2. Et, ouvrant sa bouche, il les enseignait, en disant : prose et le vers, coulé en bronze, et parfois ciselé avec une délicatesse infinie; cela est d'une rhétorique inconnue aux Grecs et aux Latins: ni chevilles, ni remplissages, ni phrases; c'est l'idée pure, faite parole et image. Au surplus, il ne faut point oublier que les discours de Jésus sont rapportés par l'évangéliste comme une collection de proverbes ou de courtes leçons amassés au hasard. On dirait une alluvion de préceptes, de formules, de paraboles, d'idées jaculatoires, arrachée par feuillets et lambeaux à la vie et aux écrits d'un homme, ou, pour mieux dire, d'une école. Tout le chapitre v est d'un pur moraliste, d'un véritable sage, qui ne s'occupe ni de messianisme, ni de réformes théologiques, ni de politique, ni de propagande. Dans tout ceci, Jésus-Christ nous apparaît simplement comme un réformateur des mœurs; les exemples qu'il paraît suivre sont ceux de Jérémie, d'Isaïe et des anciens prophètes. Ainsi débute le Nazaréen; il ne paraît pas avoir jamais aspiré à autre chose. Tout le surplus, la messianité, la formation d'une Eglise, la conversion des Gentils, l'abrogation du mosaïsme, la réprobation du peuple juif, l'opinion de la fin du monde, etc., etc., lui a été attribué après coup, sous la pression d'événements dont il était l'un des premiers termes, mais qu'il n'avait certes pas prévus. Jésus est le noyau de cette immense boule de neige qui, à force de rouler, est devenue ce que l'on sait aujourd'hui. En deux mots, Jésus ne me paraît s'être arrogé ni une messianité temporelle, ni une spirituelle; il interprétait allégoriquement la tradition messiaque, l'entendant d'une simple réforme morale et socialc, à la façon des anciens prophètes. La même indifférence qu'il professait pour le sabbat et les cérémonies, il la témoignait, quoique avec plus de réserve et pour ne pas froisser l'opinion, à l'égard de l'idée messiaque. 3. Bienheureux les pauvres d'esprit (b), parce que le royaume des cieux est à eux. 4. Bienheureux ceux qui sont doux, parce qu'ils posséderont la terre. 5. Bienheureux ceux qui pleurent, parce qu'ils seront consolés. 6. Bienheureux ceux qui sont affamés et altérés de la justice, parce qu'ils seront rassasiés. 7. Bienheureux ceux qui sont miséricordieux, parce qu'ils obtiendront eux-mêmes miséricorde. 8. Bienheureux ceux qui ont le cœur pur, parce qu'ils verront Dieu. 9. Bienheureux les pacifiques, parce qu'ils seront appelés enfants de Dieu. 10. Bienheureux ceux qui souffrent persécution pour la justice, parce que le royaume des cicux est à eux. 11. Vous êtes heureux, lorsque les hommes vous chargeront de malédictions, et qu'ils vous persécuteront, et qu'ils diront faussement toute sorte de mal contre vous, à cause de moi. 12. Réjouissez-vous alors, et tressaillez de joie, parce qu'une grande récompense vous est réservée dans les cieux. Car c'est ainsi qu'ils ont persécuté les prophètes qui ont été avant vous (c). C'est de là que viennent ses réponses ambiguës et ses hésitations perpétuelles sur le propre rôle qu'il s'arrogeait. (Cf. Luc, 11, 52, et Jean, 1.) (b) Pauperes spiritu, c'est-à-dire les affligés dans l'âme, superlatif de l'affliction. (Cf. Eccles., afflictio spiritûs; Jerem., Lament. Ego vir videns paupertatem meam, et (?): Ego sum pauper et dolens. (c) VERSETS 3-12. Il s'en faut que les béatitudes soient aussi spiritualistes qu'on l'a cru; ce ne sont guère que des promesses relatives au temps présent, imitées de celles que Jéhovah, le Dieu positif par excellence, faisait à ses adorateurs. Le royaume des cieux, garanti par la première et la huitième béatitude, n'est autre chose que la réformation évangélique; la possession de la terre est une réminiscence des psaumes xxxv1, xxxv11; la vision de Dieu est une expression métaphorique, ou plutôt mythologique, par laquelle, sous forme de visions, on promet aux purs des délectations surnaturelles. Être appelé Fils de Dieu, c'est avoir la considéra 13. Vous êtes le sel de la terre. Si le sel perd sa orce, avec quoi salera-t-on? Il n'est plus bon à rien qu'à être jeté dehors, et à être foulé aux pieds par les hommes. 14. Vous êtes la lumière du monde. Une ville située sur une montagne ne peut être cachée ; 15. Et on n'allume point une lampe pour la mettre sous le boisseau; mais on la met sur un chandelier, afin qu'elle éclaire tous ceux qui sont dans la maison. 16. Ainsi que votre lumière luise devant les hommes, afin qu'ils voient vos bonnes œuvres, et qu'ils glorifient votre Père, qui est dans les cieux. 17. Ne pensez pas que je sois venu détruire la loi ou les prophètes je ne suis pas venu les détruire, mais les accomplir (d). tion et l'amour des hommes. Quant aux trois autres béatitudes, elles ne sont pas autre chose que l'annonce des consolations et récompenses qui attendent, sous le régime évangélique, les malheureux de toute espèce. Le verset 12 parle ensuite de la récompense des cieux; mais on ne sait pas si, par ce mot, il s'agit de la vie éternelle; ou bien seulement des biens que le ciel tient en réserve pour les distribuer à ses amis pendant qu'ils souffrent ici-bas. (d) Jésus n'est point venu changer la loi, mais la perfectionner. Cela signifie-t-il qu'après lui il ne restera rien à perfectionner? Qui oserait le dire? Tout le monde sent aujourd'hui que l'Évangile, s'il n'a pas menti, n'a pas tout dit, et qu'il reste bien des points à éclaircir dans la loi. Il ne faut pas prendre le bien d'autrui, voilà ce qu'a dit Moïse; JésusChrist ajoute qu'il faut aimer jusqu'à ses ennemis et vivre dans le détachement; mais enfin, il a laissé intactes, quant à la démonstration, toutes les grandes questions sociales; il reste à les résoudre scientifiquement. Jésus-Christ a affirmé ; il faut prouver maintenant et vérifier la légitimité de ses affirmations. Or une loi est-elle parfaite tant que sa philosophie n'existe pas? La raison, la morale ont-elles dit leur dernier mot? Non, assurément. Il reste donc à faire quelque chose après Jésus-Christ. Mais ce qui inquiète les théolo 18. Car je vous dis, en vérité, que le ciel et la terre ne passeront point, que tout ce qui est dans la loi ne soit accompli parfaitement jusqu'à un seul iota et à un seul point. 19. Celui donc qui violera l'un de ces moindres commandements, et qui apprendra aux hommes à les violer, sera regardé dans le royaume des cieux comme le dernier; mais celui qui fera et enseignera, sera grand dans le royaume des cieux. 20. Car je vous dis que si votre justice n'est pas plus abondante que celle des scribes et des pharisiens, vous n'entrerez point dans le royaume des cieux. 21. Vous avez appris qu'il a été dit aux anciens: Vous ne tuerez point; et quiconque tuera, méritera d'être condamné par le jugement. 22. Mais moi, je vous dis que quiconque se mettra en colère contre son frère, méritera d'être condamné par le jugement. Que celui qui dira à son frère: Raca, méritera d'être condamné par le conseil; et que celui qui lui dira: Vous êtes un fou, méritera d'être condamné au feu de l'enfer. 23. Si done, lorsque vous présentez votre offrande à l'autel, vous vous souvenez que votre frère a quelque chose contre vous, 24. Laissez là votre don devant l'autel, et allez vous réconcilier auparavant avec votre frère, et puis vous reviendrez offrir votre don (e). giens, c'est qu'il leur semble que la gloire du Christ en soit diminuée. Crainte injuste et mal fondée. On n'a jamais reproché au législateur des chrétiens de n'avoir pas enseigné la physique et la psychologie; comment serait-il blåmable de n'avoir point exposé scientifiquement la morale? Mundum tradidit disputationi eorum: Dieu, en créant le monde, l'a livré à notre spéculation; en nous donnant des préceptes de morale par Moïse et Jésus-Christ, il nous a laissé le soin d'en pénétrer la raison. Dieu est grand, et ses envoyés doivent être infaillibles: voilà tout ce que la philosophie peut nous apprendre. Ainsi, loin de déchoir, Jésus ne peut qu'être glorifié de plus en plus, s'il ne s'est point trompé, par l'étude des sciences morales et politiques. (e) Toute cette morale est empreinte de théologisme; chaque maxime est comme une flèche trempée dans l'huile sainte. Ainsi, versets 23 et 24, Jésus recommande la réconci NOUV. TESTAMENT. T. I. 2 25. Accordez-vous au plus tôt avec votre adversaire, pendant que vous êtes en chemin avec lui, de peur que votre adversaire ne vous livre au juge, et que le juge ne vous livre au ministre de la justice, et que vous ne soyez mis en prison. 26. Je vous dis, en vérité, que vous ne sortirez point de là, vous n'ayez payé jusqu'à la dernière obole. que 27. Vous avez appris qu'il a été dit aux anciens: Vous ne commettrez point d'adultère. 28. Mais moi, je vous dis que quiconque aura regardé une femme avec un mauvais désir pour elle, a déjà commis l'adultère dans son cœur (f). 29. Si votre œil droit vous scandalise, arrachez-le et jetez-le loin de vous; car il vaut mieux pour vous qu'un des membres de votre corps périsse, que si tout votre corps était jeté dans l'enfer (g). 30. Et si votre main droite vous scandalise, coupez-la et la jetez loin de vous; car il vaut mieux pour vous qu'un des membres de votre corps périsse, que si tout votre corps était jeté dans l'enfer. 31. Il a été dit encore: Quiconque veut renvoyer sa femme, qu'il lui donne un écrit par lequel il déclare qu'il la répudie. 32. Et moi, je vous dis que quiconque aura renvoyé sa femme, si ce n'est en cas d'adultère, la fait devenir adultère, et que quiconque épouse celle que son mari aura renvoyée commet un adultère (h). 33. Vous avez encore appris qu'il a été dit aux anciens : Vous ne vous parjurerez point, mais vous vous acquitterez envers le Seigneur des serments que vous aurez faits. 34. Et moi, je vous dis que vous ne juriez en aucune sorte, ni par le ciel, parce que c'est le trône de Dieu; 35. Ni par la terre, parce qu'elle sert comme d'escabeau à ses pieds; ni par Jérusalem, parce que c'est la ville du grand Roi. 36. Vous ne jurerez pas aussi par votre tête, parce que vous ne pouvez en rendre un seul cheveu blanc ou noir. 37. Mais contentez-vous de dire: Cela est, cela est; ou : Cela liation; mais quelle image! et combien le précepte serait froid en dehors de ce souvenir religieux! (f) VERSETS 27-28. Cf. ci-dessus, vers. 8: Beati mundo corde, bienheureux ceux qui ont le cœur pur. (g) Cf. XVIII, 9. (h) Cf. xix, 7. |