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I.

« Il est surprenant qu'on ait mis l'Ecclé»siaste au rang des Livres canoniques! C'est » l'ouvrage d'un Epicurien, qui répète à » chaque page, que le juste et l'impie sont » sujets aux mêmes accidens', que l'homme » n'a rien de plus que la bête; qu'il vaut » mieux n'être pas né, que d'exister; qu'il » n'y a point d'autre vie, et qu'il n'est rien » de plus raisonnable, que de jouir en paix » du fruit de ses travaux avec la femme qu'on » aime. Tout l'ouvrage est d'un matérialiste » sensuel et dégoûté.

Si l'ouvrage est d'un impie et d'un matérialiste sensuel et dégoûté, il faut avouer qu'il a bien trouvé le commentateur qu'il lui falloit ; et s'il y a quelque foible lueur de vérité dans une petite partie de cet exposé, il faut convenir aussi que cette foible lueur est mêlée aux plus grossiers mensonges. Il est bien vrai, par exemple, que le juste et l'impie sont sujets aux mêmes accidents de maladies, de renversement de fortune, de souffrances et de pauvreté; et l'on auroit bien tort de conclure que celui qui parle ainsi, est un Epicurien. Sans être Epicuriens, tous les sages

Diet. Philos.

parleroient bien de même, en voyant ce qui se passe tous les jours sur la scène du monde.

Mais c'est un mensonge grossier de dire que l'Eclésiaste a affirmé qu'il n'y a point d'autre vie. Cette proposition ne se trouve nulle part dans ce Livre. Mais on y trouve bien la contradictoire, puisque, dans les chapitres trois, onze et douze, il est parlé si clairement du jugement que doit subir l'homme après sa mort.

C'est un mensonge grossier, de dire qu'il a affirmé qu'il n'y a rien de bon et de raisonnable, que de jouir du fruit de ses travaux avec la femme qu'on aime. Il est parlé dans le texte, d'épouse, et non de maîtresse ! » Jouis

sez, dit Salomon, des douceurs de la vie, » avec l'épouse qui a toute votre tendresse, » pendant les jours de cette vie qui est sujette "à tant de vicissitudes. Perfruere vitá cum uxore, quam diligis, cunctis diebus vitæ instabilitatis tuæ1.

C'est un mensonge grossier de dire que tout l'ouvrage est d'un matérialiste sensuel et dégoûté, puisqu'il y est fait si souvent mention de la différence de l'esprit et de la matière, et qu'il y est dit expressément que le corps a été tiré de la terre, et retournera à Dieu qui l'a créée.

Eccl. c. 9.

que

l'ame

C'est un mensonge grossier, ou plutôt c'est l'indigne supercherie d'un esprit séducteur d'assurer que l'Ecclésiaste enseigne que l'homme n'a rien de plus que la béte. Nous avons développé ci-devant le véritable sens de l'Auteur.

Enfin c'est un mensonge grossier de dire, suivant cet Auteur, il vaut mieux n'être

que, pas né , que d'exister. Cette assertion générale ne se trouve nulle part. Voici tout ce qui est dit au chapitre quatrième : « J'ai vu »les innocents noircis par la calomnie, baignés dans les larmes, accablés par la » violence, sans secours et sans aucune con"solation. A ce triste spectacle, j'ai trouvé "les morts plus heureux que les vivants, et

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plus heureux encore ceux qui ne sont pas » nés. Et au chapitre sixième ́: Si un homme » a eu une famille nombreuse, et a passé de "longues années sur la terre, sans jamais "user de ses biens pendant sa vie, et sans » recevoir les honneurs de la sépulture après sa mort, je ne crains pas de le dire, que "le sort de l'avorton est préférable au „ sien.”

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Dans le premier cas, c'est la compassion qui parle ; dans le second, c'est l'indignation. La raison et le sentiment nous le disent à chacun de nous.

II.

« Ce qui est toujours surprenant, c'est " qu'on ait consacré cet ouvrage impie parmi » les Livres canoniques. S'il falloit établir

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aujourd'hui le canon de la Bible, on n'y » mettroit certainement pas l'Ecclésiaste. » Mais il fut inséré dans un temps où les » livres étoient très-rares, et où ils étoient " plus admirés que lus. "

Ce seroit une chose plaisante de charger un homme, comme notre Docteur, de faire le canon de la Bible. Il en raie d'abord le Pentateuque; il méprise le Livre des Proverbes ; il se moque de la prophétie d'Ezechiel; il ne fait pas grand cas de l'Evangile. Avec un homme comme lui, de toute la Bible il ne nous resteroit pas grand'chose.

Mais comment ose-t-il dire que, du temps de l'auteur de l'Ecclésiaste, les livres étoient très-rares, et qu'ils étoient plus admirés que lus; puisqu'il avoue. fui-même qu'il ne sait pas en quel temps cet auteur vivoit? Comment prouveroit-il qu'ils étoient très-rares, puisque l'Ecclésiaste dit lui-même qu'on ne cessoit de faire des livres1? Faciendi plures libros

Eccl. 12.

nullus est finis. Nous attendons sa réponse sur ces deux questions.

III.

"On a fait pour l'Ecclésiaste, comme "pour tant d'autres choses qui révoltent » bien autrement. Elles furent établies dans » des temps d'ignorance, et on est forcé à » la honte de la raison, de les soutenir dans "des temps éclairés, et d'en déguiser ou » l'absurdité ou l'horreur, par des allé"gories. "

Voilà un ton bien tranchant et bien décisif. Et qui est-ce qui le prend? C'est un homme qui n'a pas la plus légère connoissance de la langue de l'Ecriture, qui va glaner, dans quelques extraits de Bayle et de Spinosa, des objections qu'il assaisonne de quelques railleries, qui se contredit perpétuellement, et qui se moque encore des lecteurs qui l'admirent.

IV.

L'Auteur de la brochure impie, qui a pour titre : Précis sur l'Ecclésiaste, applaudira sans doute à l'homme du Dictionnaire Philosophique portatif ; et l'homme du Dictionnaire, à l'auteur du Précis. Leur manière

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