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culté et l'incertitude relatives des procédés de dosages rigoureux ne sont peut-être pas étrangères à ce résultat. Voici toutefois les proportions moyennes qui ont été trouvées il y a deux ou trois ans par M. Rémont, à l'aide de son procédé colorimétrique :

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Reste à savoir si ces boissons ont été analysées longtemps après qu'on y avait introduit l'acide salicylique, et si les chiffres précédents représentent bien la moyenne des doses primitives.

Il est d'ailleurs à noter que les doses trouvées dans les boissons diminuent progressivement depuis plusieurs années. Au début, on salicylait en quelque sorte à pleine main, on n'était retenu que par la cherté, bien diminuée aujourd'hui, de l'agent conservateur. Depuis que la prohibition est prononcée et que les poursuites ont lieu, les doses sont plus discrètes, sauf à les renouveler quand la fermentation reparaît par la destruction de l'acide salicylique.

Les faits signalés dans la note de M. Jungfleisch prouvent qu'il serait à peu près impossible dans la pratique de poursuivre l'industriel ou le débitant qui aurait dépassé le maximum toléré. L'expert trouve quarante centigrammes d'acide salicylique par litre; le vin est saisi, et deux échantillons sont mis sous scellés pour l'examen contradictoire. L'affaire n'est appelée devant la justice que trois mois plus tard; le contre-expert ne trouve plus dans le vin saisi que cinq centigrammes d'acide salicylique; il n'y a donc plus de délit. C'est ainsi que s'expliquent les contradictions signalées entre les chiffres indiqués par le laboratoire municipal de Paris et ceux, très inférieurs, que ses contradicteurs obtenaient quelques mois plus tard dans leurs contre-expertises.

De ce que l'acide salicylique ajouté à doses successives a disparu et n'est plus décelé par les réactifs, s'ensuit-il que les boissons ainsi conservées sont parfaitement salubres? Votre commission partage les réserves exprimées dans la note de M. Jungfleisch.

Rien ne prouve que les produits de la décomposition de cet acide soient inoffensifs. Des recherches encore inédites entreprises en ces derniers temps par MM. Laborde et Magnan, au nom d'une commission instituée par la Société de médecine publique, ont montré que le salicylate d'éthyle détermine des accidents convulsifs très graves quand on l'injecte chez des chiens de forte taille. Il peut se form dans le vin salicylé d'autres combinaisons

ou des produits intermédiaires dont on ne connaît encore ni les
réactions, ni les effets sur l'organisme; il importe done de rester
sur ce sujet dans une grande réserve.

Un des premiers effets de la fixation d'un maximum de tolé-

rance, serait l'introduction immédiate de l'acide salicylique dans

un grand nombre de substances alimentaires d'où la prohibition

avait fini par le chasser et dans d'autres où l'on n'avait pas

encore osé l'introduire. Le tableau suivant montre que la sévérité

de la répression a fait pour ainsi dire disparaitre l'acide salicy-

lique des vins de consommation courante à Paris : En 1881, sur

5,319 échantillons de vin entrés au laboratoire municipal et

suspects pour un motif quelconque, 262 furent trouvés salicylés.
Sous l'influence des saisies faites les années suivantes, par
application de l'arrêté préfectoral de 1883, la proportion des
échantillons salicylés tombe en 1885 et en 1886 à 33 sur
plus de 7,000, et encore ce faible chiffre se rapporte-t-il presque
exclusivement à des vermouts et à des madères de mauvaise
fabrication. Il faut se garder de revenir en arrière, ce qui se pro-
duirait immédiatement pour les vins et la bière, si le salicylate
était toléré.

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En outre, il faudrait fixer un maximum pour chacune des subs-
tances alimentaires susceptibles d'être salicylées, ce qui serait en
quelque sorte une invitation adressée aux producteurs ou ven-
deurs, d'introduire cet acide pour en prévenir l'altération. Les
maxima fixés pour chaque substance et ils seraient toujours
atteints sinon dépassés - viendraient s'ajouter les uns aux autres
dans l'alimentation publique, et à la fin de la journée on pourrait

avoir absorbé une dose très supérieure à la plus forte de celles autorisées pour un seul aliment (1).

Voici, au surplus, la liste des substances alimentaires pour lesquelles le salicylage a été conseillé :

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Assurément, la même personne ne fera pas usage chaque jour de chacun de ces produits, mais la dose totale atteindra en moyenne un chiffre qui ne sera pas insignifiant.

Cette dose sera peut-être inoffensive pour un grand nombre d'individus sains et bien portants; elle ne le sera pas, pour ceux qui ont une impressionnabilité particulière à ce médicament; elle ne le sera pas, pour cette partie importante de la population chez qui l'intrégrité des organes et des fonctions a été altérée par les progrès de l'âge, par des maladies ou des infirmités compatibles encore avec l'exercice d'une profession, avec la participation à la vie et surtout à l'alimentation communes. Depuis vingt-cinq ans la fréquence de l'albuminurie n'a cessé de croitre, sans doute parce qu'on sait mieux la reconnaitre; et cependant, que de personnes ont été longtemps albuminuriques sans le savoir, continuant leur genre habituel de vie et n'apprenant l'existence de leur maladie qu'à l'occasion d'une exacerbation ou d'une complication! Quant aux dyspeptiques, leur nombre est infini, et il serait difficile de dire chez combien la maladie est entretenue, ou même déterminée, par l'usage journalier de boissons ou d'aliments salicylés.

L'on pourrait paraphraser ce que disait avec beaucoup d'esprit notre éminent collègue, M. Bergeron, à l'occasion du mouillage. Il est assurément permis de mettre soi-même de l'acide salicylique dans son vin ou dans sa bière; il ne doit pas l'ètre d'en mettre dans le vin ou la bière des autres, en leur laissant croire qu'on n'en a pas mis. On ne saurait laisser droguer les gens malgré

eux.

Il y a en effet cette grande différence entre l'emploi hygiénique

(1) D'après l'évaluation même des promoteurs du salicylage, on a consommé en France, en 1880, douze millions d'hectolitres de vin salicylé et employé un total de 50,000 kil. d'acide salicylique pour la conservation des denrées alimentaires. On voit que l'arrêté de prohibition du 7 février 1881 ne visait pas seulement quelques cas isolés.

et l'emploi thérapeutique de l'acide salicylique, que le médecin surveille l'action du remède qu'il a prescrit après en avoir pesé les indications et les contre-indications; il le suspend quand le moindre accident se produit. Dans l'autre cas, au contraire, ni le consommateur ni son médecin ne soupçonnent que le premier prend chaque jour, avec ses aliments, une petite dose d'un médicament qui peut être contre-indiqué par l'état de ses organes. S'il est vrai que certaines dyspepsies sont entretenues par l'usage habituel d'aliments salicylés, il est certainement difficile au médecin, au milieu de tant de causes possibles, d'aller justement découvrir celle-là, si le malade lui-même ne la soupçonne pas.

On dit qu'on n'a pas encore signalé d'accidents par suite de L'usage alimentaire de l'acide salicylique; mais les médecins ont à peine commencé à fixer leur attention sur ce point. Combien de temps n'a-t-il pas fallu, on pourrait presque compter par siècles, pour découvrir la nature de la colique du Poitou et de Normandie, de la colique sèche des pays chauds, de l'ergotisme, du lathyrisme, de la pellagre, de la trichinose et de la plupart des maladies d'alimentation!

Quelques-uns disent: Laissez faire l'essai d'un maximum de tolérance, sauf à le supprimer et à rétablir la prohibition, si l'expérience montre qu'il en est résulté des inconvénients pour la santé publique.

La proposition est habile sous son apparence modérée et conciliante; elle n'est pas pour déplaire à ceux qui aiment les demi-mesures. Elle méritait un sérieux examen, et voici pour quelles raisons votre Commission a cru devoir la rejeter.

Ou comprendrait un tel essai, s'il s'agissait de la vente du sel conservateur lui-même, que chacun serait assurément libre d'introduire à sa guise dans ses aliments ou ses boissons. Mais il s'agit ici de laisser vendre, sous le nom de vin, un mélange de vin et d'un médicament qu'on a lieu de croire nuisible pour un certain nombre de personnes non prévenues de sa présence; non seulement ce serait autoriser une tromperie sur la nature de la chose vendue, mais ce serait une expérience dangereuse et coupable; ce serait, de plus, l'abdication de l'hygiène dont le but principal est la prophylaxie.

La tolérance serait une autorisation limitée, qui engagerait la responsabilité de l'administration chargée de veiller à la santé publique; car la condamnation du délinquant qui aurait dépassé a dose permise ne donnerait qu'une satisfaction bien tardive

à celui qui aurait été la victime confiante de la tolérance administrative.

En outre, l'expérience montre qu'en tolérant dans l'alimentation l'usage d'une substance suspecte, on habitue le commerce à en généraliser l'emploi; plus tard, il devient presque impossible de supprimer ou de réduire le maximum permis, sans troubler profondément les transactions commerciales. Le ministre du commerce et de l'industrie a réduit, par une circulaire en date du 27 juillet 1880, la tolérance du plâtrage à deux grammes; au mois de septembre de cette année, sur les réclamations fortement appuyées du commerce, il a dû suspendre encore l'application des nouvelles fixations. Il en serait de même pour le salicylage des vins; il est aujourd'hui presque complètement abandonné à Paris (ce qui prouve, pour le dire en passant, qu'il n'est pas indispensable); à la moindre concession, il deviendra général.

N'est-il pas à craindre, enfin, que, le jour où l'on aura introduit le principe de la tolérance limitée, les réclamations progressives des industriels ne fassent disparaître les maxima primitivement établis?

Des pétitions signées d'un grand nombre de noms, chaudement appuyées par les représentants des départements intéressés, viendront dire L'expérience prouve que dans notre région, en raison de la température ou de tel procédé de fabrication, tel vin ou telle bière ne peut se conserver assez longtemps, parce que la quantité permise d'acide salicylique est insuffisante. La limite sera donc reculée pour ces cas particuliers; elle sera non plus celle qu'aura fixée l'hygiène, mais celle que détermineront les besoins ou les prétentions du commerce; par exceptions successives on arrivera fatalement à la liberté complète du salicylage.

Ajoutons, comme nous le verrons tout à l'heure, que l'emploi de l'acide salicylique sert le plus souvent à rendre marchands, transportables au loin ou susceptibles d'être conservés, des produits de qualité inférieure fabriqués souvent de toutes pièces, assurément très peu hygiéniques, ou dont la préparation n'a pas été faite avec les soins de propreté nécessaires.

Serait-il possible d'autoriser la vente de produits alimentaires contenant de l'acide salicylique dans la limite permise, mais à la condition que le produit vendu portât une étiquette faisant connaître la présence et la dose du médicament? De cette façon, le

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