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Cependant, les endurcis et les obstinés eux-mêmes sont quelquefois domptés, à leur tour, par la bonté. Tel qui aura crucifié le Christ ou égorgé ses disciples peut tomber vaincu à leurs pieds et être régénéré par la vertu de leur sang, car l'amour de Dieu est un feu qui rend l'âme malléable, eûtelle la dureté du granit. Quelque pesante que soit la justice divine sur la race humaine, le dernier mot du gouvernement divin n'est pas à la justice, mais à la miséricorde.

C'est dans ce sentiment que Jésus ajoutait :

<< Pour vous, heureux vos yeux, parce qu'ils voient, et vos oreilles, parce qu'elles entendent.

<< Je vous le dis en vérité, beaucoup de prophètes et de justes ont désiré de voir ce que vous voyez et ne l'ont pas vu, d'entendre ce que vous entendez et ne l'ont pas entendu. »

Inexplicables dans la bouche de l'homme, ces paroles sont naturelles sur les lèvres de Jésus; elles expriment la conscience qu'il avait de sa divinité. Ceux qui le voient sont dans la félicité; ceux qui l'entendent, dans la lumière.

On pressent quelle devait être l'intimité des Douze, réunis autour du Maître, dans la chambre haute, lorsque le soir, la foule ayant disparu, Jésus, se reposant, leur livrait les trésors de sagesse et de sainteté dont le monde ne se doutait pas.

Il réservait pour cette heure tranquille les épanchements et les confidences. Nul profane, nul inconnu, nul indifférent ne gênait l'expansion. Les disciples pouvaient tout demander, et Jésus pouvait tout dire; il initiait à son esprit ces âmes encore simples et neuves, et, comme le dit un Évangile (1), il leur expliquait tout; sa condescendance était comme sa tendresse, sans limites, elle avait quelque chose de paternel.

Lorsqu'il avait parlé : « Avez-vous compris tout ceci? » demandait-il à ses disciples. Et eux, ravis, répondaient : Oui, Seigneur (2).

Un jour, faisant allusion à son rôle de maître, il leur dit : « Le vrai Scribe qui a la science du Royaume des cieux est comme le père de famille qui tire de son trésor des choses neuves et des choses anciennes. >>

Il connaît les besoins de ses enfants et sait y répondre. La science humaine est pauvre, impuissante, quelquefois dure; elle n'a la clef ni de notre passé ni de notre avenir; aux intelligences affamées d'éternelle vérité, elle n'a rien à donner

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pour les nourrir; et, si elle peut distraire un moment les cœurs en proie à la souffrance, elle ne les a jamais consolés. Elle s'absorbe dans la recherche des phénomènes qui sont la figure changeante de ce monde; et, si elle soupçonne la cause première, elle ne peut élever jusqu'à elle notre nature inquiète et tourmentée.

L'homme initié à la science de Dieu apprend de lui le principe, la loi et la fin des choses, il juge tout du point de vue de l'éternité, il sait que Dieu prépare dans l'humanité son Règne, et que, depuis le premier couple humain, à travers l'espace, de siècle en siècle, au fond de toutes les agitations des familles, des peuples, des civilisations, des races, dans le chaos sanglant des intérêts, des passions, des doctrines, des religions, l'Esprit vivant et aimant accomplit et poursuit son œuvre de salut, de vérité et de bonté, de justice et de miséricorde, d'amour et de paix; il sait que cet Esprit a eu sa manifestation pleine, absolue, en Jésus, et que Jésus, l'espérance du passé, le grand signe contredit du présent, est la force réservée de l'avenir, l'achèvement de tout l'ouvrage de Dieu.

Le Christ est le trésor divin où l'humanité peut puiser sans cesse; comme tout ce qui est éternel, il a l'ancienneté et la nouveauté; il répond à ce qui a été, à ce qui est, à ce qui doit être; il a le mot du passé, du présent et de l'avenir. A quiconque lui demande la vérité, il l'enseigne; la force de vivre, il la communique; la consolation, il la verse à flots; l'espérance, il la fait luire; la béatitude, il en donne aux plus déshérités l'ineffable avant-goût.

L'homme n'a plus le droit de se plaindre son sort est beau. Qu'importent ses misères et ses besoins? Il est doux d'en sentir l'aiguillon, puisqu'on peut les guérir et les apaiser. Ce qu'il cherchait avec le plus d'ardeur et d'angoisse, ce qui lui échappait toujours, la vie et le bonheur, la vie qui ne craint plus la mort, le bonheur vrai que l'épreuve même augmente, ces biens sont à sa portée, il ne tient qu'à lui de les demander à Jésus, de vivre et d'être heureux.

CHAPITRE VII

LA SUPRÊME INJURE DES PHARISIENS.

Les prédications populaires, autour du lac, marquent le point culminant de l'apostolat galiléen.

En quelques semaines, la masse entière du pays s'est agitée. Rien ne peut neutraliser le magnétisme divin du nouveau Prophète. Devant la puissance de sa parole, le nombre et l'éclat de ses cures et de ses miracles, la foule, en dépit de ses préjugés, ne résistait pas. Vaincue par l'évidence, elle acclamait en Jésus le Fils de David, saluant sous ce titre le Messie attendu. Capharnaüm vit accourir de partout ceux qui cherchaient le Prophète, elle devint illustre entre les petites villes de Zabulon et de Nephtali.

Mais, à mesure que l'agitation s'étendait, le dépit, la jalousie, l'inquiétude, le scandale, la menace, l'injure et la haine, toutes les passions mauvaises qui s'ameutent contre l'homme de Dieu, grandissaient chez les chefs, les anciens, les lettrés, les Pharisiens. Jérusalem, qui en restait le foyer, ne perdait de vue ni le mouvement ni l'agitateur. Des émissaires du Sanhédrin furent envoyés avec le mandat de surveiller Jésus et de désabuser la foule.

On n'arrête pas un mouvement populaire avec quelques docteurs; la force même n'y réussit pas toujours. Mais ceux qui, ayant le pouvoir, le mettent au service d'une tradition épuisée, n'ont jamais le sentiment exact des forces qu'ils combattent ni des forces qu'ils emploient. Leur illusion est la cause de leur chute.

Il semble que le mot d'ordre fût de décrier Jésus et de le compromettre dans l'opinion. La calomnie est l'arme préférée de la haine, qui se plaît à injurier, en attendant qu'elle détruise.

Les Pharisiens de Galilée, comme ceux de Jérusalem, ne pouvaient contester la puissance extraordinaire de la parole de Jésus, ni mettre en doute les signes prodigieux qui éclataient de toutes parts guérisons d'infirmes, résurrections de morts, exorcismes des démons; ils n'y songèrent même pas. S'ils eussent été sincères, ils eussent imité le peuple et ajouté leurs acclamations aux siennes; mais reconnaître Jésus, c'était se condamner eux-mêmes; saluer en lui l'Envoyé de Dieu, c'était abdiquer.

Aucun pouvoir religieux n'a donné l'exemple de ce renoncement généreux, spontané. Il faut que Dieu déchaîne contre lui le torrent des événements qui l'emporte.

C'est alors que les Pharisiens jetèrent contre Jésus, dans la foule, l'injure la plus cruelle et le blasphème le plus odieux (1). « Ce n'est pas Dieu qui est en lui, disaient-ils, c'est le diable. C'est l'esprit mauvais qui le conduit, c'est au nom de Béelzébud qu'il chasse les démons. >>

Ils l'avaient appelé déjà un impie qui s'affranchissait de leurs observances, un homme de bonne chère et qui aime le vin, un violateur du sabbat, un contempteur des anciens maîtres, un blasphémateur; ils disent aujourd'hui : C'est un magicien, un possédé.

Jésus resta calme, il affirma la vérité dans la pleine lumière; mais il releva l'injure avec une sévérité terrible. Jamais parole plus inexorable ne tomba de ses lèvres, pour repousser l'outrage et anathématiser l'hypocrisie.

Il les convoqua et leur dit :

<< Comment Satan peut-il chasser Satan? Il se détruit donc lui-même ? Un royaume divisé sera dévasté. Toute ville ou toute maison en lutte contre elle-même est condamnée. Si Satan s'élève contre lui-même, il est divisé, il ne pourra subsister; ce sera sa fin.

<< D'après vous, je chasse les démons par Béelzébud; mais vos enfants, par qui les chassent-ils ? » Vous dites que c'est au nom de Dieu pourquoi ne le dites-vous pas de moi? « Ils seront vos juges. >>

« Je chasse les démons par l'Esprit de Dieu : c'est la preuve que le Règne de Dieu est venu au milieu de vous, car nul ne peut entrer dans la maison de l'homme fort et piller ses meu

(1) MATTH., XII, 24-45; MARC, III, 22-30.

bles, s'il ne l'a lié auparavant; et ensuite, il pillera sa maison. Qui n'est pas avec moi est contre moi. Qui ne rassemble pas avec moi disperse. » Et si j'agis par l'Esprit de Dieu, semblait-il dire, celui qui n'est pas avec moi est contre l'Esprit de Dieu, et << qui ne recueille pas dans cet Esprit, ne peut que disperser ». L'Esprit est le lien de toute chose.

Alors, élevant la voix avec force, il ajouta ce mot effrayant: << En vérité, je vous l'affirme, tous les péchés des enfants des hommes, tous leurs blasphèmes, leur seront remis. Quiconque aura parlé contre le Fils de l'homme, il lui sera pardonné; mais celui qui aura blasphémé contre l'Esprit-Saint n'en obtiendra jamais la rémission, ni en ce siècle ni dans le siècle futur; il est coupable d'un crime éternel. »

Il y a des fautes irrémissibles, un crime éternel (1), suivant l'expression de Jésus. Méconnaître, injurier, calomnier, persécuter le Fils de l'homme, l'appeler par dédain le fils du charpentier, lui reprocher d'aimer le vin et la bonne chère, de violer le sabbat, de vivre en dehors des saints usages et de négliger les observances des maîtres, le traiter d'impie, de Samaritain et de séducteur, - tous ces blasphèmes sont pardonnables; mais outrager l'Esprit-Saint dont le Fils de l'homme est rempli, attribuer ses œuvres divines, l'expulsion des démons, la résurrection des morts et tant d'autres prodiges, à l'esprit mauvais, l'insulter au point de le confondre avec le mal: c'est là le blasphème sans excuse et sans pardon.

Dans la doctrine de Jésus et dans la vérité absolue, le péché n'est remis que par Dieu, par son Esprit de miséricorde, d'amour et de bonté. Tout homme qui ne repousse pas cet Esprit, quels que soient sa faiblesse, son égarement, ses erreurs, quiconque ne dit pas de Dieu: C'est le mal, et de l'œuvre de Jésus: Elle est l'œuvre du mal, des ténèbres et de l'oppression, celui-là est susceptible d'être recueilli et sauvé; mais l'homme qui, par un mouvement de volonté sacrilège, s'est mis en opposition contre cet Esprit, qui le repousse par le blasphème et la haine obstinée, se ferme librement les seules voies par lesquelles le pardon pourrait entrer jusqu'à lui; il se mure en quelque sorte dans sa conscience, interdisant tout accès au Dieu qui pardonne. L'Esprit outragé se retire, laissant le blasphémateur à son « crime éternel ». La mort qui le

(1) Cf. Summa theolog., 2a 2, q. xii et xiv.

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