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ement arrêtées sur ces diverses questions, nous n'aurions pas à es reprendre. Mais vous voyez bien qu'il n'en est rien et qu'elles e posent de nouveau devant vous en des termes tels que l'on vient, inon officiellement, au moins au nom d'une de ses commissions, nviter l'Académie à se déjuger.

Elle avait dit, en effet, le 2 août 1870: << L'alcoolisation des <vins faits, lorsqu'elle est pratiquée, méthodiquement, etc..... ‹ est une opération qui n'expose à aucun danger la santé des con

sommateurs. »

On lui demande de déclarer, aujourd'hui, que, « se plaçant au << point de vue exclusif de l'hygiène, elle considère l'alcoolisation << des vins comme nuisible. »

Examinons donc à laquelle de ces deux opinions, si contradictoires, nous devons nous ranger, en tenant compte de toutes les conditions dans lesquelles se trouvent les vins et des traitements, bons ou mauvais, qu'ils ont à subir avant d'arriver jusqu'au con

sommateur.

Ii est bien entendu que nous réservons exclusivement le nom de vin au seul liquide provenant de la fermentation dujus de raisin, récolté à maturité pendant la vendange, et que nous le refusons à toutes les compositions similaires, produits d'une fabrication plus ou moins habile, constituant de véritables contrefaçons. Ces boissons ne sont pas toutes pernicieuses pour la santé, mais si l'usage de certaines d'entre elles peut être toléré, ce doit être à la condition expresse qu'elles ne porteront pas le nom de vin. Je ne m'arrêterai pas plus longtemps sur ces vins artificiels, formés par un mélange d'affreuses drogues et qui, sauf les très rares exceptions que je viens de signaler, sont à peu près toujours nuisibles. Il n'en est pas de mème des vins naturels qui, abstraction faite de leurs autres qualités, sont toujours salubres. Il en résulte que le mélange de deux ou de plusieurs sortes de vins différents, ou le coupage, ne peut constituer un breuvage dangereux et ne doit pas être considéré comme une fraude.

Ces coupages, habilement opérés, ont même pour avantage de neutraliser, les uns par les autres, les caractères défectueux de certains vins et de permettre d'utiliser pour la consommation des quantités assez considérables de liquide qui, sans cela, ne trouveraient point d'emploi. C'est une pratique à laquelle le commerce le plus honorable ne manque pas d'avoir recours et qui est du reste encouragée par l'Assistance publique qui, grâce à elle, peut fournir à ses administrés du vin excellent dans des conditions de prix relativement très avantageuses.

Les coupages de vins naturels étant acceptés, on s'est demandé si l'on ne pouvait pas aller plus loin en ajoutant à un vin que l'on veut corriger, non pas seulement un autre vin ayant des qualités inverses, mais plus simplement un des produits qui figurent naturellement dans sa composition.

En tête de ces produits, il faut placer tout d'abord l'eau et l'alcool, qui entrent dans la composition des vins naturels dans des proportions extrêmement variables suivant les espèces.

L'alcool variant de moins de 6 à 20 ou mème 21 p. 100 et l'eau de 94 à 79 ou 80, il semble tout naturel que, dans ces limites, on puisse se croire autorisé à rétablir les proportions normales en ajoutant, suivant les qualités qu'on veut lui donner, à un vin déterminé, une plus ou moins grande quantité de l'un ou de l'autre de ces deux liquides fondamentaux.

Ici deux questions se posent :

1o Cette addition peut-elle être nuisible pour la santé? 2o Où finit la tolérance et où commence la fraude?

La première de ces deux questions est la seule qui intéresse l'Académie et qu'elle doive considérer comme de sa compétence. En ce qui concerne l'addition d'eau, le mouillage, personne ne songera ici à prétendre que cette pratique puisse constituer un danger pour la santé publique. Nous l'avons tous subie au collège et jamais aucun de nous n'a eu l'idée d'accuser le grand maître de l'Université de vouloir nuire à la santé de ses élèves quand, au lieu de pur vin, il leur fait servir de l'abondance au réfectoire. Nous avons même conservé un si bon souvenir de cette boisson universitaire, que nous la fabriquons nous-mêmes sur notre table, en mouillant le vin, que nous considérons comme pur et naturel, avec l'eau de la carafe toujours placée à notre portée. Ce mouillage, qui n'a plus rien d'obligatoire, est généralement gradué d'après le goût de chacun et la force du vin dont on fait usage. Lorsqu'il a été préalablement fait par le débitant, nous avons bien soin de recourir avec moins d'ardeur à la carafe d'eau.

Le vin mouillé ne peut donc nuire à la santé, je dirai volontiers: au contraire. Il ne peut nuire qu'à la bourse de l'acheteur s'il l'a payé le prix que vaudrait du vin pur naturel; - alors il ne s'agit plus d'hygiène, mais simplement de commerce et le négociant qui débite ce vin étendu d'eau tombe, dans le droit commun, sous le coup des peines édictées contre celui qui trompe sur la nature des marchandises, à moins qu'il n'ait eu la précaution d'indiquer, avant la livraison, que son vin est étendu d'eau et dans quelles proportions. C'est une formule que notre illustre collègue M. Pasteur a recommandée pour tous les cas où une substance, non nuisible, est ajoutée à une denrée alimentaire quelconque. Cette formule a été adoptée par certains débitants qui, pour narguer les poursuites, ont annoncé publiquement qu'ils vendaient du vin étendu d'un tiers ou de moitié d'eau: avec cette précaution, ils sont inattaquables.

On dit bien que le vin naturel, coupé d'eau, se conserve moins facilement, qu'il est plus exposé à subir des altérations qui nuisent à sa qualité! Mais ce sont là des considérations intéressant le débitant et non le consommateur, qui saura toujours se soustraire à l'action d'une marchandise dont il lui sera facile de reconnaître l'infériorité. Ces considérations ne peuvent s'appliquer, comme de juste, qu'à de l'eau pure, filtrée avec soin, ou même distillée, si l'on y tient, et on ne saurait accorder la même immunité à l'eau contenant en dissolution des sels, calcaires ou autres et, à plus forte raison des éléments organiques putréfiés, d'origine animale ou végétale.

Si l'addition de l'eau au vin ne peut pas étre prohibée, comme dangereuse pour la santé publique; si elle ne peut, à aucun titre, étre considérée comme une fraude lorsqu'elle est faite ostensiblement, en est-il de même de l'addition de l'alcool qui constitue l'alcoolisation ou le vinage? Deux expressions qui ont eu, dans l'origine, un sens différent et que l'usage a rendues synonymes. La discussion de 1870 a montré que les meilleurs esprits peuvent être divisés sur cette question et l'accord ne paraît pas s'être fait, depuis cette époque.

Si la composition des vins était uniforme, au moins au point de la quantité d'alcool qu'ils renferment, il n'y aurait pas à hésiter et, alors même que l'addition ou la soustraction d'une certaine quantité d'alcool ne constituerait pas un danger pour la santé, elle serait une fraude, si elle n'était pas indiquée par le débitant, conformément à la règle que je viens d'établir. Mais ce n'est pas absolument le cas, puisque la richesse en alcool des vins les plus naturels varie entre moins de 6 et plus de 21 р. 100

Tandis que pour la majorité de nos vins français cette proportion oscille entre 9 et 12 p. 100, nous en avons un certain nombre, et ce ne sont pas les moins estimés, pour lesquels elle descend au-dessous de 8 (pour le Cos-Destournel, elle ne dépasse pas 6; pour le Chablis, elle ne s'élève pas à plus de 6,5; pour certains vins blancs du Centre, elle descend même à 5,17 p. 100); tandis que pour d'autres, elle arrive à 12 et au delà. Les vins du Roussillon en contiennent souvent plus de 13 p. 100. Parmi les vins étrangers, nous voyons ceux de Sardaigne, d'Italie et d'Espagne arriver souvent à 17 p. 100, le Madère atteindre près de 20 p. 100 (19, 8) et le Marsala approcher de la proportion de 21 р. 100 (20, 9).

Cela étant, on a pu trouver tout naturel d'ajouter aux vins qui en manquent une certaine quantité d'alcool, de cet esprit qui surabonde dans certains autres. C'est ce qu'on a fait d'abord par de simples coupages, en mélant des vins forts à des vins faibles, pour rétablir la moyenne, puis en se servant d'alcool qui n'est, en définitive, dans son essence, qu'un produit extrait du vin luimême. Il est vrai, que les progrès de la science et de l'industrie aidant, on a trouvé le moyen de fabriquer, et à très bas prix, de l'alcool avec d'autres corps qu'avec le vin, et que cet alcool, dit de grain, de mélasse, de betterave, etc., n'a plus le même goût que l'alcool produit directement par la distillation du vin. Et, tandis qu'on trouvait innocent de renforcer une pièce de vin d'un cru déterminé par de l'alcool provenant de la distillation d'une autre pièce du même cru, on s'est demandé si l'on n'opérait pas une véritable falsification en remplaçant cet alcool éthylique, de bon goût, produit du vin, par de l'alcool amylique ou de mauvais goût, produit des grains ou de la betterave.

Cette question se complique d'un élément spécial, ou plutôt spécieux, dont il importe de nous débarrasser de suite. Je veux parler de la toxicité qui résulterait pour ces alcools de mauvais goût, quelle que soit leur origine, de la présence de certains produits, empymentiques ou essentiels, qui les rendrait dangereux pour la santé. Mon ami M. Dujardin-Beaumetz va, sans aucun doute, nous rappeler les résultats de fort intéressantes expériences qui tendent à démontrer l'action nocive de ces alcools; mais cela me touche peu, par cette simple raison qu'il suffit d'une bonne rectification pour faire disparaître complètement ces produits empymentiques, si subtils qu'ils échappent à toute analyse. Il est donc possible et même facile de transformer en alcool pur et salubre, celui qui, dans le principe, jouirait de ces propriétés malfaisantes, et de le rendre aussi peu nuisible que celui du vin.

Mais alors se pose une autre difficulté: c'est celle de savoir si l'alcool, même vinique, ajouté au vin, n'exerce pas sur l'organisme une action délétère que n'a pas l'alcool naturellement développé dans le vin pendant l'acte de la fermentation. C'est un argument qui a été développé avec beaucoup de complaisance dans la discussion de 1870, et qui est reproduit, à tout propos, dans des brochures ou des publications périodiques, par des hommes animés des meilleures intentions, mais qui n'apportent aucun fait précis et probant à l'appui de cette manière de voir.

Il est bien certain que le vin est un produit complexe, résultant du mélange intime, que la chimie est impuissante à reproduire, de certains éléments divers au nombre de plus de quarante, suivant M. Bergeron (1), et dont les propriétés organoleptiques dépendent moins du nombre et de la quantité de ces éléments que de la façon dont ils sont unis, fondus ensemble, pour employer le terme consacré. - C'est pourquoi, si, parmi ces principes divers, il en est un qui prédomine et soit fondamental, comme l'alcool, il n'est pas permis de dire que c'est à lui seul que le vin doit toutes ses qualités. - Je viens de dire que la chimie est impuissante à combiner les éléments du vin dont elle a si bien su déterminer toutes les proportions et de rétablir, pour le reconstituer par une synthèse suffisante, le corps qu'elle est si bien parvenue à détruire par une analyse savante. Elle ne peut pas faire un mélange ayant les mêmes qualités que le vin naturel. Loin de moi donc la pensée de prétendre que de l'alcool qu'il contient dépendent toutes les qualités du vin et qu'un verre d'eau alcoolisée puisse remplacer, au point de vue hygiénique, pas plus qu'au point de vue gastronomique, un verre de bon vin naturel. - Mais, cela bien établi, je ne saurais admettre qu'une même quantité d'alcool, si favorable à ma santé quand elle fait partie intégrante du vin et s'est développée au moment de la fermentation, me deviendra nuisible par cela seul que je la boirai simplement étendue d'eau ou qu'elle aura été, postérieurement à la fermentation, ajoutée à un vin qui, sans cela, n'en aurait pas contenu une proportion suffisante pour répondre à mes besoins ou à mes goûts.

Mais je m'aperçois que je suis en train de chercher à enfoncer une porte qui a été bien largement ouverte, par l'Académie elle

(1) Bulletin, 1870, p. 401.

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