position du Curare une substance tétanisante et d'en voir sortir une autre d'une action paralysante, c'est-à-dire diamétralement opposée. Aussi s'ingéniait-on pour trouver dans la présence des ingrédients additionnels lianes étrangères à la famille des loganiacées, ou venins d'animaux quelconques et surtout de reptiles, le secret de l'action particulière du Curare. Suivant cette manière de voir, le poison des flèches eût été un composé hétérogène dans lequel deux ordres d'agents antagonistes se seraient mutuellement combattus, et dont le pouvoir toxique n'aurait été représenté que par l'excédant d'activité des principes névrolytiques. Dès lors, pourquoi associer des substances aussi opposées, pourquoi détruire d'une main, au moins partiellement, les effets meurtriers qu'on s'efforçait de produire d'un autre côté? La pratique des Indiens pouvait paraître irrationnelle à des yeux pré venus. Il n'en était rien cependant; quand les sauvages de l'Amérique du Sud ajoutaient des venins animaux au suc de la liane toxique, ils ne faisaient que multiplier un pouvoir paralysant, déjà acquis à l'extrait de la plante vénéneuse par suite du procédé de fabrication. L'échantillon de la liane curare qui m'avait été remis par M. Thirion, consul de Venézuéla, a été soumis à l'examen de M. le professeur Planchon. Voici le résultat de ses études transcrit in extenso: Note remise par M. le professeur PLANCHON, le 19 février 1878. « L'échantillon de Curare, que M. le professeur Gubler a bien voulu soumettre à notre examen, se compose d'une portion de branche de 2 centimètres et demi de diamètre, dans sa partie la plus large; elle est longue de 27 centimètres environ et porte aux trois quarts de sa hauteur un tronçon de branche secondaire qui s'en détache à angle presque droit. L'écorce, relativement mince, se sépare facilement de la partie ligneuse; elle est d'un gris brun un peu ocracé, rugueuse à la surface et irrégulièrement ridée dans le sens longitudinal; on y distingue çà et là des taches d'un blanc crétacé, qui s'étendent surtout en longueur; la face interne, d'un gris fauve, est régulièrement et finement striée parallèlement à l'axe de la branche. La coupe transversale montre à l'œil une large zone moyenne, de couleur blanchâtre, limitée extérieurement par une mince couche de teinte ocracée, et intérieurement par une bande beaucoup plus mince encore, de la même couleur. Quant au bois, de couleur grisâtre ou gris fauve, il est remarquable par le nombre de pores qui s'ouvrent largement à sa surface Fig. 1.-Morceau d'une branche montrant sur la coupe du bois de nombreuses lacunes caractéristiques. (fig. 1). Il entoure un canal médullaire de 5 millimètres de diamètre généralement vide. L'examen microscopique montre la structure suivante. Dans l'écorce (fig. 2), une première zone extérieure, subéreuse, formée de cellules rectangulaires ou cubiques, disposées en nombreuses séries dans le sens du rayon; au-dessous, une zone de cellules étendues, surtout dans le sens tangentiel, à parois assez épaisses et rougeâtres ou ocracées; quelques-unes d'entre elles plus développées contiennent de gros cristaux prismatiques. Ces deux premières zones représentent la bande extérieure, qui limite la large zone de couleur blanchâtre. Cette dernière, qui forme à elle seule les trois quarts de l'épaisseur, est essentiellement composée de grosses cellules, à parois épaisses, qu'on désigne sous le nom de cellules pierreuses, parce que la cavité de la cellule est remplie presque complètement par les couches d'épaississement des parois. Enfin, la dernière zone, très mince, correspondant aux couches libériennes, contient des cellules étendues dans le sens de la longueur de la branche, coupées par des rayons médullaires, qui s'étendent radialement et mêlées de grosses cellules à cristaux. Le bois ne montre pas de couches concentriques bien marquées, rien qui corresponde aux couches annuelles de nos arbres dicotylédones. Les cellules ligneuses, régulièrement rangées en séries radiales, sont toutes ponctuées : leur diamètre est peu considérable. Elles entourent de nombreux vaisseaux, également ponctués, dont le diamètre est en moyenne dix fois plus considérable que le leur. Le tissu qu'elles forment est coupé du centre à la circonférence par de nombreux rayons médullaires composés d'une, deux ou plusieurs rangées de celiules rectangulaires, contenant souvent un gros cristal, analogue à ceux de l'écorce. En outre, on distingue de distance en distance des bandes de tissu cellulaire qui s'étendent à travers le tissu ligneux dans le sens tangentiel et y forment des fausses couches annuelles. Mais le point le plus curieux et le plus caractéristique de cette structure, c'est le développement de grosses lacunes, qui se forment par déchirement ou plutôt par destruction des tissus et qui font disparaître sur une longueur considérable, vaisseaux, tissu ligneux, rayons médullaires, tissu cellulaire. Sur la coupe transversale (fig. 3), ces lacunes ont un contour très irrégulier, tendant cependant en général vers la forme d'une ellipse à grand axe dirigé dans le sens tangentiel. Elles ne sont limitées par aucune paroi spéciale, mais par les divers tissus, au milieu desquels elles se sont développées. Ce sont ces lacunes qui forment à la surface d'une coupe transversale les ouvertures caractéristiques que nous avons signalées plus haut. Les détails de structure que nous venons d'indiquer tant dans Fig. 3. Coupe transversale d'une portion des couches ligneuses montrant une des lacunes caractéristiques ayant détruit les divers tissus. , tissu ligneux. rr, rayons médullaires. l'écorce que dans la zone ligneuse, nous permettent de rapporter notre échantillon de curare à un groupe de plantes bien déterminé, celui des Strychnos. Dans ses caractères généraux, l'écorce rappelle exactement ce qu'on retrouve dans la Fausse Angusture, dans l'Ecorce de Hoang-Nan, dans les fragments que nous avons trouvés adhérents aux bois de Couleuvre, toutes écorces qui sont produites par des Strychnos. Quant aux lacunes si caractéristiques du bois, nous avons eu l'occasion de les observer également dans tous les Strychnos, que nous avons pu étudier jusqu'ici: dans le bois de Couleuvre, dans le bois de Hoang-Nan, même dans le bois de M. Boundou, quoique ce dernier soit bien plus compacte que les précédents. Nous n'hésitons donc pas, par l'inspection seule de la branche, à rapporter la plante qui l'a donnée à une espèce de Strychnos. Un certain nombre de feuilles qui accompagnaient l'échantillon, confirment du reste cette idée. En voici la description (fig. 4): Feuilles courtement pétiolées, membraneuses, fermes, d'un vert rougeâtre en dessus, pâles en dessous, elliptiques ou elliptiquesovales, longues de 10 à 15 centimètres, larges de 5 à 7 centimètres, entières sur les bords, atténuées à la base, acuminées au sommet. Nervure médiane forte, d'où se détachent à la base deux nervures longitudinales suivant les bords de la feuille, et à une certaine hauteur variable, deux nervures plus fortes que les inférieures, rarement opposées entre elles, qui gagnent le sommet en restant à une certaine distance des bords. Des nervures secondaires transversales partent de ces nervures principales et forment un réseau saillant, principalement à la face inférieure. La feuille paraît glabre à l'œil nu; à la loupe, elle montre des poils rares, extrêmement courts, appliqués, qui deviennent plus nombreux sur les nervures. Ces feuilles rappellent celles de diverses espèces de Strychnos, mais elles ne répondent exactement à aucune des espèces américaines |