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e je mets le collyre, c'est à ces aveugles e j'en veux, c'est leur aveuglement que je ondamne.

Pour la cruauté de Védius Pollio, il est cerain qu'elle mérite le scalpe, c'est une maladie desprit, opiniâtre et dangereuse; pour la guérir I faut piquer bien avant, et porter la pointe et le tranchant jusqu'à la racine. N'était-ce pas être bien inhumain que d'aigrir la nature d'un poisson qui n'a presque point de fiel, de le provoquer et rendre cruel pour lui faire avaler des hommes entiers? La lamproie est un poisson qui n'a point de dents, d'ongles ni de cornes, et qui se défait de tout ce qu'il a de mauvais dans le réservoir où en la met après avoir été prise; il farait toutefois si bien faite au carnage et à la cruauté, qu'elle engloutissait un homme. C'est pourquoi il prenait plaisir, après l'avoir irritée, à luiexposer ses serviteurs, et la voir agir en bete de proie contre sa nature, en les dévorant. Son vivier en était plein, et il arrivait souvent qu'on lui en servait à table quelqu'une qui n'avait pas encore digéré les morceaux qu'elle venait d'avaler, le cuisinier les avait trouvés tout entiers. Le ventre de ce poisson lui devait servir de cuisine; c'était là que la chair des siens dont il était affamé devait être assaisonnée, et prendre le haut goût qu'il cherchait, et qu'il ne trouvait pas dans la lamproie, si elle n'était nourrie du sang et de la chair de ses domestiques.

Du mème fer j'entamerai et je percerai la langue d'un orateur délicat, je dirai que la gourmandise de Hortensius n'est pas supportable, et qu'il faut punir une bouche où il ne reste plus à une si grande éloquence de quoi se défendre contre ceux qui l'accusent d'avoir le premier mangé du paon, au moment où il aurait dû montrer le plus de sobriété. Ce fut lorsqu'il fit le festin de sa promotion au pontificat et à la dignité de sacrificateur, et qu'il commença par l'offrande de cet oiseau qu'il immola si solennellement à sa bouche. Les premiers de Rome assistèrent à ce nouveau sacrifice, et parent s'assurer que ce nouveau prêtre avait plus de soin de son ventre que des dieux.

Aufidius Lurco ne fut pas moins friand; peutétre qu'ayant été du banquet d'Hortensius, il avait trouvé que le paon qu'on y servit eût été encore meilleur s'il eût été plus gras. C'est pourquoi il s'avisa depuis d'engraisser la volaille, de chan

ger sa nature à force de graisse; il sut vicier les qualités de la nourriture, pour lui donner tout un autre goût : il chercha donc soigneusement tout ce qu'il y avait de plus succulent, et de plus agréable à la bouche, pour en nourrir les oiseaux qui étaient destinés à sa table.

Asinius Céler, qui avait été consul, est digne de la même réprimande; il eut si grande envie de manger du barbeau, qu'il en acheta un cent cinquante écus, dont il ne fit qu'un repas. Croiriez-vous bien qu'un railleur et un bouffon eût acheté un plat de terre sept mille cinq cents livres, et qu'il l'eût rempli d'oiseaux de quatre cent cinquante livres pièce? Il n'y mit que ceux qui chantaient et parlaient le mieux, dont le ramage était extraordinaire, et qu'on entendait dégoiser avec plus de plaisir. Ce fut Ésope. Vous étonnerez-vous si un mets si cher et si délicat donna encore plus d'appétit à son fils? Il voulut manger d'une chose qui lui coûtât davanlage que tout cela: la perle est extrêmement précieuse, puisqu'elle l'est même de nom; elle nous sert à estimer la valeur de tout ce que nous prisons davantage; après avoir dit d'une chose qu'elle est précieuse comme la perle, nous n'avons plus rien à dire : il en fit donc dissoudre quantité, et les huma toutes. Il y a apparence qu'il ne voulut pas faire un plus maigre souper que son père. Il voulait donner au ventre ce qui appartenait aux yeux, comme son père lui avait donné ce qui n'était dû qu'aux oreilles, consacrer au goût la volupté d'un sens, comme son père lui avait consacré celle d'un autre, et faire de la gourmandise un tombeau pour le luxe, qui n'éclate que dans les perles, et que ce glouton a rendues potables.

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Je ne parlerai pas ici de Néron ni d'Apicius, les dépenses de bouche qu'ils ont faites sont trop excessives pour être ignorées. On sait que Sempronius Rufus, qui avait été préteur, fut honteusement privé du consulat pour avoir mangé des cigognes; c'était une viande dont on n'avait point encore usé à Rome : ce friand commanda qu'on lui en apprêtât, il les trouval si délicates, que sa table en fut couverte depuis, et que la cigogne devint un des rares oiseaux qui fussent en Italie. Mais laissons dans le silence les prodigieux excès de ces trois gouffres insa tiables.

Ceux qu'il faut particulièrement purger ici, et qui sont les plus mal disposés, sont Emilius Scaurus, Quintus Curius et Marc Antoine. En trouverez vous de plus sales et de plus déshonnêtes que le premier? J'ai horreur quand il mes ouvient de son impureté, et mes cheveux se dressent quand je me figure les déportemens de ce brutal. Le second avait perpétuellement des dés à la main; toute sa vie se passa dans le jeu, il y perdit tout ce qu'il avait. Y eut-il jamais un plus grand ivrogne que le troisième, qui passait les nuits tout entières au cabaret ou dans les mauvais lieux, et le jour ou il dormait, ou il rendait gorge et infectait la maison où il se trouvait de ses continuels vomissemens?

Ne sont-ce pas là des hommes illustres? Ne voilà-t-il pas de grands politiques, de sages et vertueux personnages? Oui certes, mais s'il vous en souvient encore, comment étaient-ils habillés? La plupart étaient comme vous, ils portaient la robe. En trouverez-vous bien de semblables sous le manteau ? Criez tant que vous voudrez que le manteau est l'habit des fourbes, des affronteurs, et des plus mauvaises gens du monde, vous ne m'en nommerez pas un qui ait commis le moindre des crimes que je viens de citer. Je confesse qu'Esope et son fils portèrent le manteau; mais qu'y a-t-il de comparable en leur vie aux taches que nous re marquons dans celle de ces derniers? Le père, pour manger somptueusement des oiseaux qu'on estimait beaucoup de son temps, fit de grands frais, c'était un gausseur qui se voulait moquer du luxe de son siècle, qui ne faisait cas que de l'argile et de la plume: le fils avala des perles, il le pouvait faire par motif de santé, pour imiter son père, et contrôler des dames qui dépensaient tant en perles, afin de montrer qu'elles étaient aussi peu des ornemens de vanité que des morceaux de friandises; quoi qu'il en soit, s'il y a autre chose en leurs dépenses que la satire, il y a quelque espèce de sobriété, au lieu qu'il n'y a qu'intempérance en celles de ceux-ci, qui ont mené une vie de pourceaux.

Ah! que je plains la ville qui a été remplie de tant d'ordures et de vilenies. Qui ôtera ces ordures et ces vilenies? qui nettoiera cette ville? qui purgera l'air qu'on y respire, et que tant de pestes ont rendu contagieux? La

robe même n'en est-elle pas infectée? Qu ôtera l'infection? les salutaires enseignemen qui se donnent dans le manteau, la phi losophie qu'on professe dessous, et les pré ceptes qu'elle donne indifféremment à tous. I n'y a point d'autre remède.

Un personnage d'Euripide avoue que le dis cours d'un homme sage l'avait guéri autrefois en lui démontrant la fausseté de tant d'opi nions qui l'avaient corrompu et rendu vicieux, Je dirai bien davantage, quand on ne pourrait parler, quand l'enfance ou la honte nous lierait la langue, et nous ferait garder le silence, il n'est pas besoin d'autre langage que de celui du manteau, il parle et se fait entendre à tout le monde. La vie et les actions dans un philosophe qui n'a ni bouche pi langue sont un puissant discours, et la philosophie se plaît bien plus à faire qu'à dire. Voir un philosophe, c'est l'entendre; il nous parle par les yeux, dont les impressions en matière de mœurs sont bien plus vives et efficaces que celles des oreilles. Les vicieux fuient sa présence, s'éloignent de lui, et ne le peuvent souffrir; s'il leur arrive de le rencontrer, il est pour eux un sujet de confusion; ils deviennent muets, et leurs silence les accuse et les convainc de folie. Il faut bien qu'ils soient fous, et que celui qu'ils rencontrent soit sage, puisqu'il y a tant d'opposi tion, et qu'ils succombent ainsi en ces ren contres.

En effet, qui n'est pas saisi et ne se sent pas extraordinairement ému aux approches d'un adversaire puissant et redoutable? Sa vue nous gêne; et le supplice même, si nous avions à l'endurer, nous causerait sans doute moins de transes. On n'a pas l'assurance de l'envisager, il s'élève aussitôt sur les yeux je ne sais que! nuage qui les offusque, et la conscience, qui cède intérieurement à la vérité, ne permet pas qu'on apporte la moindre résistance. Qu'a un homme méchant et pervers à dire à un homme juste et vertueux? Le moyen de regarder celui qu'on craint dans son âme, et de pouvoir dissimuler une crainte qui se montre sur le visage?

Certes il faut bien dire que le manteau apporte de grands avantages à une république en confondant ainsi les vicieux à la seule pensée qu'ils en ont pour donner de la honte au plus

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fronté, et le faire rougir, il suffit de lui parler manteau: quand il n'aurait que cela, il vaut beaucoup. Si la vertu est le soutien des États, qui ne voit pas que le manteau est celui de la vertu, à qui il donne tant d'avantage sur le vice, que pour le surmonter il faut seulement opposer une légère pensée de cet habit? aussi 'y en a-t-il point que la vertu préfère.

Je laisse maintenant aux philosophes qui me portent, à penser combien ils sont nécessaires en un État, en quoi ils lui peuvent servir, et quel bien il peut recevoir d'eux. Ce ne sont pas seulement les philosophes qui portent le manteau, il y en a bien d'autres, et qui ne sont pas moins utiles au public. C'est celui qui apprend à lire et à compter, c'est le grammairien, le rhetoricien, le philosophe, le médecin, le poëte, le musicien, l'astrologue et l'augure en un mot tous ceux qui font profession des arts libéraux.

Vous me direz qu'il n'y a pas de comparaison entre eux et les chevaliers romains. Il est vrai que ceux-ci sont plus nobles; on les considère davantage, et ils ont le pas devant; mais n'en concluez pas que la robe soit plus honnête que le manteau. Cela serait bon si d'autres que les chevaliers romains ne portaient pas la robe, les plus méprisables la portent. Les maîtres d'escrime et les glad ateurs ne sont-ils pas tout ce qu'il y a de bas parmi le peuple? Toutefois je les vois tous en robe, et ce qui est étrange, quand ils se présentent au combat dans l'amphithéatre. Vraiment je ne conçois pas qu'on blame tant un homme pour avoir quitté la robe pour le manteau.

Voilà ce que le manteau a dit pour sa défense; voilà les raisons qu'il a opposées à la calomnie de ceux qui l'accusaient d'être habit

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des imposteurs. Elles sont pressantes à la vérité, et je ne sais ce qu'il reste à ses adversaires pour appuyer leur injustice; mais pour le rendre plus glorieux et lui donner moyen de triompher tout à fait de ses ennemis, et se réjouir parfaitement malgré la médisance, je l'avertis qu'une secte nouvelle, mais que Dieu même a instituée, l'a choisi pour être l'habit de ceux qui l'ont embrassée, et qui ont fait vœu d'en pratiquer toutes les plus saintes et religieuses maximes. Manteau, c'est à toi que je parle maintenant; tu pensais seulement couvrir les sectateurs de Zénon et d'Épicure, sache que tu couvres les chrétiens, qui sont les disciples du Fils de Dieu; la philosophie que cet incomparable maître leur a enseignée est toute divine, et celle de Zénon et d'Épicure purement humaine, c'est-à-dire défectueuse et pleine d'erreurs la preuve que je te donne de ce bonheur, c'est que je te porte, et que je suis chrétien. Regarde si je ne suis pas en manteau, je fais profession du christianisme, mais vivant conformément à tout ce que cette sainte discipline exige de ceux qui la professent. Si tu es susceptible de quelque sorte de joie et d'allégresse, en voici le plus grand sujet que tu puisses jamais avoir. Fais donc paraître ta joie au dehors par des signes qui soient sensibles à tes ennemis, reproche-leur la fausseté de celle qu'ils ont témoignée en t'outrageant injustement, toi à qui ils n'ont plus rien à reprocher depuis que tu couvres les épaules du chrétien, c'est-à-dire de disciple de Jésus-Christ, qui est la vérité même, et le protecteur de l'innocence. Tant que je trouverai grâce devant lui, je ne saurais craindre les attaques de mes ennemis, C'est lui qui doit donner de la vogue à nos habits, puisqu'il doit approuver toute notre vie,

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TRAITÉ DU VÊTEMENT DES FEMMES.

Si l'on avait autant de foi sur la terre que l'on en attend de récompense dans le ciel, je suis persuadé, mes chères sœurs, qu'il n'y en aurait pas une parmi vous qui, après avoir connu Dieu et fait réflexion sur sa propre misère, voulût faire paraître de la gaieté, pour ne pas dire de l'orgueil, dans les habits; mais qu'au contraire on ne vous verrait rechercher que les plus grossiers et les plus simples. Ce serait en cet état que l'on reconnaîtrait en vous Ève affligée et pénitente, et vous effaceriez par votre modestie la honte du premier crime, que vous tirez de la première femme, et le reproche que l'on fait à votre sexe d'être la cause de la perte du genre humain. Après tout, la femme peutelle méconnaître en sa personne cette première Eve, puisqu'elle enfante comme elle avec douleur, qu'elle souffre la même peine, et qu'elle vit dans la même dépendance. Le châtiment de la première femme demeure toujours sur tout son sexe, il faut donc que tout le sexe participe encore à sa faute. Quoi donc, femme malheureuse, tu es la porte du démon, tu as reçu de lui pour notre perte du fruit défendu, tu t'es révoltée la première contre ton auteur, tu as séduit celui que le diable n'avait osé attaquer, tu as effacé dans l'homme les plus beaux traits de la Divinité, enfin pour réparer ta faute il en a coûté la vie au Fils de Dieu, et tu prétends encore te parer de ces peaux qui n'ont été faites que pour couvrir ta honte 1!

Si dès le commencement du monde les laines les plus fines des Milésiens, et le coton que les Scythes recueillirent avec soin sur les arbres avaient été en usage; si le luxe avait déjà donné du prix à l'écarlate de Tyr, à l'aiguille des Phrygiens et aux broderies des Babyloniens; si dès ce temps-là l'on se fût avisé de rehausser l'éclat des habits par la blancheur des perles et

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par le brillant des pierres précieuses; enfin, si l'avarice des hommes avait déjà tiré l'or du centre de la terre, et si la curiosité des femmes avait inventé l'usage du miroir, pour tromper plus facilement les yeux par des agrémens empruntés; si, dis-je, tout cet appareil d'orgueil et de vanité avait eu lieu dans le monde des son commencement, pensez-vous que la première Ève, encore tout accablée du poids de son péché, chassée d'un paradis de délices et d'un séjour de bonheur; enfin à demi morte et de la force de son repentir et du pressentiment de la mort qu'elle venait de mériter, pensez-vous, dis-je, qu'en cet état elle eût recherché avec soin tant de vains et de superbes ornemens pour couvrir un misérable corps, et pour éviter une honte dont le péché avait été la cause? Si donc vous voulez faire revivre en vous cette première Ève mortifiée et pénitente, il faut vous résoudre à ne rechercher et à ne connaître plus ce qu'elle n'avait ni ne connaissait pendant qu'elle vivait. Tous ces vains ornemens ne font qu'embarrasser une femme déjà morte à la grâce et presque condamnée ; et il semble qu'ils ne sont destinés que pour servir à sa pompe funèbre.

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En effet, ceux qui les ont inventés, je veux dire ces enfans de Dieu qui l'abandonnèrent pour posséder les filles des hommes 1, ont aussi été condamnés à la peine de la mort, et ceci est encore désavantageux à la femme; car ce furent eux qui, après avoir découvert dans un siècle grossier plusieurs choses que la nature avait utilement cachées, et enseigné plusieurs arts qu'il aurait été bon que l'on eût ignorés. Ce furent eux, dis-je, qui montrèrent aux hommes à chercher les métaux jusque dans les entrailles de la terre, qui publièrent la force et les propriétés des herbes, qui firent les premiers en

1 Genèse, 6.

chantemens, et qui prétendirent avoir trouvé dans la disposition des astres la science de l'avenir. Mais leur soin principal, ce fut de fournir aux femmes tous ces instrumens de vanité dont elles se parent avec tant d'affectation, c'est de leur main qu'elles tiennent l'éclat des diamans dont brillent leurs colliers, tout l'or de leurs bracelets, et cette agréable diversité de couleurs dont on teint les étoffes en un mot toutes les différentes drogues dont elles se servent pour se farder et se déguiser le visage. L'on peut déjà juger de la nature de toutes ces choses par la qualité et l'état de ceux qui les ont inventées, et il faut être aveugle pour ne pas conclure que des pécheurs ne conduisent jamais à l'innocence, que des amans séducteurs n'enseignent jamais les moyens de se conserver dans la chasteté, et que des esprits rebelles et déserteurs du ciel ne sauraient nous inspirer la crainte d'un Dieu qu'ils ont abandonné. Si leurs inventions sont des sciences, de si méchants maîtres ne sauraient les bien enseigner; et si ces présens sont le prix de l'impudicité, que peut-il y avoir de plus honteux?

Mais enfin à quel dessein croyez-vous que ces esprits réprouvés aient eu tant de soin de fournir aux femmes tout cet équipage superbe dont elles sont si curieuses ? c'était peut-être de peur qu'elles n'eussent pas assez de charmes naturels pour s'attirer les yeux et le cœur des hommes tout sensuels qu'ils sont; mais ces mêmes charmes avaient bien pu, sans le secours d'aucuns ornemens étrangers, les séduire eux-mêmes et les précipiter dans le dernier aveuglement. Peutêtre qu'ils avaient peur de passer pour des ingrats et pour des avares s'ils ne faisaient quelque présent à leurs maitresses; mais ils ne pouvaient pas craindre de reproche de ce côté-là, elles s'estimaient trop heureuses d'avoir pu plaire à des anges. La véritable cause de ces funestes présens a été le désespoir de ces esprits voluptueux et la jalousie qu'ils ont conçue de votre bonheur; car en pensant au lieu d'où ils étaient déchus, et soupirant quelquefois après un bonheur que cette beauté naturelle des femmes leur avait fait perdre, puis, s'en prenant à ces charmes innocens comme à la cause de leur chute, ils ne pensèrent plus qu'à les défigurer et à les rendre

criminels, sous pretexte de les récompenser, afin que les femmes, déchues de cette première simplicité qu'elles avaient reçue de Dieu, participassent avec eux au péché comme elles participaient au plaisir. Ils savaient bien que la vaine gloire, que l'ambition, que le désir de plaire par la chair déplaisait à Dieu, que ces passions criminelles sont ces mauvais anges auxquels nous avons renoncé au baptême, que ce sont ces anges que nous devons juger, et que c'est par la superbe et par la vanité que les anges réprouvés ont mérité d'être jugés par les hommes. Mais comment les hommes pourrontils condamner des choses dont ils recherchent la possession' ? Quel commerce peut-il y avoir entre le juge et le coupable? Je ne pense pas qu'il y en ait plus qu'entre Jésus-Christ et Bélial. De quel front enfin l'homme pourra-t-il juger ceux dont il aura reçu les présens? car dans cette consommation des siècles il n'y aura point de distinction de sexe, mais les hommes seront en cela semblables aux anges 2, et les saintes femmes participeront avec le reste des élus au privilége de juger les réprouvés; mais si nous ne condamnons pendant cette vie les choses que nous devons condamner, il est à craindre que nous ne soyons jugés par ceux que nous devions juger.

Je sais que le livre d'Enoch, sur l'autorité duquel est appuyé ce que j'ai dit ci-dessus de ces anges déserteurs, ne passe pas ordinairement pour canonique, parce qu'il ne se trouve pas au nombre de ceux que les Juifs reçoivent pour tels. Il y a de l'apparence qu'ils n'ont pas cru que cet ouvrage fait avant le déluge ait pu se conserver nonobstant cette ruine générale du monde; mais s'il n'y a que cette raison qui les empêche d'y ajouter foi, ils n'ont qu'à penser que Noé, petit-fils de Mathusalem qui était fils d'Enoch, survécut au déluge, et qu'il était parfaitement instruit et avait appris par tradition les grâces que Dieu avait faites à son bisaïeul, et toutes les choses qu'il avait enseignées, puisqu'il est certain qu'Enonch ne recommanda rien tant à Mathusalem que d'en conserver la mémoire et de la transmettre à la postérité. Noé conservait donc apparemment avec un très

1 Héb., 1; Cor. 1; Luc, 22. 2 Matth., 24.

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