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dis-je ? les philosophes placent les démons au second rang après les dieux. «Si mon démon le permet,» disait Socrate. Ce philosophe, qui du moins entrevoyait la vérité, puisqu'il niait qu'il y eût des dieux, ordonna cependant, sur le point de mourir, qu'on sacrifiât un coq à Esculape; sans doute par reconnaissance pour son père Apollon, dont l'oracle l'avait déclaré le plus sage des hommes. Mais quelle imprudence de vanter la sagesse d'un homme qui ne reconnaissait pas les dieux !

delà de la vie. C'est par cette raison qu'Épicure | philosophe ne met pas en fuite les démons. Que méprisait tous les tourmens et toutes les douleurs. «Si la douleur est légère, disait-il, elle est par conséquent aisée à supporter ; si elle est violente, elle ne dure pas. » Pour nous qui devons être jugés par un Dieu qui voit tout, et qui savons que ses punitions sont éternelles, nous sommes les seuls qui embrassons la vraie vertu, et parce que nous la connaissons parfaitement, et parce que le supplice destiné au crime est non pas de longue durée, mais éternel. Nous craignons l'Être souverain que doit craindre celui qui juge des hommes qui le craignent. Nous craignons Dieu, et non le proconsul.

XLVI. Je crois avoir justifié les chrétiens de tous les crimes que leur imputent des accusateurs altérés de leur sang. J'ai tracé sans rien déguiser le tableau de leur religion. L'autorité et l'ancienneté de nos Écritures, la confession même des démons, voilà mes preuves. Si quel qu'un entreprend de me réfuter, qu'il laisse là l'artifice du discours; qu'il réponde avec la franchise et la simplicité dont je lui ai donné l'exemple.

Mais l'incrédulité convaincue par sa propre expérience de l'excellence du christianisme se retranche à dire qu'il n'a rien de divin, que ce n'est qu'une secte de philosophie, comme les autres. « Les philosophes, nous dit-on,enseignent comme vous, font profession comme vous d'innocence, de justice, de patience, de sobriété, de chasteté. » Pourquoi donc, si notre doctrine est la même que la leur, ne nous est-il pas permis de la professer comme à eux ? Pourquoi, s'ils sont d'une secte semblable à la nôtre, ne les oblige-t-on pas aux mêmes choses, que nous ne pouvons refuser sans courir risque de la vie? Quel est en effet le philosophe qu'on ait contraint de sacrifier, de jurer par les dieux, d'allumer follement des flambeaux en plein midi ?

Tout est permis aux philosophes. Ils détruisent ouvertement le culte de vos dieux, écrivent contre vos superstitions, et vous leur applaudissez la plupart même se déchaînent contre vos princes, et vous le souffrez; au lieu de les condamner aux bètes, vous leur décernez des récompenses, vous leur élevez des statues. Vous avez raison de le faire; ils prennent le nom de philosophes et non pas de chrétiens: et le nom de

Plus la vérité est odieuse, plus celui qui la professe sans déguisement révolte les esprits. Mais un moyen sûr de plaire à tous ceux qui la persécutent, c'est de l'affaiblir et de l'altérer : c'est ce que font les philosophes qui se vantent d'enseigner la vérité, et qui n'ont d'autre but que la gloire. Les chrétiens au contraire qui ne pensent qu'à leur salut recherchent nécessairement la vérité, et la professent dans toute sa pureté. Les philosophes ne sont donc pas, comme vous le pensez, comparer aux chrétiens, soit pour la doctrine, soit pour les

mœurs.

Thalès, ce grand physicien, put-il répondre quelque chose de positif à Crésus sur la Divinité, après avoir pris cependant plusieurs délais pour y penser? Chez les chrétiens, le dernier artisan connaît Dieu, le fait connaître aux autres, et satisfait à toutes vos questions sur l'Auteur de l'univers; tandis que Platon nous assure qu'il est bien difficile de le connaître, et encore plus d'en parler devant le peuple. Les philosophes prétendraient-ils nous le disputer pour la chasteté? Je lis dans l'arrêt de mort de Socrate qu'il fut condamné comme corrupteur de la jeunesse : jamais on ne reprochera à un chrétien de violer les lois de la nature. Diogène ne rougissait pas d'assouvir sa passion avec la courtisane Phryné; Speusippe, disciple de | Platon, fut tué en commettant un adultère : un chrétien ne connaît que sa femme. Démocrite se crevant les yeux, parce qu'il n'était plus maître de lui-même lorsqu'il voyait une femme, publie assez son incontinence par la punition qu'il s'impose : un chrétien garde ses yeux et ne voit pas les femmes, parce que son cœur est aveugle pour la volupté. Parlera i-je de l'humilité? Je vois Diogène fouler, de ses pieds

couverts de boue, l'orgueil de Platon avec un orgueil plus grand encore: un chrétien ne connait pas la hauteur, même avec un pauvre. S'agit-il de la modération Pythagore veut règner sur les Thuriens, Zénon sur les Priéniens : un chrétien ne brigue pas même l'édilité. Si je viens à l'égalité d'âme, Lycurgue se fit mourir de faim, parce que les Lacédémoniens avaient changé quelque chose à ses lois : un chrétien remercie ceux qui l'ont condamné. Si je compare la bonne foi, Anaxagore nie le dépôt qu'il a reçu de ses hôtes : la bonne foi des chrétiens est vantée par les païens même. Si je considère la bonté, Aristote fait chasser son ami Hermias de la place qu'il occupait : un chrétien n'humiliera point son ennemi; Aristote flatte bassement Alexandre pour le gouverner; Platon, Denys le Tyran pour être admis à sa table; Aristippe, sous la pourpre et sous le masque de la plus grande austérité, s'abandonne à la débauche; Hippias est tué lorsqu'il veut opprimer sa patrie: jamais un chrétien ne s'est rien permis contre l'État, même pour venger les chrétiens, quoique traités inhumainement.

On dira peut-être qu'il y a des gens parmi nous qui s'affranchissent des règles sévères de notre morale qu'on ajoute aussi que nous ne les comptons plus au nombre des chrétiens. Mais les philospohes, après tant de crimes et de bassesses, conservent parmi vous le nom et les honneurs de sages.

Et comment pouvez-vous comparer un philosophe avec un chrétien, un disciple de la Grèce avec un disciple du ciel, un homme qui n'est occupé que de la gloire avec celui qui n'a que son salut à cœur, un homme qui parle en sage avec un homme qui vit en sage, un homme qui détruit tout avec un homme qui établit ou maintient tout? Comment pouvezvous comparer le partisan et l'adversaire de l'erreur, le corrupteur et le vengeur de la vérité, celui qui l'a dérobée, et celui qui en est le possesseur et le gardien de tout temps? Qu'y a-t-il de commun entre deux hommes si opposés ?

XLVII. L'antiquité de nos livres établie plus haut doit vous disposer à les regarder comme le trésor d'où les sages venus ensuite ont tiré toutes leurs richesses. Si je ne craignais de trop grossir cet ouvrage, il me serait aisé de le

démontrer. Quel est le poëte, quel est le sophiste qui n'ait puisé dans les prophètes? C'est dans ces sources sacrées que les philosophes ont essayé d'éteindre leur soif. C'est pour cela qu'on les compare aux chrétiens; c'est même à cette occasion que quelques états les ont chassés, tels que Thèbes, Sparte et Argos. Ces hommes passionnés uniquement pour la gloire et l'éloquence s'efforcèrent d'atteindre à l'élévation de nos Écritures; et lorsqu'ils y trouvaient quelque chose qui pouvait servir à leurs vues, ils se l'appropriaient. Ne les regardant pas comme divines, ils ne se faisaient pas scrupule de les altérer : d'ailleurs, ils ne pouvaient avoir l'intelligence de bien des passages voilés même pour les Juifs à qui ces livres appartenaient. Des esprits pointilleux et méprisans ne pouvant goûter ni croire la vérité simple et sans ornement, la corrompirent par le mélange de leurs conjectures. Au lieu d'enseigner le dogme de l'unité de Dieu tel qu'ils l'avaient trouvé, ils disputèrent sur sa nature, sur ses attributs, sur le lieu de sa demeure. Les uns, tels que les platoniciens, croient que Dieu n'a point de corps; les autres, tels que les stoïciens, soutiennent le contraire. Épicure veut qu'il soit. composé d'atomes, Pythagore de nombres, Héraclite de la matière du feu. Suivant Platon, il a soin de tout, il préside à tout; suivant Épicure, il est toujours dans le repos et dans l'inaction, il est nul, pour ainsi dire, dans tout ce qui arrive aux hommes. Les stoïciens le supposent hors du monde, qu'il meut comme le potier tourne sa roue les platoniciens le placent dans le monde même qu'il régit, comme le pilote conduit son vaisseau. Ils ne s'accordent pas plus sur le monde les uns prétendent qu'il a été fait, les autres qu'il est éternel; les uns assurent qu'il doit finir, les autres qu'il durera toujours. Ils ne s'accordent pas plus sur la nature de l'âme, qui, selon ceux-ci, est divine et éternelle, selon ceux-la, est mortelle et corruptible. Chacun, en un mot, a changé ou ajouté à sa fantaisie.

Il ne faut pas s'étonner que les philosophes aient défiguré de la sorte des livres si anciens, puisque des hommes sortant des écoles des philosophes ont corrompu les nouveaux livres des chrétiens, en y interpolant avec leurs opinions particulières des dogmes philosophiques:

d'un seul chemin droit ils ont fait une multitude de sentiers détournés où l'on se perd; ce e que je dis ici en passant, de peur que le grand nombre de sectes qui divisent les chrétiens ne fournissent un nouveau prétexte de nous comparer aux philosophes, et qu'on ne confonde avec elles la vérité de notre religion.

A tous ces corrupteurs de l'Evangile, nous opposons l'argument invincible de la prescription; que la seule véritable religion est celle qui, enseignée par Jésus-Christ, nous a été transmise par srs disciples, auxquels tous ces novateurs sont postérieurs. C'est dans la vérité même que, par la suggestion des esprits trompeurs, ils ont trouvé des matériaux pour élever leurs systèmes d'erreurs. Ce sont ces esprits qui ont infecté notre salutaire doctrine par un alliage impur. Ce sont eux qui ont inventé des fables à l'imitation de nos dogmes, pour affaiblir la croyance due à la vérité, et se l'attirer à eux-mêmes tout entière, soit en détournant de croire les chrétiens, par la raison qu'on ne peut pas croire les poètes et les philophes, soit en faisant même croire d'autant plus ceux-ci, qu'ils ne sont pas chrétiens.

Ainsi, préchons-nous le jugement de Dieu, on se moque de nous, parce que les poëtes et les philosophes ont imaginé aussi des juges dans les enfers. Menaçons-nous de feux souterrains qui sont destinés à la punition du crime, on rit encore plus fort, parce que la fable fait couter un fleuve de feu dans le séjour des morts. Parlons-nous du paradis, ce lieu de délices préparé par Dieu mème pour les âmes des saints, et séparé de notre globe par une portion de la zone de feu, nous trouvons que les Champs Élysées se sont emparés de tous les esprits. Or, qui estce qui a pu donner aux poêtes et aux philosophes l'idée de fictions si semblables à nos mystères, sinon nos mystères mème, d'ailleurs beaucoup plus anciens? Nos mystères doivent done paraitre plus croyables et plus certains, puisqu'on croit même ce qui n'en est que l'ombre et l'image. Dira-t-on que les poètes et les philosophes sont les créateurs de la fable? il s'ensuivra donc que nos mystères seront l'image de ce qui leur est postérieur, ce qui est contre l'essence des choses: jamais l'ombre n'est avant Je corps, ni la copie avant l'original.

XLVIII. Que quelque philosophe vienne

soutenir, comme Laberius le dit suivant les principes de Pythagore, qu'après la mort le principes de Pythagore, qu'après la mort le mulet est changé en homme, la femme en couleuvre; qu'il emploie tout l'art du raisonnement pour le prouver : ne vous séduira-t-il pas, ne vous persuadera-t-il pas de vous abstenir de la chair des animaux, vous faisant eraindre de manger vos ancètres en mangeant du bœuf? Mais qu'un chrétien vous assure que vous ressusciterez tels que vous étiez, ce ne sera pas assez pour la populace de le charger de coups, elle prendra des pierres pour le lapider. Si cependant il y a quelque fondement à l'opinion du retour des âmes humaines dans les corps, pourquoi ne reviendraient-elles pas animer les mêmes corps? C'est ce qu'on appelle ressusciter, redevenir ce qu'on était. Séparées du corps, elles ne sont plus ce qu'elles avaient été; car elles n'ont pu devenir ce qu'elles n'étaient pas qu'en cessant d'ètre ce qu'elles avaient été.

Je perdrais trop de temps, et j'apprêterais trop à rire, si je voulais examiner ici en quelle sorte de bète chacun devrait être changé : il vaut mieux continuer notre apologie et faire remarquer qu'il est bien plus raisonnable de croire que chaque homme redeviendra ce qu'il avait été, que la même âme animera de nouveau le corps, quoique peut-être la figure ne soit pas absolument la même. La résurrection est essentielle pour le jugement dernier, où l'homme doit comparaître le même qu'il était dans ce monde, pour recevoir de Dieu la récompense ou la punition qu'il aura méritée. Les corps doivent être rétablis tels qu'ils avaient été, et parce que les âmes sont incapables de sentir sans le corps, et parce qu'elles ont mérité dans le corps et avec le corps le traitement qu'elles éprouveront en vertu du jugement de Dieu. Mais comment, dites-vous, cette matière réduite en poussière pourra-t-elle de nouveau former un corps? Homme, jetez les yeux sur vous-même, et vous n'aurez plus de peine à croire. Qu'étiez-vous avant d'être homme ? rien sans doute. Si vous aviez été quelque chose, vous vous en souviendriez. Vous n'étiez rien avant d'ètre; vous ne serez plus rien, lorsque vous aurez cessé d'être. Pourquoi alors ne recommencerez-vous pas d'ètre, si celui qui vous a tiré du néant le veut? Qu'y aura-t-il de

nouveau ? Vous n'étiez rien, lorsque vous avez été fait. Lorsque vous ne serez plus, vous serez encore fait. Expliquez-moi le premier, je vous expliquerai le second. Ne semble-t-il pas que vous redeviendrez encore plus facilement ce que vous avez été déjà, après que Dieu vous a fait sans aucune difficulté ce que vous n'aviez jamais été ? Révoquerez-vous en doute la puissance de Dieu, qui a tiré l'univers du néant, qui a donné la vie à tout ce qui respire? Pour vous aider à croire. il vous a tracé plusieurs images de la résurrection.

Tous les jours la lumière expire et renaît; sans cesse les ténèbres lui succèdent pour lui faire place : les astres semblent et s'éteindre et se rallumer. Toutes les révolutions des temps se renouvellent. Les fruits finissent pour recommencer; les semences se corrompent pour multiplier; tout se conserve par sa destruction même, se reproduit par sa mort. Homme, ètre sublime, si tu as appris de l'oracle d'Apollon à «te connaître toi-même, comme le seigneur de tout ce qui meurt et de tout ce qui renaît,» toi seul en mourant tu périrais pour toujours? Quelque part que tu sois mort, quelque corps que ce soit qui ait détruit le tien, qui l'ait englouti, consumé, et, ce semble, anéanti, il te le rendra : le néant obéit à celui à qui le monde entier obéit.

«Quoi donc, dites-vous, faudra-t-il toujours mourir, toujours ressusciter?» Si le Maître de l'univers l'avait ainsi réglé, il vous faudrait bon gré mal gré subir sa loi; mais il n'a rien réglé là-dessus, que ce qu'il nous a lui-même appris. La même sagesse qui a composé l'univers, ce tout si bien assorti, des élémens les plus opposés, qui fait concourir à sa perfection le plein et le vide, les êtres animés et inanimés, ce qui tombe sous nos sens et ce qui leur échappe, la lumière et les ténèbres, la vie et la mort; la même sagesse a placé à la suite l'une de l'autre deux périodes de siècles bien différentes : la première qui a commencé avec le monde, et qui finira avec lui; la seconde que nous attendons, et qui se confondra avec l'éternité.

Lors donc que sera arrivé ce terme qui sépare le temps de l'éternité, la figure de ce monde s'évanouira; le rideau tiré, l'éternité paraîtra. Tous les hommes ressusciteront, pour recevoir

te salaire et le châtiment de ce qu'ils auront fait en cette vie, pour être heureux ou malheureux à jamais ainsi, il n'y aura plus ni mort ni résurrection. Redevenus ce que nous sommes à présent, nous ne changerons plus. Les fidèles adorateurs de Dieu revêtus de l'immortalité, jouiront éternellement de Dieu. Les profanes, tous ceux qui ne seront pas irréprochables devant Dieu, seront condamnés à des flammes éternelles et divines, qui auront la vertu de les rendre incorruptibles. Les philosophes même ont connu la différence de ce feu d'avec le feu ordinaire. Celui-ci qui sert à tous nos usages est tout autre que celui que Dieu a préparé pour être l'instrument de ses vengeances; soit qu'il tombe du ciel en forme de foudre, soit qu'il s'élance de la terre à travers le sommet des montagnes. It ue consume pas ce qu'il brûle: il répare à mesure qu'il détruit. Les montagnes brûlent et subsistent toujours. Celui qui est frappé de la foudre parmi vous, n'a plus rien à craindre du feu . Faible image de ce feu éternel qui, en vertu du jugement du ToutPuissant, exercera toujours son activité sur les méchants et les ennemis de Dieu. Pourquoi ne pourraient-ils pas éprouver ce que nous voyons arriver aux montagues qui brûlent sans se consummer?

XLIX. Ces dogmes, vous ne les traitez de préjugés que chez nous chez les philosophes et les poëtes, ce sont des connaissances sublimes. Ils sont tous des génies transcendans : pour nous, nous ne sommes que des idiots. Ils sont dignes de toute sorte d'honneurs : nous ne méritons que le mépris, et ce qui est encore pis, des châtimens.

Je veux que nos dugmes ne soient que faussetés et préjugés, ils n'en sont pas moins nécessaires; que ce soient des absurdités, elles sont cependant utiles; car ceux qui les croient sont obligés de devenir meilleurs, tant par la crainte des supplices éternels que par l'espérance d'une récompense également éternelle. Ainsi il n'est pas à propos de traiter de faussetés et d'absurdités des dogmes qu'il est à propos qu'on croie. On ne peut avoir aucune raison

Il était défendu par les lois romaines de brûler les corps de ceux qui avaient été tués par le tonnerre. Hominem ità exanima'um cremari fas non est. Condi terrà religio tradidit. (Pline, lib. 11, hist., c. 54.)

de condamner ce qui est véritablement avantageux; et c'est de votre part un préjugé que de les condamner. Quand même, ce qui ne peut ètre, ce seraient des faussetés et des absurdités, au moins elles ne sauraient porter préjudice à personne. Il faudrait alors mettre nos dogmes dans la classe de tant d'opinions vaines et fabuleuses, que personne ne vous défère, que vous ne punissez point, que vous permettez mème comme indifférentes; et si vous êtes absolument décidés à les punir, punissez-les par le ridicule, et non point par le fer, le feu, les croix et les bêtes.

Ce n'est pas seulement une aveugle multitude qui triomphe de ces cruautés révoltantes, et qui nous insulte il en est parmi vous qui cherchent à gagner la faveur du peuple par ces injustices, et qui en font gloire, comme si le pouvoir que vous avez sur nous ne venait pas de nous-mêmes. Assurément je suis chrétien, parce que je veux l'être : vous ne me condamnerez donc que parce que je voudrai bien être condamné. Puisque vous n'avez de pouvoir sur moi qu'autant que je vous en donne, ce n'est donc pas de vous, mais de moi seul que vous le tenez; et la multitude triomphe bien vainement de nous voir persécutés. C'est nous qui avons droit de triompher, puisque nous aimons mieux être condamnés que d'ètre infidèles à Dieu et nos ennemis devraient s'affliger, plutôt que de se réjouir, puisque nous avons obtenu ce que nous avions choisi.

L. «Cela étant, dites-vous, pourquoi vous plaignez-vous d'ètre persécutés, puisque vous voulez l'ètre ? vous devez aimer ceux de qui vous souffrez ce que vous voulez souffrir. >> Sans doute nous aimons les souffrances, mais comme on aime la guerre, où personne ne s'engage volontiers, à cause des alarmes et des périls; cependant on combat de toutes ses forces, on se réjouit de la victoire après s'être plaint de la guerre, parce qu'on en sort chargé de gloire et de butin. On nous déclare la guerre lorsqu'on nous mène devant les tribunaux, où nous combattons pour la vérité au péril de notre tète. Nous remportons la victoire, puisque nous obtenons ce qui fait le sujet du combat. Le fruit de la victoire, c'est la gloire de plaire à Dieu, c'est la conquête de la vie éternelle. Nous perdons la vie, il est vrai, mais nous empor

tons en mourant ce qui fait l'objet de notre ambition. Nous mourons au sein de la victoire, et par notre mort nous échappons à nos ennemis. Tournez-nous en ridicule tant que vous voudrez sur ce qu'on nous attache à des poteaux pour nous brûler avec des sarmens: ce sont les instrumens de notre victoire, les ornemens et le char de notre triomphe.

Les vaincus ont bien sujet de ne pas nous aimer: aussi nous traitent-ils de furieux et de désespérés. Mais cette fureur et ce désespoir, quand ils sont produits par la passion de la gloire et de la réputation, sont chez vous l'étendard de l'héroïsme. Scévola brûle lui-même sa main quelle constance! Empedocle se précipite dans les flammes du mont Etna: quel courage! La fondatrice de Carthage préfère un bûcher à un second mariage: ô prodige de chasteté ! Régulus, plutôt que d'être échangé contre plusieurs enuemis, souffre dans tout son corps des tourmens inouïs: ô magnanimité digne d'un Romain vainqueur, tout captif qu'il est! Anaxarque, tandis qu'on le broyait dans un mortier: «Frappe, disait-il, frappe le fourreau d'Anaxarque; Anaxarque ne sent rien.»> Quelle force d'àme dans ce philosophe, pour pouvoir plaisanter sur son état !

Je ne dis rien de ceux qui ont prétendu s'immortaliser en se donnant la mort avec le fer, ou de quelque autre façon plus douce. Vousmèmes vous célébrez la constance à souffrir les tourmens. Une courtisane d'Athènes, après avoir lassé le bourreau, se coupa la langue avec les dents, et la cracha au visage du tyran, pour qu'il lui fût impossible de révéler les conjurés, dans le cas où vaincue par la douleur, elle le voudrait elle-même. Zénon d'Élée, interrogé par Denys à quoi pouvait servir la philosophie : « A braver la mort,» répondit-il; et le tyran l'ayant fait mourir à coups de fouet, ce philosophe scella sa réponse de tout son sang. Dans la flagellation des jeunes Lacédémoniens, que la présence et les exhortations de leurs parens rendent encore plus cruelle, la mesure du sang répandu est la mesure de la gloire dont ils se couvrent.

Voilà une gloire légitime, parce que c'est une gloire humaine. Il n'y a ici ni préjugé, ni fanatisme, ni désespoir dans le mépris de la vie et des supplices: il est permis d'endurer pour la patrie, pour l'empire, pour l'amitié, ce qu'il

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