Page images
PDF
EPUB

toujours avec soin sur leurs discours; sur ce qu'avait dit André, ou Pierre, ou Philippe, ou Thomas, ou Jacques, ou Jean, ou Matthieu, ou quelque autre des disciples du Seigneur; ou ce que disaient Aristion et Jean le presbytre (l'ancien), les disciples du Seigneur. Car les livres, à mon avis, ne m'offrent point les mêmes avantages que la parole vivante et plus pénétrante » (Eusèbe, ibidem).

Néanmoins, comme nous l'avons vu ailleurs, il connait et cite en particulier deux livres que, sur la foi du «presbytre Jean »>, inconnu d'ailleurs, il attribue l'un à Marc, compagnon de Pierre, l'autre à Matthieu, qui l'aurait écrit en hébreu.

Quelle était dans la première partie du second siècle la constitution des Églises en dehors de celle de Jérusalem? Suivant la tradition, cette dernière fut administrée, après la mort de Jacques et la destruction de Jérusalem, par un cousin de Jésus, Siméon, fils de Clopas (Eusèbe III, 11; comp. notre Chap. XIII, n. 1). Le souvenir du grand-prêtre de Jérusalem avait contribué sans doute à donner à cette administration un caractère monarchique. Nous ignorons d'ailleurs le titre que portait Siméon dans la langue du pays. L'Épître de Jacques nous a montré les communautés en dehors de la Palestine, ayant à leur tête, vers la fin du premier siècle, des presbytres ou anciens.

Du temps de Paul, l'administration des nouvelles Églises avait été confiée naturellement aux «prémices de la contrée évangélisée » (I Cor. 16, 15), c'est-à-dire à ceux qui les premiers avaient reçu la foi. Tout alors était simple et fraternel. Les Églises n'étaient que de grandes familles. Avec le temps, l'administration fut gérée par de petits comités dont les membres étaient appelés « serviteurs » ou «ministres» (diacons) ou encore << surveillants » (épiscopes); plus tard seulement on les qualifia du titre d'« anciens » (presbytres). Il est impossible de dire quand ces termes furent introduits. Paul n'emploie encore que le premier, mais d'une façon toute générale. Il se l'applique à lui-même et aux autres prédicateurs de l'Évangile. «Qu'est donc Apollos et qu'est Paul? - Des diacons par le moyen desquels vous avez cru» (I Cor, 3, 5; comp. II Cor. 41, 23). Il donne même ce titre à Jésus: «Christ a été diacon des circon

cis, pour montrer la véracité de Dieu en réalisant les promesses faites à leurs pères» (Rom. 15, 8). Il emploie souvent aussi le mot de diaconie « ministère». «Il y a diversité de diaconies, mais il n'y qu'un même Seigneur » (I Cor. 12, 5). Et en parlant des membres de la famille de Stephanas, qui a été « les prémices de l'Achaïe», il dit qu'« ils se sont dévoués à la diaconie des saints», c'est-à-dire des membres de la communauté (I Cor. 16, 15).

Il n'existait donc rien encore qui ressemblât à une organisation cléricale, ni même à une distinction de rangs. L'apôtre qui avait écrit: «Il n'y a plus ni Juif ni Grec, ni esclave ni citoyen libre, ni homme ni femme, car tous vous n'êtes qu'un en Jésus-Christ » (Gal. 3, 28), ne pouvait songer à établir des prêtres dans une société dont tous les membres étaient appelés à vivre de la vie de l'Esprit, et devaient se considérer tous comme les fils de Dieu (Gal. 4, 6-7; Rom. 8, 14). Ce n'est que dans le livre des Actes (vers 100) qu'on attribue aux apôtres l'idée de faire choisir pour la communauté de Jérusalem sept hommes chargés spécialement de la diaconie des tables, afin qu'eux-mêmes pussent vaquer à la diaconie de la parole (6, 1-4). Dans le même livre apparaissent aussi pour la

première fois les termes d'épiscopes (« surveillants ») et de presbytres («< anciens >>) comme synonymes. «Paul, lisons-nous, envoya de い Milet à Éphèse pour faire venir les presbytres de l'Église» (20, 17). Puis, dans le discours qu'il leur adresse, il leur dit : «< Prenez garde à vous-mêmes et à tout le troupeau sur lequel l'Esprit saint vous a établis épiscopes, pour paître l'Église du Seigneur qu'il s'est acquise par son propre sang» (20, 28).

Enfin, il faut arriver jusqu'à l'Epitre de Clément pour retrouver les termes employés par l'auteur des Actes. « Les apôtres, lisonsnous, après avoir reçu la plénitude de l'Esprit saint, sont partis pour annoncer la bonne nouvelle de l'approche du royaume de Dieu. Pendant qu'ils enseignaient dans les villes et dans les campagnes, ils instituaient les prémices des convertis après les avoir examinés dans le Saint-Esprit - comme épiscopes et diacons de ceux qui croiraient. Toutefois ce n'était point là une institution nouvelle; car depuis des siècles déjà, il était écrit eu égard aux

épiscopes et aux diacons: «J'établirai leurs épiscopes pour la justice et leur diacons pour la fidélité» 3 (chap. 42). Et plus loin : «Ceux qui ont été institués par les apôtres ou plus tard par d'autres hommes considérés, avec l'assentiment de toute la communauté, et qui ont servi le troupeau de Christ sans reproche, en toute humilité, avec calme et désintéressement, et qui ont eu longtemps un bon témoignage de la part de tout le monde, il nous semble qu'il n'est pas juste qu'on les expulse de leur fonction... Heureux les presbytres qui ont achevé leur carrière et dont la fin a été édifiante et irréprochable! » (chap. 44). On le voit, épiscopes (surveillants), diacons (ministres), presbytres (anciens), ces termes, vers 125, sont toujours encore synonymes. Nous verrons bientôt quand et sous quelle influence ils ont cessé de l'être, et comment l'organisation des communautés, de démocratique qu'elle était, est devenue monarchique.

[merged small][ocr errors]

CHAPITRE XVIII.

Les Écrits qui ont préparé ce Mouvement de la Pensée.

Dans le cours du second siècle les communautés furent vivement ébranlées par les conséquences

inquiétantes pour la foi

judéo-chrétienne en voie de se développer que la réflexion philosophique tirait de principes juifs et christiens, combinés avec ceux de la philosophie grecque. Nous voulons parler de l'influence de ce qu'on est convenu d'appeler le gnosticisme.

Pour juger équitablement le gnosticisme, il est nécessaire de l'envisager, non sous le point de vue où l'Église s'est placée après 150, mais sous celui des auteurs antérieurs. Vulgairement on considère encore le gnosticisme comme un mouvement étranger au christianisme; il aurait développé sa littérature indépendamment des écrivains orthodoxes, qui n'auraient fait que le combattre. C'est même cette manière de voir qui a fait considérer un certain nombre d'épitres où l'on a vu des allusions au

gnosticisme, comme postérieures au temps des premiers gnostiques. En réalité, on trouve déjà des traces de la gnose dans les épitres authentiques de Paul. Le mot même, en grec gnósis, la <«< connaissance », s'y lit fréquemment (par exemple Rom. 2, 20; 11, 33; 15, 14; I Cor. 1, 5, etc.). Plus tard ce terme servit à désigner spécialement la connaissance de la nature et de l'œuvre du Christ, dans ses rapports avec Dieu et le monde. Et même dans ce sens plus restreint, on peut dire que Paul s'est occupé de gnose, bien plus, qu'il est le père du gnosticisme. Nous lisons par exemple dans I Cor. 8, 5-6 :

<< Bien qu'il y ait de prétendus dieux qui seraient soit au ciel, soit sur la terre, comme il y a, en effet, un grand nombre de dieux et de seigneurs, pour nous, du moins, il n'y a qu'un seul Dieu, le Père, de qui viennent toutes choses et vers lequel nous tendons, et un seul Seigneur Jésus-Christ, par lequel ont été faites toutes choses, et par lequel nous sommes aussi. »>

Dans l'École de Pierre, c'étaient surtout des questions pratiques qui avaient préoccupé les esprits, à commencer par la première de toutes: Est-il permis d'admettre quelqu'un dans la communauté sans lui imposer les prescriptions de la loi juive? Mais depuis l'entrée dans l'Église de Juifs et de Grecs, formés aux Écoles philosophiques de l'Orient et de Rome, de nouvelles questions surgirent Dieu et le monde, l'esprit et la matière, l'absolu et le fini, l'origine de l'univers, son développement et sa fin, le rôle du mal, l'essence du Christ et sa place dans la hiérarchie des êtres ; enfin la valeur des anciens dieux et des anciennes religions sous le point de vue de la Religion nouvelle et du Dieu nouveau: tels furent les sujets qui préoccupèrent un certain nombre d'esprits, à Alexandrie, à Antioche, à Rome.

Le domaine de la «connaissance» s'élargit dès lors prodigieusement. On quitta le terrain solide des faits et de l'expérience, pour s'engager de plus en plus dans les sphères nuageuses de la métaphysique.

Les épîtres, nées dans l'École de Paul, et que l'on considère

quelquefois comme écrites sous l'influence du gnosticisme, paraissent au contraire avoir préparé ce grand mouvement de la pensée.

Témoin l'Épitre aux Philippiens où se lit entre autres ce passage sur le Christ:

«Quoiqu'il existât dans une condition divine, il ne regarda pas cette égalité avec Dieu comme une chose à retenir avec force, mais se dépouilla lui-même pour prendre la condition d'esclave, en devenant semblable aux hommes et se montrant tel dans toute son apparition» (2, 6-8).

Le passage de la Première aux Corinthiens, cité plus haut, prouve que Paul ne voit encore dans le Christ que l'organe de la création dont le véritable auteur est Dieu. Dans la pensée de l'apôtre, c'est aussi Dieu qui est le but final de la création. «Toutes choses sont de lui et par lui et pour lui» (Romains 11, 36). Dieu est si exclusivement le but suprême, que «lorsque toutes choses auront été soumises au Fils, le Fils même sera assujetti à celui qui lui aura assujetti toutes choses, afin que Dieu soit tout en tous » (I Corinthiens 15, 28).

L'Épître aux Colossiens dépasse ce point de vue, en faisant créer toutes choses, non-seulement par le Fils, mais aussi pour le Fils, qui, dit-elle, est :

« L'image du Dieu invisible, le premier-né de toute la création »>, «celui par qui toutes les choses ont été créées dans les cieux et sur la terre, les choses visibles et les choses invisibles, les trônes, les dominations, les autorités, les puissances; tout a été créé par lui et pour lui. Et il est avant toutes choses, et toutes choses subsistent en lui. Et il est la tête du corps de l'Église. Il est le commencement, le premier-né de ceux qui sont ressuscités des morts, pour être, entre tous, le premier (1, 15-18).

La même Épître dépasse l'horizon de Paul sur un autre point encore. Dans Romains (8, 3), l'apôtre avait fait prendre au Fils « une chair semblable à celle des hommes pécheurs », afin de pouvoir «< condamner le péché dans la chair. » La condamnation du péché ne saurait donc s'étendre que sur le domaine de la

« PreviousContinue »