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accordées pour l'obtention du droit de cité romaine préparaient une autre unité, celle des conditions.

Marc Aurèle avait partagé le titre d'Auguste avec Lucius. Vérus, à la fois son gendre et son frère d'adoption, homme livré à tous les plaisirs et qui ne prêta jamais à l'empereur, un utile concours. Envoyé par lui dans des circonstances graves en Orient où les Parthes venaient de tailler en pièces les légions d'Arménie, il ne s'occupa à Antioche que de ses honteuses débauches, laissant l'habile et célèbre Avidius Cassius soutenir victorieusement la guerre, prendre Ctésiphon et Séleucie qu'il détruisit, construire des forteresses dans l'Osrhoène et faire de Nisibe le boulevard de l'empire (165). L'année suivante, les deux empereurs célébrèrent par un triomphe la fin de cette guerre. Peu après une peste terrible sévit dans Rome et désola tout l'empire. Les peuples germains des bords du Danube, qui depuis longtemps étaient restés en paix, se préparèrent au même moment à une autre attaque générale, et de grands désastres, des tremblements de terre, accompagnèrent cette irruption des barbares, comme si les dieux avaient voulu secouer l'empire romain de sa torpeur.

Mais le philosophe stoïque qui occupait alors le trône impérial ne se laissa pas effrayer; il avait de bonne heure appris à soumettre le corps à l'âme, ses passions à la raison. Pour lui, la vertu était l'unique bien, le mal l'unique peine. Tout le reste était indifférent. Au milieu des périls de la guerre contre les Marcomans, sur les rives du Danube, il écrivit les admirables maximes de la sagesse stoïcienne dans les douze livres de son ouvrage intitulé: Eiç έautóv. Sévère pour lui-même, juste et bienveillant pour les autres, excepté pour les chrétiens, qu'il persécuta, Marc Aurèle trouva dans son fils dénaturé une cause de continuels chagrins. Sa femme, la jeune Faustine, paraît aussi avoir tenu une conduite déréglée, bien que son époux l'ait plusieurs fois louée dans son livre.

A titre de philosophe, Marc Aurèle regardait la guerre comme une honte et une calamité. Mais quand la nécessité d'une légitime défense lui mit les armes à la main, il montra un courage supérieur. Sous la conduite de leur roi, les Mar

comans, sortant de la Bohême, avaient longé avec d'autres Germains les bords du Danube et attaqué la Dacie. Cette attaque en amena d'autres. Presque tout le monde barbare s'ébranla; et ce qui était menaçant pour l'empire, il s'ébranla avec un ensemble qui montrait la Germanie tout organisée pour l'invasion. Les Sarmates Roxolans, des Quades, des Jazyges, des Vandales et d'autres peuples, connus de nom seulement, formèrent une grande ligue dont les Marcomans n'étaient en quelque sorte que l'avant-garde. Cette lutte contre les peuples du Danube était d'autant plus dangereuse que les meilleures troupes de l'empire étaient retenues en Orient, que les Chauques avaient, dans le même temps, envahi la Belgique, et les Cattes franchi les remparts qui couvraient les terres décumates. Les mouvements partiels furent aisément comprimés. Mais tout à coup Rome apprit avec effroi que les barbares avaient passé le Danube, qu'ils avaient ravagé la Pannonie, l'Illyrie, et pénétré jusqu'aux environs d'Aquilée. Les deux empereurs marchèrent à la fois contre eux; ils reculèrent mais en emmenant 100 000 captifs. Marc Aurèle chercha à semer la division parmi eux. Il détacha de la ligue quelques tribus auxquelles il assigna des terres en Dacie, en Mosie, dans l'Italie même. A d'autres il accorda certains priviléges, et il admit beaucoup de barbares dans ses troupes. Ces mesures donnèrent un répit de quelques années. Ce fut au retour de cette expédition (déc. 169) que la mort en frappant Vérus délivra Marc Aurèle d'un collègue indigne.

Les Germains, qui n'avaient point été vaincus, reparurent encore une fois sous les murs d'Aquilée. Pour trouver l'argent nécessaire à cette guerre, Marc Aurèle fit vendre les objets précieux et les joyaux du palais impérial. Le long règne pacifique d'Antonin, la famine, la peste, les combats sur l'Euphrate et le Rhin avaient si fort diminué les légions ou occupaient tant de soldats, qu'il fallut armer des esclaves, des gladiateurs, et enrôler encore des barbares (172). 'L'ennemi se retira devant lui, mais l'empereur comprit qu'il était nécessaire de frapper quelque coup décisif, et après voir fait de Carnuntum en Pannonie sa place d'armes. il

attaqua avec des succès variés les Marcomans et les Jazyges, poursuivit les Quades jusque dans leur pays, où il courut, sur les bords du Gran, un sérieux danger. Une pluie mêlée d'éclairs et de tonnerre le sauva et donna lieu à la tradition sur la légion fulminante composée de chrétiens. Un traité de paix avec plusieurs nations parut terminer glorieusement cette guerre (174).

Des bords du Danube, Marc Aurèle gagna promptement la Syrie (175) pour apaiser la révolte de Cassius ou lui céder l'empire, si telle était, disait-il, la volonté des dieux. Cassius fut tué par ses soldats; et l'empereur se plaignit qu'on lui eût ôté le plaisir de se faire un ami d'un adversaire. Au moins n'y eut-il plus de victimes. « Que cette insurrection, écrivait-il noblement au sénat, n'ait coûté la vie qu'à ceux qui sont morts dans le premier tumulte. » Presque aussitôt des Marcomans et d'autres peuples qui habitaient au nord du Danube et du Pont-Euxin, des Bastarnes, des Alains que la grande nation des Goths poussait devant elle, recommencèrent leurs incursions (178). Le malheureux empereur, que la fortune condamnait à passer sa vie dans les camps, se hâta de marcher contre eux avec son fils Commode; mais il s'arrêta à Carnuntum, d'où il dirigea les opérations militaires. Les barbares firent une énergique résistance, et les prétendues victoires des Romains restèrent sans résultat. Marc Aurèle, profondément découragé, mourut le 7 mars 180, à Vindobona (Vienne), ou, selon d'autres, à Sirmium, laissant à son fils, avec l'empire, une guerre redoutable.

Commode (180-192).

Quand Marc Aurèle eut été placé, selon la coutume, au rang des dieux, Lucius Commodus Antoninus lui succéda. Il n'avait que 19 ans, et déjà la faiblesse de son père avait laissé s'enraciner en lui des passions désordonnées qui en eurent bientôt fait un tyran stupide. Il se hâta de conclure la paix avec les Marcomans et les Quades, qui promirent de ne pas s'approcher du fleuve plus près que de cinq milles, et de ne tenir d'assemblées qu'en présence de centurions romains. Plus de 20000 barbares entrèrent au service de l'empire;

c'était leur livrer les secrets de la tactique romaine. Des bords du Danube, Commode précipita son retour à Rome, où il se livra à tous les plaisirs et à sa folle passion pour la chasse et les combats du cirque. On le vit combattre 735 fois "et recevoir chaque fois ses gages comme gladiateur. Il faut dire aussi que souvent il se contenta du rôle de cocher du cirque ou, dans l'arène, de celui d'Hercule. Toute son ambition était de ressembler à ce héros de la force brutale; il voulut qu'on l'appelât l'Hercule romain, et il se fit représenter sur les monnaies avec les attributs du demi-dieu.

Le préfet des gardes, Pérennis, fut d'abord chargé de tous les soins du gouvernement et continua l'administration précédente; mais des soldats mécontents qui étaient venus de Bretagne à Rome pour accuser sa dureté, le massacrèrent (186). Il fut remplacé comme préfet du prétoire et favori du prince par l'affranchi Cléander, Phrygien, qui fit argent de tout, de la vie et de l'honneur des citoyens. Les emplois, les sentences, il n'y avait rien qu'il ne vendît. Trois ans après, l'avare et cruel favori fut tué dans une sédition populaire qu'avaient excitée la peste et la famine.

La cruauté de Commode, provoquée par les conspirations, ne connut plus de bornes. Déjà, avant la mort de Pérennis, un meurtrier, armé par sa sœur Lucilla, veuve de Vérus, s'était précipité sur lui en disant : « Voilà un poignard que le sénat t'envoie. En l'année 187, un déserteur, chef de brigands, avait de la Gaule et de l'Espagne donné rendezvous à tous les siens à Rome, à un jour fixé, pour y égorger l'indigne fils de Marc Aurèle et prendre sa place. Dénoncé par un complice, il fut saisi et tué. Mais Commode, effrayé et trop bien servi par une police secrète et par les délateurs qui avaient reparu en foule, lança des sentences de mort contre les hommes les plus vertueux, contre ses proches, contre le sénat et même contre le grand jurisconsulte Salvius Julianus. Pour n'avoir rien à craindre des provinces, il retenait auprès de lui des otages, les enfants des gouverneurs, et pour être sûr de Rome, il accordait toute licence aux prétoriens; mais ceux qui l'approchaient le plus étant ceux qui étaient le plus menacés, ce fut leur main qui le

frappa. La veille des saturnales, il voulut passer la nuit dans une école de gladiateurs, malgré les observations qu'on lui fit sur un séjour si indigne de la majesté impériale. Là, il écrivit sur des tablettes les noms de ses victimes pour la nuit prochaine; en tête était sa concubine Marcia, le chambellan Électus et le préfet des gardes Lætus. Mais il s'endormit quelques instants; durant son sommeil, un enfant prit ces tablettes en jouant et les montra à Marcia. Celleei se hâta de le prévenir: après le bain, elle lui donna un breuvage empoisonné, et comme il ne provoquait qu'un vomissement, elle et ses complices, qu'un même sort menaçait, firent étrangler Commode par un jeune et vigoureux athlète (31 décembre 192). Son cadavre fut secrètement emporté au palais, et l'on répandit le bruit que Commode était mort frappé d'un coup de sang. Mais le sénat, abusé sur sa force, fit jeter son corps dans le Tibre et flétrit sa mémoire. Les prétoriens vont bientôt le venger.

Pendant le règne du dernier des Antonins, il n'y avait eu que des guerres peu importantes sur les frontières de la Bretagne et de la Dacie. De vieux généraux de Marc Aurèle, Marcellus, et Pertinax, les avaient terminées heureusement (182-184).

CHAPITRE XXIX.

ETAT DE L'EMPIRE DURANT LES DEUX PREMIERS SIÈCLES.

LIMITES ET PROVINCES DE L'EMPIRE.

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VOIES MILITAIRES, CAMPS, FORTIFICATIONS DES FRONTIÈRES. ATTITUDE HOSTILE DES GERMAINS ET DES PERSES. AUTORITÉ ABSOLUE DES EMPEREURS; IMPUISSANCE DU SÉNAT; NULLITÉ DU PEUPLE. ADMINISTRATION DE LA JUSTICE, DES FINANCES ET DES ARMÉES. INDUSTRIE ET COMMERCE; DÉPRAVATION DES MEURS. CARACTÈRE DE LA LITTÉRATURE SOUS L'EMPIRE.

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LIGION; PROGRÈS DU CHRISTIANISME.

Limites et provinces de l'empire.

RE

L'empire romain avait une étendue de plus de 1000 lieues (4450 kilomètres) de l'Océan à l'Euphrate, sur une largeur

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