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ÉVANGILE

SELON

SAINT LUC

Écrit, selon moi, après les Évangiles de Matthieu et de Marc, mais avant celui de Jean: toujours sous l'impression des idées messianiques, plutôt que sous celle des idées du Logos. L'esprit judaïque y étant plus affaibli encore que dans les deux précédents, on sent que l'auteur s'éloigne davantage de la pensée du maître, qu'il dénature souvent. Outre le point de vue particulier qui a fait entreprendre à Luc sa narration, il a voulu recueillir un certain nombre de faits, de paraboles et de récits légendaires qui ne sont pas chez les

autres.

Ce qu'on peut dire de plus exact sur l'authenticité de l'Évangile de Luc, c'est que vers le milieu du deuxième siècle, Marcion répandait de son côté un Evangile qui, suivant les docteurs, était une mutilation de celui de Luc!... Quant à la preuve tirée des Actes des Apôtres, dont le début est de la même main que celui du troisième Evangile, et qui s'arrêtent à l'an 63 ou 65 après Jésus-Christ, elle ne signifie rien, attendu que l'époque où finit une histoire ne prouve pas qu'elle soit celle de sa composition; et surtout, dans l'espèce, que le narrateur soit autre chose qu'un compilateur. Comparez au surplus, avec les quatre Évangiles canoniques, l'Evangile des Hébreux et les citations de Justin, Père du deuxième siècle,

qui puisait à la tradition orale, à cette source d'où provinrent les Évangiles eux-mêmes.

Suivant l'école de Tubingue, c'est l'Évangile de Marcion qui aurait été l'original de celui de Luc.

Quoi qu'il en soit, cet Évangile a été écrit à un point de vue paulinien, c'est-à-dire pour soutenir la doctrine de Paul contre les autres apôtres.

A l'Évangile de Luc s'oppose l'Évangile de Matthieu, écrit pour les Juifs ou judaïsants. Aux uns et aux autres s'oppose l'Évangile de Jean. (Cf. Jean, XIII et XVI, et Paul, I Cor., x.)

Luc, médecin, Gentil d'origine, par conséquent plus porté au merveilleux qu'un Juif, né à Antioche et converti à la foi par Paul, semble avoir eu surtout pour but d'embellir les principales circonstances de la vie de Jésus-Christ; sa diction a un peu plus d'art et de recherche. Mais le bon sens y est déjà en moindre dose que dans Matthieu, et on y trouve encore moins d'intelligence des discours du maître.

C'est lui qui nous a raconté les détails de la naissance et de la conception de Jean le Baptiseur, de celles de Jésus-Christ, les cantiques de Zacharie et de Marie, et au livre des Actes, l'histoire de l'assomption. On s'aperçoit qu'il n'est que l'écho de son patron Paul, qui lui-même n'avait rien vu des faits et gestes de Jésus, et était du reste trop savant, trop métaphysicien pour un historien de l'intelligence de Luc.

Secundum Lucam. Ce mot signifie que l'ouvrage qu'on va lire a été rédigé d'après la tradition de Luc, de même que secundum Matthæum, etc., indique la tradition de Matthieu, de Marc ou de Jean, mais nullement que la composition est l'œuvre de ces hommes. César n'intitulait pas son récit de la guerre des Gaules, secundum Cæsarem.

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Ce n'est pas tout le mot Evangile signifie prédication ou bonne nouvelle. Quelle bonne nouvelle? La nouvelle messianique. Or, il y avait bien des manières d'entendre le messianisme; conséquemment il y avait divers Évangiles : l'Evangile de Jean-Baptiste, l'Evangile de Jésus, l'Evangile de

Paul, etc.; c'est ainsi, en effet, que Paul s'exprime au sujet de sa prédication.

Que veulent donc dire les rédacteurs des quatre Evangiles? Ils entendent donner l'Évangile ou vraie prédication de Jésus, non pas telle qu'ils l'ont recueillie de sa bouche, mais telle qu'elle leur a été enseignée par Matthieu, Marc, Luc et Jean !...

(Note postérieure.) On est moins opposé aujourd'hui à l'authenticité des Évangiles que ne l'était Strauss.

CHAPITRE I (a).

Préface. Naissance de saint Jean-Baptiste prédite. L'incarnation du Verbe annoncée. La sainte Vierge. Naissance de saint Jean-Baptiste. Cantique de Zacharie.

1. Plusieurs (b) personnes ayant entrepris d'écrire l'histoire des choses qui ont été accomplies parmi nous,

2. Suivant le rapport que nous en ont fait ceux qui, dès le commencement (c), les ont vues (d) de leurs propres yeux, et qui ont été les ministres de la parole;

3. J'ai cru, très-excellent Théophile (e), qu'après avoir été exactement informé de toutes ces choses, depuis leur premier commencement, je devais aussi vous en représenter par écrit toute la suite;

(a) Récit miraculeux de la naissance de Jean. Le but est d'attirer à l'Église les disciples de Jean, dont un grand nombre, à l'époque de Luc, existaient encore.

(b) Multi, un grand nombre. On ne saurait dire que par ce mot, Luc veuille seulement parler de Matthieu et Marc, qui, d'après la croyance commune, avaient seuls écrit leurs Évangiles avant le sien. Il fait donc allusion à tous ces historiens de Jésus-Christ, qu'on a depuis traités d'apocryphes, et qui ne méritaient ni plus ni moins de créance que les quatre canoniques. On a compté jusqu'à une cinquantaine d'Évangiles.

(c) Ab initio. Cela suppose déjà un temps considérable, une certaine durée. Des contemporains ne parlent point ainsi d'événements qui se passent sous leurs yeux.

(d) Viderunt. L'auteur n'est pas témoin oculaire.

(e) Le nom de Théophile est celui de Jedidiah, qui signifie ami de Jéhovah, nom que les prophètes donnent à Israël. (Cf. Psaumes.)

4. Afin que vous reconnaissiez la vérité (f) de ce qui vous a été annoncé.

5. Il y avait, sous le règne d'Hérode, roi de Judée, un prêtre, nommé Zacharie, de la famille sacerdotale d'Abia, l'une de celles qui servaient dans le temple, chacune en leur rang; et sa femme était aussi de la race d'Aaron, et s'appelait Elisabeth.

6. Ils étaient tous deux justes devant Dieu, et ils marchaient dans tous les commandements et toutes les ordonnances du Seigneur, d'une manière irrépréhensible.

7. Ils n'avaient point de fils, parce qu'Elisabeth était stérile (g), et qu'ils étaient déjà tous deux avancés en âge.

8. Or Zacharie faisant sa fonction de prêtre devant Dieu dans le rang de sa famille,

9. Il arriva par le sort, selon ce qui s'observait entre les prêtres, que ce fut à lui à entrer dans le temple du Seigneur, pour y offrir les parfums.

10. Cependant toute la multitude du peuple était dehors, faisant sa prière à l'heure où on offrait les parfums;

11. Et un ange du Seigneur lui apparut, se tenant debout à la droite de l'autel des parfums (h).

12. Zacharie, le voyant, en fut troublé, et la frayeur le saisit. 13. Mais l'ange lui dit: Ne craignez point, Zacharie, parce que votre prière a été exaucée; et Elisabeth, votre femme, vous enfantera un fils, auquel vous donnerez le nom de Jean.

14. Vous en serez dans la joie et dans le ravissement, et beaucoup de personnes se réjouiront de sa naissance;

15. Car il sera grand devant le Seigneur; il ne boira point de vin, ni rien de ce qui peut enivrer; et il sera rempli du Saint-Esprit, dès le sein de sa mère.

(f) Verborum... veritatem. Ceci encore décèle un long temps écoulé, capable de faire perdre de vue aux chrétiens cux-mêmes, — plus attachés au fond (à la révolution) qu'à la forme, à la cause qu'à ses défenseurs, le point de départ des nouvelles idées.

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(9) Sterilis cf. Isaac, Samson, Samuel et tous les tardnés de la Bible. Cette comparaison donne la clef du récit; de même que Jésus ne pouvait être né naturellement, JeanBaptiste ne le pouvait pas davantage. Le reste se passe suivant les idées hébraïques. (Cf. Strauss.)

(h) Cf. histoire de Samson.

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