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Quand est-ce que nos occupations feront d'une nature, à ne nous en repentir point?

Cependant il étoit tems que cet Ouvrage vît le jour, & qu'il tombât entre les mains de ceux, pour qui il a été écrit, plus que pour moi-même, qui pouvois me fatisfaire de mes pensees, fans les publier. Quoi que je souhaite passionnément qu'il fasse autant d'impression sur les autres que fur moi, & qu'en les convainquant aussi fortement que je le suis, de ła divinité de la Religion Chrétienne, il les porte à obeïr à ses saints commandemens, mieux que je ne fais; & quoi qu'il ne puisse produire cet effet, qu'en devenant public, je ne puis néanmoins le voir expose au jugement de certaines personnes, sans quelque peine. Je sai qu'il y aura des gens, qui le liront dans un esprit tout different de celui, dans lequel je l'ai composé; c'est-à-dire, à dessein de se servir du respect, que l'on a pour l'Ecriture Sainte, à faire tout le mal qu'ils pourront à ceux qui tâchent d'en éclaircir les obscuritez, & de porter les peuples à lui obeïr d'une autre maniere, que ces gens-là ne voudroient. Je ne veux pas entrer ici dans les motifs qui les font agir, ni dans aucune controverse de Théologie; mais je ne saurois dissimuler que leur conduite, si éloignée des maximes de Jesus-Chrift & de ses Apôtres, me fait paroître devant eux avec repugnance, & répand sur mon travail une assez grande amertume. Mais que faire à cela? Il n'y a point de milieu à garder: ou il faut abandonner son devoir: ou il faut leur déplaire, en cette occafion. Je voudrois pouvoir les fatisfaire, en me conduisant en forte que je n'eusse rien à me reprocher devant le Juge, à qui les secrets des cœurs font découverts; mais s'il n'est pas possible de le faire, il faut nécessairement que j'essuye leur mauvaise humeur. Je ne puis m'engager à autre chose pour eux, qu'à tâcher de leur faire entendre l'Evangile, le mieux qu'il m'est possible, & qu'à prier Dieu qu'il leur donne le tems & les moyens d'en faire un bon usage. C'est là tout le mal, que je veux leur faire, & que je leur fouhaite. Quoi que je ne doute nullement qu'on ne puisse réüssir beaucoup mieux que je n'ai fait, dans cette Version & dans ces Remarques; je puis dire, fans craindre de me tromper, à l'égard du fonds des choses, qu'il y a du danger à les lire, fi on ne le fait dans un esprit plein d'amour pour la Verité; puis qu'elle ne sert qu'à rendre plus aveugles & plus malheureux ceux qui la lisent, sans en profiter.

Il faut que je rende ici quelque raison de mon travail, afin qu'au moins ceux qui aiment l'étude des Livres Sacrez, & qui savent gré à ceux qui tâchent de la faciliter, voient que j'ai fait ce que j'ai pû, pour leur rendre cette étude encore plus aimable. Je ne parlerai néanmoins pas des versions Françoises, ni des Remarques, qui ont paru avant celles-ci; quoi que je ne trouve point mauvais que l'on s'en serve & qu'on les confulte. On ne peut,

peut, sans s'attirer de la haine, reprendre les autres; ni donner au jour un travail semblable à d'autres, qui ont paru; sans faire croire, que l'on n'en est pas entierement fatisfait. Car enfin on ne l'auroit pas entrepris, fi l'on ne croyoit pas que le Public en a besoin. Que ceux donc, qui aiment cette étude, & qui ne font pas en état de recourir aux Originaux, achettent, s'ils peuvent, tous ces differens Ouvrages; qu'ils les lisent, qu'ils les comparent ensemble, & qu'ils en jugent, felon leurs lumieres; pourvu qu'ils sortent meilleurs Chrétiens de cette lecture. C'est tout ce que je souhaite, & je verrois fans peine & mon Ouvrage & moi-même ensevelis dans l'oubli; si je voyois tant de lumiéres & de vertus dans le monde, que personne n'eût plus besoin du secours, que je tâche ici de lui donner.

Deux choses principalement rendent le Nouveau Teftament difficile à traduire en François; en forte que l'on en puisse lire la version, avec quelque plaisir, à l'égard du Langage. L'une vient de la Langue, dans laquelle il est écrit, & l'autre du stile particulier des Apôtres. La premiere est que la Langue du Nouveau Testament est une Langue très-éloignée de la Françoise. Un Grec plein d'Hebraïsmes, & un stile où l'on rencontre très-souvent des manieres de parler elliptiques, ou défectueuses, qui font que l'on eft contraint de suppléer à tous momens quelque chose, sont si difficiles à traduire avec quelque agrément, sans prendre néanmoins trop de liberté; qu'il n'y a aucune version, qui puisse donner tant de peine. Les narrations les plus claires & les plus simples, n'étant souvent liées que par des ET, & par des participes présens, ou passez, dont on trouve plusieurs de suite; il n'est pas facile de leur donner le tour dégagé & naturel d'une narration Françoise; ou plutôt cela est tout à fait impofsible, fans prendre une liberté, que l'on condamneroit fans doute en cette occafion. Quand il s'agit d'un raisonnement un peu obscur, il y a tant de CAR, ou de DONC, ou de PARCEQUE, ou de PUISQUE; que foit qu'on les exprime tous, soit qu'on en omette quelques-uns, les Lecteurs François, ou qui ne font pas fort versez dans cette forte de stile, ont bien de la peine à s'en démêler. Les Conjonctions & les Prépositions qui font très-équivoques dans la Langue Hebraïque & dans la Greque du Nouveau Testament, augmentent aussi beaucoup l'embarras d'un Traducteur. Joignez à tout cela des expressions toutes differentes des nôtres, & qui étant traduites à la Lettre donneroient souvent des idées affez éloignées de celles que ceux, qui font capables de lire l'Original, en reçoivent. Ce font là de très-grandes difficultez, & qui deviennent encore plus confiderables, par le peu de liberté que l'on ose prendre dans les Versions de l'Ecriture Sainte, de peur de donner aux Ecrivains Sacrez des pensées qu'ils n'ont point euës, en essayant de les faire parler plus clairement, qu'ils n'ont fait.

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L'autre chose, qui contribue, autant que les précedentes, à rendre les Versions du Nouveau Testament difficiles à faire; c'est le stile particulier des Apôtres; car ce que l'on vient de dire regarde autant l'Ancien Testament, que le Nouveau. L'Esprit divin, qui les a fait entrer dans toutes les veritez de l'Evangile, & qui les a empêché de tomber en aucune erreur, n'a pas voulu leur inspirer un stile formé fur les règles de la Grammaire, ou de la Rhétorique des Grecs. Il a voulu au contraire qu'ils écrivissent la vie & les discours de Nôtre Sauveur, aussi bien que les pensées qu'il leur a inspirées, en un stile, dans lequel la clarté, l'ordre & l'élegance n'approchent en aucune forte de l'excellence & de la divinité des matieres. S. Paul nous en apprend la raifon, dans sa 1. Epître aux Corinthiens Ch. I, 17. où il dit qu'il n'a pas prêché l'Evangile, avec la fagesse des parotes, de peur que la croix de Jesus-Christ ne fût rendue vaine; & au Ch. II, 4. que ses discours & fa prédication n'ont pas confifté en des harangues de la sagesse humaine, propres à perfuader, mais en une démonstration d'esprit & de puissance; afin que ce ne fût pas à la sagesse des hommes, mais à la puissance de Dieu que l'on ajoûtât foi. Il est certain que si l'Esprit de Dieu avoit dicté aux Apôtres des discours également méthodiques, clairs & élegans; on auroit pû dire, avec beaucoup de vrai-semblance, que la beauté du stile & de la disposition avoit gagné le cœur de leurs Auditeurs; plûtôt que la solidité des pensées, & la grandeur des miracles, dont ils l'avoient soûtenue. On auroit pris en un mot la révelation divine pour une sagesse humaine, telle qu'étoit la Philosophie des Grecs. Au contraire, la révelation étant exprimée en forte que le style n'a rien d'engageant, pour des gens accoûtumez à l'élegance des Orateurs & des Philofophes de la Grece, si l'on en étoit touché, il falloit nécessairement que ce fût par les choses mêmes & par les miracles, qui accompagnoient la prédication des Apôtres; ce qui diftinguoit leur doctrine de celle de tous les Sages, qui eussent jamais paru, parmi les hom

mes.

Cette même raison, qui subsiste encore aujourd'hui, fait qu'il ne faut pas apporter une petite attention aux discours des Apôtres, pour bien comprendre la force de chaque expression, la liaison des pensées, & la fuite de tout le raisonnement. Quoi qu'à considerer les choses en géneral, on voit ce qu'ils veulent dire en gros, même dans les Versions les moins exactes; lors qu'il s'agit d'entrer dans le détail de chaque exprefsion, & dans la liaison de toutes les parties du discours; il faut avouër que l'on trouve de grandes difficultez, fur tout dans les discours de S. Paul. Les termes & les expressions y sont souvent impropres, les liaisons obscures & embarrassees, & la disposition génerale difficile à bien appercevoir. On voit, pour ainsi dire, fortir de fon cœur une foule de penfees, plei

nes

nes de respect, de reconnoissance & d'amour pour la Divinité, & d'une charité inexprimable pour le Prochain. On voit par tout le stile & le langage d'un homme parfaitement perfuadé de la verité de tout ce qu'il dit, & une ame toute penetrée de la beauté, de l'importance & de la nécessité des devoirs que le Christianisme demande de nous; & l'on peut dire que la plus fine & la plus exacte rhétorique n'auroit pû nous en convaincre, d'une maniere aussi avantageuse & aussi perfuafive, que les manieres simples & sans art de cet Apôtre le font. L'on sent naître ces mêmes pensées & ces mêmes mouvemens en soi-même, quand on lit ses Epîtres, avec l'esprit par lequel elles ont été dictées; c'est-à-dire, avec un esprit qui préfere la Verité à toutes choses, & qui veut en profiter, aux dépends même des passions qui font les plus cheres aux hommes. Mais quand il faut développer le détail de tout cela, en Interprete exact & fidele; on s'apperçoit qu'on ne peut le faire, sans un très-grand & un très-peinible travail.

Pour furmonter ces difficultez, autant qu'il est possible, il les faut sentir avant toutes choses ; aussi bien que pour juger sainement du travail de ceux qui ont tâché de les vaincre. C'est pourquoi j'ai crû devoir les étaler ici en peu de mots, & pour ceux qui liront cet Ouvrage & pour moi-même. Si l'on me demande à présent, si je croi les avoir toutes surmontées; je répondrai, sans hésiter, que non, mais seulement que j'ai fait tout ce que j'ai pû pour cela; &, s'il faut dire tout ce que je pense, j'ajoûterai que je croi que c'est tenter l'impossible, que d'essayer de le faire parfaitement, & que personne n'en viendra jamais à bout. On approchera plus ou moins de l'idée de perfection, que l'on se formera dans son esprit; mais jamais on ne l'exprimera toute entiere, sur le papier. Il n'est pas possible d'entendre un ancien Original, avec la même exactitude, que ceux qui l'ont écrit; ou d'avoir, en le lisant, dans l'esprit toutes les mêmes idées qu'ils y avoient, avec toutes leurs circonstances, sans y ôter, ni y ajoûter quoi que ce soit. Il ne nous est même presque pas possible de faire passer dans l'esprit de ceux, qui lisent ce que nous écrivons aujourd'hui, tout ce qui se passe dans le nôtre. Pour avoir des idées parfaitement semblables à celles qu'avoient ceux, dont la doctrine est comprise dans ces divins Originaux, il faudroit que Dieu ressuscitât les Apôtres, il faudroit que JesusChrist lui-même descendît du Ciel; pour nous expliquer en nôtre Langue la parole de vie, & pour répondre aux questions que nous leur pourrions faire, lors que nous craindrions de ne pas bien entendre ce qu'ils nous diroient. Mais comme cela n'arrivera, qu'au dernier Jour, tout ce que nous pouvons faire, c'est d'employer tous les autres moyens imaginables, pour entendre les Ecrits qu'ils nous ont laissez.

J'ai donc tâché, par la lecture perpetuelle des Originaux, & des meilleurs Interpretes, pendant longues années, de me rendre le stile des Ecri

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vains

vains Sacrez assez familier; pour pouvoir juger du veritable sens des passages, qui font ambigus, & réduire les Hebraïfmes, & tout ce qu'il y a de particulier à des idées aussi nettes, qu'il me feroit possible; afin de les pouvoir exprimer, comme nous avons accoutumé de le faire en François. Mais comme il ne s'agissoit pas seulement de dire ce que je pensois, après avoir lû, par exemple, un passage de S. Paul, & l'avoir examiné avec beaucoup d'attention; mais d'exprimer dans une autre Langue, sans s'éloigner, que le moins qu'il est possible, du tour & des manieres de l'Original, les difcours de cet Apôtre, j'ai eu perpetuellement devant les yeux ces deux regles.

La premiere c'est que l'on doit rendre mot pour mot les termes de l'Original, lors qu'on peut les fouffrir & les entendre, dans nôtre Langue, Il est certain que ce n'est pas traduire, c'est-à-dire, faire entendre un Auteur; que de le traduire, en forte que ceux, qui ne savent que la Langue de la Version, n'y comprennent rien; ou se trompent à tous momens, en donnant aux expressions de la Version un sens, qu'elles n'ont point. Mais quand on peut se faire entendre aux Lecteurs, en ne changeant rien, ou au moins en ne changeant que ce que la Langue, dont on se sert, demande nécessairement que l'on change; on doit demeurer attaché aux exprefsions de l'Original. Cette maniere de traduire représente, en quelque forre, l'Auteur à ceux qui ne peuvent pas recourir à la source; & ils se font un plaifir de voir, dans leur Langue, les termes de celui qu'ils souhaitent d'entendre.

La seconde regle, que je me fuis proposée, c'est que dans les endroits, où il faut nécessairement s'éloigner des expressions originales, on doit tâcher de les rendre en François, conformément à la signification, qu'elles ont constamment, dans l'usage du Vieux & du Nouveau Testament; felon les regles que les plus habiles Grammairiens, & les Critiques les plus exacts nous ont données. C'est ce que j'ai observé par tout, lors que j'ai crů pouvoir m'assurer du sens que ces expressions ont, dans le langage des Ecrivains Sacrez. Ainsi sachant avec certitude que les ET, qui commencent une infinité de periodes dans les Originaux, n'ont souvent aucune forte d'emphase, je les ai ôtez, quand ils ne font pas nécessaires en François; ou exprimé, par d'autres particules, dont nous nous fervons, pour lier le discours. J'en ai use de même, à l'égard de VOILA, OU VOICI, dont les Hebreux se fervent très-fréquemment, & de quelques autres particules semblables, comme on le verra dans les Notes. Mais lors que les passages m'ont paru si ambigus, ou pour les mots, ou pour la construction, que je n'ai pu me déterminer sur le sens, qu'ils peuvent avoir; après y avoir apporté toute l'attention dont je suis capable, & avoir confulté les meilleurs Interpretes; j'ai laisse le sens suspendu, comme il l'étoit dans

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