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nuée qui le déroba à leurs yeux. Ce prodige est plus sûr que celui des Romulus, dont vous n'avez que des Proculus pour garans. Pilate, chrétien dans le cœur, rendit compte de tout ce que je viens de dire à l'empereur Tibère; et les empereurs eux-mêmes auraient cru au Christ s'ils n'étaient pas nécessaires au monde, ou qu'ils eussent pu être empereurs à la fois et chrétiens. Les apôtres, fidèles à leur mission, se partagèrent l'univers; et après avoir beaucoup souffert des Juifs avec le courage et la confiance que donne la vérité, ils semèrent le sang chrétien à Rome dans la persécution de Néron.

D'un mot chassant les démons des corps des hommes, éclairant les aveugles, guérissant les lépreux, ranimant les paralytiques, ressuscitant les morts, commandant aux élemens, apaisant les tempètes, marchant sur les eaux, il se montrait partout le Verbe éternel de Dieu, son premier-né, toujours rempli de sa sagesse, de sa puissance et de son esprit. Mais les docteurs et les premiers d'entre les Juifs révoltés contre sa doctrine, qui les confondait, furieux de voir le peuple courir en foule sur ses pas, forcèrent Pilate, commandant en Judée pour les Romains, de le leur abandonner pour le crucifier. Lui-même il l'avait prédit. Ce n'est pas assez, les prophètes l'avaient prédit long-chables de la divinité du Christ, ceux mèmes temps auparavant. Attaché à la croix il rendit l'esprit en parlant, et prévint le ministère du bourreau. A l'instant le jour disparut en plein midi. Ceux qui ignoraient que ce phénomène avait été prédit pour la mort du Christ, le prirent pour une éclipse. Dans la suite ne pouvant en découvrir la raison, ils l'ont nié, mais vous le trouvez rapporté dans vos archives.

Après qu'on eut détaché de la croix le corps du Christ, et qu'on l'eut mis dans le tombeau, les Juifs le firent garder avec soin par une troupe de soldats, dans la crainte que ses disciples ne l'enlevassent, et ne fissent croire à des gens déjà prévenus qu'il était ressuscité le troisième jour, comme il l'avait prédit. Mais le troisième jour la terre trembla tout à coup, la pierre qui fermait le tombeau fut renversée, les gardes furent saisis de frayeur; et sans qu'il eût paru aucun de ses disciples, on ne trouva plus dans le tombeau que les dépouilles d'un tombeau. Cependant les principaux d'entre les Juifs, intéressés à supposer un crime pour éloigner de la foi, pour retenir tributaire et dépendant un peuple prêt à leur échapper, répandirent le bruit que le corps du Christ avait été enlevé par ses disciples. Le Christ ne se moutra pas à la multitude, pour laisser les impies dans leur aveuglement, pour que la foi destinée à de magnifiques récompenses coûtàt quelque chose à l'homme; mais il demeura pendant quarante jours avec ses disciples dans la Galilée qui fait partie de la Judée, leur enseignant ce qu'ils devaient enseigner eux-mêmes. Ensuite les ayant chargés de prècher son Évangile par toute la terre, il monta an ciel environné d'une

Nous vous produirons des témoins irrépro

que vous adorez. Vous serez étonnés que nous nous servions, pour vous faire croire les chrétiens, de ceux qui vous empêchent de les croire.

En attendant voilà l'histoire et la date exacte de notre secte, de son auteur et de notre nom. Qu'on ne cherche plus à nous décrier comine des imposteurs. Il n'est permis à personne de mentir en parlant de sa religion; car en disant qu'on adore ce qu'on n'adore pas en effet, on renie le véritable objet de son culte ; on abjure sa religion en transportant à un autre les honneurs divins. Oui, nous le disons publiquement, au milieu des tortures et tandis que le sang jaillit de nos plaies, nous confessons hautement que nous adorons Dicu par le Christ. Croyez-le un homme si vous voulez. C'est par lui et en lui que Dieu veut être connu et adoré.

Je répondrai aux Juifs qu'eux-mêmes ils out appris d'un homme, c'est-à-dire de Moïse, à servir le vrai Dieu. Je répondrai aux Grecs qu'Orphée dans la Thrace, Musée à Athènes, Mélampe à Argos, Throphonius dans la Béotie, initiaient les hommes aux mystères des dieux. Je répondrai à vous-mêmes, ô maîtres de l'univers: Numa, qui n'était qu'un homme, mit les Romains sous le joug des plus gênantes superstitions. Qu'il soit donc permis au Christ de révéler le mystère de sa nature divine; je ne dis pas de chercher, comme Numa, à dompter, à humaniser un peuple grossier et farouche par le spectacle imposant et par le culte d'une foule de divinités ; mais qu'il soit permis de dessiller les yeux et de faire connaître la vérité à des hommes bien civilisés sans doute, mais trompés par leur urbanité même.

Examinez donc si le Christ est véritablement | Dieu, si sa religion corrige et rend meilleurs ceux qui la professent. Si cela est, il s'ensuit que toute autre religion qui lui est opposée est fausse; particulièrement celle qui, se cachant sous des noms et des images de morts, n'a pour preuve de sa divinité que quelques prétendus prodiges et des oracles,

XXII. Nous reconnaissons des substances spirituelles, et le nom mème que nous leur donnons n'est pas nouveau. Les philosophes savent qu'il y a des démons: Socrate n'attendait-il pas la réponse de son démon, qui s'était attaché à lui dès l'enfance, et qui ne pouvait que le porter au mal? Les poëtes savent qu'il y a des démons; le peuple mème le plus ignorant le sait; il emploie fréquemment dans ses juremens et dans ses imprécations le nom des démons et de leur chef qui est Satan. Platon reconnaît aussi des anges. Si nous écoutons les magiciens, nous apprendrons qu'il y a des démons et des anges. Mais comment, de quelques anges qui se sont volontairement pervertis, est venue la race plus perverse encore des démons réprouvés de Dieu avec leurs auteurs et leur chef? c'est ce qu'il faut voir en détail dans les livres saints,

Il suffira de parler de leurs opérations elles tendent toutes au malheur de l'homme. Dès le commencement du monde leur méchanceté s'est signalée en ce genre avec un succès trop complet. Ils causent au corps des maladies, de funestes accidens, font éprouver tout à coup à l'âme des émotions violentes et désordonnées : la subtilité de leur nature, qui échappe à tous nos sens, est très propre à cela. On ne peut apercevoir des esprits lorsqu'ils agissent, on ne les reconnaît qu'aux maux qu'ils ont faits; soit, par exemple, qu'une secrète altération de l'air fasse tomber les fleurs, étouffe les germes, ou gâte les fruits, soit que devenu infect il exhale des vapeurs pestilentielles.

C'est par des ressorts aussi cachés que les anges et les démons remuent les âmes, les corrompent, les jettent dans des accès de fureur et de démence, leur inspirent d'infàmes passions; les aveuglent à un tel point qu'ils se font adorer eux-mêmes, qu'ils vous font offrir à leurs simulacres des sacrifices et des parfums, dont ces esprits impurs se repaissent. Mais ce

qu'il y a de plus délicieux pour eux, c'est d'éloigner l'homme du vrai Dicu par leurs prestiges et par leurs oracles que je vais vous dévoiler.

Tout esprit a la vitesse d'un oiseau; c'est pourquoi les anges et les démons se transportent partout en un moment. Toute la terre n'est pour eux qu'un seul et même lieu; il leur est aussi facile de savoir ce qui se passe quelque part que de le publier. Leur vélocité, qui est le propre d'une nature qu'on ne connaît pas, les fait aisément passer pour dieux. Ils veulent paraître les auteurs de ce qu'ils annoncent ; ils le sont quelquefois du mal, jamais du bien ; ils ont même appris les desseins de Dieu, autrefois par les prophètes, à présent par leurs écrits. C'est ainsi qu'en dérobant à la Divinité ses secrets, ils sont parvenus à la contrefaire.

Quant à leurs oracles, Crésus et Pyrrhus peuvent nous apprendre combien ils sont habiles à les envelopper de manière qu'ils s'accordent toujours avec l'événement, quel qu'il soit. Si la prètresse sut à Delphes que Crésus faisait cuire une tortue, c'est que le dieu s'était transporté en Lydie dans le moment. Répandus dans l'air, portés sur les nues, voisins des astres, il leur est fort aisé de prédire les changemens de temps.

Vous avez bien raison de vanter leur bienfaisance à guérir les maladies; ils commencent par les donner, ils ordonnent ensuite des remèdes inouïs ou contraires à la maladie ; et on croit qu'ils ont guéri le mal, lorsqu'ils ont cessé simplement d'en faire. A quoi bon citer après cela les prodiges et les prestiges de ces esprits trompeurs, ces fantômes sous la figure de Castor et de Pollux, l'eau qu'une yestale porte dans un crible, le vaisseau qu'une autre tire avec sa ceinture, cette barbe qui devient rousse sur-le-champ? Et pourquoi tous ces prodiges? pour faire adorer des pierres au préjudice du vrai Dieu.

XXIII. Or, si les magiciens font paraître des fantômes, s'ils évoquent les âmes des morts, s'ils font rendre des oracles à des enfans, à des chèvres, à des tables, s'ils imitent les prodiges en habiles charlatans, s'ils savent même envoyer des songes par le moyen des anges et des démons qu'ils ont invoqués, et qui leur ont confié leur pouvoir; à plus forte raison ces puissances séductrices feront-elles pour elles-mêmes

ce qu'elles font pour des intérêts étrangers. Mais si vos dieux ne faisaient rien de plus que les anges et les démons, que deviendrait la prééminence, la supériorité qui caractérise essentiellement la nature divine? Vous persuaderez-vous que les dieux ne soient rien de plus

vinité qui dépend des hommes, et, ce qui serait encore plus humiliant, de ses adversaires? Si d'un autre côté ils sont anges ou démons, pourquoi répondent-ils qu'ailleurs ils se donnent pour des dieux? De même que ceux qui passent pour dieux, s'ils l'étaient réellement, ne se di

que les anges et les démons ? N'est-il pas vrai-raient pas des démons, pour ne point se dégrader

semblable que ces mèmes esprits, qui par leurs prodiges vous font croire aux dieux, se font aussi adorer de vous sous leur nom? Ou toute la différence viendrait-elle des lieux, de sorte que ceux que vous reconnaissez pour dieux dans les temples, cessent de l'ètre partout ailleurs ? Il faudrait dire de même que ceux qui courent sur les tours des temples ne sont pas fous comme ceux qui courent sur les toits de leurs voisins, ceux qui se mutilent comme ceux qui se coupent la gorge. Des extravagances si semblables n'annoncent-elles pas le même principe? Mais jusqu'ici ce ne sont que des paroles : voici la démonstration par le fait, que les dieux et les démons sont absolument les mêmes.

Qu'on fasse venir devant vos tribunaux un homme qui soit reconnu pour possédé du démon; qu'un chrétien, quel qu'il soit, n'importe, commande à cet esprit de parler. Il avouera et qu'il est véritablement démon, et qu'ailleurs il se dit faussement Dieu. Qu'on amène également quelqu'un de ceux qu'on croit agités par un dieu, qui en respirant avec force sur les autels aient reçu la divinité avec la vapeur, qui parlent avec effort et comme hors d'haleine: oui, si la vierge Célestis, déesse de la pluie, si Esculape, inventeur de la médicine, qui a rendu à la vie Socordius, Thanatius et Asclepiodote, destinés à la perdre une seconde fois, si n'osant mentir à un chrétien, ils ne confessent pas qu'ils sont des démons, répandez sur le lieu même le sang de ce téméraire chrétien.

Qu'y a-t-il de plus manifeste et de plus sûr qu'une pareille preuve ? Voilà la vérité ellemême avec sa simplicité et son énergie, Que pourriez-vous soupçonner? De la magie ou de la fourberie? Vos yeux et vos oreilles vous confondraient. Non, vous n'avez rien à opposer à l'évidence toute nue, pour ainsi dire, et sans art. Si vos dieux le sont véritablement, pourquoi disent-ils faussement qu'ils sont déinons? Est-ce par déférence pour nous ? Leur divinité est donc soumise aux chrétiens. Eh! quelle di

eux-mêmes; ainsi ceux que vous savez certainement être des démons ne prendraient pas le nom de dieux s'il y en avait effectivement. Sans doute ils n'oseraient profaner la majesté de leurs maitres. Tant il est vrai que la divinité que vous adorez n'existe point, puisque, si elle existait, elle ne serait ni usurpée par les démons ni désavouée par les dieux ! Les uns et les autres concourent à vous prouver qu'ils ne sont pas dieux. Reconnaissez donc qu'ils sont tous des démons; cherchez donc ailleurs la Divinité. Les chrétiens après vous avoir convaincus de la fausseté de vos dieux par vos dieux mèmes, vous font découvrir par la mème voie quel est le vrai Dieu s'il est unique; si c'est celui que reconnaissent les chrétiens; s'il faut croire en lui et l'adorer, comme la foi et les rites des chrétiens le prescrivent.

Qui, que vos dieux vous disent qui est JésusChrist, si son histoire n'est qu'un roman, si lui-même il n'est qu'un homme ordinaire ou un magicien, si ses disciples ont enlevé son corps du tombeau, s'il est encore parmi les morts, s'il n'est pas plutôt dans le ciel, s'il ne doit pas en descendre sur les ruines du monde au milieu des frémissemens et des gémissemens de tous les mortels, les chrétiens seuls exceptés; s'il ne doit pas en descendre avec la majesté de celui qui est la puissance et l'esprit de Dieu, son Verbe, sa sagesse, sa raison, son fils. Qu'ils rient avec vous de nos mystères, qu'ils nient que le Christ, après la résurrection générale, jugera tous les hommes; qu'avec Platon et les poëtes ils placent sur son tribunal Minos et Radamanthe; que du moins ils essaient d'effacer l'ignominic de leur condamnation ; qu'ils osent nier qu'ils sont des esprits immondes, ce qui paraît assez par les sacrifices infects dont ils font leurs délices, et par toutes les infamies. que se permettent leurs prètres ; qu'ils nient qu'ils doivent être condamnés au jour du jugement avec leurs adorateurs et leurs mi

nistres.

Le pouvoir que nous avons sur les démons nous vient du nom de Jésus-Christ, et des menaces que nous leur faisons de sa part et de celle de Dieu. Craignant le Christ en Dieu et Dieu dans le Christ, ils sont soumis aux serviteurs de Dieu et du Christ. Aussi en notre présence, à notre commandement, effrayés par la pensée et par l'image du feu éternel, vous les voyez sortir des corps pleins de fureur et couverts de honte vous les croyez lorsqu'ils vous trompent, croyez-les de même lorsqu'ils vous disent la vérité. On ment bien par vanité, mais jamais pour se déshonorer: aussi sommes-nous bien plus portés à croire ceux qui font des aveux contre eux-mêmes que ceux qui nient pour leur propre intérêt. Les témoignages de vos dieux font beaucoup de chrétiens, parce qu'on ne peut les croire sans croire au Christ. Oui, ils enflamment la foi à nos saintes Écritures, ils affermissent le fondement de notre espérance. Vous leur offrez en sacrifice le sang des chrétiens: comment donc pourraient-ils se résoudre à perdre des serviteurs si utiles, si zélés, s'exposer, en les rendant chrétiens, à se voir un jour chassés par eux, s'il leur était permis de mentir, quand un chrétien veut en votre présence tirer la vérité de leur bouche ?

XXIV. Toute cette confession de vos dieux qui avouent qu'ils ne le sont pas, qu'il n'y a pas d'autre dieu que celui des chrétiens, suffit sans doute pour nous justifier de l'accusation d'avoir offensé la religion romaine; car, s'il est certain qu'ils ne sont pas dieux, il l'est, par une suite nécessaire, que ce n'est pas une religion. Mais si ce n'est pas une religion, comment pouvons-nous être coupables envers la religion? Votre accusation retombe sur vous seuls qui adorez le mensonge, qui non-seulement méprisez, mais combattez la vraie religion du vrai Dieu, et qui par conséquent vous rendez coupables du crime trop réel d'irréligion.

Et quand il serait sûr que ce sont des dieux, ne convenez-vous pas, selon l'opinion générale, qu'il est un ètre plus élevé, plus puissant et comme le roi du monde; que le pouvoir suprême ne réside qu'en lui, quoiqu'il partage avec plusieurs les fonctions de la Divinité? Voilà pourquoi Platon nous représente le grand Jupiter dans le ciel à la tète d'une armée de dieux et de démons. Selon vous, il faut adorer avec

lui tous ceux qu'il a établis ses lieutenans. Mais quel crime commet-on en ne voulant plaire qu'à lui, en attendant tout de lui, en refusant de communiquer à plusieurs le nom de dieu ainsi que celui d'empereur? C'est un crime capital que d'appeler ou de souffrir qu'on appelle empereur qui que ce soit, hors l'empereur lui

même.

Permettez à l'un d'adorer le vrai Dieu, à l'autre Jupiter, à l'un de lever les mains au ciel, à l'autre vers l'autel de la foi, à celui-là de compter, comme vous dites, les nuages, à celui-ci les panneaux d'un lambris; à l'un enfin de s'offrir lui-même à Dieu, à l'autre d'offrir un bouc. Prenez garde que ce ne soit une espèce d'irréligion d'òter la liberté de religion et l'option de la Divinité, de ne pas me permettre d'adorer le Dieu que je veux adorer, de me contraindre d'ailorer celui que je ne veux point adorer. Quel dieu recevra des hommages forcés? un homme n'en voudrait point.

Les Égyptiens ont toute liberté de se livrer à l'extravagance de leurs superstitions, de mettre toute sorte de bêtes au rang des dieux, de punir de mort quiconque aurait tué un de ces dieux. Chaque province, chaque ville a ses dieux. La Syrie a Astarté, l'Arabie Disare, la Norique Bélénus, l'Afrique Célestis; la Mauritanie a ses rois. Je crois n'avoir nommé que des provinces romaines, et cependant leurs dieux ne sont pas les dieux des Romains. Ceux des villes municipales d'Italie ne sont pas plus honorés à Rome. Delventinus est adoré à Cassin, Visidianus à Narni, Ancaria à Ascoli, Nursia à Vulsin, Valentia à Ocriculum, Nortia à Sutrin, Curis à Falèse, Curis qui a donné son nom à sa fille Junon. Nous sommes les seuls à qui l'on refuse la liberté de conscience. Nous offensons les Romains, ils ne nous regardent plus comme Romains, parce que notre Dieu n'est pas adoré des Romains. Mais que vous le vouliez ou que vous ne le vouliez pas, notre Dieu est le Dieu de tous les hommes; et chez vous il est libre d'adorer tout hors le vrai Dieu, comme si le Dieu de qui nous dépendous tous ne devait pas être adoré de tous.

XXV. Je crois n'avoir rien à ajouter à ma démonstration de la fausseté de vos dieux, et de la vérité du nôtre. L'autorité de vos dieux mème est venue mettre le sceau à l'évidence et

à la force du raisonnement. Mais puisque je viens de parler des Romains, je ne refuserai pas d'entrer en lice avec ceux qui soutiennent que c'est à cause de leur zèle pour la religion que les Romains se sont élevés à ce haut point de gloire, qu'ils sont les maîtres du monde; et qu'une preuve sensible que leurs dieux sont véritables, c'est que leurs plus religieux adorateurs sont aussi les peuples les plus puissans.

Voilà donc la récompense que les dieux ont accordée aux Romains, j'entends Sterculus, Mutunus, Larentina; car pour les dieux étrangers, il n'est pas croyable qu'ils aient préféré les Romains à leurs compatriotes, qu'ils aient abandonné à des peuples ennemis la terre où ils ont reçu le jour, où ils ont passé leur vie, où ils se sont signalés et où reposent leurs cendres. Mais Cybèle chérit peut-être dans Rome le sang troyen, les descendans de ses compatriotes qu'elle défendit autrefois contre les Grecs. Elle a voulu passer chez leurs vengeurs, qu'elle prévoyait devoir metre un jour sous le joug les conquérans de la Phrygie. Aussi a-t-elle donné de notre temps une preuve bien éclatante de sa divinité, lorsque l'empereur Marc-Aurèle ayant été enlevé à la république, près de Syrmium, le 16 des calendes d'avril, le vénérable chef des Galles faisait néanmoins des libations de son propre sang le 9 des calendes du même mois, ordonnait les prières ordinaires pour la santé de cet empereur, alors au rang des morts. O paresseux courrier, ô tardives dépèches qui ont empêché Cybèle d'être plus tôt instruite de la mort de l'empereur! En vérité, les chrétiens riraient bien d'une pareille divinité.

Jupiter a-t-il pu voir d'un œil indifférent son lle de Crète ébranlée jusque dans ses fondemens par les faisceaux romains? A-t-il ainsi oublié l'antre du mont Ida, et les danses des corybantes, et le parfum de sa nourrice? Son tombeau ne lui est-il pas plus cher que la capitole? et n'est-ce pas à la terre qui couvrait ses cendres qu'il devait accorder l'empire du

monde?

Et Junon aurait-elle souffert que Carthage, cette cité chérie, qu'elle préférait à Samos même, fût renversée par la race d'Enée; cette cité où étaient son char et ses armes, et qu'elle ambitionnait, qu'elle s'efforçait de faire régner sur toutes les nations, si les destins l'eussent

permis 1?» Épouse et sœur infortunée de Jupiter, elle ne pouvait rien contre les destins : Jupiter lui-même leur est soumis 2. Les destins ont donc livré Carthage aux Romains malgré les vœux et les efforts de Junon; et cependant les Romains ne leur ont jamais rendu tant d'honneurs qu'à Larentina, cette infâme prostituée.

Il est constant que plusieurs de vos dieux ont régné. Or, si ce sont eux à présent qui distribuent les royaumes, de qui tenaient-ils les leurs? Quelles divinités Jupiter et Saturne adoraient-ils? quelque Sterculus apparemment. Mais Sterculus et ses compatriotes n'eurent des autels à Rome que longtemps après.

Quant à ceux de vos dieux qui n'ont pas régné, il est certain que de leur temps il y avait des rois qui ne leur rendaient point de culte puisque ces dieux ne l'étaient pas encore. Il y avait des princes longtemps avant vos dieux; il faut donc chercher ailleurs les dispensateurs des couronnes.

Mais que c'est avec peu de fondement qu'on attribue aux dieux la grandeur de Rome, comme prix des honneurs qu'ils en ont reçus, puisque ces honneurs sont postérieurs à sa grandeur! Car quoique Numa soit le premier auteur de vos superstitions, néanmoins vous n'aviez de son temps ni statues ni temples; la religion était frugile, les cérémonies pauvres; il n'y avait pas de Capitole rival de l'Olympe, mais des autels de gazon dressés à la hate, des vases d'argiles, une fumée légère; le dieu ne parais sait nulle part, l'art des Grecs et des Étrusques n'avait pas encore rempli Rome de figures. En un mot les Romains n'étaient pas religieux avant d'être grands; ils ne sont donc pas grands parce qu'ils ont été religieux et comment le seraient-ils, si l'irréligion a été la source de leur grandeur?

En effet, les royaumes et les empires, si je ne me trompe, s'établissent par les guerres, s'agrandissent par les victoires; mais les guer

res et les victoires entraînent nécessairement la

ruine des villes. Les villes ne peuvent être rui

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