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de

de ne pas vouloir le satisfaire. Mais on » me dira que si on m'annonce que cette "eau est empoisonnée, je ne laisserai pas » m'en abstenir; et l'on conclura faussement » que je suis libre. En effet, de même que la soif me déterminoit nécessairement à » boire, avant que de savoir que cette eau » fût empoisonnée; de même cette nouvelle » découverte me détermine nécessairement

à ne pas boire. Cependant, soit que l'on " boive de cette eau, soit qu'on n'en boive "pas, ces deux actions seront également né» cessaires. "

Voici le plus singulier exemple qu'on puisse donner, de déraisonnement et de contradiction. L'homme placé entre deux lois également nécessaires, dont l'une a son effet, et l'autre est sans effet; l'homme nécessairement déterminé à boire et à ne pas boire ! Mais, dira-t-on à l'auteur du Systême, si la force d'une de ces lois est suspendue, tandis que l'autre a son effet; comment sont-elles toutes les deux également nécessaires? Philosophes chrétiens, comment seriez-vous traités par les philosophes à la mode, si vous raisonniez commé eux ?

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III.

Lorsque l'action de la volonté est sus» pendue', on dit que nous délibérons, ce qui arrive, lorsque deux motifs agissent "alternativement sur nous. Délibérer, c'est » aimer et haïr alternativement.

"

Un homme raisonnable diroit : Délibérer, c'est comparer. On délibère entre deux biens. Mais délibérer entre deux biens, ce n'est pas les aimer et les haïr alternativement. On délibère aussi entre deux maux, sans les aimer ni l'un ni l'autre.

IV.

"Le choix ne prouve aucunement la lì» berté de l'homme2. Il ne délibère que lorsqu'il ne sait encore lequel choisir entre "deux objets. Il est alors dans un embarras

"

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qui ne finit que lorsque la volonté est dé» cidée par l'idée de l'avantage plus grand qu'il croit trouver dans l'objet qu'il choi» sit; d'où l'on voit que son choix est né» cessaire.”

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Dire

que le choix est nécessaire, c'est dire

P. 191.

• P. 196.

la plus grande absurdité, c'est tomber dans la contradiction la plus palpable. Car si la chose est nécessaire, je suis forcé, et je ne choisis plus. Le choix est la preuve et l'exercice même de la liberté.

V.

"Pour que l'homme pût agir librement, " il faudroit qu'il pût vouloir ou choisir sans » motifs, ou qu'il pût empêcher les motifs "d'agir sur la volonté.

Agir sans motifs, ce seroit agir sans raison. Ainsi, pour que l'homme pût agir librement, il faudroit, selon la belle doctrine du systématisant, que l'homme pût agir sans

raison.

Puisqu'il parle de motifs, débrouillons et mettons à découvert la sophistiquerie séductrice qu'il fonde sur ce mot. On appelle mo'tif, ce qui meut la volonté, ce qui fait impression sur la volonté. Or, la volonté peut être mue et mise en mouvement par des objets et par des choses bien différentes les unes des autres. Elle peut être mise en mouvement par des choses honnêtes, justes, convenables, et telles que la raison et la Religion être mise en moules approuvent. Elle peut vement par

des choses contraires à l'honnê

teté, à la justice, à la raison, à la vertú. La raison alors éclaire, conseille et remontre; les passions sollicitent, pressent et agitent. Mais, ni ces remontrances, ni ces agitations n'opèrent sur la volonté des effets nécessaires; elles ne la forcent point, elles ne la mettent point dans la nécessité de les suivre. La volonté reste toujours la maîtresse de ses décisions et de sa liberté. Nous ne disons ici que ce que nous éprouvons tous nous-mêmes.

VI.

"Les partisans' du systême de la liberté " paroissent avoir toujours confondu la con»trainte avec la nécessité. Nous croyons agir "librement, toutes les fois que nous ne » voyons rien qui mette obstacle à nos ac"tions. Nous ne sentons pas que le motif " qui nous fait vouloir, est toujours néces"saire et indépendant de nous. Un prison"nier chargé de fers est contraint de rester " en prison, mais il n'est pas libre de ne pas desirer de se sauver. Ses chaînes l'empê"chent d'agir, mais ne l'empêchent pas de " vouloir. Il se sauvera, si on brise ses chaî" nes; mais il ne se sauvera pas librement; la » crainte ou l'idée du supplice sont pour lui "des motifs nécessaires. "

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' P. 205.

La contrainte est un obstacle invincible, qui nous empêche de faire ce que nous voudrions, ou une force irrésistible, qui nous fait faire ce que nous ne voudrions pas. Mais peut-on vaincre des obstacles invincibles, ou résister à une force qui nous entraîne malgré toutes nos résistances? Cela étant, quelle différence pour les suites et pour les effets, cet homme-ci mettra-t-il entre la nécessité et la contrainte? Nous attendons qu'il nous l'explique.

Nous sentons, ajoute-t-il, que le motif est toujours nécessaire et indépendant de nous. Nous sentons que le motif agit, c'est-à-dire, qu'il fait une impression sur nous, et qu'il la fait nécessairement; mais nous savons aussi qu'elle ne nous détermine pas nécessairement, et que nous sommes toujours les maîtres d'y résister, ou d'y céder.

C'est une absurdité de dire qu'un prisonnier, dont on briseroit les chaînes, ne se sauveroit pas librement; parce que la crainte du supplice est pour lui un motif nécessaire. On convient que ce motif est très-puissant; on convient qu'il entraînera infailliblement la volonté, et que le prisonnier en profitera avec empressement et avec joie ; mais on soutient que c'est très-librement qu'il en profitera. Pour faire toucher au doigt cette vérité, faisons cette supposition: Supposons,

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