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où il mourrait le premier, à observer la continence et «à faire dans la viduité ce qu'il ne lui était pas possible de faire dans le mariage.» Ces paroles sont assez claires pour ne pas avoir besoin d'explication.

Tertullien ne put rester longtemps soumis à la marche régulière et méthodique de la société chrétienne, les émotions des persécutions avaient, comme on l'a vu, ouvert son cœur aux nouvelles croyances, et dans les intervalles des persécutions, son esprit impatient cherchait encore des dangers à braver, des perfections à atteindre, des sacrifices à faire, de la gloire à acquérir. Il lui semblait que les chrétiens mettaient trop de tiédeur dans leurs prières, dans leurs paroles, dans leurs privations, dans leurs martyres. La vie était pour lui une lutte dont une mort généreuse pouvait seule lui faire gagner le prix. Le clergé italien, moins ardent que le prêtre d'Afrique, l'engagea à plus de ménagemens envers des chrétiens créés si faibles. Il s'indigna. Ils s'emportèrent à leur tour contre lui et le blâmèrent de sa facilité à se jeter hors des voies reçues, pour suivre les traces de Montanus, qui courait risque de tout corrompre en exagérant tout, et dont l'austérité voulait prescrire aux hommes une perfection qui dépassait leurs forces. Tertullien, provoqué, poussa les choses à l'extrême et se sépara publiquement d'eux en adoptant le montanisme.

«Ce que l'on peut dire de plus probable sur ce changement, dit l'auteur d'une fort bonne dissertation critique sur Tertullien et ses ouvrages', c'est que comme la discipline de Montanus paraissait fort austère, que ses sectateurs affectaient une grande continence, qu'ils observaient de fréquens jeunes et des dévotions outrées, qu'ils multipliaient les prières, qu'ils élevaient le martyre jusqu'à soutenir qu'il n'était permis ni d'éviter la persécution par la fuite, ni de racheter la vie à prix d'argent, Tertullien, que son génie ardent et sévère poussait à porter toutes choses dans les excès, embrassa de lui-même une discipline qui s'accordait si bien avec son humeur. It est vraisemblable, car on n'en peut rien dire de certain, que ce fut vers l'an 199 de Jésus-Christ.>>

Séparé de la principale Eglise chrétienne, il n'en montra que plus d'ardeur à défendre le christianisme et à prendre à partie chacune des sectes qui voulaient élever un drapeau indépendant. Lui-même les imita toutefois, en se séparant de ses nouveaux amis les montanistes, et en créant une secte plus exaltée encore, et dont on trouvait encore des traces en Afrique au temps de saint Augustin.

En tête d'une nouvelle édition de l'Apologétique, traduite par Giry, Amsterdam, 1701, 1 vol. in-12.

Les derniers ouvrages de Tertullien sont de l'année 217 ou 218, et on place sa mort vers l'an 220.

On divise ses ouvrages en deux classes: ceux écrits avant sa séparation de l'Église romaine; ceux écrits après son adhésion au montanisme. Je les ai tous distribués dans la table ci-jointe, qui fera connaitre l'époque présumée de leur composition, et le nom des divers traducteurs français. Son ouvrage le plus célèbre est l'Apologétique. J'ai réuni tous ceux de ses traités, au nombre de vingt-trois, qui m'ont paru propres à jeter du jour sur l'histoire de l'Église chrétienne. Plusieurs de ces traités n'avaient jamais été traduits en français. M. Collet a bien voulu se charger de cette traduction. Ce n'est qu'en publiant des traités complets que l'on peut donner une idée exacte de l'histoire des hommes et de leurs idées. La crainte de grossir trop démesurément ce volume, m'a seule empêché de donner le petit nombre d'autres traités qui restaient'. Les cinq livres contre Marcion sont la partie la plus volumineuse de ce qui n'est pas publié ici.J'ai donné seulement l'extrait qu'en a fait l'abbé de Gourcy. Voici une courte analyse du traité sur l'Ame :

«Nous avons, dit Tertullien, disputé avec Hermogène sur l'origine de l'âme, qu'il soutenait avoir été créée par une suggestion de la matière plutôt que par le souffle de Dieu, maintenant nous examinerons d'autres questions, et sur beaucoup, nous entrerons en lutte avec les philosophes. Socrate, même dans sa prison, s'occupa de l'état de l'âme, mais le temps et le lieu étaient mal choisis pour cet examen. L'âme du philosophe était consternée ou par les apprêts de la mort, les pleurs de sa femme, presque déjà veuve, les cris de ses jeunes enfans, déjà orphelins, ou par les efforts qu'elle faisait pour demeurer calme et in mobile au milieu de ces violentes secousses. Que devait chercher d'ailleurs tout homme condamné injustement, et à plus forte raison un philoosphe, cet être qui se repaît de gloire, qu'on ne peut consoler sans l'irriter, que devait-il chercher alors, si ce n'est du soulagement à l'injustice qui le frappait? Aussi Socrate, en présence de la mort, invoquant l'immortalité pour son âme, présume cette vérité pour braver la vengeance d'Anytus et de Mélitus. Mais il ne l'avait pas découverte. Qui en effet peut connaitre Dieu sans connaître le Christ, le Christ sans connaître l'Esprit-Saint, et l'Esprit-Saint sans le sacrement de la foi? Socrate était livré à un autre esprit. Dès sa jeunesse, un démon, à ce qu'on dit, lui fut attaché, c'est-à-dire un maître perfide dans ses leçons. Les chré tiens n'avaient pas encore démontré qu'une telle puissance était toujours mauvaise, qu'elle était l'artisan des erreurs des hommes, et l'ennemie de toute vérité. Cependant la pythie déclara Socrate le plus sage de tous les hommes. Combien alors doit être grande la sagesse de la religion chrétienne, qui a renversé de son souffle

1 Il en reste neuf, on les trouvera indiqués dans le tatableau qui suit cette notice.

Loute la puissance des démons! C'est cette sagesse qui repousse les dieux du ciel, ou, pour mieux dire, les dieux du siècle, qui s'avilirait en sacrifiant un coq à Esculape, qui n'établit pas un nouveau culte de démons, mais qui repousse l'ancien, qui ne corrompt point, mais affermit la jeunesse dans de bonnes mœurs, qui fait disparaitre l'erreur, au nom de la vérité, non pas d'une seule ville, mais encore de tout l'univers, qui se dévoue, pour soutenir cette même vérité, à tous les tourmens et à tous les supplices; c'est cette sagesse et non celle des philosophes qui découvrira, en suivant les lois de Dieu, ce qu'on doit croire sur l'âme. Certes nul ne peut mieux que Dieu, qui l'a créée, en faire connaître la nature. Qui en effet révélera ce qu'il a formé? Comment pourra-t-on le savoir? Il est plus sûr d'ignorer, parce que Dieu n'a pas révélé, que de savoir parce que l'homme a présumé. Nous ne nions point cependant que les philosophes n'aient pu quelquefois trouver la vérité. Au milieu des tempêtes qui troublent le ciel et la mer, un port, par un heureux hasard, peut se montrer au pilote; et au sein des ténèbres, un aveugle bonheur découvrir une issue. Ainsi beaucoup de vérités nous sont suggérées par notre nature; mais quel fondement établir sur la philosophie? habile à construire et à détruire, et persuadant plus en disant qu'en instruisant, elle régente la nature, la plie à ses lois, et contredit celles que le Créateur lui a imposées. Bien plus, elle a puisé beaucoup de sa science dans les livres sacrés (car l'antiquité a cru que des dieux avaient écrit des livres), et ces livres sont apocryphes. Nous devons, à ce sujet, nous rappeler les faux prophetes et les esprits rebelles qui essayent par la ruse de leur génie de tromper les hommes; aussi faut-il n'accepter de leur Enseignement que ce qui est conforme à la loi et aux prophètes. Enfin chez ces philosophes, on trouve plus de diversité que d'accord, et de grandes différences parmi Les membres d'une même école. Toutefois ils émettent des vérités conformes à la Bible; et elles sont encore à redouter, parce qu'elles y sont au service de l'erreur. Tertullien annonce qu'il dégagera chez ces philosophes le vrai du faux, et combattra lorsque l'occasion se présentera les opinions erronées qu'il soutiennent. Les philosophes et les médecins ont beaucoup écrit sur l'âme; partout obscurité, disputes, incertitudes Le chrétien n'a pas besoin de beaucoup connaitre à ce sujet, car les choses certaines sont toujours peu nombreuses, et il ne lui est pas permis de chercher plus qu'il ne peut trouver. L'apôtre défend les questions sans bornes. Il n'est permis de trouver que ce qui est appris par Dieu, et ce qui est appris par Dieu est tout. Après ce long préambule, Tertullien entre en matière et expose ses idées sur l'âme.

L'âme a été créée par le souffle de Dieu, et non par son esprit; elle est matérielle et composée d'une substance différente du corps et particulière; elle a toutes les qualités de la matière, mais elle est immortelle; elle a une figure comme les corps; elle naît en même temps que la chair, et reçoit un caractère d'individualité qu'elle ne perd jamais. Elle est complice des fautes du corps, et comme telle, elle est punie. Après la mort, elle descend aux enfers où elle attend le jugement dernier.

L'âme est créée, dit Tertullien, et il combat à ce sujet l'opinion de Platon qui la fait exister de toute éternité L'Écriture tranche toute difficulté en décidant que Dieu anima l'homme de son souffle. Un grand nombre de philosophes établissent la corporalité de l'âme; c'est Hip

parque et Héraclite avec le feu, Hippon et Thales avec l'eau, Empedocle et Critias avec le sang, Épicure avec ses atomes, Critias et ses péripatéticiens avec je ne sais quelle quintessence. Les platoniciens repoussent cette opinion. Tout corps, disent-ils, est animé, ou inanimé. S'il est inanimé, il est mû ou peut être mû extérieurement; s'il est animé, il est mû intérieurement. Or l'âme n'est pas mue extérieurement, et elle n'est pas mue non plus intérieurement; donc elle n'est pas un corps, puisqu'elle échappe aux deux conditions qui font les corps. Or on ne saurait admettre la proposition de Platon. Siles corps seuls sont mus extérieurement; l'ame qui est mue extérieurement, qui entre en colère, qui prophétise, qui se passionne en présence des objets extérieurs, est donc un corps.

Mais tout corps se nourrit en s'assimilant d'autres corps; c'est là une preuve de leur nature. Eh bien, l'âme se nourrit au moyen des études. Bien plus encore, Soranus démontre que sans nourriture, elle faiblit, elle languit, elle abandonne enfin le corps.

Cléanthe établit que les fils ressemblent à leurs pères non par leur extérieur seulement, mais encore par leurs qualités morales; et que l'âme se moule sur le corps.

Mais comment les sens corporels et intellectuels remplissent-ils leurs fonctions chez l'homme ? Les qualités des choses corporelles, comme terre, feu, eau, arbres, répondent aux sens corporels, c'est-à-dire au taet, à la vue, à l'ouïe, etc.; les qualités des choses incorporelles, comme la bonté, la méchanceté, la douceur, répondent aux sens intellectuels.

Mais pour établir la corporalité de l'âme, nous avons assez cité les philosophes; recourons à l'Évangile. Ge saint livre nous montre une âme dans les enfers, dévorée par les flammes et tourmentée par la soif; elle demande à l'âme d'un bienheureux qu'il daigne laisser tomber de son doigt une goutte d'eau. Pensera-t-on que le mauvais riche qui se lamente et le pauvre qui se réjouit ne soient qu'une parabole ? Mais ce n'est point une parabole; on donne à l'un d'eux le nom de Lazare. Mais lors même que ce ne serait point la vérité, c'en serait toujours une image. Si l'âme n'avait pas un corps, en prendrait-elle l'apparence, et l'Ecriture ferait-elle mention de ses membres?

L'âme a donc un corps; il est conséquent qu'elle ait une figure, c'est-à-dire les trois dimensions matérielles. Il est aujourd'hui une de nos sœurs, dit Tertullien, douée du pouvoir des révélations. En extase dans l'esprit, elle les éprouve pendant les services divins; elle converse avec les anges, quelquefois avec le Seigneur; elle voit et entend les sacremens, connait les creurs de quelques hommes, et donne des remèdes à ceux qui en ont be soin. Soit qu'on lise les Écritures, qu'on chante les psaumes, qu'on adresse des allocutions au peuple, ou qu'on accorde des demandes, elle trouve là matière a ses visions. Par hasard je ne sais quelle chose nous dimes sur l'âme pendant qu'elle était dans l'esprit. Le service saint célébré, et le peuple sorti... «Entre autres choses, dit-elle, une âme s'est montrée à moi corporellement, et je voyais l'esprit revêtu entièrement d'une forme humaine, brillante, et d'une couleur d'azur (ætherii coloris). Voilà sa vision.»

Elle confirme une conséquence tirée de la corporalité de l'âme. Ainsi lorsque Dieu eut soufflé le souffle de vie sur la face de l'homme, et que l'homme eut été

fait en âme vivante, ce souffle fut aussitôt par la face transmis dans l'intérieur et répandu dans toutes les parties du corps; et en même temps il se condensa sous la divine aspiration, se comprima dans les limites corporelles qu'il avait remplies comme s'il avait été jeté dans un moule... Ainsi, dès la création, l'âme fut placée dans le corps d'Adam, afin qu'elle devint la semence de la substance et de la condition de toutes les âmes.

Quoique cette âme soit répandue dans tout le corps, elle a néanmoins un séjour principal dans la partie du corps où elle réside, et sans laquelle elle ne peut plus y demeurer. Cette partie vitale et sapientiale s'appelle hegemonicum. Des philosophes la nient, d'autres l'établissent; et d'après l'Écriture, elle est placée dans le cœur. Dieu voit le secret des cœurs; les prophètes en devinent les mystères. Dieu dit à son peuple: «Que pensez-vous de mauvais dans vos cœurs? David s'écrie: «0 mon Dieu! donnez-moi un cœur pur. » Et Paul : « Cœur, croyez à la justice. Et Jean dit : «Chacun est repris par son cœur. Enfin Celui qui désirera la femme d'autrui est déjà adultère dans son cœur. »

Ensuite, Tertullien examine les reproches qui ont été adressés aux cinq sens, parcourt les opinions des systèmes philosophiques à leur sujet. Platon établit leur impuissance à découvrir la vérité. C'était pour Tertullien une question importante que de réfuter cette opinion, car elle est la base de beaucoup d'hérésies. Il argumente ainsi : « Les sens trompent-ils en effet? Ils sont en général fideles; ils ne trompent que lorsqu'ils passent à travers des circonstances particulières, mais qu'on peut prévoir. Ainsi un bâton plongé dans l'eau semble se briser; mais c'est un effet physique dont l'on tient compte. Une tour carrée vue de loin parait ronde; mais c'est un effet du trop grand éloignement, etc. Ces erreurs des sens sont facilement prévenues. On ne doit pas en conséquence repousser le témoignage des sens.»

Après cette digression, Tertullien examine si l'intellect se trouve toujours dans l'âme. En effet certains philosophes croyaient que dans l'enfance l'homme n'avait point d'intellect et qu'il lui était donné extérieurement à un âge plus avancé; mais à peine sorti du sein de sa mère, l'enfant salue la lumière par ses vagissemens; il comprend qu'il est né; il fait usage de ses sens, il odore, il goûte, il voit. Il se plaint d'une position incommode, et ses larmes en réclament le changement. Son esprit distingue déjà sa mère, sa nourrice, les personnes qui veillent sur lui; il repousse le sein d'une étrangère et distingue son petit berceau. Tertullien voit dans ces indices la preuve de l'intelligence de l'enfant dès sa naissance.

Il semble que Tertullien eût du exposer ses idées sur l'origine de l'âme que d'autres faisaient descendre du ciel pour animer le corps, ou sur la conception de l'âme, que d'autres conduisaient dans le corps après l'enfantement.

L'âme, suivant lui, ne descend pas du ciel, mais elle vient du souffle de Dieu; elle existe en même temps que la chair. Il est des hommes audacieux, ajoute-t-il, qui soutiennent que l'âme n'est point conçue dans l'utérus avec la formation de la chair, mais que l'accouchement opéré, elle est introduite dans le corps de l'enfant. Cette opinion est partagée par les stoïciens, par OEnésidėme, et par Platon, lorsqu'il dit que l'enfant reçoit l'âme avec son premier souffle et qu'elle s'enfuit avec le dernier souffle de l'homme. Tertullien a ici un beau mouvement. « O mères, ô femmes enceintes, répondez. Je ne veux point interroger les hommes

ni celles que la stérilité afflige. C'est vous, mères, qui rendrez témoignage à la vérité, qui attesterez vos souffrances. Ne sentez-vous point pendant votre grossesse des mouvemens intérieurs qui fatiguent vos flancs, grossissent votre ventre et le font tressaillir? Ces mouvemens font votre joie et votre bonheur; c'est pour vous une assurance que votre enfant vit et joue dans votre sein. S'il cesse de remuer ses petits membres, vous tremblez déjà. N'écoute-t-il point en vous le bruit qui frappe vos oreille? N'éprouvezvous point pour son compte des appétits de nourriture ou des répugnances? Il ressent le contre-coup de votre santé; il partage dans votre sein les douleurs qui vous frappent, et il annonce par ses mouvemens qu'il prend part aux injures que vous recevez. Cet enfant a donc une ame. L'Écriture en effet nous montre les enfants des saintes femmes prophétisant déjà dans le ventre de leur mère. Ésau et Jacob se battent dans les entrailles de Rebecca..

Mais si les âmes naissent avec le corps, il s'ensuit qu'elles ne peuvent rien avoir appris d'un état antérieur, et qu'elles ne se rappellent pas plus tard ce qu'elles ont su autrefois; il s'ensuit aussi qu'elles ne peuvent avoir partagé auparavant le sort d'autres individus. Tertullien attaque à ce sujet d'abord Platon, ensuite Pythagore et Héraclite.

Il reproche à Platon, après avoir égalé l'âme à Dieu, en la faisant incréée, immortelle, éternelle, incorruptible, incorporelle, d'une nature indivisible, raisonnable, intelligente, de la rendre capable d'oubli. Si l'âme est éternelle et incréée, le temps ne mesurera point son commencement, sa durée, sa fin; mais si elle n'est pas soumise au temps, le temps n'aura aucune action sur elle; donc elle ne pourra perdre la mémoire. Mais Platon établit que cela a eu lieu par son emprisonnement dans le corps; cet emprisonnement ne saurait rien changer à la nature de l'âme. Or on la voit apprendre et chercher à s'instruire sur les choses de l'autre monde; c'est donc qu'elle n'en a jamais rien su.

Platon émet l'opinion que les vivans naissent des morts; mais cette maxime est fausse; elle a été empruntée à Pythagore, à un imposteur. Ce philosophe se fit passer pour mort, et pendant sept ans se cacha dans un souterrain; là il se faisait raconter par sa mère ce qui se faisait chez ses concitoyens, Enfin il sortit de sa caverne comme s'i! échappait aux enfers. Qui, après avoir cru à sa mort n'eût pas cru aussi à sa résurrection, surtout en l'entendant rapporter des faits qu'il paraissait n'avoir pu apprendre que chez les morts? De là aussi cette maxime que les vivans naissent des morts. Mais Pythagore pourrait-il me persuader ses diverses transformations ? qu'ʼn a été Éphalides, Euphorbe et le pêcheur Pyrrhus et Hermippas avant d'être Pythagore? Peu importe qu'il reconnaisse le bouclier d'Euphorbe consacré à Delphes, qu'il ait dit lui appartenir et qu'il l'ait prouvé au peuple! Songez au souterrain et croyez. Si celui qui se disait Euphorbe et le prouvait par son bouclier, l'était réellement, comment ne reconnut-il aucun Troyen de ses compagnons? Comment personne autre que lui ne peut-il se rappeler les transformations éprouvées? Il est impossible de concevoir aussi qu'une même âme se soit manifestée avec des apparences si contradictoires dans l'esprit de Pyrrhus, d'Euphorbe, d'Éphalides, de Pythagore. Ces hommes étaient différens d'inclination, de manières et d'état.

Si les vivans venaient des morts et les morts des vi

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vans, il y aurait toujours un même nombre de vivans, mais on voit le contraire. Une infinité de nations ne pouvant plus nourrir une population trop abondante, ont été forcées d'envoyer des colonies.

Il ajoute ensuite contre la doctrine de la métempsycose: qu'il ne peut y avoir de rapport entre les âmes des hommes et celles des bêtes. Comment, dit-il, l'âme d'un homme remplira-t-elle un éléphant ou s'introduira-t-elle dans un puceron? elle ne pourrait le faire qu'en ajoutant à sa nature, ou en en perdant. Or, si elle faisait cela, elle ne serait plus la même âme : il ne saurait donc y avoir mětempsycose. ・

Après ces questions accessoires, Tertullien examine les différentes qualités de l'âme. Ayant établi que toutes les âmes étaient d'une même substance, il lui importe de dire comment il se fait qu'elles n'aient point un même caractère, une même intelligence, de mêmes dispositions. Toutes les qualités, expose-t-il, sont renfermées en un germe dans la substance de l'âme; en d'autres termes, l'âme a la faculté de tout faire, mais elle rencontre dans ses actes des circonstances intérieures ou extérieures, qui lui donnent une direction plutôt que telle autre. Senèque, d'accord avec nous, dit que l'âme a en germes tous les arts et toutes les sciences. De là la différence des caractères, des génies entre les hommes. L'âme de l'un suit une pente; l'âme d'un autre une autre. C'est ainsi que les graines d'une même plante se développent différemment et ne donnent pas la même qualité de fruits. L'air, le sol, l'exposition des lieux, l'état du corps, son embonpoint, sa maigreur, ses maladies, contribuent à modifier et à diriger les expressions des âmes. Elles sont aussi aiguillonnées par les passions ou s'en mettent plus ou moins à l'abri, élevées vers Dieu ou tentées par le démon. Mais quoi qu'il en soit, l'âme humaine n'a qu'une seule substance, celle que Dieu donna à l'âme d'Adam, et qu'il nous a transmise de génération en génération.

L'âme est le directeur et en quelque sorte le cocher du corps; néanmoins on dit que la chair est pécheresse; c'est que l'âme, en commettant des fautes, n'est pas seule coupable, le corps lui prête ses offices; et quelquefois ce sont les mauvais penchans du corps, sa gourmandise, sa luxure, qui entraînent l'âme dans la violation des lois morales. Ainsi le corps est justement puni avec l'âme.

L'âme est toujours en état d'action; elle ne connatt point le repos comme le corps. Tandis que celui-ci, épuisé sous les fatigues du jour, remet par le sommeil le calme

dans ses sens, elle parcourt les mers, les terres, elle commerce, elle s'enrichit, elle s'inquiète, elle pleure, elle rit elle poursuit le juste ou l'injuste, elle montre ainsi ce qu'elle peut sans l'office des corps, et ce que nous devons attendre après la fin de cette vie.

Lorsque la mort c'est emparée du corps, l'âme le quitte aussi et il n'en reste rien dans son enceinte. C'est en vain qu'on cite la croissance des ongles, de la barbe et des cheveux, qui s'opère après la mort. C'est là un effet physique qu'on peut expliquer par l'action de l'air, mais qui ne peut prouver qu'une parcelle de l'âme reste dans le corps; car la mort est indivisible et parce qu'elle attaque l'âme indivisible et immortelle de sa nature, et parce que de sa nature elle est indivisible aussi. Platon compare le corps à une prison, mais l'apòtre de Dieu dit: que lorsqu'il est avec Jésus-Christ, il est un temple. Cependant il est vrai que le corps renferme l'âme, l'obscurcit, la souille par la lie de la chair, par son contact (et concretione carnis infecat); la lumière ne lui parvient que confuse et comme à travers une corne. et dès quelle a brisé les entraves qui la retenaient, elle revient à soi, se reconnaît dans sa propre substance, et semble sortir d'un songe. L'âme, en s'échappant du corps, descend dans les enfers, c'est-à-dire dans une immense étendue souterraine, placée dans les entrailles de la terre. « Nous ne croyons point, dit-il, que les enfers soient un souterrain tout nu, et une sentine recouverte d'un toit dans quelque partie du monde. Les enfers sont, suivant lui, placés sur les abîmes inférieurs. Toutes les âmes descendent dans les enfers et y sont renfermées jusqu'au jour du jugement. « Mais, répondra-t-on, Jésus-Christ y est descendu et nous en a rachetés! Qu'on n'oublie point que les âmes ne peuvent être transportées au ciel que lorsque la trompette de l'archange sonnera. Ainsi elles descendent toutes aux enfers, dis-tu? Pendant cette demeure transitoire dans ce lieu, souffrent-elles et sont-elles récompensées selon leurs mérites? Sans aucun doute, car dans l'attente du jugement qui sera prononcé, elles se réjouissent ou sont rongées dans leur cœur.»

La première édition de Tertullien est celle de Froben. Båle, in-fol., 1521, avec une préface et des notes.

L'édition sur laquelle j'ai collationné les traductions est celle de Wibourg. 2 vol. in-12, 1780 et 1781.

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1. Ceux qui regardent la discipline. - 2. Ceux qui combattent les hérétiques.

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