombreuses éditions qui, sur la fin dn XVe siècle et jusqu'au milieu du xvio, furent imprimées en France, en Allemagne et en Espagne, sous le titre de Expositio ou Recognitio hymnorum, et dont nous avons vu deux manuscrits, le premier du XIIe siècle, à la bibliothèque d'Arras, no 525 (Hymni glossati); le second, à celle de Reims, no 180-187 (Hymni Ecclesiast. cum notis), du xve siècle.

2 Elucidatorium Ecclesiasticum. Paris, 1516. in-fo.

3 In Hymnos Ecclesiasticos brevis Elucidatio. Venise, 1582, in-4°. 4 Hymnodia sanctorum Patrum. Venise, 1646, in-fo.

Nous ne savons comment expliquer l'omission de ces deux derniers auteurs dans le double Catalogue liturgique dressé par D. Guéranger (Instit. liturg.) et par D. Lacombe (Manuel des sciences ecclés.)

allemands protestants Jacques Rambach', Adalbert Daniel, et le docteur catholique F.-J. Mone 3, directeur des archives à Carlsruhe, ont publié sur la matière des travaux d'une valeur à coup sûr inégale, mais tous du plus haut intérêt, et auxquels la science hymnologique, il faut bien le reconnaître, doit aujourd'hui son merveilleux élan.

Cependant, hâtons-nous de le dire, si on a beaucoup écrit sur les hymnes au point de vue mystique, et presque autant aussi, dans ces dernières années, au point de vue philologique, nul encore, à notre connaissance du moins, n'a résolûment abordé ce double côté critique et littéraire, où la tâche si difficile de l'auteur est d'une part, en discutant les variantes, de réhabiliter, quand il y a lieu, le texte primitif, et, d'autre part, de mettre en relief les beautés tour à tour si mâles ou si suaves de cette vieille hymnographie chrétienne contre laquelle, depuis la Renaissance, l'engouement du classicisme, en déplaçant ici le vrai point esthétique, a soulevé les plus fausses et les plus injustes appréciations *.

Ils figuraient cependant déjà l'un et l'autre dans la Bibliotheca ritualis de Zaccaria.

1 Anthologie christlicher Gesange ans allen Jahrhunderten der Kirche. Anthologie des chants chrétiens de tous les siècles de l'Église. Leipzig, 1817. In-8°.

2 Thesaurus hymnologicus, Hall et Leipzig, 1841-1856. In-8°, 5 vol.

Hymni latini medii

3 Lateinische Hymnen des Mittelalters. ævi. Fribourg en Brisgau, 1853-1855. In-8°, 3 vol.

4 Luigi Biraghi (Inni sinceri di sant' Ambrogio. Milano, 1862), que nous citerons bien souvent dans ces Études, a fait, il est vrai, un pas sur ce terrain; mais, outre que sa collection n'offre que sept Ambrosiennes seulement de notre bréviaire, cet auteur, fort méritant d'ail

Cette tâche ardue et qui touche à tant de questions délicates, nous avons osé l'entreprendre; et, bien qu'il nous coûte peu d'avouer que ce n'est pas sans quelque témérité peut-être que nous nous y sommes engagé, nous n'en avons, à vrai dire, nul regret. Car, dans le domaine de la science, les tentatives et les essais, quels qu'ils soient, ont toujours leur utilité; et si, à travers cette route à peu près inexplorée jusqu'à ce jour, il nous arrive parfois de dévier et de faillir, nos erreurs mêmes et nos défaillances profiteront certainement à ceux qui la parcourront après nous.

Nous parlerons d'abord, dans ces préliminaires, de l'origine des hymnes et de leur insertion au bréviaire. Nous y examinerons ensuite, au point de vue général qui domine tout ce travail, leur style et leur caractère propres; puis, à l'occasion de la réforme d'Urbain VIII, dont il nous faut nécessairement ici apprécier les motifs, nous démontrerons que les ennemis de nos hymnes ne peuvent d'aucune façon en arguer à leur avantage, et nous essaierons de restituer à ces impérissables monuments de notre belle langue chrétienne leur franche et originale physionomie. Enfin nous indiquerons le plan suivi dans ces Études, et les sources auxquelles nous avons puisé.

L'origine des hymnes se rattache-t-elle au berceau

leurs, n'a certainement pas saisi, dans son ensemble du moins, le caractère propre du style hymnographique de l'Église.

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