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a d'autres que l'univers ? Nous ne sommes que d'hier, et nous remplissons tout, vos villes, vos iles, vos châteaux, vos bourgades, vos conseils, vos camps, vos tribus, vos décuries, le palais, le sénat, le forum : nous ne vous laissons que vos temples.

Ne serions-nous pas bien propres à la guerre, même à forces inégales, nous qui nous laissons tuer si volontiers, si ce n'était une de nos maximes: qu'il vaut mieux souffrir la mort que de la donner? Sans même prendre les armes, sans nous révolter, nous pourrions vous combattre simplement en nous séparant de vous; car si cette multitude d'hommes vout eût quittés pour se retirer dans quelque contrée éloignée, la perte de tant de citoyens de tout état aurait décrié votre gouvernement, et vous eût assez punis: vous auriez été effrayés de votre solitude, du silence, de l'étonnement du monde, qui aurait paru comme mort; vous auriez cherché à qui commander; il vous serait resté plus d'ennemis que de citoyens. A présent, la multitude des chrétiens fait que vos ennemis paraissent en petit nombre.

Et qui vous délivrerait de ces ennemis cachés, aussi funestes à vos âmes qu'à vos corps, je veux dire des démons que nous chassons sans intérêt et sans récompense? I suffirait, pour notre vengeance, de vous laisser à la merci de ces esprits immondes. Et vous, sans nous tenir compte d'un service de cette importance, sans réfléchir que loin de vous être nuisibles, nous vous sommes nécessaires, vous nous traitez en ennemis : nous sommes à la vérité ennemis déclarés, mais ennemis de l'erreur, et nullement du genre humain.

XXXVIII. Il fallait donc traiter avec douceur,et mettre du moins au rang des factions permises, une religion à qui on ne peut rien reprocher de ce qu'on craint des factions justement proscrites. On les a proscrites, si je ne me trompe, pour la tranquillité publique, pour empêcher que la ville ne fût déchirée par des partis opposés : ce qui aurait troublé les assemblées du peuple et du sénat, les harangues et les spectacles, surtout dans un temps où l'on vend jusqu'aux violences qu'on commet.

Pour nous qui ne brûlons point de la passion de la gloire et des honneurs, nous n'avons nul intérêt de former des cabales. Nous ne

nous mêlons jamais des affaires publiques: le monde, voilà notre république. Nous renonçons sans peine à vos spectacles: pleins de mépris pour tout ce qui s'y passe, nous avons en horreur la superstition qui en est la mère. Nous n'avons rien de commun avec les extravagances du cirque, avec les obscénités du théâtre, avec la barbarie de l'arène, avec la frivolité des gymnases. N'a-t-il pas été permis aux épicuriens de se faire de la volupté l'idée qu'il leur a plu? Vous offensons-nous en adoptant d'autres plaisirs que les vôtres ? Et si nous voulions nous sevrer de toute sorte d'amusemens, ce ne serait pas à vous, ce ne serait qu'à nous-mêmes que nous ferions tort. Nous condamnons vos plaisirs, j'en conviens, comme vous-mêmes vous ne pouvez goûter les nôtres.

XXXIX. Je vais montrer maintenant à quoi s'occupe la faction des chrétiens; après l'avoir défendue contre les calomnies, il faut la faire connaître. Unis ensemble par les nœuds d'une même foi, d'une même morale, nous ne faisons qu'un corps. Nous nous assemblons pour prier Dieu; nous formons une sainte conjurătion, pour lui faire une violence qui lui est agréable; nous prions pour les empereurs, pour leurs ministres, pour toutes les puissances, pour l'état présent de ce monde, pour la paix, pour le retardement de la fin de l'univers. Nous nous assemblons pour lire les Écritures, où nous puisons, selon les circonstances, les lumières et les avertissemens dont nous avons besoin. Cette sainte parole nourrit notre foi, relève notre espérance, affermit notre confiance, resserre de plus en plus la discipline, en en inculquant le précepte.

C'est là que se font les exhortations et les corrections, que se prononcent les censures au nom de Dieu. Certains que nous sommes toujours en sa présence, nous jugeons avec grand poids, et c'est un terrible préjugé pour le jugement futur, quand quelqu'un a mérité d'être retranché de la communion des prières, de nos assemblées, et de tout ce saint commerce.

Des vieillards président; ils parviennent à cet honneur, non par argent, mais par le té moignage d'un mérite éprouvé. L'argent n'iñflue en rien dans les choses de Dieu; et si l'on trouve chez nous une espèce de trésor, nous n'avons pas à rougir d'avoir vendu la religion.

Chacun fournit tous les mois une somme modique, ou lorsqu'il le veut, s'il le veut et s'il peut; on n'y oblige personne rien de plus libre que cette contribution; c'est un dépôt de piété qu'on ne dissipe point en repas et en débauches; il n'est employé qu'à nourrir et à enterrer les pauvres, les orphelins sans bien, les domestiques cassés de vieillesse, les malheureux qui ont fait naufrage. S'il y a des chrétiens condamnés aux mines, détenus dans les prisons, ou relégués dans les îles, uniquement pour la cause de Dieu, ils y sont entretenus par la religion qu'ils ont professée.

Il se trouve néanmoins des gens qui nous font un crime de cette charité. « Voyez, disentils, comme ils s'aiment ;» car pour nos censeurs, ils se haïssent tous. «Voyez comme ils sont prêts à mourir les uns pour les autres; »> pour eux, ils sont plutôt prêts à s'entr'égorger. Quant au nom de frères que nous nous donnons, ils ne le décrient que parce que chez eux tous les noms de parenté ne sont que des expressions trompeuses d'attachement. Nous sommes aussi vos frères par le droit de la nature, la mère commune de tous les hommes. Il est vrai que vous êtes de mauvais frères; à peine ètes-vous des hommes. De véritables frères sont ceux qui reconnaissent pour père le même Dieu, qui ont reçu le même esprit de sainteté, qui sortis du sein commun de l'ignorance, ont vu avec transport luire le jour de la même vérité.

Mais peut-être qu'on ne nous croit pas frères, ou parce que notre nom ne se trouve jamais dans vos tragédies, ou parce que nous vivons en commun et en frères, des mènies biens qui chez vous divisent tous les jours les frères. Ne faisant tous qu'un cœur et qu'une âme, pourrions-nous avoir de la répugnance à communiquer nos biens? Tout est commun entre nous, hormis nos femmes nous sommes divisés sur ce seul point qui réunit les autres hommes. Ils font entre eux comme un échange des droits que leur donne le mariage, à l'exemple sans doute de leurs sages, d'un Socrate parmi les Grecs, d'un Caton parmi les Romains, qui abandonnèrent à leurs amis des femmes qu'ils avaient épousées, pour en avoir des enfants dont ils ne seraient point les pères. Fut-ce malgré elles? on peut en douter. Indi

gnement prostituées par leurs propres maris, pouvaient-elles être bien jalouses de la chasteté conjugale? O sagesse attique! O gravité romaine! Un philosophe et un censeur donnent l'exemple du plus infâme commerce!

Pour les chrétiens, il n'est pas étonnant que s'aimant si tendrement, ils aient des repas communs. Vous cherchez à décrier nos soupers non-seulement comme criminels, mais comme somptueux. C'est apparemment pour nous que Diogène disait : « Les Mégariens mangent comme s'ils devaient mourir le lendemain, et bâtissent comme s'ils étaient immortels. » On voit plutôt une paille dans l'œil d'autrui qu'une poutre dans le sien. L'air est infecté des digestions de tant de tribus, de curies et de décuries. Les saliens' ne donnent pas de soupers sans faire d'emprunt. Il faut de grands calculs pour arrêter les frais des festins en l'honneur d'Hercule. On choisit les plus habiles cuisiniers pour les apaturies 2, les dionysies3 et les mystères de l'Attique. La fumée des soupers de Sarapis éveille tous ceux qui sont préposés pour les incendies: et l'on ne parle que des repas des chrétiens!

Leur nom seul montre quel en est le motif. On les appelle agapes, d'un mot grec qui signifie charité. Quoi qu'ils puissent coûter, nous nous croyons bien dédommagés par l'avantage de faire du bien; nous soulageons par là les pauvres; nous ne rassemblons point comme vous des parasites qui font gloire de vendre leur liberté, et de venir à vos tables s'engraisser au prix de mille avanies. Nous traitons les pauvres comme des hommes sur qui la Divinité attache ses regards avec le plus de complaisance.

Vous voyez combien le motif de nos soupers est honnête : tout ce qui s'y passe y répond, et est également réglé par des vues de religion; on n'y souffre ni bassesse ni immodestie; on ne se met à table qu'après avoir fait la prière à Dieu. On mange autant qu'on a faim; on boit comme il convient à des gens qui font profession de chasteté ; on se rassasie comme devant

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prier Dieu cette même nuit; on converse, comme sachant que Dieu écoute. Après qu'on s'est lavé les mains, et qu'on a allumé les flambeaux, chacun est invité à chanter les louanges de Dieu qu'il tire des saintes Écritures, ou qu'il compose lui-même. On voit par là combien il a bu. Le repas finit comme il a commencé, par la prière. On sort de là, non pour faire du désordre, pour commettre des insolences et des meurtres, mais avec modestie, avec pudeur: on sort d'une école de vertu, plutôt que d'un souper.

Condamnez, proscrivez nos assemblées, si elles ont quelque rapport avec les assemblées dangereuses et criminelles, si on peut leur faire le même reproche qu'aux factions ordinaires. Mais nous sommes-nous jamais assemblés pour nuire à qui que ce soit? Nous sommes tels assemblés que séparés, tous ensemble que chacun en particulier, n'offensant personne, n'affligeant personne.

XL. Une assemblée de gens de bien, de gens vertueux, pieux et chastes, n'est point une faction, c'est un sénat : le nom de faction convient à ceux qui conspirent contre ces hommes vertueux ; qui demandent à grands cris leur sang; qui prennent pour prétexte de leur haine, que les chrétiens sont la cause de toutes les calamités publiques. Pitoyable prétexte! Si le Tibre inonde Rome, si le Nil n'inonde point les campagnes, si le ciel est fermé, si la terre tremble, s'il survient une famine, une peste, on entend crier aussitôt : « Les chrétiens aux lions! >> Quoi! tous les chrétiens aux lions! Mais dites-moi, je vous prie, avant Tibère, c'est-à-dire avant la naissance de Jésus-Christ, la terre, les villes n'ont-elles pas éprouvé les plus grands malheurs ? L'histoire ne nous apprend-elle pas que Hiérapolis, que les îles de Délos, de Rhode et de Cos, ont été submergées avec plusieurs milliers d'hommes? Platon assure que la mer Atlantique a couvert la plus grande partie du continent de l'Asie ou de l'Afrique. Un tremblement de terre a mis à sec la mer de Corinthe. La violence des flots a détaché la Lucanie de l'Italie, et en a fait l'île de Sicile. De tels changemens dans le globe n'ont pu arriver sans faire périr quantité d'hommes. Où étaient, je ne dis pas les chrétiens ces contempteurs de vos dieux, où étaient vos dieux eux-mêmes, lorsque le dé

luge a submergé toute la terre, ou du moins les plaines, comme Platon l'a prétendu ? Les villes où vos dieux sont nés, où ils sont morts, celles même qu'ils ont bâties prouvent assez qu'ils sont postérieurs au déluge: autrement elles ne subsisteraient pas aujourd'hui.

Les essaims des juifs d'où les chrétiens tirent leur origine n'étaient pas encore sortis de l'Egypte, pour aller se fixer dans la Palestine, lorsqu'une pluie de feu consuma sur les frontières les villes et le pays de Sodome et de Gomorrhe. La terre de cette contrée exhale encore une odeur infecte; et si on y voit quelques fruits, ils tombent en cendres dès qu'on y porte la main.

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La Tuscie et la Campanie ne se plaignaient pas des chrétiens, lorsque Vulsinie' fut brûlée par le feu du ciel, et Pompéia par celui de sa montagne. Personne n'adorait à Rome le vrai Dieu, lorsque Annibal, après la sanglante journée de Cannes, remplissait un boisseau des anneaux des Romains. Tous vos dieux étaient adorés de vous tous, lorsque les Gaulois sénonnais investirent le Capitole. Pour tout dire en un mot, les villes n'ont jamais essuyé de désastres que les temples ne les aient partagés. Les dieux ne sauraient donc être regardés comme les auteurs des calamités dont ils se sont eux-mêmes ressentis.

La race des mortels n'a cessé d'offenser Dieu, soit en négligeant son culte, en ne cherchant pas cet Etre suprême qui s'était laissé entrevoir à eux, soit en se faisant des dieux pour les adorer: et parce qu'ils n'ont pas cherché l'auteur de l'innocence, le juge et le vengeur du crime, ils se sont livrés à toute sorte de vices et de déréglemens. S'ils l'eussent cherché, ils le connaîtraient; s'ils le connaissaient, ils l'adoreraient: s'ils l'adoraient, ils éprouveraient sa clémence, au lieu d'être en butte à sa colère. Le même Dieu dont les hommes ont ressenti la vengeance avant qu'il y eût des chrétiens, les châtie encore aujourd'hui. Avant qu'ils se fussent forgé des dieux, ils jouissaient de ses bienfaits, sans penser à leur bienfaiteur.Qu'ils apprennent que c'est également de lui que viennent les maux qu'a mérités leur ingratitude.

1 Ville de la Tuscie ou Étrurie, aujourd'hui la Toscane. 2 Ville de la Campanie, engloutie par l'éruption du mont Vésuve l'an 80 de J.-C.

Si cependant nous nous rappelons les calamités qui désolèrent autrefois la terre, nous verrons que les hommes sont traités avec moins de rigueur depuis qu'il y a des chrétiens. Depuis cette époque l'innocence a balancé le crime; la terre a eu des intercesseurs auprès de Dieu. Lorsque les pluies d'hiver et d'été suspendues menacent d'une affreuse stérilité, vous remplissez les bains, les cabarets, les lieux de débauche, vous sacrifiez à Jupiter, vous avertissez le peuple de demander de l'eau nu-pieds; vous cherchez le ciel au Capitole, vous comptez faire descendre les nuages des voûtes des temples, tandis que vous outragez Dieu et le ciel. Pour nous, exténués par le jeûne, purifiés par la continence, sevrés de tous les plaisirs, sous le sac et la cendre, nous désarmons le ciel ; et lorsque nous avons arraché le pardon, on remercie Jupiter.

XLI. C'est donc vous qui êtes à charge à la terre; c'est vous qui, méprisant Dieu pour adorer des statues, causez tous les malheurs de l'Etat. C'est ce Dieu que vous méprisez qui vous fait sentir sa colère, et non point ces prétendus dieux que vous servez avec tant de zèle, Ce serait de leur part le comble de l'injustice de punir leurs propres adorateurs à cause des chrétiens, d'envelopper dans les mêmes désastres des hommes si différens.

Il est aisé, dites-vous, de rétorquer la difficulté contre vous-même. Votre Dieu souffre donc que ses fidèles serviteurs soient punis de nos sacriléges ?

Apprenez quels sont les desseins de Dieu, et vos objections finiront. Dieu, qui a renvoyé après la fin du monde le jugement éternel de tous les hommes, ne précipite point avant ce terme la séparation, qui sera la suite du jugement. En attendant, il paraît traiter de mème tous les hommes : il veut que les infidèles partagent les biens de ses serviteurs, et que ses serviteurs aient part aux maux des infidèles: que les uns et les autres éprouvent et sa bonté et sa sévérité. Instruits par lui-même de ses décrets, nous aimons sa bonté, nous craignons sa sévérité. Pour vous, vous méprisez l'une et l'autre de là il arrive que tous les maux qui sont pour vous de véritables punitions ne sont pour nous que des avertissemens. Nous ne nous plaignons point, parce que nous n'avons d'autre

intérêt dans ce monde que d'en sortir au plus tôt.

D'ailleurs nous savons que ce sont vos crimes qui attirent sur la terre les fléaux du ciel; et quoique nous nous en ressentions nécessairement, faisant partie avec vous de la même société, nous voyons avec joie l'accomplissement des oracles divins, qui affermissent notre foi et notre espérance. Si au contraire il était vrai que ceux que vous adorez vous envoyassent tous ces maux à cause de nous, comment pourriezvous adorer encore des dieux, et si ingrats et si injustes, qui devraient vous en garantir et vous combler de faveurs en haine des chrétiens?

XLII. On nous fait un autre reproche: on dit que nous sommes inutiles au commerce de la vie. Comment cela pourrait-il être ? Nous vivons avec vous; nous avons la même nourriture, les mêmes habits, les mèmes meubles, les mêmes besoins. Nous ne ressemblons pas aux brachmanes et aux gymnosophistes des Indes: nous n'habitons pas les forêts, nous ne fuyons pas les hommes. Nous nous souvenons que nous devons rendre grâces à Dieu, le seigneur et le créateur de toutes choses: nous ne rejetons rien de ce qu'il a fait pour nous, mais nous sommes en garde contre l'excès et contre l'abus. Nous nous trouvons avec vous à la place, au marché, aux bains, aux boutiques, aux hôtellerics, aux foires, dans tous les lieux nécessaires au commerce de la vie. Nous naviguons avec vous, nous portons les armes, nous cultivons la terre, nous trafiquons, nous exerçons les mièmes arts et pour votre usage. Je ne comprends pas comment nous vous sommes inutiles, tandis que nous vivons avec vous, et de ce que nous gagnons à votre service.

Si je ne fréquente pas vos cérémonies, je ne laisse pas de vivre ces jours-là. Je ne prends pas le bain la nuit pendant les Saturnales, pour ne pas perdre le jour et la nuit. Je le prends à une heure convenable, pour ne pas me glacer le sang il sera assez temps après ma mort d'ètre påle et raide au sortir de l'eau, Je ne mange point eu public aux fètes de Bacchus, à l'exemple des bestiaires, qui font leur dernier repas; mais quelque part que je soupe, on me sert les mêmes mets qu'à vous. Je n'achète pas de couronnes de fleurs, mais j'achète des fleurs: et que vous importe comment je m'en serve?

Je les aime mieux quand elles ne sont pas liées ensemble, qu'elles ne forment ni couronnes ni bouquets. Les couronnes mème je les approche du nez: j'en demande pardon à ceux qui ont leur odorat dans les cheveux. Nous n'allons pas aux spectacles; mais quand j'ai envie de ce qui s'y vend, je l'achète plus volontiers chez les marchands. Nous n'achetons pas d'encens, it est vrai; si les Arabes s'en plaignent, les Sabéens savent que nous achetons des aromates plus chers et en plus grande quantité pour ensevelir les morts que vous n'en perdez à enfumer vos dieux.

il

Du moins, dites-vous, on ue saurait nier que les revenus des temples ne diminuent tous les jours. Qui est-ce qui met encore dans les troncs? C'est que nous ne pouvons pas suffire à donner aux hommes et aux dieux, et que nous ne croyons devoir donner qu'à ceux qui demandent. | Que Jupiter tende la main, nous lui donnerons. Enfin vous faites moins d'offrandes dans vos temples que nous ne faisons d'aumônes dans les rues. Et combien le fisc n'a-t-il pas à se louer des chrétiens! Car si l'on examine combien les différentes impositions perdent par vos fraudes et vos fausses déclarations, tandis que nous les payons avec cette même bonne foi qui ne nous permet pas de faire tort à qui que ce soit, on trouver que le seul article, où vous pouvez nous reprocher d'ètre inutiles à l'État est bien compensé par tous les autres.

XLIII. Il faut l'avouer cependant, il y a des gens fondés à se plaindre qu'il n'y a rien à gagner avec les chrétiens. Et qui sont-ils? Crux qui font un commerce infàme et leurs vils esclaves; les ravisseurs, les assassins, les empoisonneurs, les magiciens, les aruspices, les devins, les astrologues: on gagne beaucoup à ne rien faire gagner à tous ces gens-là. Mais s'il était vrai que notre secte vous causât quelque préjudice, convenez qu'elle vous en dédommage bien. Comptez-vous pour rien d'avoir parmi vous des hommes, je ne dis plus qui chassent les démons, qui invoquent pour vous le vrai Dieu, mais du moins de qui vous n'avez rien à craindre ?

XLIV. Une perte réelle, une perte irréparable pour l'État, une perte à laquelle personne ne fait attention, c'est celle de tant d'hommes vertueux, irréprochables, qu'on persécute, qu'on fait

mourir tous les jours. Je prends à témoin vos registres, vous qui jugez tous les jours les prisonniers, qui condamnez tant d'hommes coupables de toutes sortes de crimes, des assassins, des filous, des sacriléges, des séducteurs; y en a-t-il un seul d'entre eux qui soit chrétien ? ou parmi ceux qui vous sont déférés comme chrétiens, s'en trouve-t-il un seul coupable d'aucun de ces crimes? C'est donc des vôtres que regorgent les prisons, que s'engraissent les bètes: c'est de leurs cris que retentissent les mines, c'est parmi les vôtres qu'on choisit des troupeaux de criminels pour servir de spectacle. Nul d'entre eux n'est chrétien, ou il n'est que chrétien; s'il est coupable de quelque autre crime, non il n'est point chrétien.

XLV. Nous seuls donc, nous seuls sommes innocens? Qu'y a-t-il là qui doive nous surprendre ? L'innocence est pour nous une nécessité, oui une nécessité; nous la connaissons parfaitement, l'ayant apprise de Dieu mème, qui est un maitre parfait; nous la gardons fidèlement, comme ordonnée par un juge qu'on ne peut mépriser. Pour vous ce sont des hommes qui vous l'ont enseignée, ce sont des hommes qui vous l'ont ordonnée. Vous ne pouvez donc ni la connaître comme nous, ni craindre comme nous de la perdre. Eh! peut-on compter sur les lumières de l'homme pour faire connaître la vraie vertu, sur son autorité pour la faire pratiquer ! Ses lumières égarent, son autorité est méprisée.

D'ailleurs quelle est la loi la plus sage de celle qui dit «Vous ne tuerez point, ou de celle qui dit : « Vous ne vous mettrez point en colère ? » Lequel est le plus parfait de condamner l'adultère, ou la simple coucupiscence des yeux; les actions mauvaises, ou jusqu'aux paroles; de défendre de faire injure à personne, ou de défendre mème de repousser l'injure? Et remarquez que vos lois ont emprunté ce qu'elles ont de bon d'une loi plus ancienne, qui est la loi divine. Nous avons parlé plus haut du temps auquel vécut Moïse.

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Mais encore une fois combien toutes les lois humaines sont impuissantes! Presque toujours on peut leur échapper en se cachant; la passion, comme la nécessité, les brave; et le supplice dont elles menacent est d'une si courte durée ! du moins on ne peut le prolonger au

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