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de Jean, sont tenues dans l'Église catholique comme la Sapience, qui fut composée par des amis de Salomon en son honneur.

«En ce qui concerne les Apocalypses, nous n'admettons que celle de Jean et celle de Pierre, que plusieurs des nôtres ne veulent pas qu'on lise dans l'église.

«Par contre, le Pasteur a été tout récemment composé, à notre époque 3, dans la ville de Rome, par Hermas, pendant que son frère, l'évêque Pie, siégeait dans la chaire de l'église de Rome. Voilà pourquoi il doit être lu, mais il ne saurait être admis publiquement dans l'Eglise jusqu'à la fin du monde, ni parmi les prophètes, dont le nombre est complet, ni parmi les apôtres.

«Nous n'acceptons absolument rien de l'homme d'Arsinoe, ni de Valentin, ni de Miltiade. Les Marciens ont composé un nouveau livre de Psaumes. En même temps que Basilides [nous rejetons] l'Asiate [Montanus], fondateur des Cataphrygiens. >>

En résumé, d'après ce premier catalogue des livres, reçus par l'Église catholique, on admettait, vers 180, à Rome ou en Afrique (où ce document paraît avoir été composé): 1° les quatre Evangiles actuels et les Actes. Le quatrième Évangile n'était pas encore généralement admis, comme le prouvent les efforts que fait l'auteur pour en établir l'authenticité. 2° Neuf Epitres de Paul adressées à sept communautés différentes, plus quatre adressées à des particuliers, en somme les treize premières qui se trouvent dans le Nouveau Testament. On rejetait les Épîtres aux Laodicéens et aux Alexandrins. Cette dernière n'est autre, croit-on, que notre Épitre aux Hébreux, qui fut reçue plus tard. 3° Celle de Jude et deux de Jean (sans doute la deuxième et la troisième), attribuées à des amis des apôtres dont elles portent le nom. 4° Enfin deux Apocalypses, celle de Jean et celle de Pierre. Cette dernière toutefois trouvait des contradicteurs. L'auteur du document rejette le Pasteur. Le document ne connaît encore ni les Épîtres de Pierre, ni celle de Jacques.

Les Variations du Canon.

Sauf l'opposition que firent les Montanistes à l'œuvre de Jean, le groupe des quatre Évangiles reste inattaqué depuis les temps d'Irénée. Le second groupe seul, celui des Livres apostoliques à l'exception des Actes et des treize Epitres de Paul, citées ci-dessus restera indéterminé

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pendant des siècles. C'est un spectacle curieux que celui des tiraillements auxquels sont en butte l'Epitre aux Hébreux, plusieurs des Épîtres dites catholiques, et l'Apocalypse, tous livres aujourd'hui vénérés de confiance par les «croyants », comme la Parole même de Dieu 5.

Distinguer les livres à l'aide de la règle de foi n'était pas aussi facile qu'on pourrait le croire. D'une part, les communautés, habituées à la lecture de certains écrits d'où elles tiraient de l'édification, n'y renonçaient pas volontiers. On appelait homologoumènes «acceptés d'un accord unanime», les livres censés admis dans l'universalité des Églises. Mais dès que vous demandez quels étaient les livres «universellement admis», les réponses varient, suivant que vous vous adressez à l'Église de Rome, ou à celle d'Alexandrie, ou à quelque autre.

En outre, la règle de foi subissait des variations continuelles, et se développait suivant les besoins du moment, c'est-à-dire suivant les manifestations plus ou moins inquiétantes de la libre-pensée dans l'Église (comp. Livre I, p. 123). Tel livre, parfaitement orthodoxe à telle époque, devenait hérétique à telle autre. L'Apocalypse a même passé plusieurs fois de la première catégorie à la seconde, et de la seconde à la première. Parmi les Épitres, dites catholiques, celles qui restent le plus longtemps douteuses (Jude, Jacques, II Pierre), n'ont dû, sans doute, leur réception définitive qu'au désir de compléter le chiffre sacramentel de sept (comp. p. 73. 156. 175).

Le Canon d'Origène. Au troisième siècle, il n'existait pas encore de catalogue définitif des Livres sacrés. Origène, le plus célèbre docteur de l'Église d'Alexandrie, essaie le premier de grouper, d'après un principe rationnel, les écrits en usage dans l'Église catholique. Il en distingue trois classes: 1° les authentiques, dont il considère l'origine apostolique comme certaine : les quatre Évangiles, les Actes et les treize Épîtres de Paul. Il y ajoute même l'Épître aux Hébreux, tout en avouant qu'elle n'était point de Paul, et l'Apocalypse peu sympathique d'ailleurs aux

Alexandrins. 2° Les inauthentiques: le Pasteur d'Hermas, etc. 3o Les mélés, c'est-à-dire les livres reçus par les uns, rejetés par les autres, tels que II Pierre, II et III Jean, Jacques et Judeo.

Lors du concile de Nicée, en 325, non seulement la liste des Livres inspirés n'est pas encore fixée définitivement, mais les évêques appelés de toutes les parties de l'Empire ne songèrent point à combler cette lacune. Ils se contentèrent d'admettre comme norme les Saintes Écritures de l'Ancien et du Nouveau Testament.

Suivant une légende postérieure, la distinction entre les livres canoniques et les apocryphes, eut lieu d'une façon miraculeuse, précisément à ce premier concile œcuménique. Les évêques, après avoir placé tous les écrits pêle-mêle sur un autel, prièrent Dieu de séparer lui-même les mauvais des bons. Aussitôt un mouvement s'opéra parmi ces ouvrages; les apocryphes tombèrent par terre et les canoniques restèrent sur l'autel.

Le Canon d'Eusèbe. L'historien Eusèbe, qui fut un des membres influents du concile de Nicée, s'était beaucoup occupé des livres canoniques. Il admettait que la vérité se trouve dans les points où tout le monde est d'accord. Conformément à ce principe erroné, il dresse, dans son Histoire ecclésiastique (III, 25), une liste des livres divins homologoumènes (admis «d'un accord unanime») et de ceux qui ne le sont point.

« C'est ici le lieu, dit-il, d'exposer sommairement les renseignements sur les livres de la Nouvelle Alliance. Il faut placer :

1o D'abord la sainte tétrade des Évangiles que suit le livre des Actes des Apôtres. Puis les Épitres de Paul. Après elles viennent la Première Épître de Jean et celle intitulée de Pierre. On peut, si l'on veut, les faire suivre de l'Apocalypse de Jean, sur laquelle nous citerons en son temps les (diverses) opinions. Tels seraient donc les homologoumènes.

20 Parmi les antilegomènes (ceux dont l'inspiration est incertaine, mais qui néanmoins sont connus de beaucoup), il faut ranger l'Épitre dite de Jacques, celle de Jude, la Seconde de Pierre, et les Épitres nommées Seconde et Troisième de Jean, qu'elles aient pour auteur l'Évangéliste ou quelque autre du même nom.

30 Parmi les inauthentiques, il faut placer le livre des Actes de Paul, puis celui qu'on appelle le Pasteur, et l'Apocalypse de Pierre. Et après

eux l'Épître de Barnabas et les Instructions dites des Apôtres. Enfin, si l'on veut, l'Apocalypse de Jean, que plusieurs, comme il a été dit, rejettent, tandis que d'autres la rangent parmi les homologoumènes. Quelquesuns y ont aussi joint l'Évangile selon les Hébreux auquel tiennent beaucoup les Hébreux qui ont accepté le Christ. Tous ces livres seraient donc antilégomènes. Mais il était nécessaire que nous en dressions le catalogue, et que nous distinguions les écrits qui, suivant la tradition de l'Église, sont vrais, authentiques et reçus d'un commun accord, de ceux qui ne sont point certains, mais qui sont contredits, qui toutefois sont connus de la plupart des ecclésiastiques afin qu'on apprenne à les connaître, comme aussi ceux qui ont été produits par des hérétiques sous le nom des apôtres, tels que les Évangiles de Pierre, de Thomas, de Matthias, et quelques autres, comme les Actes d'André, de Jean et des autres apôtres. Nul homme d'Eglise, depuis les apôtres, n'a jugé ces livres dignes d'être cités dans ces écrits. Non seulement la forme s'en écarte complètement de la manière d'écrire des apôtres, mais aussi la pensée et l'intention du contenu, qui s'éloignent complètement de la véritable orthodoxie, montrent clairement que ce sont des inventions d'hérétiques. Aussi ne faut-il pas seulement les ranger parmi les inauthentiques, mais les rejeter comme absurdes et impies. >

Nous tenions à citer en entier ce passage classique d'Eusèbe, dont la dernière partie renferme l'aveu clairement formulé de ce que nous avons établi ci-dessus (p. 173), savoir que les livres étaient admis ou rejetés suivant qu'ils étaient conformes ou contraires à la foi de l'Église ou, comme dit Eusèbe, à la

véritable orthodoxie ».

La première Edition officielle de la Bible grecque. C'est le mème Eusèbe qui, vers 332, fut chargé par Constantin de combler la lacune laissée par le concile de Nicée, et de former, d'après son propre jugement, une collection des Écritures saintes des chrétiens. L'évêque de Césarée nous a conservé la lettre où cette demande lui fut adressée :

« Constantin vainqueur, Empereur suprême, à Eusèbe.

Par la sollicitude de Dieu, notre Sauveur, une foule de personnes se sont tournées vers la très sainte Eglise dans la ville qui porte notre nom (Constantinople). Il serait donc convenable d'y établir plusieurs Églises. Écoute donc de bonne grâce notre décision à cet égard. Nous avons décidé de demander à ta Sagesse de faire écrire sur du parchemin bien préparé, et d'une écriture facile à lire et par des calligraphes habiles, cinquante exemplaires, commodément disposés pour l'usage, des divines Ecritures,

dont tu juges l'exécution et l'usage particulièrement nécessaires pour l'Église. Nous avons de notre propre grâce ordonné par écrit au chef du diocèse (de la province), de te fournir tout ce qui est nécessaire pour l'exécution, afin que l'achèvement aussi rapide que possible des exemplaires écrits, ne dépende que du zèle que tu mettras à cette entreprise. Nous t'accordons même l'autorisation de faire usage de deux chars de l'État pour le transport. Car, de cette manière, les exemplaires, lorsqu'ils seront écrits, arriveront le mieux jusqu'à nous, surtout si la surveillance en est confiée à l'un des diacres de ton Église, qui, à son arrivée chez nous, aura part à notre bienveillance. Dieu te garde, cher frère» (Vie de Constantin, L. IV, ch. 36).

Eusèbe obéit; malheureusement aucun des cinquante exemplaires écrits pour les églises de Constantinople, n'est parvenu jusqu'à nous. Nous ignorons quelle était la forme donnée par Eusèbe à son travail. Quoi qu'il en soit, c'est la première fois qu'apparaît dans l'histoire de l'Église, une collection officielle de livres de (l'Ancienne et) de la Nouvelle Alliance en grec, en un mot, une Bible, dans le sens actuel du terme7. L'Église chrétienne étant alors placée sous la suprématie de l'empereur de Constantinople, on peut admettre que le choix des livres, fait par l'évêque de Césarée, ne resta pas sans influence sur la clôture définitive du canon catholique, bien que nul document officiel, émané de Constantin, n'ait sanctionné ce choix.

Au temps d'Eusèbe, d'ailleurs, le mot «canon » n'était pas encore admis dans le sens actuel. Le savant évêque (qui mourut en 340) ne se sert que de l'expression livres homologoumènes << admis d'un commun accord» qui supposait le consentement des communautés. Cette remarque est importante, car elle montre que, dans la première moitié du quatrième siècle, nulle autorité supérieure à celle de l'ensemble des fidèles n'avait statué sur le nombre des livres sacrés.

La qualification «homologoumènes » est encore employée par Cyrille de Jérusalem, dans la quatrième des catéchèses qu'il composa en 348. Il y énumère les « Écritures divines» suivantes: les <«quatre Évangiles », les « Actes des douze apôtres », les « sept épîtres catholiques » de Jacques, Pierre, Jean et Jude, et les «quatorze Épîtres de Paul. » L'Apocalypse y manque.

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