Page images
PDF
EPUB
[ocr errors]

coutumé, semblable au mugissement de la vague. Et, aux coins des rues, dans les carrefours, sur les places publiques, des hommes au teint hâve, aux joues creusées par les sillons de la faim, formaient des groupes et murmuraient entr'eux je ne sais quoi de sinistre, comme le bouillonnement souterrain de la lave, aux approches de l'éruption d'un volcan.

Or, en ce tems-là, un roi déjà vieux occupait le trône d'occident. Son règne avait été long et pacifique; mais il n'avait eu pour soutien que l'astuce, l'hypocrisie et le mensonge. Le ver de la corruption rongeait les sommités de son royaume. La prévarication, la rapine, la débauche et l'assassinat avaient souillé ses plus hauts dignitaires; et l'éclat, mal comprimé, des ces débordements avait fait jaillir, aux yeux du peuple, comme un rayon de lumière dans ce ténébreux repaire de toutes les iniquités.

La confusion était partout. Une main invisible avait frappé de vertige les conseillers du monarque. Sa volonté était devenue impuissante; son pouvoir avait perdu tout prestige, et son trône usurpé, s'affaissant de lui-même sur sa base d'argile, glissait vers le penchant des abîmes.

Mais Dieu, qui voyait la corruption des grands, avait semé parmi le peuple des germes de régénération. Un souffle mystérieux avait parcouru les régions de la douleur, et l'ange de l'espérance avait touché de son aile le cœur de l'opprimé.

Ce souffle magique de l'Esprit de Dieu a pris un nom redoutable, qui fait trembler les oppresseurs des nations. Comme un talisman auquel rien ne résiste, ce nom seul, proclamé au sein des populations, amoncelle les pierres, renverse les digues, brise les glaives, disperse les armées les plus formidables et fait voler les trônes en éclats.

Alors l'angoisse descend dans le cœur de ceux qui ont commis l'injustice; leurs chefs déconcertés hésitent, leurs

orateurs se taisent, et l'orgueil abattu assiste, silencieux et consterné, au triomphe de ceux que, la veille encore, il écrasait de ses dédains.

Or ce souffle d'en haut passa sur la ville d'occident; et quand il eût passé, trône, monarque et satellites avaient disparu; et, de secousse en secousse, le contre-coup de leur chute ébranla tous les trônes du continent.

III.

L'Humanité marche à grands pas vers la régénération du monde.

Dans une grande assemblée, où l'on discutait des choses publiques, un orateur a dit un jour:

"Aux hommes assez insensés pour dire: l'Humanité ne marche pas, Dieu répond par la terre qui tremble."

Et moi je vous dis : non seulement la terre tremble, mais déjà le monde est ébranlé: car le signe avant-coureur des jours de justice a sillonné les airs de sa lumière flamboyante, et la trompette des tems nouveaux a sonné l'heure solennelle de la résurrection des peuples.

Le méchant en a frémi d'épouvante, et l'espérance est descendue au cœur de ceux qui souffrent l'iniquité dans la patience et la résignation.

Oui, l'humanité marche, marche sans cesse à la conquête de ses destinées; et la rapidité de sa course s'accroît de jour en jour, d'heure en heure, de moment en moment, en proportion du chemin que déjà elle a parcouru et des obstacles qu'elle rencontre sur son passage et qu'elle

renverse.

Le soleil de la justice et de la liberté a déjà frappé trois fois de ses rayons le plus ancien des trônes de l'occident. Et ses débris ont roulé au fond des abîmes, et, semblable à l'écho sinistre des tonnerres souterrains, le fracas de sa chute a ébranlé les fondements de tous les trônes.

Soudain, du midi au septentrion, d'occident en orient, le Génie de la Liberté électrise les nations impatientes du joug; vingt peuples se lèvent comme un seul homme, secouent leurs chaînes séculaires et marchent à la conquête de leur indépendance.

L'air frémit du cri: aux armes! aux armes! et des milliers d'épées intelligentes, sortant tout-à-coup de leurs fourreaux, brillent d'une lueur à la fois vengeresse et protectrice.

Et les escadrons se meuvent et agitent leurs lances, et le bronze et l'airain sétalent sur leurs chars de bataille, et le cliquetis des armes retentit dans les airs, et la plaine se couvre au loin d'une épaisse fumée, que silloment par intervalles des éclairs sinistres.

IV.

La ville d'occident.

Les grandes souffrances ont enfin leurs limites. Assez et trop long-tems les peuples se sont débattus dans le martyre.

Un cri de douleur suprême est parti de l'occident. Les nations l'ont entendu, et elles en ont tressailli. Il a porté l'épouvante parmi les méchants et le trouble dans l'âme des hypocrites. Encore un peu de tems et toute la gloire des géants sera détruite.

Et, en ce tems-là, ayant passé sur les bords de la Seine, je vis cette ville célèbre qui renverse les rois et les monarques, trop confiants dans leurs vaines grandeurs ; cette ville qui dévore et anéantit toute domination dont le joug s'appesantit sur elle. Et à la lueur d'une brillante auréole dont la lumière refoulait au loin l'obscurité de la nuit, j'ai vu toute sa population en tumulte comme au jour d'une

grande victoire. Et des cris de guerre et des chants de triomphe retentissaient dans les airs; et les enfants de la cité couvraient les toits de ses maisons et le faîte de ses édifices, et les arbres de ses jardins et de ses boulevarts étaient comme les mâts d'un navire pavoisé de matelots au jour d'une grande manoeuvre.

Devant les débris d'un trône, à l'aspect du signe de la résurrection, l'oiseau des ténèbres a disparu comme le spectre des tombeaux; et le char de la victoire a parcouru, glorieux et triomphant, les villes et les campagnes, au milieu des acclamations de joie de tout un peuple affranchi.

Quelle main a brisé ce sceptre qui paraissait inébranlable, et comment ce trône, assis sur des siècles, s'est-il écroulé ?

Il a

Salut, peuple de France, peuple de Paris gloire à toi! Le seigneur a favorisé cette nation; il établira son empire au milieu d'elle, et il reculera ses frontières. choisi ce peuple pour ministre de sa justice; il l'a revêtu de sa cuirasse pour terrasser les méchants, et armé de sa parole de feu pour faire jaillir la lumière sur toutes les

nations.

Et les nations, éclairées et affranchies, chanteront des airs de réjouissance, comme en un jour de fête solemnelle; et tous les cœurs seront dans l'allégresse, parce que l'hiver des douleurs aura fui devant la vivifiante sérénité des jours nouveaux.

V.

Les peuples commencent à s'ébranler.

Ayant entendu au loin, les échos bruyants de la liberté, j'ai posé une sentinelle sur un lieu élevé, afin qu'elle me rapporte tout ce qu'elle aura vu. Et la sentinelle a porté

les yeux dans les régions du nord et du midi, de l'orient et de l'occident; et elle a regardé de tous côtés, avee une grande attention.

Et j'ai entendu sa voix qui me criait :

Je vois partout des nations qui s'ébranlent. Et les peuples qui étaient dans l'oppression se relèvent et secouent le joug de la servitude, et les murailles des prisons se renversent, et les captifs qu'elles renfermaient, brisent leurs fers, et les chaînes qui les tenaient liés, tombent de leurs mains et de leurs pieds, comme les branches mortes tombent des arbres séculaires de la forêt, au souffle de l'ouragan.

Ils ont entendu un grand peuple battre le rappel de l'émancipation universelle; et aussitôt, rapide comme le feu du tonnerre, cet éclair de la liberté a sillonné toutes les régions du continent, et, en passant, il a touché les trônes, et l'effroi s'est répandu jusqu'au fond des palais. Sentinelle, que vois-tu encore?

Je vois du côté qui regarde l'orient, un peuple, deux peuples qui se débattent sous le fer autrichien. Je vois, du côté du nord, un autre peuple qui remue la poussière de ses tombeaux, un autre qui tourbillonne et s'apprète à secouer les langes de ses vieilles traditions. J'en vois d'autres encore qui s'épuisent en héroïques efforts.

Sentinelle, prète l'oreille et écoute les voix qui s'élèvent de tous les points où le vent souffle.

J'entends les gémissements d'un peuple campé entre deux mers, du côté qui regarde l'antique Jérusalem qui n'est plus. Il frémit d'indignation à la vue des cruautés inouïes qu'on exerce sur lui.

J'entends vers l'océan du sud, les sourds murmures d'un autre peuple, qui commence à secouer sa léthargie séculaire. Ses terres sont sillonnées de montagnes et ses rivages voient les rivages d'Afrique.

« PreviousContinue »