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loue Neptune à Laomedon pour bâtir les murs de Troie. Pindare, ce fameux lyrique, chante qu'Esculape fut brûlé de la foudre pour avoir exercé la médecine avec une avarice criminelle. Si c'est la foudre de Jupiter, on ne peut excuser Jupiter d'inhumanité, pour avoir lui-même tué son petit-fils, ni d'envie, pour avoir fait périr un si habile homme. Des hommes religieux ne devaient pas divulguer ces faits s'ils sont vrais, ni les inventer, s'ils sont faux. Les poëtes tragiques et comiques ne sont pas plus réservés que les autres ; ils se plaisent à prendre pour sujets de leurs pièces les malheurs ou les égaremens de quelqu'un de vos dieux.

Je ne parle pas de philosophes: je ne citerai que Socrate, qui, pour se moquer des dieux, avait coutume de jurer par un chène, par un bouc et par un chien. Aussi a-t-il été condamné comme athée: le sort de la vérité fut toujours d'ètre haïe et persécutée. Cependant les Athéniens ayant cassé dans la suite ce jugement inique et puni les accusateurs de Socrate, lui ayant dressé à lui-même une statue d'or dans un temple, l'ont suffisamment justifié. Diogène n'a-t-il pas fait certaines railleries sur Hercule? Et le cynique romain Varron a imaginé trois cents Jupiters sans tètes.

XV. Les auteurs de vos farces ne vous divertissent qu'en couvrant d'opprobres les dieux. Croyez-vous rire des comédiens ou des dieux, dans les mimes des Lentulus et des Hostilius ? dans Anubis adultère, la lune homme, Diane battue de verges, le Testament de Jupiter, les trois Hercules affamés? Ne représente-t-on pas au naturel toute la turpitude de vos dieux ? Le soleil pleure son fils précipité du ciel, vous en riez Cybèle soupire pour un berger dédaigneux, vous n'en rougissez pas, on chante les histoires scandaleuses de Jupiter; Pàris juge Junon, Vénus et Minerve, et vous le souffrez.

De plus se sont les derniers, les plus infàmes des hommes qui jouent les rôles de vos dieux, qui représentent un Hercule, une Minerve. N'est-ce pas là insulter, avilir la majesté des dieux ? Et vous pouvez applaudir!

Êtes-vous plus religieux dans le cirque, où, parmi l'horreur des supplices, parmi des flots de sang humain, vos dieux viennent danser et fournir aux criminels le sujet des farces qu'ils donnent au public? Souvent même ces malheu

reux prennent la place et subissent le sort des dieux. Nous avons vu celui qui jouoit Atys, ce dieu de Pessinunte, devenir eunuque sur le théâtre, l'Hercule expirer dans les flammes. Nous avons vu, non sans rire beaucoup, dans les jeux barbares du midi, le Mercure sonder les morts avec sa verge brûlante; le frère de Jupiter précipiter dans les enfers, à coups de marteau, les corps des gladiateurs. Si ce que j'ai dit, et ce que d'autres pourront remarquer après moi, outrage et déshonore vos dieux, de pareilles licences décèlent par conséquent un souverain mépris pour leurs personnes, et dans les acteurs et dans les spectateurs qui leur applaudissent.

«Mais, dites-vous, ce ne sont là que des jeux. Si j'ajoute donc, ce que tout le monde avouera au moins tout bas, que c'est dans vos temples, que c'est au pied des autels que se traitent les adultères, les plus infàmes commerces; que c'est pour l'ordinaire chez les prètres et les ministres des dieux, sous les bandelettes, sous la pourpre et les ornemens sacrés, tandis que l'encens fume encore, que la passion s'assouvit; je ne sais si vos dieux n'auront pas plus à se plaindre de vous que des chrétiens. Du moins tous les sacriléges sont parmi vous: les chrétiens n'entrent pas, même de jour, dans vos temples. Mais peut-être que s'ils adoraient de pareilles divinités, ils les voleraient comme

vous.

Qu'adorent-ils donc ? Il y a lieu d'abord de présumer qu'ils adorent le vrai Dieu, puisqu'ils rejettent les faux dieux; qu'ils ne donnent plus dans l'erreur, puisqu'ils l'ont abjurée dès qu'ils l'ont reconnue. Je vous expliquerai bientôt les dogmes secrets de notre religion. Mais il faut auparavant effacer les fausses impressions que vous en avez prises.

XVI. Quelques-uns de vous ont révé que notre Dieu était une tête d'âne: Tacite est l'auteur de ce conte. Dans le cinquième livre de son histoire, où il parle de la guerre des Juifs, il remonte à l'origine de cette nation; et après avoir dit sur cet article, sur le nom et la religion des Juifs, tout ce qu'il lui a plu, il raconte que les Juifs, libres du joug de l'Égypte, ou comme il pense, chassés de ce pays, et traversant les vastes déserts de l'Arabie, étaient près de mourir de soif, lorsqu'ils aperçurent des

ånes sauvages qui allaient boire, et qui leur montrèrent une source: il ajoute que par reconnaissance ils ont érigé l'àne en divinité. De là on a conclu que les chrétiens, comme enclins aux superstitions judaïques, adoraient la mème idole.

Cependant ce même historien, si fertile en mensonges, rapporte dans la même histoire, que Pompée, après s'être rendu maître de Jérusalem, entra dans le temple pour connaître ce qu'il y avait de plus secret dans la religion des Juifs, et qu'il n'y trouva point ce simulacre. Assurément si c'eût été un objet d'adoration pour les Juifs, ils l'eussent placé dans le sanctuaire plutôt que partout ailleurs, puisqu'il y eût été à l'abri des regards profanes. Il n'était permis qu'aux prètres seuls d'y entrer; et le voile qui le séparait du reste du temple en dérobait la vue à tous les autres Pour vous, vous ne nierez pas que vous n'adoriez les chevaux et les bètes de charge, avec leur déesse Épone. Voilà peut-être ce que vous trouvez à redire dans les chrétiens, c'est que vivant parmi les adorateurs de toute espèce de bètes ils se bornent à vénérer l'àne. Quant à ceux qui nous reprochent de rendre un culte à la croix, diffèrent-ils de nous au fond s'ils en rendent un au bois ? Qu'importe ici la forme si la matière est la même, et si cette matière est censée le corps d'un dieu ? Y a-t-il grande différence d'une croix à la Pallas athénienne, à la Cérès du Phare, qui n'est autre chose qu'une pièce de bois grossière et informe? Tout morceau de bois fait partie d'une croix : ainsi nous adorerions le dieu tout entier. Nous avons vu plus haut que vos dieux se forment sur une croix. D'ailleurs, en adorant les victoires, vous adorez les croix qui sont au milieu des trophées. Vos armées révèrent leurs enseignes, jurent par elles, les préfèrent même à tous les dieux. Ces images superbes, ces voiles, ces étoffes précieuses de vos drapeaux et de vos étendards, semblent destinées à décorer et à enrichir les croix. Je loue votre goût, de n'avoir pas voulu les adorer nues et sans ornemens.

D'autres, avec plus de vraisemblance et de raison, croient que le soleil est notre dieu. Il faudrait alors nous ranger parmi les Perses, quoique nous n'adorions pas comme eux l'image du soleil sur nos boucliers. Le fondement de ce soupçon est apparemment que nous nous

tournons vers l'orient pour prier. Mais ne voit-on pas la plupart de vous, tournés vers le même point du monde, affecter d'adorer le ciel et de remuer les lèvres ? Si nous donnons à la joie le jour du soleil, c'est pour une raison toute autre que pour le culte du soleil. Nous célébrons le jour qui suit immédiatement celui de Saturne, que vous passez dans l'oisiveté et les festins, bien différemment des Juifs, dons vous ignorez la loi et les rites.

Mais depuis peu on a fait paraître notre Dieu dans cette ville sous une forme nouvelle. Un de ces hommes qui se louent pour combattre contre les bêtes, a exposé un tableau avec cette inscription: «Le Dieu des chrétiens, race d'àne. >> Il y était représenté avec des oreilles d'àne, un pied de corne, un livre à la main, et vêtu de la toge. Nous avons ri, et du nom et de la figure. Mais dans le vrai, ce monstre était le dieu qui convenait parfaitement à ceux qui adorent des divinités avec des têtes de lion et de chien, des cornes de chèvres et de bélier, boucs depuis les reins, serpens depuis les cuisses, portant des ailes au dos ou aux pieds.

Je n'étais pas obligé d'entrer dans ce détail: je l'ai fait pour ne pas être soupçonné d'avoir voulu rien déguiser. L'exposition de notre foi va mettre le sceau à notre apologie.

XVII. Ce que nous adorons est un seul Dieu, qui par sa parole, sa sagesse et sa toute-puissance, a tiré du néant le monde avec les élémens, les corps et les esprits, pour être l'ornement de sa grandeur. C'est pour cela que les Grecs ont donné au monde un nom qui signifie ornement1. Dieu est invisible, quoiqu'il se montre partout; impalpable, quoique sa grâce nous trace son image; incompréhensible, quoique la raison humaine le connaisse. C'est ce qui prouve à la fois son existence et sa grandeur. Car ce qu'on peut voir à la manière ordinaire, ce qu'on peut toucher et comprendre, est moindre que les yeux qui voient, que les mains qui touchent, que la raison qui comprend. Mais ce qui est immense ne peut être parfaitement connu que de soi-même. Rien ne donne une idée plus magnifique de Dieu que l'impossibilité de le concevoir son infinie perfection le découvre et le cache tout à la fois aux hommes. Voilà pourquoi

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ils sont inexcusables de ne pas reconnaître celui qu'ils ne sauraient ignorer.

appelés prophètes parce qu'ils prédisaient l'avenir. Leurs prophéties et les miracles qu'ils ont faits, pour prouver la divinité de leur mission, sont consignés dans des livres sacrés, qui sont maintenant publics. Le plus savant des Ptolé

Voulez-vous que nous prouvions l'existence de Dieu par ses ouvrages, par ceux qui nous environnent, qui nous conservent, qui nous réjouissent, qui nous effraient ? par le témoi-mées, surnommé Philadelphe, très-curieux en

gnage même de l'âme, qui, malgré la prison du corps, malgré les préjugés et la mauvaise éducation, malgré la tyrannie des passions, l'esclavage des faux dieux, lorsqu'elle se réveille comme de l'ivresse ou d'un profond sommeil, lorsqu'elle recouvre pour ainsi dire la santé, invoque Dieu sous le seul nom qui lui convienne? «Grand Dieu! Bon Dieu! Ce qui plaira à Dieu. » Ce langage est à la bouche de tout le monde. Elle le reconnaît aussi pour juge par ces påroles: «Dieu le voit. Je mets ma confiance en Dieu. Dieu mé le rendra.» O témoignage de l'âme naturellement chrétienne! Et en disant cela elle ne regarde pas le Capitole, mais le ciel. Elle sait que c'est là que Dieu a son palais; que c'est de là qu'elle-même tire son origine, puis qu'elle la tire de Dieu.

XVIII. Pour nous donner une connaissance plus parfaite de lui-même et de ses volontés, Dieu nous accorde le secours de l'Écriture, que consultent tous ceux qui le cherchent dans la vue de croire en lui, et de le servir après l'avoir trouvé; car dès le commencement il a envoyé dans le monde des hommes dignes, par leur justice et leur innocence, de le connaître. Il les a inondés de son esprit, pour annoncer qu'il n'y a qu'un Dieu, qui a tout créé, qui a formé l'homme de terre ( c'est là le vrai Prométhée); qui a réglé pour jamais le cours des saisons; qui a semé la terreur de ses jugemens par les feux et par les eaux; qui a donné des préceptes pour lui plaire, que vous ignorez, ou que vous transgressez, mais auxquels sont attachées des récompenses dignes de lui. Car à la fin du monde tous les morts ressusciteront et comparaîtront à son tribunal, pour recevoir le supplice ou la récompense qu'ils auront méritée. Il accordera à ses fidèles adorateurs une félicité éternelle; il condamnera les profanes à des flammes également éternelles. Nous avons ri comme vous de ces dogmes; nous avons été des vôtres les hommes ne naissent pas chrétiens: ils le deviennent.

Les prédicateurs dont nous avons parlé, sont

tout genre de littérature, ayant conçu le projet de former une nombreuse bibliothèque, à l'exemple peut-être de Pisistrate, donna tous ses soins pour rassembler les livres les plus anciens et les plus renommés; et par le conseil du célèbre Démétrius de Phalère, son bibliothécaire, il fit demander aux Juifs leurs livrés écrits en leur langue, et qui ne pouvaient se trouver que chez eux. Les prophètes, qui étaient tous Juifs, n'avaient prophétisé que pour les Juifs, que Dieu avait adoptés pour son peuple dans la personne de leurs pères. Les Juifs sont originairement Hebreux. C'est pour cela qu'ils parlent hébreu, et que leurs livres sont écrits en cette langue. Pour en donner l'intelligence à Ptolémée, ils lui envoyerent soixante-dix interprètes. Menedème, philosophe religieux, a été frappé de l'uniformité de leur version: Aristée vous en a laissé l'histoire en grec. On voit encore aujourd'hui ces livres dans la bibliothèque de Ptolémée, près du temple de Sérapis, avec l'original hébreu. Les Juifs ont la liberté de les lire publiquement moyennant un tribut on a coutume d'aller entendre cette lecture payée le jour du sabbat. Si on y va pour connaître le vrai Dieu, on le trouvera; on ne pourra même se dispenser de croire en lui.

XIX. La grande antiquité de ces livres leur donne une autorité supérieure à celle de tous les autres. Chez vous l'antiquité va de pair avec la religion. Or les livrés d'un seul de nos prophètes, qui sont comme un trésor où se gardent tous les mystères de la religion juíve, et par conséquent de la religion chrétienne; oui, ces livres devancent de plusieurs siècles ce que vous avez de plus antique: vos édifices, vos monumens, vos origines, vos ordres, votre histoire, les sources de votre histoire, là plupart même des nations, les villes les plus fameuses, jusqu'aux caractères de l'écriture, témoins et gardiens de toutes les choses humaines. Je n'en dis pas assez; ils sont antérieurs de plusieurs siècles à vos dieux, à vos temples, à vos oracles, à vos sacrifices.

Si vous avez entendu parler de Moïse, il est contemporain d'Inachus, roi d'Argos', antérieur de cent soixante-dix ans à Danaus, un de vos plus anciens rois, de près de huit cents à la fondation de Rome, d'environ mille au desastre de Priam'. Je pourrais aussi, avec plusieurs chronologistes, le faire précéder Homère de plus de cinq cents ans. Tous les autres prophètes sont postérieurs à Moïse; et cependant les moins anciens devancent encore les plus anciens de vos sages, de vos législateurs, et de vos historiens.

La preuve de ce que je viens d'avancer n'est pas difficile, mais elle est immense, elle demande de longs calculs. Il faut ouvrir les archives des peuples les plus anciens, des Egyptiens, des Chaldéens, des Phéniciens; il faut consulter leurs historiens, Manéthon d'Égypte, Bérose de Chaldée, Iromus de Phenicie, roi de Tyr, et ceux qui ont écrit d'après eux, Ptolémée de Mendés, Ménandre d'Ephèse, Démétrius de Phalère, le roi Juba, Appion, Thallus et le Juif Joseph, qui tantôt les suit, tantôt les combat. Il a écrit en grec les antiquités de son pays.

Il faudrait aussi conférer les annales des Grecs, s'attacher à fixer les dates de chaque événement, pour former une chaîne des temps exacte et lumineuse; il faudrait feuilleter les histoires du monde entier. Nous avons déjà fait une partie de la preuve, en indiquant les sources d'où on peut la tirer. Nous nous en tenons là aujourd'hui, de peur ou de la tronquer en nous pressant, ou de nous écarter trop, en voulant la mettre dans tout son jour.

XX. Nous allons vous dédommager de ce délai. Si nous ne prouvons pas à présent l'antiquité de nos écritures, nous faisons quelque chose de plus, nous allons prouver leur divinité. La preuve ne se fera pas attendre ni chercher; nous l'avons sous les yeux : c'est le monde même et tout ce qui s'y passe. Ce qui arrive, ce que nous voyons tous les jours, a été prédit; il a été prédit que la terre engloutirait des villes; que la mer submergerait des îles; que des guerres intestines et étrangères déchireraient les hommes; que les royaumes se cho

'Moïse est pos'érieur à Inachus de plus de deux siècles, et antérieur à Danaus d'environ un demi-siecle.

Il faudrait, pour l'exactitude chronologique d'environ trois cents ans.

queraient les uns les autres; que la famine, la peste, des calamités publiques, désoleraient certains pays; que les bètes féroces feraient de grands ravages; que les petits seraient élevés, et les grands humiliés; que la justice deviendrait plus rare; que l'injustice se fortifierait; que l'amour de toutes les vertus s'affaiblirait; que les saisons mêmes et les élémens se dérangeraient; que des monstres et des prodiges troubleraient le cours de la nature.

Tandis que nous souffrons toutes ces épreuves, nous les lisons dans nos Écritures. Mais nous ne pouvons les y reconnaître sans avoir en même temps une preuve invincible en faveur des livres où elles sont annoncées. L'accomplissement des prophéties est, ce me semble, un garant de leur divinité. Les prophéties déjà accomplies nous font croire celles qui restent à s'accomplir. Les mèmes bouches les ont prononcées, les mêmes mains les ont écrites, le mème esprit les a dictées. Il n'y a qu'un temps pour les prophètes: à leurs yeux tout est présent. Les hommes ordinaires distinguent avec soin tous les temps: l'avenir devient le présent, et le présent est aussitôt le passé. Or, je vous le demande, avons-nous tort de croire pour l'avenir ceux que nous avons trouvés si vrais pour le présent et pour le passé ?

XXI. Comme nous venons de dire que la secte des chrétiens a pour fondement les livres des Juifs, les plus anciens qui existent, et que cependant, de notre aveu même, elle ne remonte pas au delà du règne même de Tibère, on nous accusera de chercher à répandre des opinions nouvelles et téméraires, à l'ombre d'une religion fameuse et permise dans l'État, tandis que nous n'avons rien de commun avec elle; ni l'ancienneté, ni l'abstinence de certaines viandes, ni les fètes, ni la circoncision, ni même le nom, ce qui devrait être, selon vous, si nous reconnaissions le mème Dieu. Le peuple même sait que le Christ a paru sur la terrè comme un homme ordinaire, et que les Juifs l'ont jugé tel. De là il se croit fondé à nous accuser d'adorer un homme.

Nous n'avons garde de rougir de Jésus-Christ. Nous nous glorifions au contraire d'être persécutés et condamnés pour son nom; mais nous n'avons pas d'autre Dieu que les Juifs. Pour me faire entendre, il est nécessaire de vous expli

quer en peu de mots notre croyance sur la divinité de Jésus-Christ.

Les Juifs seuls étaient agréables à Dieu, à cause de la foi et de la justice de leurs pères. De là la grandeur de leur nation. Leur royaume florissait et était heureux à un tel point que Dieu lui-même les instruisait, les avertissait de lui être fidèles et de ne point l'offenser; mais follement enflés des vertus de leurs ancètres, ils abandonnèrent sa loi pour se plonger dans l'impiété et dans toute sorte de crimes. Quand ils n'en conviendraient pas, leur état actuel le prouverait assez. Dispersés, vagabonds, bannis de leur patric, ils errent partout, sans avoir ni Dieu ni homme pour roi; sans qu'il leur soit permis de mettre le pied dans leur pays, mème comme étrangers.

Les saints oracles qui les menaçaient de ces malheurs leur annonçaient aussi que dans les derniers siècles Dieu se choisirait parmi tous les peuples et dans tous les lieux des adorateurs beaucoup plus fidèles, à qui il accorderait des grâces plus abondantes, à cause de la dignité du nouveau législateur. Il était prédit que l'auteur de cette grâce et de cette loi, le maître qui viendrait éclairer, réformer et conduire le genre humain, serait le Fils de Dieu; mais non pas un fils qui rougit du nom de fils, et des désordres de son père, qui dût le jour à l'inceste d'une sœur, à la faiblesse d'une fille, à l'infidélité d'une épouse étrangère, à un père métamorphosé en serpent, en taureau, en oiseau, en pluie d'or (vous reconnaissez là voire Jupiter). Le Fils de Dieu n'est pas même né d'un mariage: sa mère ne connaissait aucun homme. Je vais vous expliquer sa nature, pour vous faire entendre le mystère de sa naissance.

J'ai déjà dit que Dieu avait créé le monde par sa parole, sa raison et sa puissance. Vos philosophes même conviennent que le monde est l'ouvrage de Dieu, c'est-à-dire de la parole et de la raison. C'est le sentiment de Zénon, qui l'appelle destin, Dieu, l'âme de Jupiter, la nécessité de toutes choses. Selon Cléanthe, ce sont là les attributs de l'esprit répandu dans toutes les parties de l'univers. Nous disons aussi que la propre substance du Verbe, de la raison et de la puissance par laquelle Dieu a tout fait, est un esprit ; verbe, quand il ordonne; raison, quand il dispose; puissance, quand il exécute.

Nous avons appris que Dieu l'a proféré, et en le proférant l'a engendré; que pour cette raison on lui donne le nom de Fils de Dieu, et celui de Dieu, à cause de l'unité de substance; car Dieu est l'esprit. Lorsque le soleil darde un rayon, ce rayon est une portion d'un tout: mais le soleil est dans le rayon, puisque c'est son rayon; et il ne se fait pas une séparation, mais seulement une extension de substance. Ainsi le Verbe est esprit d'un esprit. Dieu de Dieu, comme la lumière est une émanation de la lumière. La source de la lumière ne perd rien, ni de sa substance ni de son éclat, en se communiquant et en se répandant. De mème, ce qui procède de Dieu est Dieu et Fils de Dieu (et les deux ne sont qu'un), esprit de l'esprit, Dieu de Dieu; autre en propriété non en nombre, en ordre non en nature, sorti de son principe sans le quitter.

Ce rayon de Dieu, comme il a toujours été prédit, est descendu dans une vierge, s'est fait chair dans son sein: il naît homme uni à Dieu. La chair animée par l'esprit se nourrit, croît, parle, enseigne, opère, et c'est le Christ. Recevez toujours cette fable semblable aux vôtres, en attendant que je vous montre comment on prouve la divinité du Christ. Ceux qui parmi vous ont inventé des fables pour détruire la vérité que je vous annonce, savaient que le Christ devait venir. Les Juifs le savaient : c'est à eux que les prophètes l'avaient pronis. Ils l'attendent encore à présent, et le grand sujet de contestation entre cux et nous, c'est qu'ils soutiennent qu'ils n'est pas encore venu. Deux avénemens du Christ sont marqués dans les prophètes, l'un dans la bassesse de la condition humaine, il est passé ; l'autre dans la majesté de la Divinité qui se manifeste, c'est pour la fin des siècles. Les Juifs, ne comprenant pas le premier, espèrent le second qui a été prédit avec plus de clarté, et croient qu'il est l'unique. Leurs crimes les ont empèchés de croire le premier, qu'ils auraient cru s'ils l'eussent compris, et qui les aurait sauvés s'ils l'eussent cru. Ils lisent eux-mêmes dans leurs livres que Dieu, pour les punir, leur a ôté la sagesse et l'intelligence, l'usage des yeux et des oreilles. L'abaissement de Jésus-Christ le faisant paraître aux Juifs comme un pur homme, sa puissance devait le faire regarder comme un magicien.

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