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ses coupables habitans sont ensevelis sous les eaux ; un seul juste échappe avec sa famille au naufrage universel, pour repeupler le monde désert et sauver le genre humain d'une entière destruction: car alors même que le Tout-Puissant infligeoit à sa créature rebelle une punition si éclatante, une pensée de miséricorde tempéroit encore son courroux et en arrêtoit les derniers effets; il avoit promis à l'homme tombé un Réparateur, et ses promesses sont sans repentance.

Le déluge dut laisser une impression profonde dans la mémoire des enfans de Noé: aussi toutes les nations ont-elles conservé le souvenir de cette terrible catastrophe (1), dont notre globe offre partout des traces

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(1) Euseb. Præpar. evang.', lib. X, c. XI, pag. 414 et seq. ; lib. XII, c. XV, pag. 587: ed. Colon., 1688. Plato de Legib., lib. III; Oper. tom. VIII, pag. 112.-Lucian. Samosat., de Syria dea Oper. tom. II, pag. 968; Paris., 1624. Edm. Dickinson, Græci phoenicisantes; in append., pag. 170, seq. Opuscul. quæ ad histor. et philolog. sacr. spectant, tom. I sive fascicul. I.- Joan. Nicolai Notæ in Caroli Sigonii lib. de Republ. hebr., c. I. — Antiquit. sacr. Thesaur. Blas. Ugolini, vol. IV, col. 141. Essai sur les hieroglyphes des Égyptiens, tom. II, pag. 508. - Le ChouKing, ouvage recueilli par Confucius, traduit par le P. Gaubil, revu et corrigé sur le texte chinois par M. de Guignes, pag. CVIII: seq. 4, seq. 13, 15, 26, 35; Paris., 1770. Hist. univers., trad. de l'anglois, tom. I, pag. 159. —M. de Humboldt, Vues des Cordilières et Monumens de l'Amérique, tom. I, pag. 114. - Voyage des missionnaires anglois à Olhaïli. —Selon la chronologie des Tibetains, le déluge a dû arriver l'an du monde 2190; et selon celle des Chinois, l'an 2290. C'est à cette même année que Bonjour (Dissert. des ann. diluv., § II, pag. 54) rapporte ce grand événement, d'après des calculs fondés sur le texte hébreu. Vid. Alphabet. Tibetan., tom. I, pag. 293. « Ce fait incompréhensible, dit Boulanger, » que le peuple ne croit que par habitude, et que les gens d'esprit »nient aussi par habitude, est ce que l'on peut imaginer de plus

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si évidentes, qu'aucune vérité physique n'est aujourd'hui regardée comme plus certaine par les géologues (1).

Il ne paroît pas que l'erreur ni l'idolâtrie fussent au nombre des désordres qui provoquèrent cet effroyable châtiment (2). Toute chair, dit l'Écrivain sacré, avoit corrompu sa voie sur la terre (3): paroles qui ne réveillent d'autre idée que celle de la violation de la

» notoire et de plus incontestable. Oui, le physicien le croiroit, » quand les traditions des hommes n'en auroient jamais parlé; et » un homme de bon sens qui n'auroit étudié que les traditions, le >> croiroit encore. Il faudroit être le plus borné, le plus opiniâtre » des humains, pour en douter, dès que l'on considère les témoi>> gnages rapprochés de la physique et de l'histoire, et le cri uni» versel du genre humain. » Vid. L'Antiquité justifiée, ou Réfut. d'un liv. intitulé: L'Antiquité dévoilée par ses usages. Ch. I, p. 3

et 4.

(1) « Je pense donc, avec MM. de Luc et Dolomieu, que s'il y a » quelque chose de constaté en géologie, c'est que la surface de » notre globe a été victime d'une grande et subite révolution, dont » la date ne peut remonter beaucoup au-delà de cinq ou six mille >> ans ; que cette révolution a enfoncé et fait disparoître le pays » qu'habitoient auparavant les hommes et les espèces d'animaux » aujourd'hui les plus connus; qu'elle a, au contraire, mis à sec » le fond de la dernière mer, et en a formé aujourd'hui les pays ha >> bités; que c'est depuis cette révolution que le petit nombre des » individus épargnés par elle se sont propagés sur les terrains nou» vellement mis à sec, et, par conséquent, que c'est depuis cette » époque seulement que nos sociétés ont repris une marche pro>>gressive, qu'elles ont formé des établissemens, recueilli des faits »> naturels, et combiné des systèmes scientifiques. » Cuvier, Discours préliminaire des Recherches sur les ossemens fossiles des quadrupedes. Voyez aussi de Luc, Lettres géologiques; Paris, 1798. - André, Théorie de la surface actuelle de la terre; Paris, 1806. - Th. Howard, The scriptural history of the Earth.

(2) S. Cyril. contr. Julian., lib. I.

(3) Omnis quippe caro corruperat viam suam super terram. Genes., VI, 12.

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loi morale; et les hommes en effet étoient encore trop près de la révélation primitive, pour qu'elle fût oubliée ou obscurcie parmi eux.

Dieu la confirme de nouveau; il renouvelle son alliance avec les enfans d'Adam (1); et l'on ne peut pas douter qu'outre les commandemens principaux qui regardent la foi et les mœurs, il n'ait prescrit à Noé, les rites mêmes du culte par lequel il vouloit être honoré, puisque nous le voyons, cinq siècles après, parler ainsi à Isaac: « Toutes les nations de la terre se>> ront bénies dans ta semence, parce qu'Abraham a » obéi à ma voix, qu'il a gardé mes préceptes et mes >> commandemens, et observé les lois et les cérémo>>nies (2) que j'ai ordonnées. » Ce commandement divin, reconnu d'ailleurs par tous les peuples, explique seul l'étonnante universalité du sacrifice, et l'uniformité de certains usages religieux chez des nations totalement inconnues les unes aux autres (3).

Descendues d'une souche commune, elles ne perdirent point, en se séparant, la connoissance de la loi qui devoit être leur héritage commun (4); et c'étoit

(1) Genes., VIII et IX.

(2) Benedicentur in semine tuo omnes gentes terræ, eo quod obedierit Abraham voci meæ, et custodierit præcepta et mandata mea, et cæremonias legesque servaverit. Ibid., XXVI, 4, 5.

(3) Grotius, de Verit. Relig. Christ., 1, I, sect. VII. — De Jure Belli et Pacis, lib. II, cap. V, § 13. · Clerici Comment. in Pen

tat.; in not. supra Levitic., cap. XXIII, vers. 10.

(4) C'est surtout de l'Orient, le berceau de la religion, des arts et des sciences, qu'il faut tirer cette tradition primitive sur laquelle nous insistons. C'est de là qu'elle est passée à tous les peuples. Il n'y a point de vérité historique aussi rigoureusement démontrée que

une antique croyance des Hébreux (1), que le premier précepte des Noachides, ou le premier commandement donné aux enfans de Noé, et en eux à tout le genre humain, avoit pour but de prévenir la corruption du culte, en ordonnant, comme l'enseignoient les Égyptiens mêmes, de détester tout ce qui n'étoit transmis par les ancêtres (2).

pas

Platon assure que les premiers hommes vécurent dans l'innocence, aussi long-temps qu'ils ne s'écartèrent point de ce précepte. « Ils étoient bons, dit-il, » principalement à cause de leur simplicité. Ce qu'ils >> entendoient dire être honnête, ou honteux, étoit » pour eux la vérité même; pleins de droiture et de » candeur, ils croyoient et obéissoient. Ils ne connois» soient point, comme aujourd'hui, cette sagesse qui >> apprend à soupçonner le mensonge; mais, tenant » pour vrai ce qu'on disoit des dieux et des hommes, >>> ils y conformoient leur vie (3). »

l'existence de cette tradition, confirmée par tous les monumens antiques. Fabricy, Des titres primitifs de la Révélat., tom. I, Disc. prélim., p. LXXVI.

(1) Vid. Selden de Jure Nat. et Gent. juxta disciplin. Hebræor.

(2) De cultu extraneo sive idololatriâ.-Ægyptii, cultûs extranei nomine, detestari videntur quicquid οἱ γονεῖς οὐ παρέδειξαν parentes non commonstrârunt. Marsham. Canon. chronicus, p. 161.

(3) Αγαθοὶ μὲν δὴ διὰ ταῦτα τε ἦσαν, καὶ διὰ τὴν λεγομένην εὐήθειαν. Α γὰρ ἤκουον καλὰ καὶ αἰσχρὰ εὐήθεις ὄντες, ἡγοῦντο ἀληθέστατα λέγεσθαι, καὶ ἐπείθοντο. Ψεῦδος γὰρ ὑπονοεῖν οὐδεῖς ἐπίστατο, διὰ σοφίαν, ὥσπερ τανῦν ἀλλὰ περὶ θεῶν τε καὶ ἀνθρώπων τα λεγόμενα, ἀλητή νομίζοντες, Šay xaтà Taûtα. De legib., lib. III; Oper. tom. VIII, pag. 111 ed. Bipont. C'est l'âge d'or des poètes. Primos illos homines diisque proximos mortales optimæ fuisse indolis, vitamque vixisse opti

D'après l'institution divine, la religion universelle ou la vraie religion reposoit donc originairement, comme elle repose encore, sur la tradition; et en aucun temps l'erreur n'a pu entrer dans le monde que par la violation de cette régle infaillible de vé

rité.

Mais, lors même qu'ils la violoient, les anciens ne l'abandonnoient pas entièrement, ils n'en méconnoissoient point l'autorité, et bien des siècles s'écoulèrent avant qu'ils essayassent de s'en former une différente. « La philosophie traditionnelle, qui ne s'ap>> puyoit pas sur le raisonnement et l'explication des >> causes, mais sur une doctrine d'un autre genre et >> d'une autre origine, sur la doctrine primitive trans>> mise des pères aux enfans, me paroît, dit Burnet, >> avoir subsisté jusqu'après la guerre de Troie (1). »

Elle se perpétua surtout en Orient (2), comme le

mam undè et auream hanc dici ætatem. Dicœarc. ap. Porphyr., De usu animal., lib. IV, pag. 343.-Vid. et. Varro., de Re rusticâ, lib. I. cap. II; et Pausanias, lib. VIII, pag. 457. Edit. Hanoviæ, 1613.

sed

(1) Durâsse mihi videtur ultrà trojana tempora philosophia traditiva, quæ ratiociniis et causarum explicatione non nitebatur, alterius generis et originis doctrina primigena et πατροπαραδότω. Th. Burnet, Archæolog. philos., lib. I, cap. VI.

(2) La philosophie ne s'enseignoit dans l'Inde, comme dans l'Égypte, que par tradition...; partout elle ne se transmettoit que de vive voix: cette manière, en usage chez les anciens druides et chez les gymnosophistes, subsiste encore aujourd'hui dans l'Inde; leur philosophie, n'ayant point d'autres fondemens que la tradition, n'est point contentieuse, et ne donne aucun lieu aux raisonnemens subtils ou captieux. Mémoir. de l'Acad. des Inscript., tom. LV, p. 218,

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