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Le géant des mers lui-même s'est ébranlé au milieu de sa puissance maritime, et de la multitude de ses navires; les vents rugissent dans les grands mâts de ses vaisseaux, et la vague orageuse, de tous côtés vient battre ses rivages.

Le vautour des nations est rentré dans son aire, ses forteresses sont assiégées, et, de tous les points de l'occident, la trompette de la Liberté fait retentir ses mille voix à travers l'espace, et proclame, dans toutes les parties de la terre, le triomphe du droit, l'émancipation de l'Humanité et l'avènement de la justice universelle. Sentinelle, c'est bien, va maintenant.

Sur le sol qui tremble, les trônes vermoulus s'écroulent. L'orgueuil et l'oppression les ont élevés, le ver de la corruption et de l'iniquité les ronge depuis des siècles, le souffle de la résurection des peuples en dispersera les débris.

Les oppresseurs avaient dit au glaive: tu étendras sur les nations ta lueur sinistre ; et les nations, saisies d'épouvante, s'agenouilleront devant notre grandeur et courberont la tête sous le caprice de nos volontés.

Et voilà que le spectre de la peur s'est retourné vers eux-mêmes; il pénètre sous les lambris de leurs palais; il prend place, à côté d'eux, sur leur trône; il se dresse, la nuit, en face de leur chevet; il transit leur âme, glace leurs membres et agite leur sommeil par une sorte de vision secrète qui les remplit de terreur.

VI.

Après s'être dégagés, pour un moment, des chaînes de la tyrannie, les peuples sont retombés sous l'oppression et dans leurs misères, et leurs maux sont devenus encore plus insupportables qu'auparavant, afin qu'ils apprissent à se fortifier dans l'amour fraternel de la solidarité universelle.

Mais, hélas! affaissés sous le poids de longues années de souffrances, ces peuples, réveillés comme en sursaut, à la

grande voix de l'occident, n'ont pu se lever qu'un instant, pour retomber aussitôt dans les serres de leurs vautours. Le bruit sinistre des instruments de guerre gronde encore sur les nations, et les satellites de la tyrannie accourent des régions du nord, comme une nuée d'oiseaux de proie. Ils s'apprêtent à porter la dévastation dans les campagnes, le pillage et l'incendie dans les cités.

Pour encore un peu de tems la voix des apôtres de la régénération humaine sera étouffeé, et le sang des martyrs de la vérité, vainement prodigué: car l'ennemi est encore debout. Les chaînes de l'esclavage ne sont pas toutes brisées, et l'on voit encore des glaives qui brillent, et l'on entend encore le bruit des citadelles qui grondent.

Les tyrans se vengent de leur défaite. Ils règnent et ils dominent de nouveau, comme si leur puissance devait être éternelle. Le perfide continue de marcher dans sa perfidie, et le méchant ne se détourne point de la voie du mal.

Ceux qui étaient opprimés sont retombés sous l'oppression, parce qu'en secouant leurs chaînes, ils n'ont pas su entrer dans les voies de la vérité et de la justice, ils n'ont point compris la solidarité qui devait les unir et les rendre invincibles. C'est pourquoi un joug plus pesant cncore que celui qu'ils avaient brisé, les accable de nouveau; ils sont écrasés sous des étreintes plus cruelles; et leurs fers, sont devenus plus lourds et leurs malédictions plus terribles.

Mais quand cette justice universelle des nations, qui unira tous les peuples par les liens puissants d'une fraternelle solidarité, aura établit son règne parmi les hommes, alors ils seront remplis d'une force inconnue qui leur fera broyer tous les oppresseurs qui pèsent sur leurs têtes, comme les mottes d'un champ que l'on herse; et jamais ils ne renaîtront de leur poussière, parce que le Seigneur sera avec ceux qui marcheront dans les voies de la vérité et de la justice.

Pour quelque tems encore ceux qui gouvernent par le fer et l'hypocrisie se livrent à leurs criminels ébats et ils disent l'ordre règne et la paix est rétablie.

Et de tous côtés l'on entend le bruit confus des chaînes, que répètent les échos sinistres des cachots. Et du fond de ces cachots, s'exale un affreux concert de lamentations, de sanglots, d'imprécations et de blasphèmes.

La France a pleuré sur vos douleurs, ô nobles peuples d'Italie, de Hongrie et de Pologne; parce que le vautour vous a pressé dans ses serres homicides et que le tigre des forêts s'est rué sur vous et sur vos femmes et sur vos enfants; parce que la fureur du glaive s'est déchaîné contre vous, avec la cruauté du desespoir, et que le pillage a saccagé vos vignes et l'incendie dévoré vos moissons.

La joie et l'allégresse ont fui vos campagnes les plus fertiles. On n'entend plus, à travers vos champs et vos vergers, ce folâtre épanouissement de la gaîté, qui délasse au retour du travail. Vos voix sont muettes et vos cœurs navrés d'amertume.

C'est pourquoi l'angoisse a brisé les cœurs sympatiques des enfants de la France, et, comme les sons plaintifs d'une harpe de deuil, leurs soupirs vous ont accompagnés sur le chemin épineux de votre calvaire.

Leurs bras sont désarmés et leurs lèvres sont muettes; parce que les guides en qui ils avaient mis toute leur confiance les ont conduits dans des sentiers détournés et ont égaré leurs pas dans le dédale de nouveaux mensonges. Mais ils fourbiront de nouvelles armes, qu'on ne brisera plus entre leurs mains, et ils traceront de nouvelles routes, d'où nul ne saura les faire dévier. Alors ils voleront vers vous, et vos chaînes tomberont; et vos biens et vos femmes et vos enfants vous seront rendus; et vos bourreaux seront ensevelis sous les ruines de vos cachots.

Ils sont fiers aujourd'hui, parce que vous ployez sous

le poids de leurs fers. L'ordre règne, disent-ils, quand l'abattement de la souffrance a vaincu tous les courages, et que, le pied sur leurs victimes, ils leur présentent la pointe du glaive!

L'ordre règne, quand le faîble est dans l'oppression et que le juste mendie le trépas pour échapper aux horreurs de la faim!

L'ordre règne, quand le méchant, élevé aux honneurs, regorge de richesses; quand l'innocent, abreuvé d'outrages, subit la sentence injuste de juges qui ont vendu leur conscience, et que ses fils sont errants sous le soleil.

L'ordre règne! Et le mensonge, l'hypocrisie, la corruption, la cruauté et la rapine, sortis des régions infernales de la tyrannie, comme d'une outre empestée, ont étendu leurs ravages sur toute la terre. Et le voisin dérobe à son soisin; et celui-ci soustrait à un troisième ce qu'un autre lui volera le jour suivant. Le crime ne connaît plus de limites, l'iniquité distille son venin sur toute la nature, et les choses mêmes les plus saintes en sont souillées, comme de la bave impure d'un reptile. Et les peuples deshérités n'ont ni bonheur, ni repos, ni trêve; et leurs tyrans ombrageux ne cessent de battir des prisons, pour y renfermer la race humaine.

On ne rencontre de tous côtés que gibets et cachots; le sang coule sur les places pupliques; on pend et on égorge sans pitié. La fureur des bourreaux n'a plus de frein, et les droits de l'humanité les plus sacrés sont foulés aux pieds.

Malheur! Malheur! Le sang déborde, et leur rage n'est point assouvie. Ils s'abattent sur les cadavres de leurs victimes, comme les aigles et les vautours sur des corps morts. La terre fond en larmes et les cieux se couvrent de deuil, à cause de tant de carnage!

Ils chargent de chaînes les bras des peuples, et ils les

poursuivent avec le fer et le feu. Ils versent le sang par torrents, leurs victimes sont saturées d'outrages jusqu'au dernier soupir, et, avant même que le dernier souffle ait expiré sur leurs lèvres, leurs corps sont jetés à la voirie, comme des cadavres d'animaux immondes.

Pour comble d'horreur, des vierges pures sont brutalement arrachées des bras de leurs mères et livrées sans merci aux outrages d'une soldatesque effrénée! Et, flétries avant l'hiver, par le contact impur des bourreaux de leurs pères, ces tristes victimes de leur lubrique fureur appellent à leurs secours le trépas, contre l'abîme de la honte et l'angoisse du désespoir!

Cet ordre, dont se targue leur orgueil et que leur bouche hypocrite glorifie, c'est le triomphe éphémère de la force sur le droit, du mensonge sur la vérité; c'est le comble de la lassitude et de l'épuisement des nations écrasées; c'est le sombre et muet désespoir des peuples, impuissants contre la tyrannie, dont ils subissent le joug de fer; c'est le baîllonnement de toutes les bouches qui prophétisaient le bonheur de l'humanité; c'est le règne du vautour sur les tombeaux, dans les ténèbres d'une nuit profonde!

Mais les tyrans ne siègent plus sur leurs trônes; ils campent au milieu de leurs armées, et ils s'abritent derrière les murailles de leurs fortresses. Ils ne règnent plus par le sceptre, mais par le fer, et ils disent.

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Et ce cri infernal a retenti parmi les nations frémissantes, comme la voix sépulcrale de spectres en démence. Mais l'ange du Seigneur, qui veille sur les peuples, a répondu :

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L'épée est maudite, et la fin de son règne est proche!" Et déjà, dans les régions qui s'étendent entre l'ocean' et la méditerranée, de la Baltique à la mer noire, du Rhin

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