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riant jamais elle-même, règle par les phases successives de la lumière toutes les heures du jour. Elle demande à Dieu de lui accorder la lumière de ce soir suprême, dans les clartés duquel la vie ne défaille jamais et qui brille à l'âme comme l'aube sereine de l'éternelle gloire, récompense d'une sainte et bienheureuse

mort.

-

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Critique. Cette hymne se lit, comme la précédente, dans les plus anciens mss. de l'Eglise de Milan, et il ne faut pas la réciter deux fois pour voir qu'elle coule de la même plume. Sans reproduire les caractères communs que nous avons déjà signalés, qu'il nous suffise d'appeler l'attention sur ces expressions et ces formes, que l'on rencontre si souvent dans les œuvres de saint Ambroise: TENAX VIGOR. Quæ omnia vis divina... voluntatis suæ auctoritate connexuit. (Hexaem. 1. II. c. 1.) TEMPORA se présente avec cette même acception, presque à chaque pas, dans le même ouvrage; nous l'avons déjà fait observer à l'hymne: Æterne rerum Conditor, à propos du vers: Et temporum das tempora.-SUCCESSIBUS.- Totius naturæ creator rebus successus defluos subministrat. (In Luc. VI, n. 68.)-Continuos fontibus fluere successus. (Ibid., n. 85.) — Prosperioris cursus successibus gratulatur. (Hexaem. 1. III. c. xI.) — MORTIS SACRE.— Mortis sacræ meritum probat. (Hymn. SS. Protasii et Gervasii.) — Mortis sacræ compendio. (Hymn. SS. Martyrum.) Nous avons dit, en traitant de l'hymne Jam lucis orto sidere, que ces deux pièces, dont la dernière seulement a été insérée au bréviaire, sont admises par Biraghi lui-même dans la collection des hymnes sincères de saint Ambroise.

Commentaire.

Rerum, Deus, tenax vigor.

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Tenax vigor. La force conservatrice qui anime et qui soutient toutes choses avec la divine ténacité de son infinie puissance; le lien mystérieux qui relie ensemble, dans l'harmonie de l'existence et de la vie, les éléments divers, physiques ou spirituels, qui composent la nature, si multiple et si variée, de

1 Elles figurent aussi l'une et l'autre dans le vieux bréviaire mozarabe.

tous les êtres créés; cette action providentielle enfin, qui d'une extrémité à l'autre atteint et ordonne tout avec force et douceur: Attingit ergo a fine usque ad finem, et disponit omnia suaviter. (Sap. vIII, 1.) Et cette énergie divine a son principe et sa raison dans son éternelle fixité, autour de laquelle toute chose ici-bas se remue, s'agite et passe :

Immotus in te permanens.

SCRIPT. Ipsi peribunt, tu autem permanes. (Ps. CI, 27.) Ego Dominus, et non mutor. (Malach. III.) Ce qui fait dire si justement à Boëce: O qui perpetua mundum ratione gubernas, stabilisque manens das cuncta moveri! (De Consol. lib. V, metr. 9.)

Lucis diurnæ tempora
Successibus determinans.

Réglant, distinguant les heures du jour par leur succession même, par le progrès et la décroissance de la lumière, du matin au soir.

Largire lumen vespere
Quo vita nusquam decidat.

-

« Accordez-nous la lumière du soir dans laquelle la vie ne défaille jamais. » Vespere neut. indécl. comme dans la Genèse, 1. Le soir est l'heure où le jour tombe et s'éteint dans les ténèbres de la nuit; lumen vespere ne peut donc bien être pris ici qu'au sens spirituel et mystique, c'est-à-dire pour l'aube de ce grand jour de l'éternité bienheureuse, que les ombres de la mort n'obscurciront jamais, parce que Dieu lui-même en sera l'indéfectible lumière. SCRIPT. Tanquam olera herbarum cito decident. (Ps. xxxvi, 2.) Vespere decidat. (Sap. iv, 19.)

L'auteur avait écrit, ainsi que le porte l'ancien texte, d'accord avec les vieux manuscrits milanais et mozarabes: Clarum vespere, au lieu de lumen vespere. Nous avons cherché longtemps la convenance de cette substitution, et franchement nous n'avons pu nous en rendre compte. Ni la prosodie, ni la grammaire, ni l'élégance même ne la réclamaient, ce nous semble. Le primitif Clarum est si beau, à quelque point de vue que l'on se pose, que les commentateurs mêmes du nouveau texte, comme

Grégoire de Marsalia, par exemple 1, ne peuvent s'en déprendre, et qu'il revient plusieurs fois sous leur plume dans l'explication du nouveau mot lumen. En supposant même, et c'est,

à notre avis, ce qu'on peut dire de plus favorable au texte actuel - que par lumen les correcteurs aient prétendu peut-être accentuer d'avantage l'allusion faite à l'étoile du soir, Vespere, qui suit de près le soleil à son coucher, comme elle le précède le matin sous le nom de Lucifer, nous ne pensons pas que, à ce point de vue encore, l'épithète Ambrosienne Clarum lui soit en aucune façon inférieure, et elle a de plus une nuance propre, qui en rehausse à nos yeux la valeur ; je veux dire l'idée qu'elle réveille si bien de ce reflet, au soir de la vie, de l'éternelle clarté des cieux. SCRIPT. Ad videndam claritatem Jerusalem (Tob. XIII, 20.) Claritas Dei circumfulsit illos. (Luc. 11, 9.) Ut videant claritatem. (Joan. xvII, 24.) En outre la couleur de la phrase entière: Clarum vespere, quo vita nusquam decidat, ne serait-elle pas empruntée à ce passage du livre de la Sagesse (vi, 12): Clara est, et quæ nunquam marcescit, sapientia ?

Sed præmium mortis sacræ
Perennis instet gloria.

Ces derniers vers complètent la pensée exprimée dans les deux précédents : « que la gloire éternelle, récompense d'une mort sainte, suive aussitôt (instet) cet heureux soir du jour 3.» — Præmium, le prix, le salaire, le denarius diurnus (Matth. xx, 2), dont il est convenu entre le maître de la vigne et les ouvriers. - Sacra, mot choisi révélant tout ce qu'il y a de saint et de vénérable dans cette mort pieuse, qui imprime aux élus le sceau divin, et les marque au front de l'onction royale du Christ, dont ils demeureront à jamais les membres glorifiés. SCRIPT. Beati qui in Domino moriuntur. (Apoc. xiv.) Pretiosa in conspectu Domini mors sanctorum ejus. (Ps. cxv, 5.) — Nous ne termi

1 Hymnodia SS. Patrum, hymn. xx. Op. jam cit.

2 Ce ne sont pas, en effet, seulement les pensées, mais encore les teintes et les nuances du style que nos hymnographes ont puisées dans les Écritures. 3 Tel n'était pas le langage du poëte païen, qui, en face de la question des destinées futures de l'homme, n'avait pas trouvé d'autre formule que celle de l'hésitation et du doute: « Le soir du jour qui commence est inconnu, Denique quid vesper serus vehat? (Virgil. Georg. l. I, v. 461.)

nerons pas cette hymne sans appeler l'attention, comme dans la précédente, sur le rapport ou parallélisme entre elles des deux strophes qui la composent. C'est ainsi que la force conservatrice de Dieu et sa permanente immutabilité assurent à l'âme cette vie qui ne doit jamais défaillir au sein de la gloire, et que le don béni de la clarté de ce soir bienheureux est le fruit de la miséricordieuse sagesse qui préside à la succession des heures du jour. Et puis, qu'elle est sublime cette pensée, si énergiquement formulée par tenax vigor, de la puissance de Dieu, retenant sur le bord de l'abîme l'homme qui, par le vice de sa corruption originelle, penche toujours vers sa chute, afin qu'il ne tombe pas, au soir de la vie, dans les ombres de la mort; de cette vigueur divine assez riche et assez féconde pour inoculer, sans s'appauvrir, sa propre immortalité, à la frêle créature, qui d'elle-même tend au néant, et pour tout enchaîner ainsi dans la plénitude de son éternelle vie! Regem cui omnia vivunt, venite adoremus '.

1 Ce sont les paroles mêmes de l'Invitatoire à l'office des morts. L'Église avait-elle donc si mal dit, pour que nos modernes faiseurs de bréviaires aient cru devoir toucher à cette admirable phrase? Au lieu de Regem cui omnia vivunt, on lit dans celui de Paris: Deum cui omnes vivunt. Or ce changement, qui a l'air d'abord d'une rectification obligée, n'est, à vrai dire, que le renversement de la plus magnifique synthèse.

IX

HYMNE AUX VÊPRES DU DIMANCHE

Auteur S. Grégoire.

5.

10.

Lucis Creator optime,
Lucem dierum proferens,
Primordiis lucis novæ,
Mundi parans originem.

Qui mane junctum vesperi
Diem vocari præcipis ;
Illabitur tetrum chaos:
Audi preces cum fletibus.

Ne mens gravata crimine
Vitæ sit exsul munere,
Dum nil perenne cogitat,
Seseque culpis illigat.

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