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nées sans que les dieux en souffrent, Les mu- | railles et les temples s'écroulent à la fois, le sang des prètres coule mêlé avec celui de leurs concitoyens; les mêmes mains enlèvent l'or sacré et l'or profane; ainsi autant de trophées des Romains, autant de sacriléges; autant de triomphes sur les peuples, autant de triomphes sur les dieux; autant de dépouilles ravies à l'ennemi, autant de simulacres des dieux captifs. Et ces dieux consentent à recevoir les hommages de leurs ennemis et de leurs vainqueurs! Ils donnent un empire sans bornes à ceux dont ils ont à payer les outrages plutôt que les adorations!

Mais on outrage impunément, comme on adore vainement les dieux qui ne sentent rien. Eh! comment pourrait-on faire honneur à la religion de la grandeur des Romains, qui l'ont offensée à mesure qu'ils se sont agrandis, ou même qui ne se sont agrandis qu'en l'offensant! D'ailleurs, tous ces peuples vaincus, dont les royaumes ont été réduits en provinces de l'empire romain, n'avaient-ils pas aussi leurs religions?

XXVI. Voyez donc si le dispensateur des couronnes ne serait pas cet Être souverain de qui dépendent également et la terre et ceux qui règnent sur la terre ; si celui qui était avant les temps, qui a fait les temps et les siècles, n'a pas réglé la durée des vicissitudes des empires; și les cités ne s'élèvent et ne s'abaissent point au gré de celui qui dominait le genre humain, lorsqu'il n'y avait pas encore de cités.

justifiés d'avoir offensé vos dieux, en prouvant qu'ils ne sont rien moins que dieux. Aussi, quand on nous presse d'aller leur sacrifier, nous nous en défendons toujours par les lumières de notre conscience, qui nous apprend à qui se rapportent les hommages qu'on rend à ces simulacres et à ces hommes déifiés. Mais il y en a parmi vous qui nous traitent d'insensés, de perdre la vie par entètement, au lieu de la sauver en sacrifiant, sans changer pour cela d'opinion. Vous nous donnez là un bon conseil pour vous tromper : nous reconnaissons sans peine quel est celui qui vous l'a suggéré; et comment il essaie de tous les moyens possibles, tantôt de l'artifice, tantôt de la cruauté, pour triompher de notre constance. C'est cet esprit ange et démon, qui, devenu notre ennemi par sa réprobation, et envieux des grâces divines, s'insinue dans vos àmes, d'où il nous fait la guerre et vous inspire, sans que vous le soupçonniez, ces jugemens iniques et barbares dont je me suis plaint au commencement de cet apologie.

Car quoique les démons nous soient soumis, cependant, comme de méchans esclaves, ils mèlent souvent l'insolence à la crainte; ils sont ravis de nuire à ceux qu'ils craignent; la haine est la fille de la crainte. Condamnés sans espérance, leur unique consolation est de jouir du fruit de leur méchanceté, tandis que leur supplice est encore suspendu; mais ce n'est que de loin qu'ils osent nous attaquer. A notre approche, vaincus et supplians, ils rentrent aussitôt dans leur condition. Ainsi, lorsque semblables à des esclaves échappés des fers, des prisons ou des mines, ils s'élancent contre leurs maitres avec d'autant plus de fureur qu'ils sentent l'inégalité de leurs forces, obligės à combattre ces vils ennemis, nous leur résistons avec une constance égale à leur acharnement, et nous n'en triomphons jamais plus glorieusement que quand nous mourons pour la foi. XXVIII. Mais forcer des hommes libres à

Pourquoi chercher à vous tromper vousmèmes? Rome sauvage est plus ancienne que quelques-uns de vos dieux : elle régnait avant d'avoir donné cette enceinte immense au Capitole. Les Babyloniens régnaient avant vos pontifes, les Mèdes avant vos quindécemvirs, les Égyptiens avant vos saliens, les Assyriens avant vos luperques, les Amazones avant vos vestales, Et si c'étaient véritablement vos dieux qui disposassent des royaumes, les contempteurs de tous les dieux, les Juifs, n'eussent ja-sacrifier, c'est une injustice trop criante, c'est

mais régné. Vous avez offert des victimes à leur Dieu, des présens à son temple; vous avez honoré de votre alliance la nation, que vous n'auriez jamais subjugée, si elle n'eût commis un dernier attentat contre le Christ.

XXVII. Nous nous sommes suffisamment

une violence inouie. Eh! quoi de plus déraisonnable que de vouloir contraindre un autre | homme à rendre à la Divinité des hommages que de lui-même il est assez intéressé à lui rendre? N'aurait-il pas droit de répondre: «Je ne veux pas, moi, me rendre Jupiter propice;

de quoi vous mêlez-vous? Que Janus se fàche; | mains de plomb, Pour vous, vous êtes religieux

qu'il me tourne quel visage il voudra, que vous importe? C'est pour cela que ces esprits pervers vous ont suggéré de nous faire sacrifier pour les jours des empereurs. Vous vous croyez obligés de nous y contraiudre, et nous le sommes de courir risque de la vie. »

Nous voilà donc arrivés au crime de lèsc-majesté humaine; mais cette majesté est pour vous plus auguste que la divine. Vous craignez, vous respectez plus l'empereur que Jupiter dans l'Olympe; vous avez raison sans doute, si vous ne l'ignorez pas, puisque le derpier des vivans est préférable à quelque mort que ce soit; mais ce n'est point là le motif qui vous fait agir. Vous avez plus d'égard pour la puissance des empereurs, parce que vous l'avez sous les yeux, et vous êtes véritablement coupables envers la Divinité de lui préférer une majesté humaine. Aussi vous parjureriez-vous plutôt en jurant par tous vos dieux que par le génie seul de César.

XXIX. Il faut d'abord s'assurer que ceux à qui vous sacrifiez peuvent rendre la santé aux empereurs ou à quelque autre homme. Si cela est, traitez-nous en criminels; mais si ces esprits méchans, anges ou démons, sont capables de faire quelque bien; si condamnés, si perdus eux-mêmes sans ressource, ils justifient et ils sauvent les autres; si des morts (vous savez ce qui en est) garantissent les vivans, qu'ils commencent done par garantir leurs statues et leurs temples, qui ne sauraient se passer des gardes que leur donne l'empereur. Et ces statues, ces temples, la matière n'en est-elle pas tirée des mines et des carrières de l'emperear? Les temples ne dépendent-ils pas absoJument de lui? Plusieurs dieux ont éprouvé sa colère; d'autres se sont ressentis de sa magnificence et de sa faveur. Or ceux qui sont au pouvoir de l'empereur, qui tiennent tout de lui, comment seront-ils les arbitres de sa destinée? Comment leur devra-t-il sa conservation, tandis qu'eux-mêmes ils lui sont redevables de la leur ?

Voilà done pourquoi nous sommes criminels de lèse-majesté; parce que nous n'abaissons pas les empereurs au-dessous de ce qui leur est Soumis; parce que nous ne nous jouons pas du salut des empereurs, en les plaçant dans des

envers les empereurs, parce que vous cherchez leur salut où il n'est point, que vous le demandez à ceux qui ne sauraient l'accorder; tandis que vous ne pensez point à celui de qui il dépend uniquement, et que vous faites une cruelle guerre aux chrétiens, qui seuls savent comment il faut le demander et par conséquent peuvent seuls l'obtenir.

XXX. Car nous invoquons pour le salut des empereurs le Dieu éternel, le vrai Dieu, le Dieu vivant, que les empereurs souhaitent se rendre favorable, plutôt que tous les dieux ensemble. Peuvent-ils ignorer que c'est de lui qu'ils ont reçu et l'empire et la vie; qu'il n'y a pas d'autre Dieu que lui; qu'ils sont en sa puissance; qu'ils sont immédiatement après lui, avant tous les dieux? Ils sont au-dessus de tous les hommes vivans, à plus forte raison donc au-dessus de ces dieux morts. Ils connaissent les bornes de leur pouvoir; ils sentent qu'ils ne peuvent rien contre celui par qui ils peuvent tout. Que l'empereur déclare la guerre au ciel; qu'il le traine captif attaché à son char de triomphe; qu'il mette des sentinelles dans le ciel; qu'il rende le ciel tributaire; extravagantes chimères! Il n'est grand qu'autant qu'il reconnaît son maitre dans le Dieu du ciel. L'auteur du ciel et de toutes les créatures est aussi le sien ; c'est par lui qu'il est empereur, et qu'avant d'ètre empereur il est homme; il tient sa couronne du Dieu dont il tient la vie. Les yeux levés au ciel, les mains étendues, parce qu'elles sont pures; la tête nue, parce que nous n'avons à rougir de rien; sans ministre qui nous enseigne des formules de prières, parce que c'est le cœur qui prie, nous demandons pour les empereurs une longue vie, un règne tranquille, la sûreté dans leurs palais, la valeur dans les troupes, la fidélité dans le sénat, la vertu dans le peuple, la paix dans tout le monde; enfin tout ce qu'un homme, tout ce qu'un empereur peut désirer.

Je ne puis demander tout cela qu'à celui de qui je suis assuré de l'obtenir; il est le seul qui puisse l'accorder, et je suis le seul qui puisse l'obtenir, comme son serviteur et son adorateur, prêt à être immolé pour sa loi. Je lui offre la plus précieuse victime qu'il m'a demandée lui-même, la prière, qui vient d'un corps chaste, d'une àme innocente, et du Saint

Esprit. Je ne lui offrirai pas quelques grains d'un vil encens, ou d'autres parfums d'Arabie, des gouttes de vin, du sang d'un bœuf languissant qui désire la mort, beaucoup moins encore une conscience infecte. Je suis toujours étonné de voir les prêtres les plus corrompus faire le choix des victimes, et qu'on examine plutôt les entrailles des animaux que les cœurs des sacrificateurs.

Tandis que nous prions de la sorte, déchireznous, si vous voulez avec des ongles de fer; attachez-nous à des croix, jetez-nous dans les flammes, tirez le glaive contre nous, exposeznous aux bêtes: le chrétien qui prie est disposé à tout souffrir. Pour vous, magistrats zélés, hȧtez-vous d'arracher la vie à des hommes qui l'emploient à prier pour l'empereur. La vérité, la fidélité à Dien, voilà donc nos crimes.

XXXI. Mais nous sommes des flatteurs dont le but est d'échapper au supplice à la faveur de l'imposture. En vérité, cet artifice nous réussit à merveille. Sans doute vous croyez, et vous nous laissez prouver tout ce que nous voulons. Si cependant vous êtes persuadés que nous ne prenons aucun intérêt à la vie des empereurs, ouvrez nos livres, qui sont la parole de Dieu mème : nous ne les cachons à personne, et différentes circonstances les ont fait passer dans les mains des étrangers; vous verrez qu'il nous est ordonné de prier, par un excès de charité, pour nos ennemis, de souhaiter du bien à nos persécuteurs. Or qui sont les plus grands ennemis, les plus ardens persécuteurs des chrétiens, sinon ceux dont ils sont accusés d'offenser la majesté ? De plus nous lisons en termes exprès dans les saintes Écritures : « Priez pour les rois et pour toutes les puissances, afin qe vous jouissiez d'une paix parfaite. »> En effet l'empire ne peut être ébranlé que tous ses membres ne le soient: et nous-mêmes, quoique regardés comme étrangers, nous nous trouvons nécessairement enveloppés dans ses malheurs.

XXXII. D'ailleurs nous sommes obligés, par une raison particulière, de prier pour les empereurs et pour l'empire romain: c'est que nous savons que la fin du monde, avec les calamités affreuses dont elle menace tout le monde, est suspendue par le cours de l'empire romain. En demandant à Dieu que cette horrible catas trophe soit retardée, nous demandons par

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conséquent que la durée de l'empire romain soit prolongée.

Si nous ne jurons point par le génie des empereurs, nous jurons par leur vie, plus auguste que tous les génies, qui ne sont que des démons. Nous respectons dans les empereurs les jugemens de Dieu, qui les a établis pour gouverner les peuples. Nous savons qu'ils n'ont de pouvoir que celui que Dieu leur a donné. Nous demandons la conservation de ce que Dieu luimème a voulu; et c'est là pour nous un grand serment. Quant aux génies, nous les conjurons, pour les chasser du corps des hommes nous n'avons garde de jurer par eux pour leur déférer un honneur qui n'appartient qu'à Dieu.

XXXIII. Mais pourquoi parler davantage de nos sentimens religieux pour l'empereur? Pouvons-nous ne pas les avoir pour celui que notre Dieu a placé sur le trône, et qu'à ce titre nous sommes fondés à regarder spécialement comme notre empereur? Je puis aussi plus qu'un autre contribuer à sa conservation, non-seulement parce que je la demande à celui qui peut l'accorder, et que je suis ce qu'il faut être pour l'obtenir; mais encore parce qu'en abaissant sa majesté au-dessous de Dieu, et de Dieu seul, je dispose Dieu par là à lui être favorable. Je n'égalerai point l'empereur à Dieu, je ne l'appellerai point dieu, et parce que je ne sais pas mentir, et parce que je le respecte trop pour me moquer de lui, et parce que lui-même ne voudra point s'entendre appeler dieu, puisqu'il est homme, et que le devoir ainsi que l'intérêt de l'homme est de se reconnaître inférieur à Dieu. C'est bien assez pour lui d'avoir le titre d'empereur, titre auguste qu'il tient de Dieu. Qui l'appelle dieu, nie qu'il soit empereur : il ne peut être empereur sans être un homme. Lors même qu'il est porté sur ce poinpeux char de triomphe, on a soin de l'avertir qu'il est homme; quelqu'un est placé derrière lui pour lui dire « Regarde derrière toi, et souviens-toi que tu es homme. » Rien de si flatteur, de si propre à lui donner la plus haute idée de sa gloire, que cette précaution qu'on juge nécessaire, de le faire ressouvenir de ce qu'il est. Il serait moins grand si on l'appelait dieu, parce qu'il sentirait que c'est une fausseté. Il est bien plus grand quand on l'avertit de ne pas se croire un dieu.

XXXIV. Le fondateur de votre empire, Auguste, ne souffrait pas qu'on le nommåt seigneur. Ce nom en effet appartient à la Divinité. Je consens pendant à donner à l'empereur le nom de signeur, pourvu que ce ne soit pas dans le même sens que je le donne à Dieu. Je ne suis point l'esclave de l'empereur; je n'ai proprement qu'un Seigneur, le Dieu tout-puissant et éternel, qui est également le Seigneur de l'empereur. D'ailleurs comment le père de la patrie en serait-il encore le seigneur? Un nom qui respire la douceur et l'amour n'est-il pas préférable à celui qui n'annonce que la puissance? Aussi les chefs de famille en sontils appelés les pères plutôt que les seigneurs. Le nom de dieu convient encore bien moins à l'empereur. Ce n'est qu'à la plus honteuse et à la plus funeste flatterie qu'il appartient de le lui donner. Tandis que vous avez un empereur, irez-vous saluer empereur quelqu'un de ses sujets? Par ce sanglant outrage vous attireriez infailliblement la vengeance de l'empereur sur votre tète, peut-être mème sur celui que vous auriez nommé empereur. Rendez à Dieu le culte qui lui est dû, si vous voulez ménager à l'empereur sa protection; cessez de reconnaître un autre dieu; cessez d'appeler dieu celui qui ne peut se passer du secours de Dieu. Si cette basse et sacrilege adulation ne rougit pas de son imposture, qu'elle en redoute les suites: vous-même ne maudissez-vous pas quiconque appelle l'empereur dieu avant son apothéose? XXXV. Les chrétiens sont donc les ennemis de l'État, parce qu'ils rendent à l'empereur des honneurs qui ne sont ni vains, ni faux, ni sacriléges; parce que faisant profession de la véritable religion, ils célèbrent les jours de fète de l'empereur par les sentimens de leurs cœurs, el non par la débauche? Grande preuve de zèle en effet, d'allumer des feux et de tendre des I ts dans les rues, d'y faire des grands festins, de changer Rome en taverne, de répandre le vin partout, de courir en troupes pour insulter et commettre toute sorte de désordres! La joie publique ne s'annonce-t-elle donc que par la honte publique? Ce qui serait indécent un autre jour, devient-il décent dans les jours consacrés au prince? Ceux qui observent les lois par respect pour le prince, les violeront-ils à cause de lui? La licence et le déréglement s'appelleront

ils piété ? Une occasion de dissolution passerat-elle pour une fète religieuse ?

Nous sommes bien coupables sans doute: nous acquittons les vœux pour les empereurs sans cesser d'ètre sobres, chastes et modestes. Dans ces jours de joie nous ne couvrons pas nos portes de lauriers; nous n'allumons pas des lampes en plein midi : rien cependant n'est plus honnête alors que de donner à sa maison l'air d'un lieu de prostitution.

Il est à propos maintenant de mettre dans tout son jour la sincérité de vos démonstrations pour la seconde majesté, qu'on nous accuse d'offenser par un second sacrilége, lorsque nous refusons de célébrer avec vous les fètes des empereurs d'une manière également opposée à la bienséance, à la modestie et à la pudeur. Il faut voir si ceux qui nous refusent le nom de romains, qui nous traitent d'ennemis des empereurs, ne sont pas plus criminels que nous. J'interroge donc les Romains; je demande à cette immense multitude, qui remplit vos sept collines, si jamais dans son langage romain elle épargne les empereurs : le Tibre et les écoles des gladiateurs peuvent en rendre témoignage. Si la nature n'eût couvert les cœurs que d'une manière transparente, on y verrait l'objet de leurs vœux secrets, les images de nouveaux princes qui se succéderaient sans cesse pour faire des largesses et des distributions au peuple. Oui, voilà les vœux secrets de ces Romains, dans le temps même qu'on les entend crier : « O Jupiter! retranche de nos années pour les donner à l'empereur !!» Un chrétien ne sait point tenir ce langage; il ne sait point non plus souhaiter un nouvel empereur.

Le peuple, dites-vous, est toujours peuple: fort bien; mais cependant ce sont là des Romaius, et nos plus grands ennemis. Les autres ordres de l'État, selon le rang qu'ils y tiennent, sont sans doute d'une fidélité à l'épreuve ; jamais il ne s'est trouvé de factieux dans le sénat, dans l'ordre équestre, dans les camps, dans le palais. D'où sont donc sortis les Cassius, les Nigers, les Albinus; ceux qui assassinent leur prince entre deux bosquets de laurier; ceux qui s'exercent dans les gymnases, pour les étrangler habilement; ceux qui forcent le palais

1 De nostris annis tibi Jupiter augeat annos.

à main armée, plus audacieux que les Sigerius et les Parthenius 1 ? Si je ne me trompe, tous ces gens-là étaient Romains, c'est-à-dire n'étaient pas chrétiens. Tous, jusqu'au moment où leur rébellion a éclaté, sacrifiaient pour le salut de l'empereur, juraient par son génie, et surtout ne manquaient pas de donner aux chrétiens le nom d'ennemis publics.

Les complices ou les partisans des dernières factions qu'on découvre tous les jours, restes échappés d'un parti, dont les parricides chefs viennent d'être moissonnés, n'ornaient-ils pas leurs portes des branches de laurier les plus fraîches et les plus touffues ? N'avaient-ils pas dans leurs vestibules les plus brillantes illuminations? Ne remplissaient-ils pas la place de lits superbes; non à la vérité dans l'intention de prendre part à la joie publique, mais pour former leurs vœux particuliers dans une fête tout à fait étrangère, pour faire en quelque sorte dans le secret l'inauguration de celui à qui ils destinaient le trône ?

Ceux qui consultent les astrologues, les aruspices, les augures, les magiciens, sur la vie des empereurs, n'ont pas moins d'empressement à s'acquitter de ces devoirs religieux. Pour les chrétiens, jamais ils n'ont recours à des sciences inventées par les anges rebelles et maudits de Dieu. Et d'où peut venir cette curiosité de s'informer des jours des empereurs, si on ne trame rien contre eux; si du moins on ne souhaite et on n'attend pas leur mort? car on ne tire pas l'horoscope de ses maîtres par le même motif qu'on tire celui des personnes qu'on aime la curiosité du sang et de l'amitié est bien différente de celle de l'esclavage.

XXXVI. S'il est donc certain que ceux que vous appeliez Romains, et qui passaient pour tels, sont convaincus d'être les ennemis de l'empire, ne pourrait-il pas se faire aussi que ceux qui passent pour ennemis, et à qui vous refusez le nom de Romains, fussent effectivement romains, et rien moins qu'ennemis ? Non, la fidélité et le dévouement dus aux empereurs ne consistent pas dans de vaines démonstrations, sous le masque desquelles la trahison sait si bien se cacher. Ils consistent dans les sentimens que nous sommes obligés d'avoir pour

1 Noms de ceux qui tuèrent l'empereur Domitien.

tous les hommes, comme pour les empereurs ; car ce n'est pas aux empereurs seuls que nous devons vouloir du bien. Nous faisons le bien sans acception de personnes, parce que c'est pour nous-mêmes que nous le faisons, sans attendre ni louange ni récompensé d'aucun homme. Notre rémunérateur est Dieu seul, qui nous fait une loi de cet amour universel pour tous indistinctement. Nous sommes les mêmes pour les empereurs que pour tous ceux avec qui nous avons quelque rapport. Il nous est également défendu de vouloir du mal à qui quê ce soit, d'en faire, d'en dire, d'en penser même. Ce qui ne nous est pas permis contre l'empêreur ne l'est contre personné : ce qui ne l'est contre personne l'est peut-être encore moins contre celui que Dieu a fait si grand.

XXXVII. Si, comme nous l'avons dit, il nous est ordonné d'aimer nos ennemis, qui pourrions-nous hair? S'il nous est défendu de nous venger de ceux qui nous offensent, pour ne pas nous rendre aussi coupables qu'eux, qui nous sera-t-il permis d'offenser?

sons

Vous-mêmes, je vous en fais juges, combien de fois exercez-vous des cruautés contre les chrétiens, ou de votre propre mouvement, òu pour obéir aux lois! Combien de fois le peuple, sans attendre vos ordres, ne nous accable-t-il pas de pierres, et ne met-il pas le feu à nos mai? Dans la fureur des bacchanales on n'épargne pas même les morts: oui, l'asile de la mort est violé. Du fond des tombeaux où ils reposent, on arrache les cadavres des chrétiens, quoique méconnaissables, quoique déjà corrompus, pour leur insulter et les mettre en pièces. Cependant avez-vous remarqué que nous ayons jamais cherché à nous venger de cet acharnement qui nous poursuit au delà du tombeau? Une seule nuit avec quelques flambeaux, c'en serait assez s'il nous était permis de rendre le mal pour le mal: mais à Dieu ne plaise qu'une religion divine ait recours à des moyens humains pour se venger, ou qu'elle se laisse abattre par les épreuves! Si au lieu de nous venger sourdement, nous voulions agir en ennemis déclarés, nous ne manquérions ni de forces ni de troupes. Les Maures, les Marcomans, les Parthes mème, quelque nation que ce soit, renfermée après tout dans ses limites, est-elle plus nombreuse qu'une nation qui n'en

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