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MINUCIUS FÉLIX,

NÉ VERS LA FIN DU SECOND SIÈCLE.

Tout ce qu'on sait sur Marcus Minucius Félix, c'est qu'il était né en Afrique, sur la fin du deuxième ou au commencement du troisième siècle, qu'il vint s'établir à Rome, où il acquit la réputation d'un des premiers orateurs de son siècle, et qu'il a écrit d'un style fort élégant le dialogue d'Octavius, que l'on trouve dans ce volume. Cet agréable petit traité est plutôt sans doute la production d'un homme d'esprit et d'un homme du monde, que celle d'un théologien de profession; mais tel qu'il est, on le lit avec beaucoup de plaisir, et il donne des idées fort justes sur l'état du paganisme déclinant et du christianisme croissant. On avait longtemps regardé ce traité

comme le huitième livre du traité d'Arnobe, Adversus gentes; mais Adrien de Jonghe, célèbre philologue hollandais, s'aperçut le premier de cette bévue, et depuis ce temps le traité d'Octavius a été plusieurs fois réimprimé séparément et sous le nom du véritable auteur, Minucius Félix, dont Lactance et saint Jérôme ont parlé avec beaucoup d'éloges.

La première édition séparée du traité de Minucius Félix est celle donnée à Heidelberg, in-8", 1560.

Il a été traduit plusieurs fois en français. J'ai revu l'ancienne traduction française sur le texte, et je l'ai corrigée.

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Schoell a donné dans son quatrième volume de l'Histoire de la Littérature romaine, un article dans lequel saint Cyprien se trouve fort judicieusement apprécié comme homme et comme écrivain.

«Saint Cyprien ou Thascius Cæcilius Cyprianus, était, dit Schoell, né en Afrique, peut-être à Carthage. Il enseignait la rhétorique lorsque, dans les années 244, 245 et 246, un prètre de Carthage, nommé Cœcitius', le convainquit de la vérité du christianisme. Ce fut alors que, par reconnaissance, il ajouta le nom de ce prêtre aux deux noms qu'il portait auparavant. Son érudition et son zèle lui méritèrent, peu après, le baptême et l'ordre de la prêtrise. L'année suivante, il fut évêque de Carthage. Ce fut en 249 qu'éclata la persécution ordonnée par l'empereur Décius. Comme elle était principalement dirigée contre

! C'est à ce qu'on croit le même personnage qui dans le dialogue de Minucius Félix est représenté comme opposant les argumens les plus ferts à la doctrine du christianisone, qu'il embrassa lui-même depot

les chefs de l'Église, la populace païenne de Carthage demanda avec fureur que saint Cyprien fût jeté aux lions1. L'évêque crut devoir se soustraire à la fureur de ses ennemis et se cacha jusqu'en 251. Du lieu de sa retraite, il exhorta son troupeau à la constance. Après que la persécution se fut apaisée, il s'éleva dans l'Église catholique une dispute très-chaude sur la question du savoir si l'on pouvait recevoir dans le sein de l'Église ceux qui, au lieu de mériter la couronne du martyre, avaient eu la faiblesse de se soumettre à quelques-uns de ces actes dont les païens se contentaient, parce qu'ils les interprétaient comme une abjuration du christianisme. Saint Cyprien, d'accord avec le pape saint Corneille, conseilla de ne pas pousser trop loin la rigueur contre ces malheureux repentans. Novatus, prêtre de Carthage, qui était l'ennemi de Cyprien, parce que ce prélat l'avait cité devant son tribunal à cause de la corruption de ses mœurs, et

› Une peste avoit éclaté et ou accusait les chrétiens des malheurs de Ferogire

Novatianus, l'antagoniste de saint Corneille à la papauté, refusèrent de rester en communion avec des apostats et formèrent un schisme que saint Cyprien ne cessa de combattre. Une nouvelle persécution des chrétiens fut ordonnée en 257, par Valérien. Le proconsul d'Afrique se contenta d'exiler saint Cyprien à Curubis. L'année suivante, on lui permit même d'habiter sa campagne près de Carthage. Cependant le proconsul ayaut reçu, pendant qu'il séjournait à Utique, de nouveaux ordres qui ne lui permettaient plus d'observer de ménagemens, ordonna d'amener saint Cyprien dans cette ville. L'évêque se cacha, non parce qu'il voulait se soustraire au martyre, qu'il disait lui avoir été annoncé par Dieu, même dans un songe, mais parce qu'il voulait mourir au sein de son troupeau. Aussi le proconsul fut-il à peine retourné à Carthage, que saint Cyprien sortit de sa retraite. Il fut décapité le 14 septembre 258. Il existe 14 ouvrages de saint Cyprien, et de plus, 83 lettres intéressantes pour la connaissance de l'histoire ecclésiastique. Une des productions les plus importantes de saint Cyprien, est son traité de l'Unité de l'Église. Les protestans veulent le faire regarder, sinon comme l'auteur de cette maxime fondamentale de la religion catholique, au moins comme celui qui l'a le premier developpée et lui a donné sa forme systématique. Ils lui reprochent aussi l'éloge excessif, selon eux, qu'il donne aux bonnes œuvres et aumônes, dans son traité qui porte ce titre. Tous les partis conviennent que saint Cyprien était un homme pieux et zélé pour le maintien de l'ordre et de la discipline dans son Église. Il ne se distingua pas comme dogmatiste, ni comme, interprète des saintes Écritures. Son principal mérite, comme écrivain, consiste dans sa morale. Lactance, qui a été professeur de rhétorique, loue son style, saint Jérôme son éloquence et sa clarté. Les modernes n'ont pas confirmé ce jugeinent dans tous ses points; on trouve que saint Cyprien a les défauts de son modèle, Tertullien ; et que, comme celui-ci, il manque de simplicité. La considération personnelle qu'il acquit par sa piété, par son zèle et par le courage avec lequel il mourut pour sa foi, lui ont acquis dans l'Église catholique une grande autorité, et il est un de ceux qui ont fixé la dogmatique et la phraséo

1Saint Cyprien avait, dit Lactance, un esprit subtil, agréable et une grande netteté, ce qui est une des plus belles qualités du discours. Son style est orné, son expression facile, son raisonnement doué de force et de vigueur; il plait, instruit, persuade, et fait si bien ces trois choses qu'il serait difficile de dire dans laquelle il excelle le plus. Institutions divines, liv. v, chap. 1.)

logie sacrée, ou ce qu'on appelle la latinité ecclésiastique. Sa réputation fut cause qu'on forgea par la suite sous son nom beaucoup d'ouvrages que la critique a rejetés comme supposés; de ce nombre sont plusieurs pièces en vers.»

La lettre écrite par saint Cyprien à son ami Donat, quelque temps après leur baptême, complétera cette notice de Schoell, en faisant connaltre plus intimement la direction d'idées habituelles de saint Cyprien.

« Vous avez raison, mon cher Donat, de m'avertir de m'acquiter de ma promesse. Car je me souviens de vous avoir promis ce que vous me demandez, et cette saison est tout-à-fait favorable pour cela, puisque c'est le temps des vendanges, où l'esprit libre de tous soins se délasse des fatigues du reste de l'année. La beauté même du lieu où nous sommes s'accorde fort bien avec celle du jour, et la face riante de ces jardins conspire avec la douceur de l'automne à flatter agréablement les sens. Je suis donc d'avis que nous passions ici ce beau jour à nous entretenir, et à nous instruire l'un l'autre des divins préceptes. Et de peur que quelque profane ne vienne troubler notre entretien, ou que le bruit de la maison ne nous incommode, allons nous asseoir là-bas où ces pampres de vigne qui serpentent alentour de ces ormeaux forment un couvert et une retraite agréable. Ce lieu, ce me semble, est fort propre à notre dessein; et en même temps que cette belle verdure réjouira nos yeux, notre esprit se nourrira avec plaisir des choses que nous dirons, quoique je voie bien que vous ne vous souciez maintenant que de m'entendre, et que méprisant tous ces objets qui pourraient charmer vos yeux, vous les tenez seulement attachés sur moi; car l'affection que vous me portez vous rend extraordinairement attentif. Mais que puis-je vous dire qui soit capable de répondre à cette grande attention, et de vous satisfaire? La médiocrité de mon esprit n'est pas suffisante pour produire de grandes choses, et ne vous attendez pas à recueillir une moisson bien riche. Je m'efforcerai néanmoins selon mon pouvoir, puisque aussi bien la matière que j'ai à traiter est avantageuse. Au barreau, ou devant le peuple, l'éloquence a un vaste champ pour paraître; mais lorsqu'on parle des choses de Dieu, la vérité et la simplicité sont le plus bel ornement du discours. C'est pourquoi n'attendez pas de moi des choses éloquentes, mais fortes; ni que j'emploie ici des mots choisis et recherchés comme si j'avais à parler devant le peuple. Je vous entretiendrai d'une façon simple et grossière, comme la plus propre au dessein que j'ai de relever la bonté et la miséricorde de Dieu. Car ce dont je vous veux parler se sent avant qu'on l'apprenne, et ne s'acquiert pas par une étude longue et pénible, mais est l'effet d'une grâce prompte et puissante.

Lors donc que je languissais dans les ténèbres d'une nuit profonde, et que flottant sur la mer orageuse du siècle, j'étais incertain de ce que je devais faire, rebelle à la lumière et à la vérité, je trouvais extrêmement dur ce qu'on me promettait de la bonté de Dieu pour être sauvé: qu'on pût naltre encore une fois, en sorte que recevant une nouvelle vie dans les eaux du baptême, on se dépouillåt de ce qu'on était auparavant, et qu'un homme changeât entièrement d'esprit, son corps demeurant tou

jours le même. Comment, disais-je, un si grand changement est-il possible? Comment se défaire tout d'un coup de ce que la nature ou l'habitude ont tellement fortifié? Ce sont là des choses profondément enracinées dans l'âme. Comment un homme accoutumé à faire bonne chère apprendra-t-il en un moment la sobriéte? Peut-on croire qu'une personne qui s'est toujours superbement vêtue, et qui a porté jusqu'ici des habits d'or et de soie, se puisse résoudre à s'habiller simplement et modestement? Un autre qui aura passé sa vie dans des charges et des emplois considérables, se réduira-t-il à une condition privée? Et celui qui s'est toujours vu accompagné d'une foule de personnes qui dépendaient de lui, ne regarderat-il pas la solitude comme un supplice? Il faut que ceux qui ont vécu depuis si longtemps sous l'empire de leurs passions, en soient encore dominės; que la débauche les entratne, que l'orgueil les enfle, que la colère les enflamme, que l'avarice les tourmente, que la vengeance les anime, que l'ambition les charme, que la volupté les précipite. Voilà ce que je repassais souvent en moi-même. Car comme je me trouvais engagé dans une infinité de mauvaises habitudes dont je ne croyais pas pouvoir sortir, je secondais mes inclinations vicieuses; et désespérant de devenir meilleur que je n'étais, je m'accoutumais avec mes maux, qui m'étaient déjà comme passés en

nature.

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Mais lorsque les souillures de ma vie passée étant nettoyées par l'eau salutaire de la régénération, la lumière se répandit d'en haut dans mon cœur; lorsque, ayant reçu le Saint-Esprit, une seconde naissance m'eut fait devenir un nouvel homme aussitôt mes doutes s'éclaircirent, mon esprit s'ouvrit, mes ténèbres furent dissipées; ce que je trouvais difficile me sembla facile, et je crus qu'on pouvait faire ce que j'avais estimé jusque alors impossible; en sorte qu'il était aisé de reconnaitre que ce qu'il y avait auparavant en moi de charnel et de déréglé venait de la terre, et que ce que le Saint-Esprit animait déjà venait de Dieu. Vous savez vous-même aussi bien que moi, et vous le reconnaissez, ce que cette mort de nos crimes et la vie des vertus a ôté en nous et y a mis. Vous le savez, et je n'ai que faire de le publier; car la louange de soi-même est odieuse; quoi qu'on puisse dire que ce n'est pas une vanité, mais une reconnaissance d'attribuer la gloire d'une chose à Dieu et non pas à l'homme, et d'imputer à la grâce de la foi de ce qu'on ne pèche plus, comme à l'erreur humaine de ce qu'on a péché autrefois. Oui c'est de Dieu que nous tenons tout ce qu'il y a de force en nous. C'est lui qui nous fait vivre; c'est lui qui nous anime, et qui, nous donnant une nouvelle vigueur, fait que dès ce monde nous avons déjà des pressentimens de l'avenir. Ayons seulement soin de vivre toujours dans la crainte, comme étant la gardienne de notre innocence, afin que Notre-Seigneur qui a fait reluire les rayons de sa grâce en notre âme, soit convié à y demeurer par le plaisir que nous prendrons à bien faire, et qu'il n'arrive pas que l'assurance du pardon de nos fautes nous rende négligens, et laisse une porte ouverte à l'ancien ennemi pour rentrer en nous. Mais si vous ne sortez point de la voie de la justice et de l'innocence; si vous y marchez d'un pas ferme et égal; si, vous tenant attaché à Dieu de tout votre pouvoir et de tout votre cœur, vous demeurez toujours le même que vous avez commencé d'être, la grâce spirituelle s'augmentera en vous et vous donnera de nouvelles forces. Car les dons célestes ne res

semblent pas aux bienfaits des hommes; ils ne reçoivent ni bornes ni mesure. Le Saint-Esprit qui se répand aboudamment, n'est resserré par aucunes limites, et ne se renferme point dans un espace fixé. Ses eaux coulent toujours, et se débordent de toutes parts. Que notre cœur seulement soit altéré et ouvert, et elles l'inonderont à proportion que la grandeur de sa foi le rendra capable de les recevoir. Lorsque nous serons chastes et purs, modestes dans nos actions, retenus dans nos paroles, nous pourrons même guérir les malades, et éteindre la malignité du poison qui les infecte; nous pourrons rendre la santé spirituelle à ceux qui l'ont perdue, la tranquillité aux outrageux, la paix aux colères, la douceur aux emportés; nous pourrons obliger par nos menaces les esprits immondes et vagabonds qui tourmentent les corps des hommes à confesser ce que nous leur demanderons, les presser de se retirer par des fouets invisibles, et lorsqu'ils résisteront, qu'ils pleureront, qu'ils gémiront, redoubler leurs châtimens, les battre de nouveau de verges spirituelles, et les brûler par le feu de nos prières. Car les exorcismes que nous faisons sur les possédés se voient; mais les tourmens qu'en souffrent les démons qui les possèdent ne se voient point. Ainsi le Saint-Esprit agit avec liberté et autorité à cause de la grâce que nous avons déjà reçue par le baptême; mais parce que nous n'avons pas encore changé de corps, nos yeux sont couverts de nuages et ne sauraient apercevoir ce qui se passe. Combien un esprit ainsi renouvelé par les eaux du baptême est-il fort! combien est-il puissant! puisqu'il n'est pas seulement délivré des attachemens qu'il avait au monde et à couvert des efforts de l'ennemi par la pureté et l'innocence qu'il a reçue; mais que sa vigueur et ses forces étant encore augmentées, il commande avec empire à toute l'armée des démons.

Mais afin que vous compreniez encore mieux l'éminence de cette grâce, je veux éclaircir cela davantage, et mettre cette vérité dans un plus grand jour. Imaginez-vous donc que vous êtes transporté sur le sommet d'une haute montagne, d'où vous voyez tout ce qui se passe au-dessous de vous; et que jetant les yeux de tous côtés, vous contemplez dans un calme d'esprit tout entier toutes les tempêtes et les agitations du monde. N'est-il pas vrai que vous commencerez à en avoir pitié, et que cela vous faisant 'faire réflexion sur vous-même, et sur la grâce que Dieu vous a faite, vous serez encore plus aise d'être échappé d'un si grand péril ? Considérez les chemins remplis de voleurs, les mers couvertes de corsaires, les guerres qui répandent partout l'effroi et l'horreur. Toute la terre est teinte du sang des batailles. L'homicide est un crime quand un particulier le fait, mais on l'appelle vertu et courage lorsqu'on le commet plusieurs emsemble; et ce n'est pas la raison de l'innocence, mais la grandeur de la cruauté qui le rend impuni. Que si vous tournez la vue du côté des villes, vous y trouverez une compagnie plus à craindre que la plus affreuse solitude. On y prépare des spectacles de gladiateurs pour repaltre les yeux des assistans de sang et de carnage. On nourrit ces victimes publiques de viandes solides, et on huile leurs membres charnus, afin qu'ils soient plus forts et plus souples, et qu'ils vendent plus chèrement leur vie. Un homme est tué pour donner du plaisir à un homme. Ainsi l'on ne commet pas seulement les crimes, mais on enseigne à les commettre. Se peut-il rien imaginer de plus barbare et de plus inhumain que cela? Mais que di

rez-vous de ceux qui s'exposent aux bêtes, quoique per sonne ne les y ait condamnés? Des gens à la fleur de leur age, bien faits, bien vêtus, s'apprêtent de sang-froid à faire eux-mêmes leurs funérailles, et sont assez misérables pour se glorifier de leur misère. Les bêtes combattent ainsi contre des bêtes, non pour expier leurs crimes, mais pour assouvir leur fureur. Les pères regardent combattre leurs enfans; un frère est dans l'amphithéâtre, et sa sœur est présente; une mère assiste au triste objet de sa douleur, et elle-même fournit aux frais et à la dépense. Et ils croient qu'au milieu de ces spectacles impies et funestes leurs yeux ne sont pas parricides! De là jetez la vue sur d'autres spectacles qui ne sont pas moins dangereux, et vous verrez sur les théâtres des choses pitoyables et honteuses tout ensemble. La tragédie se fait gloire de représenter les crimes passés, et l'on y renouvelle l'horreur des parricides et des incestes, de peur que la mémoire de ces belles actions ne s'efface par le temps. Tout le monde est averti par là qu'on peut faire ce qui s'est déjà fait. On a trouvé cette invention pour ne laisser jamais mourir le souvenir des crimes, et pour les faire passer à la postérité Ces crimes ont cessé, et on en fait des exemples. Les bouffonneries honteuses des comédies représentent les infamies qui se font dans les maisons, ou apprennent celles qu'on y peut faire. Car l'on apprend à commettre des adultères, lorsqu'on en voit; et l'autorité du magistrat qui approuve ces désordres flattant nos mauvaises inclinations, une femme qui était peut-être allée chaste à la comédie, en revient impudique. D'ailleurs, combien les postures indécentes des farceurs sont-elles capables de corrompre les mœurs et de fomenter les vices! Quoi! voir représenter des incestes, et des actions infâmes qui violent les lois de la nature! Les hommes y deviennent efféminés; tout l'honneur et toute la vigueur du sexe y est énervée par des actions molles et lascives, et celui qui est plus femme est celui qui plait davantage. Les crimes y tournent à gloire, et l'on est estimé d'autant plus habile qu'on est plus infâme. Quelles impressions n'est point capable de donner un homme de cette sorte? Il émeut les sens, il flatte les passions, il bannit toute honte des cœurs les plus chastes. Ajoutez à cela qu'ils ne manquent jamais d'autoriser ces crimes par des exemples illustres, afin que se faisant écouter favorablement, ils les insinuent davantage dans l'esprit de ceux qui les écoutent. Ils représentent les impudicités de Vénus, l'adultère de Mars, leur Jupiter, qui est plutôt le premier des dieux à cause de ses crimes que de son sceptre, brûlant avec ses foudres pour des beautés mortelles, tantôt prenant la forme d'un cigne, tantôt se changeant en pluie d'or, et tantôt se servant du ministère d'un aigle pour enlever des enfans. Demandez-moi maintenant si une personne qui voit ces choses peut demeurer chaste? Ils imitent les dieux qu'ils adorent, et ils consacrent leurs crimes.

Mais si du haut de ce lieu élevé vous pouviez pénétrer dans les secrets des maisons, combien verriez-vous de crimes que commettent les impudiques, qu'un homme qui a un peu de pudeur ne saurait même regarder sans rougir? Vous verriez des crimes que c'est même un crime de voir. Vous verriez des actions si horribles, que ceux qui sont bien aises de les commettre n'oseraient les avouer. Les hommes poussés d'une volupté furieuse et brutale se déshonorent l'un l'autre. Ils font des choses que ceux mêmes qui les font ne sauraient approuver; ils sont les

premiers à en blåmer les autres. Un infâme crie contre des infâmes, et croit par là être moins coupable, comme si la conscience ne suffisait pas pour le rendre criminel. Ils condamnent en public ce qu'ils font en particulier; et en censurant les autres, ils se censurent eux-mêmes. C'est ainsi qu'ils joignent l'impudence à l'impudicité. Et ue vous étonnez pas de cette effronterie, c'est le moindre de leurs crimes.

Mais après avoir ainsi considéré les chemins pleins d'embûches, les combats répandus par toute la terre, les spectacles ou sanglans ou honteux, les impudicités qui se commettent dans les lieux consacrés à la débauche, ou celles qui se font dans les maisons des particuliers, et dont la licence est d'autant plus grande que les fautes sont plus secrètes, peut-être que vous croirez que le palais de la justice est un lieu saint et exempt de toute sorte de désordres. Mais jetez les yeux dessus, pour voir ce qui s'y passe, et vous y trouverez encore plus de choses que vous détesterez et qui vous feront horreur. Car quoique les lois soient gravées sur douze tables d'airain, et qu'elles soient exposées en vue à tout le monde, on pèche au milieu des lois mêmes, et l'innocence est violée jusque dans le lieu où elle est défendue. Les plaideurs y font éclater leur fureur et leur rage, et les cris différens dont retentit le barreau forment au milieu de la paix une image de la guerre. L'on y voit des épées et des haches, des ongles de fer, des chevalets, des roues, enfin plus d'instrumens pour gêner le corps d'un seul homme qu'il n'y a de membres dans son corps. Parmi tout cela qui est-ce qui secourt ceux qui sont opprimés? Les avocats? Ce sont des traîtres et des prévaricateurs. Les juges? Ils vendent leurs jugemens. Celui qui est assis sur le tribunal de la justice pour venger les crimes, les commet, et un juge devient coupable pour faire périr un innocent. Les vices y règnent de toutes parts, et s'y font voir sous toutes sortes de formes. Celui-ci suppose un testament; cet autre falsifie un acte public; ici on arrache aux enfans la succession de leurs pères; là des étrangers sont mis en la place des héritiers légitimes. L'on y voit partout des ennemis, des calomniateurs, des faux témoins, des bouches vénales prostituées au mensonge. Encore, si les coupables étaient enveloppés dans une même ruine avec les innocens! L'on s'y moque des lois et des magistrats; car on ne craint point ceux qu'on peut corrompre. C'est même une espèce de crime d'être innocent parmi des coupables; qui n'imite point les méchants, les offense. Les lois mêmes sont en quelque sorte d'accord avec les crimes, et ce qui est public commence à être permis. Quelle pudeur, quelle intégrité peut-il y avoir en un lieu où il n'y a personne pour condamner les coupables, parce qu'il n'y a que des criminels? Mais de peur qu'il ne semble que nous choisissons les plus mauvaises choses pour les décrier toutes, et que nous ne vous fassions arrêter la vue que sur des objets funestes qui offensent tous ceux qui ont de l'honneur et de la conscience, je veux vous montrer les choses que 1,ignorance du monde appelle biens, et vous verrez si elles ne sont pas à fuir aussi bien que le reste. Qu'est-ce que vous pensez que ce soit que ces charges, ces faisceaux, ces commandemens, ces magistratures, cette opulence? C'est une misère véritable couverte de l'apparence d'une félicité trompeuse; c'est un poison qu'on boit dans une coupe d'or. Car, voyez-vous cet homme-là qui marche avec une robe tout éclatante d'or et de pourpre? par combien de bassesses est-il arrivé o vous le voyez? Combien d'indignités lui a-t-il fallu es

sayer? Combien de fois s'est-il morfondu à la porte d'un grand? Combien a-t-il souffert d'affronts lorsqu'il accompagnait les autres par honneur, afin de pouvoir lui-même un jour être accompagné d'une troupe de gens qui font plutôt la cour à sa dignité qu'à sa personne? Mais considérez un peu la fin de ces gens-là! combien elle est honteuse, lorsqu'ils ne sont plus environnés de cette foule de flatteurs, lorsqu'ils se trouvent seuls et abandonnnés! C'est alors qu'ils connaissent le désordre de leurs affaires, et qu'ils se repentent à loisir d'avoir tant dépensé d'argent pour acheter la faveur et les bonnes grâces du peuple. Folle et vaine dépense, également inutile à ceux qui la font, et à ceux pour qui elle se fait ! Et quant à ces autres que vous estimez riches, qui joignent béritage à héritage, qui envahissent la terre des pauvres pour étendre la leur et se faire des parcs sans bornes, qui ont des monceaux d'or et d'argent et des trésors cachés, ne sont-ils pas continuellement agités de frayeurs au milieu de leurs richesses? n'appréhendent-ils pas sans cesse les voleurs, ou les ennemis, ou l'envie des personnes puissantes? Ils ne mangent ni ne dorment en repos. Vous les voyez soupirer dans les festins, où ils boivent des perles et de l'ambre gris. Et lorsque, après s'être remplis de toutes sortes de mets délicats, ils se vout coucher dans leurs lits mous et douillets, ils veillent au milieu de la plume. Et ces pauvres malheureux ne comprennent pas que toutes ces choses ne sont que de beaux supplices, qu'ils sont liés de chaînes d'or, et qu'ils sont plutôt possédés de leurs richesses qu'ils ne les possèdent. Misérable aveuglement d'une convoitise insensée! Se pouvant décharger du poids qui les accable, ils font tout ce qu'ils peuvent pour en être encore davantage accablés. Ils cherchent de nouvelles matières de peines et de tourmens. Ils ne font aucune largesse de leurs biens à ceux qui leur appartiennent, ils n'en font aucune part aux pauvres, et ils appellent leur un argent qu'ils gardent chez eux avec autant de soin et de précaution que s'il était à d'autres; car bien loin de distribuer quoi que ce soit à leurs amis ou à leurs enfans, ils n'en prennent pas seulement pour eux-mêmes. Ils ne le possèdent qu'afin qu'un autre ne le possède pas. Cependant, voyez quel renversement, ils appellent biens, des choses dont ils ne se servent que pour faire du mal. Mais ne croyez-vous pas au moins que ceux-là soient en assurance au milieu de leurs richesses à qui la fortune a mis une couronne sur la tête, et qui sont environnés de gardes et de sentinelles? Ils sont encore moins assurés que les autres; et craignent au moins autant qu'ils se font craindre. Its ont beau avoir des gardes à leurs côtés, ils ne sauraient se garantir des misères qui accompagnent la grandeur. Leur propre puissance les épouvante avant qu'elle donne de la terreur à leurs sujets. La fortune ne leur rit que pour leur être ensuite plus cruelle; elle ne les flatte que pour les tromper; elle ne les attire à soi que pour les perdre; elle ne les élève que pour les précipiter. Plus elle les avantage de ses biens, plus elle leur en fait payer de gros intérêts.

«Le seul moyen donc de vivre en paix et en assurance, c'est de se mettre à l'abri des tempêtes du siècle dans un port favorable; de lever sans cesse les yeux au ciel; et lorsqu'on a été une fois admis au bain salutaire, et qu'on se voit déjà proche de son Dieu, de regarder combien est au-dessous de soi ce que les autres estiment de plus haut et de plus élevé. Et en effet, qu'est-ce que peut souhaiter

dans le monde celui qui est plus grand que le monde? Que c'est un état heureux et assuré d'être sorti des piéges du siècle, et de contempler avec un œil pur la lumière céleste et immortelle! Considérez les dégâts que l'ennemi faisait auparavant en nous; car la considération de notre vie passée nous doit donner plus d'amour pour celle que nous menons à cette heure; et pour arriver à celle-ci, il n'est point besoin d'argent, de faveur, de crédit, comme il en faut pour entrer dans les charges. C'est un don gratuit de Dieu, et une chose très-aisée; car le Saint-Esprit se répand comme le soleil répand ses rayons, comme une fontaine répand ses eaux, comme le ciel verse la pluie. Après qu'une âme en contemplant le ciel a connu son créateur, élevée au-dessus de toutes les puissances de la terre. elle commence à être en effet ce qu'elle croit qu'elle est. Vous seulement qui êtes déjà enrôlé dans l'armée céleste, prenez garde de conserver inviolables les lois de cette milice spirituelle, et de vous affermir de plus en plus dans la vertu Priez ou lisez sans cesse. Tantôt parlez à Dieu, et tantôt que Dieu vous parle. Qu'il vous instruise de ses préceptes et vous forme. Celui qu'il aura enrichi ne deviendra jamais pauvre. On ne doit plus appréhender l'indigence, depuis qu'on a été une fois rassasié des biens célestes. Vous n'aurez plus que du mépris pour ces lambris dorés, et pour ces planchers de marbre et de jaspe, lorsque vous penserez que c'est vous même qu'il faut orner, vous qui êtes cette maison dont le Seigneur fait son temple, et où le Saint-Esprit a commencé à habiter. Que l'innocence donc pare cette maison, et que la justice l'éclaire. Jamais elle ne tombera en ruine par la vieillesse, et les peintures effacées, ou l'or terni et emporté par le temps, ne la gâteront point. Tout ce qui est fardé est frêle, et l'on ne saurait s'assurer de posséder longtemps des choses qui ne sont pas solides. La beauté de cette maison au contraire est toujours fraîche, toujours nouvelle, toujours durable; elle ne peut être détruite; elle peut seulement êtré changée en mieux, lorsque le corps ressuscitera. En voilà assez pour cette heure, mon cher Donat. Car encore que votre complaisance, la solidité de votre esprit, et la grandeur de votre foi vous fassent prendre plaisir à ouïr des choses saintes et salutaires, et que je reconnaisse bien qu'on ne vous puisse rien dire qui vous soit plus agréable, je crois, néamunoins, qu'il n'est pas mauvais que nous nous modérions un peu, puisque nous sommes toujours ensemble, et que nous nous pourrons encore entretenir quand il nous plaira. Et puisque nous sommes maintenant au temps des vacations, et que nous n'avons rien à faire, passons joyeusement le reste de cette journée, et que l'heure même du repas ne soit pas exempte des grâces du ciel. Chantons des psaumes avant de nous mettre à table; et comme vous avez bonne mémoire et la voix belle, que ce soit vous qui preniez la peine de le faire, s'il vous plaît. Nourrissons-nous de ces cantiques spirituels, et qu'une si divine harmonie charme nos oreilles et nos cœurs. »

A la mort de saint Cyprien, les fidèles enterrèrent son corps avec un grand respect, près du chemin de Mappalia. Dans la suite une église fut élevée sur ce lieu vers l'an 806. La tradition des Églises catholiques rapporte que des ambassadeurs de Charlemagne revenant de Perse et passant

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