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SUSANNE

Il y avait à Babylone un homme nommé Ioakim. Il avait épousé une femme nommée Susanne, fille de Chelkias, une personne pieuse et très-belle. Ses parents étaient gens de bien, et avaient instruit leur fille conformément à la loi de Moïse. Ioakîm était fort riche et avait un beau parc attenant à sa maison, et les Juifs le fréquentaient parce qu'il était le plus distingué des leurs.

5 Or, en cette année-là, furent nommés juges deux anciens du peuple, au sujet desquels le Seigneur avait dit : L'iniquité est venue de Babylone, des anciens devenus juges, qui paraissaient gouverner le peuple. Ces hommes venaient assidûment chez Ioakim, et tous ceux qui avaient quelque litige venaient à eux. Et quand la foule s'était écoulée, vers midi, Susanne allait se promener au parc de son mari. Les deux anciens, en la voyant ainsi chaque jour quand elle entrait pour s'y promener, furent épris d'elle au point qu'ils perdirent leur bon sens, que leurs yeux étaient fascinés et qu'ils n'eurent plus ni égard au ciel ni souvenir des lois de la justice. Tous les deux

1 Comme cette note chronologique en suppose une autre précédente, il faut croire que l'auteur a voulu parler de l'année même du mariage de Ioakìm. Anciens, et non vieillards.

2 Il est évident que l'auteur prétend citer une parole divine, une prophétie relative, ou du moins applicable, à ces deux hommes. Mais rien de pareil ne se trouve dans les textes de l'Ancien Testament. On a autrefois voulu combiner, ce passage avec ce qui est raconté Jér. XXIX, 22 suiv. Mais il n'y a pas d'analogie entre les deux faits.

3 D'après ce qui suit, il faudra bien admettre que, selon l'auteur, les juges siégeaient dans la maison même de Ioakîm. Comp. v. 28.

4 On pourrait aussi traduire : des justes jugements (de Dieu).

se tourmentaient pour elle, mais ils ne se firent point part de leurs peines, car ils avaient honte de faire l'aveu de leur convoitise. Cependant ils mettaient leur soin, tous les jours, à l'épier pour la voir.

13 Or, il arriva un jour qu'ils se dirent l'un à l'autre Rentrons chez nous; c'est l'heure du déjeuner. Et ils sortirent et se séparèrent. Mais étant revenus sur leurs pas et s'étant rencontrés, ils s'en demandèrent le motif réciproquement, et s'avouèrent le motif qui les ramenait. Là dessus ils convinrent ensemble d'un moment où ils pourraient la trouver seule. Et comme ils attendaient ainsi un jour favorable, il arriva qu'elle entra au parc, selon sa coutume1, accompagnée seulement de deux suivantes, pour prendre un bain; car il faisait chaud. Il n'y avait là personne d'autre, excepté les deux anciens, qui s'étaient cachés pour l'épier. Et elle dit à ses servantes : Apportez-moi de l'huile et du savon parfumé, et fermez la porte du parc, pour que je me baigne. Celles-ci firent ce qui leur était ordonné; elles fermèrent la porte du parc, et sortirent par une porte latérale, pour chercher ce qu'elle avait demandé, et sans voir les anciens, parce qu'ils étaient cachés. Dès que les suivantes furent sorties, les deux anciens quittèrent leur cachette, coururent vers elle et dirent La porte du parc est fermée, personne ne nous voit, nous sommes épris de toi rends-toi à nos désirs et sois à nous. Si tu refuses, nous rendrons témoignage contre toi, en disant qu'il y avait un jeune homme avec toi et que c'est pour cela que tu as renvoyé les filles. Alors Susanne se mit à soupirer et dit: Point d'issue, de quelque côté que je me tourne". Si je cède, c'est ma mort; si je refuse, je n'échapperai pas à vos mains . Mais mieux vaut de n'en rien faire et de tomber en votre pouvoir, que de commettre un péché à la face de Dieu.

1 Litt.: comme elle avait fait hier et avant-hier, phrase hébraïque assez fréquente dans l'Ancien Testament. Il y a là, dans le récit, une inadvertance frappante. Si c'était la coutume de Susanne de prendre un bain au parc tous les jours et que depuis longtemps les anciens l'épiaient, on ne voit pas pourquoi ils attendaient un jour favorable. La présence des suivantes du moins ne devait pas favoriser leurs projets.

2 Il faut supposer une issue moins apparente et connue des gens de la maison seuls. On n'en voit pas d'ailleurs la nécessité, puisqu'il suffisait de fermer la grande porte, sauf à la rouvrir en rapportant les objets demandés. Et pourquoi n'emportait-on pas ceux-ci dès l'abord?

3 Quel tissu d'invraisemblances! Les filles n'avaient qu'un pas à faire (v. 4) et pouvaient revenir à chaque instant, et Susanne perd la tête et ne songe pas que rien ne serait plus facile que de confondre les menteurs.

4 Litt. Étroitesse (serrement, gêne, embarras) de tous côtés.

5 L'adultère était puni de mort (Deut. XXII, 24).

6 Je serai la victime de votre faux témoignage. Deux témoins l'emportaient sur la dénégation de l'accusée.

24 Là desus Susanne se mit à crier à haute voix; mais les deux anciens crièrent aussi contre elle; et l'un d'eux courut ouvrir la porte du parc. Quand les gens entendirent les cris dans le parc, ils accoururent en toute hate par la porte latérale pour voir ce qui lui était arrivé. Mais lorsque les anciens eurent fait leur rapport, les serviteurs furent tout confus, car jamais pareille chose n'avait été dite sur le compte de Susanne.

28 Le lendemain, quand le peuple s'assembla chez son mari Ioakim, les deux anciens s'y rendirent aussi, tout pleins de leur criminel dessein de faire mourir Susanne. Ils dirent donc devant le peuple Faites chercher Susanne, la fille de Chelkias, la femme de Ioakim. Et l'on envoya vers elle. Elle arriva accompagnée de ses parents, de ses enfants et de tous ses proches. Or, Susanne était très-délicate et belle de figure. Et ces scélérats demandèrent qu'on lui ôtât le voile (car elle était voilée 2), pour qu'ils pussent jouir à satiété de la vue de sa beauté. Mais ceux de sa famille et tous ceux qui la voyaient, se mirent à pleurer. Alors les deux anciens se levèrent au milieu de l'assemblée et posèrent leurs mains sur sa tête, tandis qu'elle, en versant des larmes, levait les yeux au ciel, parce que son cœur mettait sa confiance dans le Seigneur.

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Cependant les anciens firent la déclaration suivante : Nous nous promenions tout seuls dans le parc, quand cette femme y entra avec deux servantes, elle fit fermer la porte et renvoya les servantes. Alors vint un jeune homme, qui avait été caché, et coucha avec elle. Nous, qui nous trouvions dans un coin du parc, en voyant ce crime, nous courûmes vers eux et nous les surprimes en flagrant délit. Quant à lui, nous ne pûmes nous rendre maitres

! Pourquoi donc pas par l'autre qui venait d'être ouverte? Encore paraît-il que la porte latérale n'avait pas été fermée du tout. Ou bien faut-il supposer que celle-ci entrait directement dans la maison, tandis que la grande porte donnait sur la rue? Mais dans ce cas, le terme de latéral est assez mal choisi. L'autre rédaction n'a pas un mot de toute cette scène dramatique et ne parle ni de suivantes, ni de portes, ni de conversation entre Susanne et les anciens, mais se contente de dire qu'ils voulaient lui faire violence. De cette manière, les paroles de Susanne, qui s'y lisent également, ne sont pas motivées du tout.

2 Cela est ajouté exprès, pour dire qu'elle tenait à observer jusqu'aux moindres règles de la décence.

3 On comprenait qu'elle allait être chargée de n'importe quel délit, et tout le monde l'aimait et s'intéressait à sa personne.

4 Comme accusateurs et témoins à charge (Lévit. XXIV, 14).

On remarquera qu'ils ne disent rien du bain.

de sa personne, parce qu'il était plus fort que nous 1; il gagna la porte et s'échappa. Mais quant à elle, nous l'arrêtâmes et nous lui demandàmes quel était ce jeune homme; mais elle refusa de le dire. Voilà ce que nous attestons.

41 L'assemblée les crut sur parole, parce qu'ils étaient des anciens du peuple et des juges, et la condamna à mort.

Cependant Susanne s'écria à haute voix et dit: O Dieu éternel, toi qui connais ce qui est caché, qui sais toutes choses, même avant qu'elles n'arrivent, tu sais qu'ils ont rendu contre moi un faux témoignage; et voilà que je dois mourir sans avoir rien fait de ce dont ceux-ci m'ont accusé méchamment. Et le Seigneur exauça ses cris. Au moment où on la conduisait à la mort, Dieu suscita l'esprit saint d'un fort jeune homme nommé Daniel', qui s'écria tout à coup à haute voix Moi, je ne suis pas responsable du sang de cette femme! Le peuple alors, se tournant vers lui, dit: Qu'est-ce que tu dis là? Et lui, se plaçant au milieu d'eux, dit: O Israélites ! Vous êtes donc insensés à ce point que, sans examen préalable, sans avoir constaté la vérité du fait, vous condamnez une fille d'Israël? Retournez au tribunal, car ceux-ci ont rendu contre elle un faux témoignage.

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50 Le peuple alors s'étant hàté de revenir sur ses pas, les anciens lui dirent Viens t'asseoir au milieu de nous, puisque Dieu t'a octroyé la dignité d'ancien". Alors Daniel leur dit : Séparez-les l'un de l'autre, pour que je les examine isolément. Quand ils furent séparés, il fit appeler l'un d'eux et lui dit: Viens, scélérat, maintenant ils vont retomber sur toi, tes crimes d'autrefois, où tu rendais des arrêts iniques, en condamnant les innocents et en absolvant les coupables, bien que Dieu ait dit: Tu ne feras pas

1 Ils prétendent donc qu'il y avait eu lutte. Et personne ne songe, avant de prononcer une sentence de mort, à rechercher le coupable pour le confronter avec sa complice ou avec les témoins!

2 Elle dit cela après que la sentence est prononcée. De défense, de protestation, d'enquête, de l'intervention du mari pour éclaircir le fait, il n'en est pas question.

3 L'autre texte dit: l'ange, sur l'ordre de Dieu, donna au jeune Daniel un esprit d'intelligence.

4 Non pas certes les deux accusateurs, mais les autres magistrats.

5 Cela veut dire qu'on reconnaissait à l'exclamation d'un jeune garçon qu'il y avait là comme un avertissement du ciel, une révélation. On défère donc à cet enfant le droit d'instruire le procès en seconde instance.

6 L'apostrophe de ce jeune juge d'instruction serait absurde et inconcevable, si l'auteur ne voulait pas évidemment représenter Daniel comme un véritable prophète inspiré, quoique à peine adolescent.

mourir le juste et l'innocent. Eh bien, si tu as vu cette femme, dis-moi sous quel arbre les as-tu vus ensemble? Il répondit: Sous un cognassier. Alors Daniel reprit: Tu as bien menti contre ta propre tête! Voici arriver l'ange avec l'arrêt de Dieu qui va te cogner de manière à te pourfendre par le milieu. Puis, ayant fait retirer celui-ci, il ordonna d'amener l'autre et lui dit: Engeance de Canaan et non de Juda, la beauté t'a séduit et la convoitise a perverti ton cœur. Voilà donc comme Vous en agissiez avec les filles d'Israël et par peur elles se sont rendues à vos sollicitations 2; mais cette fille de Juda n'a pas cédé à votre scélératesse. Maintenant dis-moi, sous quel arbre les as-tu surpris ensemble? Il répondit : Sous un houx. Alors Daniel reprit Tu as bien menti contre ta propre tête, toi aussi! L'ange de Dieu va te houssiner; il attend déjà, l'épée à la main, pour te couper en deux, pour vous exterminer!

60 Aussitôt l'assemblée éclata en cris et bénit le Dieu qui préserve ceux qui espèrent en lui. Et on s'éleva contre les deux anciens que Daniel avait convaincus de faux témoignage par leurs propres déclarations, et on leur fit, aux termes de la loi de Moïse, ce qu'ils avaient méchamment voulu faire à autrui, en les mettant à mort. C'est ainsi qu'en ce jour le sang innocent fut épargné. Mais Chelkias et sa femme louèrent Dieu au sujet de leur fille Susanne, avec Joakim son mari et tous ses proches, de ce qu'aucune action malhonnête n'avait été prouvée contre elle. Et Daniel, dès ce jour-là et ultérieurement, jouit d'une grande considération auprès du peuple *.

1 Le texte grec a ici et plus loin des jeux de mots qu'il fallait reproduire à tout prix de manière ou d'autre, parce qu'ils forment la pointe de l'arrêt prononcé et que l'auteur les a positivement faits à dessein. Or, il est difficile, en français, de trouver des noms d'arbres qui puissent se combiner (pour le son) avec des verbes désignant des supplices. Le grec dit schinos (l'arbre à mastic, pistacia lentiscus) et schizo, fendre; et plus loin, prinos (le rouvre), et prio, scier. Luther a assez bien réussi dans sa traduction allemande. Si les verbes que nous avons dû choisir, faute de mieux, devaient paraître trop familiers, nous répondrons que cela s'accorde assez bien avec le ton du discours.

2 Il les accuse donc d'avoir plusieurs fois déjà essayé de séduire des filles, en leur faisant peur, et d'y avoir réussi.

3 Deut. XIX, 19.

+ L'autre relation raconte que les deux anciens furent jetés dans un gouffre et que l'ange les y brala. Elle se termine par l'éloge de la candeur des jeunes gens, ainsi que de leur piété et de leur intelligence. On ne voit pas trop bien à quel propos l'exemple de Daniel est ainsi généralisé.

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