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DESTIN.

On trouve, dans le Dictionnaire philosophique, un article sur le Destin, où l'écrivain a ramassé assez exactement, et copié assez fidellement toutes les extravagances qu'a débitées Hobbes sur ce sujet. Il s'efforce de les embellir des graces de son style, et il les répète d'un air qui annonce qu'il est trèscontent d'avoir si bien dit.

On peut regarder le systême du Destin, comme la preuve la plus forte de l'aveuglement du paganisme, de l'extravagance des anciens philosophes, et de la stupidité grossière de ceux qui les ont écoutés. Le Destin, selon eux, étoit une loi, un décret éternel, nécessaire, qui fixoit et régloit irrévocablement tout ce qui devoit jamais arriver à un chacun, et qui soumettoit également les hommes et les Dieux. Il est vrai que plusieurs savants payens ont reconnu toute l'extravagance de cette opinion: Cicéron ne fait qu'en railler dans son Livre De Fato, où il dit expressément que le Destin n'est qu'une chimère, Fati vis nulla est. Sénèque la

combat fortement dans le second livre des Questions naturelles; et Plutarque, dans son Traité des contradictions des Stoïciens, en fait voir toute l'absurdité.

Cependant c'est cette absurdité qu'on prétend renouveler aujourd'hui, et qu'on s'efforce d'étayer par le raisonnement, les exemples et l'autorité. On pourra juger de la force de ces preuves, et de la vigueur de ces raisonnements, par le Dialogue suivant. C'est un Fataliste et un Sage qui parlent. Le Fataliste répète tout ce qui est présenté dans le Dictionnaire philosophique ; et le Sage lui fait remarquer combien tout cela est mal rai

sonné.

LE FATALISTE.

Quoi, vous n'admettez pas le systême du destin! Vous me surprenez.

LE SAGE.

Et vous, vous l'adoptez; vous me surprenez encore bien davantage.

LE FATALISTE.

La doctriue du destin est peut-être la plus ancienne qu'on connoisse, puisque c'est dans

le plus ancien de tous les auteurs, Homère, que l'on en trouve l'idée et la notion; ce qui prouve qu'elle étoit très en vogue de son temps. Les Pharisiens, chez les Juifs, l'enseignoient également ; pourquoi êtes-vous si surpris que des philosophes l'admettent?

LE SAGE.

Arrêtez, Monsieur, vous faites d'abord un anachronisme trop fort, pour qu'on vous le passe. Vous dites que le plus ancien des livres que nous ayons, c'est Homère; et Moïse, dont nous avons également les livres, vivoit près de six cents ans avant Homère. Le premier naquit l'an du monde 2464, et l'autre l'an 3039. Commencez donc par réformer ce point.

pas

Pour la doctrine des Pharisiens, vous ne l'entendez mieux que la chronologie. Le destin, qu'on dit qu'ils admettoient, n'étoit autre chose que la prescience infaillible de Dieu, telle que l'admettent les Théologiens et les philosophes Chrétiens. Si l'historien Joseph a employé le mot de Destin, c'est parce qu'il écrivoit pour des Grecs et des Romains qui n'entendoient rien à cette pres

cience.

* Salian.

Que pouvoit être en effet le Destin pour des docteurs comme les Pharisiens? Ils admettoient la liberté dans l'homme; ils lui donnoient la raison pour guide, ils reconnoissoient des vices et des vertus, des peines et des récompenses, et un jugement après la mort; ils étoient extrêmement zélés pour la Religion, les devoirs du culte, la prière, et pour tout ce qui peut nous donner les plus hautes idées de Dieu,

C'est l'historien Joseph qui nous peint ainsi les Pharisiens. « Leur manière de vivre, » nous dit-il, est très-simple. Ils ne con»noissent point les délices de la vie. Ils ne » s'éloignent jamais de ce que la raison leur " a une fois montré. Ils reconnoissent un » Destin, de manière cependant que l'homme » n'en est pas moins libre: Dieu, disent-ils, » ménageant les choses de telle façon que » l'homme a toujours sa liberté, pour choi» sir entre le vice et la vertu, quoique tout » arrive toujours selon les vues de Dieu. Ils » admettent l'immortalité de l'ame, un ju"gement après la mort, des traitements tels

"

qu'on les aurá mérités par ses vertus ou » par ses crimes, des peines éternelles pour » les méchants; et tout ce qu'il y a de plus

Antiq. Jud. liv. 28. c. 2.

"solemnel dans le culte divin, et dans la » prière, se règle par leurs sentiments. » Monsieur, reconnoîtriez-vous ces gens-là pour des Fatalistes, ou seriez-vous vousmême Fataliste avec tous les dogmes des Pharisiens?

LE FATALISTE.

Un philosophe est très-persuadé que tout se fait par des lois immuables, que tout est arrangé, que tout est un effet nécessaire.

LE SAGE.

Tant pis pour le philosophe. Sa persuasion ne fait guère d'honneur à sa raison.

LE FATALISTE.

Ou le monde subsiste par ses lois physiques, par sa propre nature; ou un Être Suprême l'a formé selon ses lois suprêmes. Dans l'un et l'autre cas, ces lois sont immuables; dans l'un et l'autre cas, tout est nécessaire. Les corps graves tendent vers le centre de la terre, sans pouvoir tendre à se reposer en l'air. Les poiriers ne peuvent jamais porter d'ananas; tout est arrangé, engrené, limité. L'homme ne peut avoir qu'un certain

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