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déjà plus dans le sens de Pompée; les consuls désignés étaient de zélés partisans du sénat. La nomination au tribunat du jeune Curion, dont la hardiesse égalait l'éloquence, parut encore une victoire aux ennemis de César : mais Curion était criblé de dettes, César acheta secrètement le futur tribun.

Les pouvoirs de César finissaient au dernier jour de décembre 49; les grands ne voulurent pas attendre près de deux années encore, et, le 1er mars de l'an 50, le consul Marcellus mit aux voix son rappel pour le 13 novembre de la présente année. La majorité allait adopter cet avis, lorsque Curion, louant la sagesse de Marcellus, ajouta que la justice et l'intérêt public voulaient que la même mesure fût appliquée à Pompée. Si l'on refusait, il opposerait son veto. Ce moyen était habilement choisi. Au milieu des partis, Curion semblait seul penser à la république et à la liberté. Continuant ce rôle de fausseté et d'hypocrite dévouement, qu'il jouait depuis si longtemps, Pompée offrit au sénat de se démettre de ses pouvoirs ; mais lorsque Curion le pressa d'exécuter cette promesse, il trouva des prétextes, des retards; et le résultat de la séance, où il avait apporté ces belles paroles d'abnégation, fut l'ordre envoyé à César de remettre deux de ses légions à la disposition du sénat. Le décret portait, il est vrai, que chacun des deux proconsuls fournirait une légion pour la Syrie où l'on redoutait une invasion des Parthes, mais Pompée en avait jadis prêté une à César, il la redemanda. Ce fut donc le proconsul des Gaules qui envoya les deux légions. Au lieu de les expédier aussitôt pour l'Asie, quand elles furent arrivées, le consul Marcellus les cantonna à Capoue.

La lutte devenait chaque jour plus imminente; cependant de ce côté des Alpes nuls préparatifs, nulle mesure de défense, et quand on demandait à Pompée avec quelle armée il arrêterait son rival s'il passait les monts: «En quelque endroit de l'Italie que je frappe du pied la terre, disait-il, il en sortira des légions. » Les consuls partageaient sa quiétude. Marcellus, le plus animé contre César, soumit encore une fois au sénat la question de son rappel que Curion, au

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nom de l'intérêt public, changea en celle-ci : « Les deux généraux doivent abdiquer en même temps.» 370 voix contre 22 approuvèrent, et au dehors les plus vifs applaudissements accueillirent le courageux tribur. Vous l'emportez, s'écria Marcellus; mais vous aurez César pour maître. » Quelques jours après, sur le bruit que l'armée des Gaules passait les Alpes, il se rendit vers Pompée, lui remit son épée, et lui ordonna de prendre, pour la défense de la république, le commandement de toutes les troupes cantonnées en Italie. Curion traita cette démarche inouïe comme elle méritait de l'être, et s'opposa à la levée des troupes. Grâce à cette tactique, César semblait maintenant une victime de Pompée et de la faction oligarchique. Deux autres partisans du proconsul, Cassius Longinus et son ancien questeur Marc-Antoine, allaient prendre possession du tribunat. Leur veto n'empêcha pas le sénat de décréter, le 1er janvier 49, que si, à un jour déterminé, César n'avait pas abandonné son armée et sa province, il serait traité en ennemi public. Des soldats pompéiens approchaient, les deux tribuns, suivis de Curion, tous trois cachés sous des habits d'esclaves, s'enfuirent vers le camp de César. Avec eux la légalité semblait y passer.

CHAPITRE XXIII.

LA GUERRE CIVILE ET LA DICTATURE DE CESAR.

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TENDANCE DES esprits vers la ROYAUTÉ; CÉSAR PASSE LE RUBICON (49)
ET CONQUIERT L'ITALIE. GUERRE D'ESPAGNE ET SIÉGE DE MAR-
SEILLE; CÉSAR DICTATEUR. COMBATS AUTOUR DE DYRRACHIUM;
PHARSALE (48); MORT DE POMPÉE. CÉSAR ASSIÉGÉ DANS ALEXAN-
DRIF (48); VICTOIRE DU NIL (47). CLÉOPATRE; EXPÉDITION CONTRE
PHARNACE REtour de césar A ROME (47). — GUERRE D'AFRIQUE (46);
BATAILLE DE THAPSUS; MORT DE CATON.
DÉCRETS DU SÉNAT EN
FAVEUR DE CÉSAR; SON TRIOMPHE; MODÉRATION DE SON GOUVERNE-
MENT. LES FILS DE POMPÉE SOULÈVENT L'ESPAGNE; BATAILLE DE
MUNDA (45). CONCENTRATION DANS LES MAINS DE CÉSAR DE TOUS
LES POUVOIRS; SES PROJETS. LES CONJURES; MORT DE CÉSAR (44).

Tendance des esprits vers la royauté; César passe le Rubicon (49) et conquiert l'Italie.

Ce ne fut pas la faveur du peuple qui fit de César le maître de Rome, ni son armée, ni son génie. La cause première, irrésistible, fut le besoin que l'empire avait d'un gouvernement enfin stable et régulier. Tout tendait à la monarchie, et depuis longtemps la perte des mœurs et de l'égalité, la désorganisation de l'empire et les vœux des classes tranquilles la rendaient inévitable. Qu'avaient été le tribunat de Caïus, les consulats répétés de Marius et de Cinna, la dictature de Sylla, les commandements de Pompée, si ce n'est autant de royautés temporaires? Depuis un siècle, cette idée avait fait bien du chemin et rallié, à leur insu, bien des esprits, même des plus élevés. Cette paix que Lucrèce demande, ce repos que cherche Atticus dans l'éloignement des affaires. et l'amitié de tous les rivaux, les incertitudes même de Cicéron, ne sont-ce pas des indices du dégoût dont ces grands esprits étaient saisis, en face de cette désolante anarchie. qu'on appelait encore la république romaine? « La république, disait Curion, mais abandonnez donc cette vaine chimère! » « Ralliez-vous à nous, écrivait Cicéron à Dolabella, son gendre; ralliez-vous à César, sous peine, en poursuivant je ne sais quelle république surannée, de ne courir qu'après une ombre. » C'était le mot de César : « Vain nom,

ombre sans corps. » L'humanité avance, selon les temps, par le despotisme aussi bien que par la liberté : en ce moment, comme le vaisseau qui dans la tempête jette à la mer ses plus précieuses richesses, il fallait, même au prix de la liberté, sauver l'ordre, la paix, et la civilisation à la fin compromise dans ces longues tourmentes.

catius à Pompée.

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Pompée était arrivé à son but. Les consuls abdiquaient entre ses mains; qu'il abatte César, ç'est le dernier obstacle; et il compte y réussir sans peine. Mais voici que tout à coup la nouvelle arrive que César a franchi le Rubicon, limite de sa province et pris Ariminum; que toutes ses forces sont en mouvement; que la Gaule lui promet 10 000 fantassins et 6000 cavaliers; qu'enfin les populations l'accueillent avec enthousiasme. Où est ton armée? demande VolFrappe donc la terre, lui dit ironiquement Favonius, il est temps. » Et Pompée, coupé de ses légions d'Espagne, était réduit à avouer qu'il ne pouvait défendre Rome contre César. On se retira à Capoue, tandis que Pisaurum, Ancône, Iguvium étaient pris. Un instant, la défection de Labiénus, le meilleur des lieutenants du proconsul, releva les courages; mais pas un soldat ne le suivit, et César ne daigna pas même garder l'argent et les bagages du traître. Cette générosité politique, et la douceur qu'il montrait envers ses prisonniers, ébranlèrent le zèle de plusieurs. On citait ses lettres à Oppius et à Balbus : « Oui, j'userai de douceur, et je ferai tout pour ramener Pompée.... La terreur n'a réussi qu'à faire détester mes devanciers.... Sylla fait exception, mais je ne le choisirai jamais pour modèle. Prenons désormais pour appuis les bienfaits et la clémence. Il faut certainement pardonner beaucoup à l'homme qui a renoncé si hautement aux mœurs politiques de son temps, en face d'un parti qui eût, sans nul doute, autrement usé de la victoire. César n'en poussait pas moins la guerre avec activité. La résistance de Domitius dans Corfinium l'arrêta sept jours; quand il arriva en vue de Brindes, les consuls et l'armée étaient déjà de l'autre côté de l'Adriatique, à Dyrrachium. Durant ces opérations, Valérius avait chassé les Pompéiens de la Sardaigne, et Curiou

soumis la Sicile. 60 jours avaient suffi pour la conquête de l'Italie et des îles.

Guerre d'Espagne et Siége de Marseille; César dictateur.

Faute de vaisseaux, César ne pouvait poursuivre son rival; il revint donc à Rome, où il trouva assez de sénateurs pour reconstituer un sénat qu'il opposa à celui qui siégeait dans le camp de Pompée. L'argent lui manquait, il voulut enlever celui du trésor, déposé dans le temple de Saturne. C'était l'or réservé pour les cas extrêmes, et une loi défendait d'y toucher, si ce n'est en cas d'invasion gauloise. Un tribun, L. Métellus, s'y opposa. « J'ai vaincu la Gaule, dit César, cette raison n'existe plus; d'ailleurs le temps des armes n'est pas celui des lois; » et le tribun se plaçant devant la porte pour empêcher qu'on la forçât, César menaça de le faire tuer: « Sache, jeune homme, qu'il m'est moins aisé de le dire que de le faire. » Métellus effrayé se retira.

Après avoir confié le gouvernement de la ville à Lépide, et celui de toutes ses troupes en Italie à Marc-Antoine, il partit pour l'Espagne. « Je vais, disait-il, combattre une armée sans général; ensuite j'attaquerai un général sans armée. » Ce mot explique toute la guerre. Marseille, pompéienne de cœur, l'arrêta à son passage; il la fit assiéger par Tribonius et Brutus, et franchit les Pyrénées. Il se trouva, d'abord, dans une position difficile, campé dans un étroit espace, entre la Sègre et la Cinca, cerné lui-même et affamé. En ce même temps, Curion, qui était passé de Sicile en Afrique, était défait et tué par Varus et Juba. Dolabella, que César avait chargé de lui construire une flotte sur l'Adriatique, avait été battu en Illyrie, et fait prisonnier. A ces nouvelles, Cicéron resté jusqu'à ce moment en Italie, passa du côté de Pompée. Il n'y était pas arrivé que les événements avaient pris en Espagne une tournure inattendue. César avait construit des bateaux, franchi la Sègre et attaqué à son tour. Pétréius et Afranius, les deux généraux pompéiens, voulurent battre en retraite, mais il devina

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