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premier péché était entré dans le monde par la | secondée de la méchanceté. Comme elle avait

voie de l'impatience, il la fit venir aussitôt à son secours pour rendre l'homme criminel. Il va ainsi trouver Ève ; et dans l'entretien qu'il a avec elle, ce rusé serpent lui souffle avec ses paroles son haleine infectée du venin contagieux de l'impatience 1. Elle n'aurait jamais péché si elle eût supporté patiemment la défense que Dieu lui avait faite. Plus coupable encore en ce qu'elle ne se contente pas d'avoir reçu elle seule ce souffle maudit, elle ne saurait aussi souffrir plus longtemps le silence; c'est un poids qui l'accable, elle meurt d'impatience de parler à Adam qui, n'étant pas encore son mari, n'était pas obligé par conséquent de l'écouter. Il lui prête néanmoins l'oreille; et voilà comment elle le fait devenir le canal par❘ où cette peste, qu'elle avait contractée du malin esprit, s'est répandue dans le monde.

C'est ainsi que l'impatience de la première femme fit périr le premier homme, et que ce premier homme périt aussi par son impatience en deux manières: soit en portant avec peine l'observation du commandement de Dieu, soit en se montrant trop làche à combattre la tentation du démon. Voilà donc l'origine du péché, voilà aussi le principe des arrêts du ciel contre le genre humain. La colère de Dieu commença par où avait commencé l'offense de l'homme; ou plutôt la première cause de l'indignation de ce divin maître fit éclater les premiers traits de sa patience. Car se contentant de donner sa malédiction au démon, il arrêta le juste mouvement de colère dans lequel il pouvait le punir plus rigoureusement. Enfin quel autre crime peut-on imputer à l'homine avant le crime de l'impatience? Il vivait dans l'innocence et dans l'amitié de Dieu; il était habitant du paradis. Mais dès qu'il eut succombé à l'impatience, il cessa aussitôt d'ètre agréable au Seigneur; il n'eut plus de goût pour les choses célestes. Chassé ensuite de la présence de son Dieu, et banni en cette vallée de larmes, il se laissa aisément dominer par l'impatience, qui fut en lui le principe de toutes les fautes qu'il commit contre son Créateur. En effet cette malheureuse passion, ayant été animée par le démon, forma bientôt la colère,

1 Gen., 3,

livré à la mort Adam et Eve, elle apprit à leur fils Caïn à commettre un homicide; car quelle en fut la cause, sinon parce qu'il souffrit impatiemment que ses offrandes fussent rejetées par le Seigneur; qu'il se laissa emporter de colère contre Abel et qu'il le tua: or ne pouvant le tuer sans être poussé par la colère, ni poussé par la colère sans être dominé par l'impatience, il est évident que ce que la colère lui a fait commettre doit être attribué à la disposition qui a produit la colère. Voilà en quelque façon le berceau de l'impatience encore naissante. Quel fut ensuite son accroissement ? II fut prodigieux n'en soyons point surpris; car si l'impatience a fait commettre le premier crime, il faut conclure qu'ayant précédé toutes les autres passions, elle est comme l'origine de tous les péchés, puisque tous les péchés sont sortis de son sein, ainsi que plusieurs rameaux viennent d'une même tige.

Nous venons de le montrer en ce qui regarde l'homicide, qui fut d'abord produit immédiatement par la colère; mais quelque motif qui le cause dans la suite, il provient toujours de l'impatience, comme de sa première source. Car, soit qu'on se porte à commettre ce crime par jalousie ou par cupidité, on commence toujours par l'impatience, en ne voulant point se donner la peine de combattre un mouvement de haine ou d'avarice. Enfin tout ce qui nous porte à quelque action mauvaise vient d'une certaine impatience où l'on est d'accomplir au plus tôt cette action. Je le prouve. On commet un adultère pourquoi? parce qu'on n'a pas voulu supporter plus longtemps la peine de résister aux tentations de la chair. Si vous dites qu'un des principaux motifs qui obligent les femmes à vendre leur honneur est l'amour de l'argent, je soutiens que ce coupable trafic procède d'une honteuse lâcheté à détruire cet amour du gain. Je ne fais mention que de ces deux vices, parce qu'ils sont les plus communs et les plus criminels devant Dieu. Mais, pour le dire en un mot, tout péché vient de l'impatience. On est méchant, parce qu'on trouve trop de peine à être homme de bien. La pureté est insupportable à l'impudique, la probité au scélérat, la piété à

1 Gen., 4.

l'impie, le repos à un esprit inquiet. On devient | juste: aussi cet homme soumis reçut-il tranvicieux, parce qu'on ne peut pratiquer plus longtemps la vertu. L'impatience étant donc la source des péchés, ne doit-elle pas offenser infiniment celui qui ne saurait approuver aucan péché?

D'ailleurs il est manifeste que l'impatience fut la principale cause de tant de révoltes où les Israélites se laissèrent aller contre le Seigneur. En effet, d'où vient que ce peuple in- | grat, oubliant le bras tout-puissant qui l'avait❘ délivré de la cruelle servitude d'Égypte, demande à Aaron de nouveaux dieux qui puissent le conduire dans la terre promise? D'où vient que, portant l'insolence au plus haut point, hommes et femmes sacrifient volontiers leur or pour en faire une idole publique ? Cette audace criminelle vient de ce qu'ils supportèrent impatiemment que Moïse fut si longtemps à s'entretenir avec Dieu, quelque nécessaire que❘ fût cet entretien. En vain ils ont été repus miraculeusement d'une manne qui leur a été envoyée du ciel comme une rosée nourrissante 1; en vain ils ont été abreuvés de l'eau tirée d'un rocher : ils se défient encore du Seigneur. Une soif de trois jours les accable; ils ne peuvent plus l'endurer. Voilà l'impatience que Dieu leur reproche lui-même dans l'Écriture. En un mot, pour ne pas descendre dans un plus long détail, le malheur du peuple juif est toujours venu d'un défaut de patience. Pourquoi ont-ils fait mourir les prophètes ? C'est pour n'avoir pas voulu souffrir leurs avis. Pourquoi ont-ils fait mourir Jésus-Christ luimême ? C'est pour n'avoir pu supporter sa présence ils auraient été moins misérables s'ils eussent été plus patiens.

VI. Disons encore que c'est la patience qui précède et qui suit la foi. Ainsi Abraham crut ce que Dieu lui avait dit, et sa foi lui fut imputée à justice2. Ce fut néanmoins la patience qui éprouva la foi de ce père des croyans lorsqu'il reçut le commandement d'immoler son fils, soumission que Dieu exigea, moins pour tenter la foi d'Abraham que pour montrer par avance une figure de celui qui devait être obéissant jusqu'à mourir; car du reste Dieu connaissait parfaitement celui qu'il avait regardé comme

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quillement l'ordre rigoureux qui lui fut donné pour éprouver son obéissance, et il l'aurait exécuté de même si le Seigneur l'avait souhaité. Ce n'est donc pas sans raison qu'il fut comblé de bénédictions; il avait été fidèle, et il fut fidèle parce qu'il fut patient. C'est ainsi que la foi, rehaussée par l'éclat de la patience, étant ensuite répandue dans tout l'univers par celui qui est appelé dans l'Écriture fils d'Abraham 1, c'est-à-dire Jésus-Christ, et ajoutant la grâce à la loi, mit la patience sa compagne à la tête de cette même loi pour en être comme le sceau, d'autant plus que cette vertu avait manqué autrefois à la science de la justice et de la sainteté; car que faisait-on alors? on rendait mal pour mal, weil pour œil, dent pour dent la patience n'était pas connue encore dans le monde, parce que la foi ne l'était pas aussi. Cependant l'impatience profitait des occasions où elle n'était pas arrêtée par la loi. Cela était naturel; l'auteur et le maître de la patience n'était pas venu. Mais à son arrivée tout change. La grâce de la foi est réglée sur la patience. Il n'est plus permis de dire des injures; ou ne peut plus traiter son prochain d'homme peu sensé sans devenir coupable. La colère est défendue, l'animosité est proscrite, la trop grande vivacité est réprimée, le venin de la médisance est ôté. La loi a beaucoup gagné depuis que Jésus-Christ a dit : « Aimez vos ennemis; parlez bien de ceux qui parlent mal de vous; priez pour ceux qui vous persécutent, afin que vous soyez les enfans de votre Père céleste 2. » Voyez quel père nous acquérons par la patience. Enfin toute la science de cette vertu est renfermée dans ce commandement principal, puisqu'il n'est pas même permis de blesser le prochain par la moindre parole de raillerie.

VII. Maintenant si nous voulons parcourir tous les autres sujets pour lesquels on s'impatiente, nous trouverons à chacun un précepte qui y répond. En effet, êtes-vous ému de la perte de vos richesses? Le Seigneur vous avertit en mille endroits de ses Écritures de mépriser le siècle; ou plutôt il vous apprend le mépris que vous devez avoir des biens temporels, parce que vous ne trouverez nulle part qu'il y ait eu

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rait enlevé sa tunique ? Comment nous feronsnous des amis par nos richesses si nous y attachons tellement notre cœur que leur perte nous rende inconsolables? Malheureux que nous sommes, nous périrons avec ce que nous perdons. Eh! que pouvons-nous trouver icibas où nous devons un jour tout perdre ? C'est un défaut des gentils de s'abandonner à l'impatience dans les disgraces. Pourquoi ? parce qu'ils font sans doute plus de cas de leurs richesses que de leur âme. Ils le montrent effectivement lorsque, pour l'amour du gain, ils vont affronter tous les périls de la mer; parce que cette témérité leur a été quelquefois lucrative; lorsque, par le désir de se procurer une plus haute fortune, ils vont dans le barreau plaider des causes que les coupables trembleraient eux-mêmes de soutenir; lorsque, pour se tirer de l'indigence, ils vont se louer à quelque comédien insolent ou à quelque brutal gladiateur; lorsque enfin ils se jettent sur les grands chemins, comme des bêtes féroces, pour voler, égorger et assassiner les passans. Pour nous, qui devons suivre des maximes bien différentes des leurs, nous devons sacrifier non l'àme pour l'argent, mais l'argent pour l'âme, soit en donnant de bon gré, soit en perdant sans inquiétude.

lui-même nulle affection. Partout il justifie les | position d'offrir son manteau à celui qui lui aupauvres; partout il condamne les richesses. C'est ainsi que, ennous inspirant du dégoût pour les biens de ce monde, il enseigne la patience, nous enseignant à supporter sans chagrin leur diminution. Comment cela? Le voici encore une fois : c'est en montrant que, puisqu'il faut dégager son cœur de l'attachement aux richesses, on doit par conséquent compter pour rien la perte qu'on en peut faire. Nous devons souffrir tranquillement la privation, ou mème l'enlèvement entier d'une chose qu'il nous est défendu d'aimer. Le Saint-Esprit nous a déclaré par la bouche de l'apôtre que la cupidité est la racine de tous les maux; mais ne nous imaginons pas que cette cupidité consiste seulement à désirer le bien de notre prochain. Ce que nous croyons être à nous n'est pas même à nous. Nous n'avons rien; tout est à Dieu, et nous lui appartenons aussi. S'il nous arrive donc de faire quelque perte, et que nous la supportions avec impatience, nous faisons voir que nous ne sommes pas affranchis de la cupidité, puisque nous regrettons de ne point avoir ce qui ne nous appartient pas. C'est désirer le bien d'autrui que de s'affliger d'avoir perdu ce qui n'était pas à nous. Celui qui, préférant les biens terrestres aux biens du ciel, succombe làchement sous le poids de la disgrâce, pèche directement contre Dieu. Pourquoi ? parce que pour l'amour d'une chose temporelle il avilit cette âme qui n'a été créée que pour les biens éternels, Renonçons done courageusement aux choses de ce monde ; contemplons sans cesse les biens célestes. Que tout le monde périsse avec tous ses biens, peu nous importe, pourvu que nous devenions riches en patience.

D'un autre côté, je demande si celui qui souffre impatiemment la perte d'un bien qu'on lui a ravi, ou qu'il aura perdu par quelque autre voie, aura le courage de se priver de ce bien pour en faire quelque aumône ? Celui qui ne veut pas se laisser tuer par un autre est-il de goût de se tuer lui-mème? La patience daus les disgrâces est un exercice par où l'on s'accoutume à faire part de son bien aux autres. Celui qui ne se fache point de perdre ne se fache point aussi de donner. En effet, comment voulez-vous qu'un homme qui a deux habits en donne un à un pauvre s'il n'est dans la dis

VIII. D'ailleurs nous sommes en cette misérable vie exposés aux plus grandes épreuves, et l'Évangile nous oblige quelquefois d'essuyer les plus grands affronts, malgré nos plus grandes répugnances. Faudra-t-il donc que de légères attaques nous blessent mortellement ? Loin de nous une telle faiblesse. A Dieu ne plaise que notre patience, éprouvée tous les jours par mille traits violens, succombe honteusement sous une légère injure. Si vous êtes insulté, souvenez-vous aussitôt de l'avertissement de Notre-Seigneur : « Lorsqu'on vous frappera, ditil, sur une joue, présentez encore l'autre joue2. » Lassez l'insolence d'autrui par votre patience. Quelque ignominieuse et affligeante que soit l'insulte que vous recevez de votre adversaire, ne vous emportez pas; il en sera plus grièvement puni par le Seigneur pour l'amour de qui vous la supportez. Vous ne pouvez mieux vous

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venger de votre ennemi qu'en souffrant tranquillement ses mauvais procédés. Rappelez aussitôt dans votre souvenir ces paroles de l'Évangile : « Réjouissez-vous lorsqu'on parlera mal de vous » D'ailleurs le Seigneur luimême, quoiqu'il soit le seul essentiellement et souverainement digne de bénédiction, n'a-t-il pas néanmoins été accablé de malédictions sur la croix? Suivons un tel maître. Que le monde nous maudisse, peu importe, pourvu que nous soyons bénis de notre Père céleste. Au contraire si je souffre avec chagrin une parole qu'on aura dite contre moi, il faut ou que je rende la pareille ou que je me tourmente moi-même dans mon impatience, sans oser me plaindre. Et si je viens à me venger en rendant injure pour injure, comment me montrerai-je fidèle disciple de Jésus-Christ. Le Seigneur nous avertit encore que nous rendrons compte de toutes nos paroles vaines et inutiles; que sera-ce des paroles injurieuses? Il s'ensuit donc que ce divin Maître nous ordonne de souffrir patiemment de la part d'autrui le mal qu'il nous défend sous de rigoureuses peines de faire au prochain.

Considérons maintenant la douceur qui se trouve à être patient. Quelques traits que la calomnie ou la malignité lancent contre une ame patiente ne produiront d'autre effet que celui d'une flèche décochée contre un roc impénétrable; ce sera un coup perdu : la flèche tombera à terre, ou même elle sera quelquefois réfléchie avec la même impétuosité vers celui qui l'a décochée. Quelqu'un vous blesse : pourquoi? c'est pour vous porter un coup doulou reux; car le fruit le plus agréable que goûte celui qui blesse, c'est la douleur de celui qui est blessé. S'il arrive donc que vous fassiez périr ce fruit par votre patience, il faudra que la douleur retombe sur votre ennemi, lequel a perdu le fruit qu'il se promettait. De cette sorte non-seulement vous ne recevrez aucune blessure (ce qui devrait vous suffire), mais vous aurez encore le plaisir de l'avoir frustré de son espérance et de lui avoir renvoyé la douleur qu'il prétendait vous causer. Voilà le doux avantage qu'on trouve à être patient.

IX. Au reste, il y a une espèce d'impatience

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inexcusable, quoiqu'elle paraisse d'abord légitime; c'est lorsque nous nous abandonnons à la tristesse en perdant quelqu'un de nos proches. En pareille occasion il faut se souvenir du généreux renoncement que l'apôtre nous recommande quand il dit : «Ne vous attristez pas de la mort de quelqu'un, comme font les gentils qui n'ont point d'espérance 1. » Et certes cet avis est très-raisonnable; car si nous croyons à la résurrection de Jésus-Christ, nous croyons par conséquent à la nôtre, puisque Jésus-Christ est mort et ressuscité pour nous. Étant donc certain que tous ressusciteront un jour, on ne doit point s'affliger de leur mort, ni se laisser abattre par la douleur; car pourquoi vous attrister si vous croyez qu'ils n'ont point cessé d'être? Pourquoi supporter avec tant d'impatience que celui qui reviendra infailliblement vous ait été enlevé pour quelque temps? Ce que vous appelez une mort n'est proprement qu'un voyage; le défunt doit revenir. Ainsi, bien loin de pleurer celui qui n'a fait que passer le premier, il faut le regretter seulement comme une personne qui se trouve à dire aujourd'hui parmi nous. Encore ce regret doit-il être modéré par la patience. En effet, pourquoi vous affliger à l'excès du départ de celui que vous suivrez bientôt ? Ajoutez que l'impatience en ces rencontres fait mal augurer de notre espérance, et paraît donner atteinte à notre fʊi. Nous offensons Jésus-Christ lorsque nous regrettons comme des gens à plaindre ceux qu'il a appelés à lui en son royaume. Écoutons les sentimens de l'apôtre «Je souhaite, dit-il, de sortir de captivité et d'être bientôt avec Jésus-Christ 2. » Leçon excellente, qui apprend aux chrétiens quels doivent être leurs désirs. Si nous paraissons donc affligés que les autres aient déjà obtenu l'objet de leurs vœux, n'est-ce pas une marque que nous ne voulons pas l'obtenir nousmêmes ?

X. Voici un autre grand sujet d'impatience, c'est la passion que l'on a de se venger, afin de satisfaire sa fierté ou sa malice; fierté toujours vaine, malice toujours criminelle; mais principalement en cette rencontre, où elle s'établit juge dans sa propre cause, et prononce témérairement un arrêt de vengeance contre le pro

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elle

chain. Ainsi rendant le mal pour le mal, paie le double de celui qu'on lui a fait, puisqu'elle se venge (ce qui est déjà un mal) et qu'au même temps elle fait insulte, ce qui est un autre mal. La vengeance est la consolation des insensés et des barbares. Le sage et le chrétien la regardent comme l'effet de la seule méchanceté. En effet, quelle différence y a-t-il entre celui qui attaque et celui qui, étant attaqué, rend la pareille? C'est que l'un est le premier à mal faire, et que l'autre le suit. Cependant tous deux sont coupables devant celui qui condamne et qui punit tout malfaiteur. Étre le dernier à outrager n'est point une excuse : le temps et le lieu ne séparent point ce qui est uni par un même caractère. C'est donc un commandement absolu qu'on nous fait de ne rendre jamais le mal pour le mal. Or comment observerons-nous ce précepte, si nous ne témoignons un noble dédain pour la vengeance? Quel honneur sacrifierons-nous à Dieu, si nous nous attribuons le droit de nous défendre comme il nous plaira?

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Vases de terre que nous sommes, remplis de faiblesse et de misère, nous condamnons rigoureusement un de nos domestiques qui a osé se venger d'un autre. Nous approuvons ceux qui, se souvenant de leur bassesse, de leur sujétion et du respect qu'ils doivent à leurs maîtres, ont besoin de nous remettre leurs intérêts, et nous leur procurons une satisfaction plus grande qu'ils n'eussent pu la prendre par eux-mêmes. Faut-il craindre que nous risquions quelque chose, quand nous confions nos intérêts à Dieu notre souverain seigneur, ce Dieu si équitable dans ses jugemens et si puissant dans l'exécution de ses arrêts ? En vain nous le regardons comme juge, si nous ne le regardons pas comme vengeur. C'est sous ce dernier titre qu'il veut que nous le considérions lorsqu'il dit : « Laissez-moi la vengeance, et je vous vengerai1;» comme s'il disait : Remettez-vous à moi de l'injure qu'on vous aura faite, et votre patience sera récompensée. Ainsi quand ce divin Maître nous dit : «Ne jugez point, afin que vous ne soyez pas jugés,» ne demande-t-il pas notre patience? car de qui est-ce qu'on peut dire qu'il ne juge point les autres, sinon

1 Deut., 32. 2 Matth., 7.

de celui qui ne se soucie point de se défendre? Au contraire, celui qui juge, quand il voudrait au même temps faire grâce, il ne peut éviter le reproche d'avoir jugé inconsidérément et d'avoir par là ravi au souverain juge l'honneur qui lui appartient.

Hélas! en combien de malheurs l'impatience n'a-t-elle pas jeté de tout temps les hommes vindicatifs! Combien de fois ne s'est-on pas repenti d'avoir tiré raison d'un affront! Combien de fois une ardeur opiniâtre à poursuivre un rival n'a-t-elle pas causé plus de chagrin que les causes de cette poursuite n'en doivent donner! En voici la raison : c'est que lorsqu'on entreprend une affaire par impatience, on ne saurait la poursuivre sans impatience. Or ce qui se fait par impétuosité ou ne rencontre pas le but, ou tombe par terre, ou se perd en l'air. D'ailleurs, si vous ne pouvez vous venger que légèrement, vous êtes saisi de dépit. Si votre vengeance est poussée à l'extrémité, vous vous épuisez vous-même pour l'assouvir. Quel profit dois-je donc attendre d'une passion dont je ne puis modérer les transports par la violence du mal qu'elle me cause? Mais si je tranquillise par la patience, je ne sentirai aucune douleur; si je ne sens aucune douleur, je ne penserai point à me venger.

XI. Après avoir parcouru les principaux sujets d'impatience, est-il nécessaire de nous étendre sur tout ce qui peut exciter cette passion, soit dans le public, soit dans le particulier? Le démon exerce son empire fort loin; cet esprit malin lance ses dards de tous côtés; les coups qu'il porte blessent tantôt légèrement, tantôt jusqu'au vif. Que faire ? le voici. Si le trait de votre adversaire est petit, sa pelitesse doit vous le faire mépriser, s'il est violent, sa violence doit vous le faire secouer promptement. Quand l'injure est médiocre, la patience n'est presque pas nécessaire; quand l'affront est grand, il faut y appliquer au plus tôt la patience pour le guérir. Travaillons donc à soutenir courageusement les attaques du malin esprit; combattons, afin que notre magnanimité triomphe des ruses de cet ennemi. Si par notre imprudence et notre faute nous nous attirons quelquefois des sujets de souffrance, ne nous appliquons pas moins à supporter patiemment le mal que nous nous procurons à nous

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