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d'un côté, un homme placé sur le haut d'un clocher, à qui le pied vient à manquer, et qui tombe; et de l'autre , un prisonnier, duquel on vient de rompre les fers; dira-t-on jamais que l'évasion de celui-ci n'est pas plus libre que la chûte de celui-là et que chûte et l'évasion sont également nécessaires?

la

VII.

"La liberté ne peut se rapporter à aucune » des fonctions connues de notre ame1. Car

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" l'ame au moment où elle agit, ne peut „ ́ agir autrement; au moment où elle choisit, » ne peut choisir autrement; au moment où » elle délibère, ne peut délibérer autre"ment; au moment qu'elle veut, ne peut » pas vouloir autrement; parce qu'une chose ne peut exister et ne point exister en » même temps. Or, c'est ma volonté, » telle qu'elle est, qui me fait délibérer ; "c'est ma délibération, telle qu'elle est, " qui me fait choisir ; c'est mon choix, tel » qu'il est, qui me fait agir; c'est ma déter»mination, telle qu'elle est, qui me fait » exécuter ce que ma délibération m'a fait "choisir ; et je n'ai délibéré, que parce que

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j'ai eu des motifs qui m'ont fait déli" bérer, et qu'il n'étoit pas possible que je ne voulusse pas délibérer. Ainsi la liberté

ne se trouve, ni dans la volonté, ni dans " la délibération, ni dans le choix, ni dans » l'action. Si l'ame n'est point libre, ni » quand elle veut, ni quand elle délibère, "ni quand elle choisit, ni quand elle " agit, quand donc peut-elle exercer sa » liberté?

Qui le croiroit, qu'un philosophe aussi profond, osât proposer aussi gravement ces puériles difficultés, par lesquelles on exerce, dans les collèges, l'esprit des jeunes logiciens, et dont ces jeunes logiciens se jouent si aisément avec un petit distinguo! Cela mériteroit-il une réponse? Cependant, pour épargner au Lecteur la peine d'éclaircir et de débrouiller cette méprisable sophistiquerie, nous allons le faire nous-mêmes en deux mots.

Nous disons donc que la liberté se trouve dans la volonté, dans la délibération, dans le choix, dans l'action; que l'ame est libre, quand elle veut, quand elle délibère, quand elle choisit, quand elle agit. Elle est libre quand elle délibère; car délibérer, c'est comparer, examiner; or, l'ame est fort la maîtresse de s'occuper de ces comparaisons et de ces examens, ou de s'occuper d'autres

choses. Elle est libre quand elle choisit ; car choisir, c'est préférer une chose à une autre chose, c'est aimer mieux une chose qu'une autre chose; or, ce choix est un acte trèslibre, puisqu'on se sait quelquefois bon gré d'avoir bien choisi, et qu'on se repent quelquefois d'avoir mal choisi. On ne peut pas se savoir bon gré, ou se repentir d'un acte qui auroit été commandé par la nécessité. Elle est libre quand elle agit; car nous éprouvons quelquefois nous-mêmes, qu'après avoir résolu une chose, nous changeons de résolution, lorsque nous sommes sur le point de la faire, et que nous en faisons une autre. L'ame est donc libre dans son action même et dans sa volonté.

VIII.

"Tout ce qui se passe en nous1, ou ce qui " se fait par nous, ainsi que tout ce qui ar» rive dans la nature, est dû à des causes » nécessaires, qui agissent d'après des lois » nécessaires, et qui produisent des effets » nécessaires. D'où l'on voit que la nécessité qui règle tous les mouvements du monde physique, règle aussi tous ceux du monde » moral. Dans l'homme, la liberté n'est que

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»tière, ou il faudroit qu'il fût hors de cette » nature, qui, toujours en action elle-même, » oblige tous les êtres qu'elle embrasse, » d'agir et de concourir à son action géné» rale. Il faudroit que tous les êtres perdis» sent leurs essences pour lui, il faudroit qu'il n'eût plus de sensibilité physique, qu'il ne connût ni le bien, ni le mal, ni » le plaisir, ni la douleur. »

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Y eut-il jamais un bavardage aussi ridicale que celui que présentent ces mots : partie nécessaire d'un grand tout, l'homme est forcé d'en éprouver les influences. Le sens intime et l'expérience continuelle nous apprennent que l'homme peut user des biens qui se présentent à lui sur la terre, ou en abuser; que sa conservation dépend de l'usage qu'il en fait avec discrétion et avec sagesse. Cet homme respire l'air nécessairement, il a besoin de se nourrir des productions de la terre: il tire divers secours et services des minéraux, végétaux et autres êtres. Que peut-on conclure de-là contre la Liberté; et que veulent dire ces termes de force, d'influences et de subordination?

Pour être libre, il faudroit qu'il fut tout seul plus fort que la nature entière. Quoi! parce que la force de l'homme n'égale pas celle des vents, de l'air, des eaux, du feu,

etc. s'ensuit-il qu'il n'est pas libre? Il est intelligent; son intelligence lui apprend à employer ses forces pour son service, et il est maître de se servir de son intelligence.

Il faudroit qu'il fût hors de cette nature, etc. Parce que l'homme sent le chaud, quand il fait chaud, et le froid, quand il fait froid; parce qu'il trouve de l'amertume dans l'aloës, et de la douceur dans le sucre; s'avisera-t-on de dire que cette sensibilité détruit la liberté? Faudra-t-il, pour qu'il soit libre, que tous les êtres perdent leurs essences pour lui? Il faudroit qu'il n'eût plus de sensibilité physique, qu'il ne connút ni le bien, ni le mal, ni le plaisir, ni la douleur. C'est-à-dire que, pour que l'homme fût libre, il faudroit qu'il fût aussi insensible qu'une souche, qu'un morceau de fer ou de marbre. La plaisante idée qu'on donne de la Liberté!

"

II.

«Lorsque, tourmenté d'une soif ardente, j'aperçois une fontaine, dont les eaux pures » pourroient me désaltérer, suis-je maître » de desirer ou de ne point desirer ce qui » peut satisfaire un besoin si vif1? On con» viendra sans doute, qu'il m'est impossible

Ibid. p. 190.

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