72. Aussitôt le coq chanta pour la seconde fois. Et Pierre se ressouvint de la parole que Jésus lui avait dite: Avant que le coq ait chanté deux fois, vous me renoncerez trois fois. Et il se mit à pleurer. CHAPITRE XV. Jésus devant Pilate. Barabbas préféré. Flagellation. Portement de la croix. Crucifiement. Ténèbres. Mort de Jésus-Christ. Sa sépulture. 1. Aussitôt que le matin fut venu, les princes des prêtres, avec les sénateurs, les scribes et tout le conseil, ayant délibéré ensemble, lièrent Jésus, l'emmenèrent et le livrèrent à Pilate. 2. Pilate l'interrogea, en lui disant: Êtes-vous le Roi des Juifs? Jésus lui répondit : Vous le dites; je le suis. 3. Or comme les princes des prêtres formaient diverses accusations contre lui (a), 4. Pilate, l'interrogeant de nouveau, lui dit : Vous ne répondez rien? Voyez de combien de choses ils vous accusent. 5. Mais Jésus ne répondit plus rien; de sorte que Pilate en était tout étonné. 6. Or il avait accoutumé de délivrer, à la fête de pâque, celui des prisonniers que le peuple demandait. 7. Et il y en avait un alors nommé Barabbas, qui avait été mis en prison avec d'autres séditieux, parce qu'il avait commis un meurtre dans une sédition. 8. Le peuple, étant donc venu devant le prétoire, lui demanda la grâce qu'il avait toujours accoutumé de leur faire. 9. Pilate leur répondit: Voulez-vous que je vous délivre le Roi des Juifs? 10. (Car il savait que c'était par envie que les princes des prêtres le lui avaient mis entre les mains.) 11. Mais les princes des prêtres excitèrent le peuple à demander qu'il leur délivrât plutôt Barabbas. 12. Pilate leur dit encore: Que voulez-vous donc que je fasse du Roi des Juifs? 13. Mais ils crièrent de nouveau, et lui dirent : Crucifiez-le. (a) Ils l'accusaient d'une foule de choses, hormis de la vérité, qui était la négation du messianisme israélite. 14. Pilate leur dit : Mais quel mal a-t-il fait? Et eux criaient encore plus fort: Crucifiez-le (b). 15. Enfin Pilate, voulant satisfaire le peuple, leur délivra Barabbas; et ayant fait fouetter Jésus, il le livra pour être crucifié. 16. Alors les soldats, l'ayant emmené dans la cour du prétoire, assemblèrent toute la compagnie. 17. Et, l'ayant revêtu d'un manteau de pourpre, ils lui mirent sur la tête une couronne d'épines entrelacées. 18. Puis ils commencèrent à le saluer, en lui disant: Salut au Roi des Juifs. 19. Ils lui frappaient la tête avec un roseau, et lui crachant au visage; et, se mettant à genoux devant lui, ils l'adoraient. 20. Après s'être ainsi joués de lui, ils lui ôtèrent le manteau de pourpre; et, lui ayant remis ses habits, ils l'emmenèrent pour le crucifier. 21. Et un certain homme de Cyrène, nommé Simon, père d'Alexandre et de Rufus, qui venait d'une maison de campagne, (b) VERS. 10-14. Pilate sait que les prêtres accusent Jésus par envie, et il demande : Quel crime a-t-il commis? Or, s'il était vrai que Jésus se donnât pour Messie, comme le veut le narrateur, la réponse de Pilate était dénuée de sens, et les prêtres avaient raison de lui dire: Tu n'es pas ami de César! En effet, si quelque chose était à redouter pour les Romains, comme la suite le prouva, c'étaient les idées messiaques, toujours prêtes à se traduire en révolte. Mais Pilate était convaincu de l'innocuité de la mission de Jésus; il savait que ce messianisme nouveau, qui détruisait l'ancien, ne pouvait causer d'ombrage aux Romains, et que même il eût fallu l'entretenir plutôt que de le réprimer. Pilate résistait donc à une condamnation à mort; mais comme, en dernière analyse, Jésus était condamné par le grand conseil et pour cause d'IRRÉLIGION, crime grave aux yeux des Romains, la politique, à défaut de la conviction, faisait à Pilate une nécessité de l'abandonner. En cela il ne manquait pas à sa conscience, comme on l'a dit: il obéissait à ses attributions de représentant des Rōmains. Ce qui était innocent pour lui ne l'était pas pour les prêtres, et dans sa position entre les prêtres et Jésus, il ne pouvait hésiter. (Cf. Jean, XVIII, 36.) passant par là, ils le contraignirent à porter la croix de Jésus. 22. Et ensuite, l'ayant conduit jusqu'au lieu appelé Golgotha, c'est-à-dire le lieu du Calvaire, 23. Ils lui donnèrent à boire du vin mêlé avec de la myrrhe; mais il n'en prit point (c). 24. Et, après l'avoir crucifié, ils partagèrent ses vêtements, jetant au sort pour savoir ce que chacun en aurait (d). 25. Il était la troisième heure du jour quand ils le crucifièrent. 26. Et la cause de sa condamnation était marquée par cette inscription: Le Roi des Juifs. 27. Ils crucifièrent aussi avec lui deux voleurs, l'un à sa droite, et l'autre à sa gauche. 28. Ainsi cette parole de l'écriture fut accomplie : Il a été mis au rang des méchants. 29. Ceux qui passaient par là le blasphémaient en branlant la tête, et lui disant : Toi qui détruis le temple de Dieu, et qui le rebâtis en trois jours, 30. Sauve-toi toi-même, et descends de la croix. 31. Les princes des prêtres avec les scribes, se moquant aussi de lui entre eux, disaient: Il en a sauvé d'autres, et il ne peut se sauver lui-même. 32. Que le Christ, le Roi d'Israël, descende maintenant de la croix, afin que nous voyions et que nous croyions. Et ceux qui avaient été crucifiés avec lui l'outrageaient aussi de paroles. 33. A la sixième heure du jour, les ténèbres couvrirent toute la terre jusqu'à la neuvième. 34. Et à la neuvième heure, Jésus jeta un grand cri, en disant : (c) Imité du psaume LXIX, 22, d'après la traduction des Septante. -(Cf. Jean, XIX, 29, 30.) Suivant celui-ci, au contraire, Jésus prit le breuvage et dit : C'est fini. Pour comprendre ce mot, le dernier de Jésus, selon Jean, il faut savoir, circonstance bien grave, que ce vin myrrhé était une boisson stupéfiante et chloroformisante que l'on donnait aux condamnés pour émousser en eux le sentiment de la douleur : en sorte que celui qui avait bu pouvait se regarder comme déjà mort, fini! Mais Marc, qui veut que Jésus soit mort, et mort volontairement, lui fait refuser ce vin, refus auquel Jean supplée par le fameux coup de lance. (d) Imité du psaume xxi, 19. Éloi, Éloi, lamma sabachthani? c'est-à-dire Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'avez-vous abandonné (e) ? 35. Quelques-uns de ceux qui étaient présents, l'ayant entendu, s'entre-disaient: Le voilà qui appelle Élie. 36. Et l'un d'eux courut emplir une éponge de vinaigre, et l'ayant mise au bout d'un roseau, il la lui présenta pour boire, en disant Laissez, voyons si Élie viendra le détacher de la croix. 37. Alors Jésus, ayant jeté un grand cri, rendit l'esprit. 38. En même temps, le voile du temple se déchira en deux, depuis le haut jusqu'en bas. 39. Et le centenier, qui était là présent vis-à-vis de lui, voyant qu'il avait expiré en jetant ce grand cri, dit: Cet homme était vraiment Fils de Dieu. 40. Il y avait aussi là des femmes qui regardaient de loin, entre lesquelles étaient Marie-Madelaine, Marie, mère de Jacques le jeune et de Joseph, et Salomé (f), 41. Qui le suivaient lorsqu'il était en Galilée, et l'assistaient de leurs biens; et encore plusieurs autres, qui étaient venues avec lui à Jérusalem. 42. Le soir étant venu (parce que c'était le jour de la préparation, c'est-à-dire la veille du sabbat) (g), 43. Joseph d'Arimathie, qui était un homme de considération (e) C'est le cri attribué à Voltaire combattant seul jusqu'à la mort pour la raison et la liberté, et délaissé du genre humain Dieu et les hommes m'abandonnent! Jésus a tout fait, jusqu'à sacrifier sa vie pour guérir son peuple de la superstition et lui donner, à la place de son Messie chimérique, une belle et grande idée sociale. On l'a méprisé, calomnié, et le peuple ne l'a pas compris. Il meurt, et il ne sait pas si la parole qu'il a semée germera! (Cf. ci-dessus, XIV, 33-41.) Non, Jésus, ta parole ne sera pas perdue: après dix-huit siècles elle sera relevée, et toi, tu seras enfin glorifié comme tu as voulu l'être, et compris!... () Les hommes ont fui, les femmes restent. Ce sexe, dont l'esprit modeste et docile est si inférieur au nôtre, nous écrase par le cœur. (g) Contradiction avec xiv, 16. C'est le jour où l'agneau se mange que Jésus est mort. et sénateur, et qui attendait aussi le règne de Dieu, s'en vint hardiment trouver Pilate, et lui demanda le corps de Jésus. 44. Pilate, s'étonnant qu'il fût mort sitôt, fit venir le centenicr, et lui demanda s'il était déjà mort (h). 45. Le centenier l'en ayant assuré, il donna le corps à Joseph. 46. Joseph, ayant acheté un linceul, descendit Jésus de la croix, l'enveloppa dans le linceul, le mit dans un sépulcre, qui était taillé dans le roc, et ferma l'entrée du sépulcre avec une pierre. 47. Cependant Marie-Madelaine, et Marie, mère de Joseph, regardaient où on le mettait. CHAPITRE XVI (a). Résurrection de Jésus-Christ. Ses apparitions. Mission des apôtres. 1. Lorsque le jour du sabbat fut passé, Marie-Madelaine, et Marie, mère de Jacques, et Salomé (b), achetèrent des parfums pour venir embaumer Jésus. 2. Et le premier jour de la semaine, étant parties de grand matin, elles arrivèrent au sépulcre, au lever du soleil (c). (h) Cette circonstance fait précisément douter du fait. On voit trop bien qu'elle est notée pour rendre plus certain le fait (impossible) de la résurrection. Ce qui reste donc, c'est que Jésus ne fut laissé que peu de temps en croix, à tel point qu'on put douter de sa mort. (Cf. Jean, XIX et xx.) Du reste, ni Marc, ni Luc, ni Matthieu ne parlent du coup de lance raconté par Jean. (a) Première nouvelle de la résurrection. (b) Trois femmes. Dans Matthieu il n'y en a que deux; Salomé manque. Jean n'en compte qu'une, Luc un très-grand nombre, pour embaumer le corps (sic Luc). Mais Matthieu et Jean disent qu'elles ne voulaient faire qu'une visite. (c) Le soleil était levé. Suivant Jean et Luc, jour, il ne faisait pas |