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sont bons, car ils atteignent, au moins médiatement, le souverain bien, dont ils semblent saisir comme une anticipation.

Au contraire, les actes qui éloignent de Dieu sont mauvais, parce qu'ils tendent et se terminent au mal extrême, qui résulte de la perte du souverain bien. On voit donc que l'acte humain est bon ou mauvais, selon qu'il est conforme ou contraire à l'obligation essentielle; ou, en d'autres termes, selon qu'il atteint une participation vraie ou seulement apparente du souverain bien. Car, dans le premier cas, étant conforme à la volonté divine et à l'ordre établi de Dieu, il est un acte d'amour explicite ou du moins implicite envers lui; et dans le second cas, c'est un acte d'aversion à son égard.-Cette dernière conséquence est d'une haute portée, et touche la question si débattue parmi les philosophes de la distinction formelle qui existe entre le bien et le mal moral. Aussi, après l'avoir simplement indiquée ici, nous croyons devoir la développer plus longuement dans le chapitre suivant, dont elle sera l'objet. Mais comme cette matière est assez abstraite, ceux qui goûtent peu la métaphysique pourront s'en tenir à ce qui précède, et omettre le premier article de ce chapitre, où nous développerons cette question fondamentale.

CHAPITRE II

DE LA DISTINCTION DU BIEN ET DU MAL MORAL

Nous partagerons ce chapitre en trois articles. Dans le premier, nous développerons la vraie notion de

la différence du bien et du mal; dans le second, nous réfuterons les erreurs des philosophes sur ce sujet, et dans le troisième, nous déterminerons le principe général, d'après lequel se résolvent les vérités morales particulières, et que l'on appelle pour cela le principe de connaissance du droit naturel.

ARTICLE I

QUEL EST LE CARACTÈRE PRÉCIS DE LA DIFFÉRENCE QUI EXISTE ENTRE LE BIEN ET LE MAL MORAL

69. Il faut, pour l'intelligence de cette question, se rappeler que l'homme tend nécessairement, d'une manière au moins implicite, dans tout acte volontaire, au souverain bien pris abstractivement (32), et qu'il est libre de concevoir cette bonté abstraite et souveraine comme existant d'une manière concrète, soit en Dieu, qui la possède réellement, soit, par une fausse estime, en quelque créature qui n'en a que l'apparence.

Or tout bien créé, étant un être, est aussi une participation quelconque du souverain bien, car tout être, venant de Dieu, participe de sa bonté et représente les perfections divines à un certain degré. Ainsi toute action, par là même qu'elle tend au bien, saisit comme son objet une participation du souverain bien. « Cùm enim, dit Gerdil, homo movetur in bonum à boni perfecti ratione deficiens, movetur ut in incohationem quamdam boni perfecti quo beatitudo continetur. (De Actib. humanis.)

Mais si l'être de tout objet des actions humaines est

matériellement, pour ainsi dire, une participation du souverain bien, certaines conditions sont nécessaires pour qu'en saisissant l'objet l'action atteigne une participation vraie et formelle de ce bien infini, ce qui est nécessaire cependant pour qu'elle soit bonne, c'est-àdire, pour qu'elle saisisse véritablement un bien. Ces conditions regardent le rapport de l'objet, selon sa nature, à la fin dernière, la manière dont il découle du souverain bien et l'ordre ou la subordination qui le lie aux autres êtres; en d'autres termes, il faut que la recherche de l'objet soit convenable à la nature de celuici, au mode essentiel de sa dépendance du souverain bien et à l'ordre général des êtres.

Ceci a besoin d'une explication plus développée.

D'abord, en ce qui regarde le rapport à la fin dernière; la nature de tout être fini exige qu'il ne soit recherché que comme une participation du souverain bien réel, qui est Dieu, et par un amour au moins implicite de celui-ci. La recherche de ce bien n'est donc naturelle et bonne qu'autant qu'on la rapporte virtuellement à Dieu. Si, au contraire, on recherche cet objet, non comme une dérivation d'un bien supérieur, mais comme s'il était lui-même le souverain bien, et que celui-ci ne fût qu'une plénitude des biens de ce genre, par exemple, des richesses, de la volupté, alors cette recherche n'est plus naturelle, parce qu'elle intervertit l'ordre des choses, et transporte la notion de souverain bien et de fin dernière à la créature. Une telle possession d'un bien fini n'est donc plus une vraie et formelle participation de souverain bien, mais un désordre introduit par l'agent.

Nous disons introduit par l'agent, car le bien fini ne cesse pas pour cela d'être matériellement en lui-même quelque chose qui provient de Dieu et qui a sa bonté propre; mais il est mal recherché.

2o Tout bien fini procède du souverain bien comme de son principe, d'une certaine manière, ou selon un certain mode essentiel sans lequel il cesse aussi d'être une participation vraie et naturelle du souverain bien, pour ne conserver que la bonté matérielle de être. Prenons pour exemple l'appropriation d'un bien temporel; terre, argent, etc. Si la chose que j'occupe ainsi n'appartient à personne, cette occupation a le mode voulu pour être une participation formelle et vraie du souverain bien savoir, l'immunité de tout domaine antérieur, qui seule peut la rendre légitime et conforme aux desseins que Dieu a eus en mettant les biens terrestres à notre disposition. Mais elle n'a plus ce mode si la chose appartient déjà à quelqu'un, quoique l'objet saisi conserve sa bonté matérielle.

3o Quant à l'ordre, la sagesse divine en a établi entre les êtres un conforme à leur nature, et qui est du moins en grande partie essentiel. Cet ordre établit entre eux, selon le degré de leur excellence, une subordination en vertu de laquelle l'inférieur se rapporte au supérieur comme à sa fin prochaine et à sa raison d'être; de façon que chacun d'eux ne peut découler du souverain bien qu'avec cette subordination. Ainsi, par exemple, la délectation du goût est dirigée à la conservation de la vie humaine (qui elle-même est coordonnée à la recherche de Dieu comme fin), de

telle sorte que, sans cette destination, elle n'eût point été établie. Elle n'est point, par conséquent, si on l'en écarte, une vraie participation du souverain bien. Si donc je recherche cette délectation du goût en dehors de sa destination providentielle, et seulement pour l'être matériel qu'elle me présente, c'est-à-dire pour la délectation même, cette recherche est contraire à l'ordre et ne peut me procurer une participation vraie et formelle du souverain bien. Il en est autrement si je la recherche selon l'ordre prescrit.

Après ces explications, il est facile de déterminer la raison formelle de distinction entre le bien et le mal moral, et c'est ce que fera la proposition suivante.

PROPOSITION

L'action moralement bonne est celle par laquelle l'homme recherche un bien fini (1) avec les conditions qu'exige cette recherche pour être bier ordonnée, c'est-à-dire d'une manière convenable à la nature finie de ce bien, au mode essentiel selon lequel il découle du souverain bien, et à l'ordre de subordination qui le lie aux autres êtres ; et l'action moralement mauvaise est celle qui manque de ces conditions.

70.

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Preuve. Lorsque l'homme recherche un bien fini avec les conditions énumérées dans la proposition,

(1) Nous mettons hors de cause ici la recherche directe du bien infini, ou l'amour de Dieu, qui n'offre aucune difficulté, étant évidemment la meilleure des actions, comme la haine formelle de Dieu est la plus mauvaise (75).

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