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Et vous, âmes généreuses et dévouées, vous, qui subissez, dans les fers, toutes les rigueurs que la fureur du désespoir inspire à vos oppresseurs frappés de vertige, consolez-vous; car l'écho de vos souffrances a retenti sur la montagne du Très-Haut.

Il a entendu aussi la prière de ceux de vos frères que la faulx homicide des bourreaux n'a pas moissonnés encore, mais qui souffrent, comme vous, de la déviation des destinées humaines.

Déjà j'entends l'immense concert de gémissements et d'espérance qui s'élève de toutes parts vers le ciel, pour implorer l'assistance divine et faire descendre sur la terre la lumière nouvelle, cette lumière féconde et réparatrice qui fera tomber de vos yeux tous les voiles, et, de vos mains, toutes les chaînes.

Allez, nobles cœurs, ayez foi dans l'avenir, et que l'espérance ranime votre courage. La vérité, que vous défendez, sortira triomphante de toutes les épreuves, parce qu'elle est plus puissante que toutes les forces de la tyrannie. Comme le fer chaud qui sort de la fournaise, elle brûle la main téméraire qui ose y toucher, et quand on la frappe, il en jaillit des étincelles qui éblouissent les yeux mêmes de ceux qui la cachent sous le boisseau.

Une explosion terrible de la puissance humaine se prépare, et vous serez pour jamais affranchis de l'oppression et de la servitude.

Vos ennemis chercheront en vain dans la plaine un sceptre englouti dans les entrailles de la terre. Quant à vous, la liberté sera votre sceptre et la justice votre diadême. Et l'Humanité, planant, majestueuse et calme, au dessus de cet écroulement immense, grandira jusqu'au ciel.

XXIX.

Un patriarche du prolétariat.

Homme de la Vallée, qu'as tu vu encore?

Au pied d'un tribunal de la justice des hommes, sur le banc où s'asseoient les malfaiteurs, j'ai vu un accusé dont les cheveux avaient blanchi sous le faix des ans et de la douleur.

Ce vieillard vénérable, à l'œil doux et bleu, au front patriarcal, à la physionnomie souffrante, s'avance d'un pas mal assuré, chancelant sur ses jambes tremblantes. Usé par les longues années d'un travail pénible et constant, qui avait dévoré son existence presque séculaire, je l'ai vu, ô douleur! traîné à la barre de l'ignominie. Reconnu, par la loi des hommes, coupable d'avoir, dans son dénuement et sa détresse, demandé un morceau de pain et une place au soleil, il est condamné à la prison.

Et, quand le juge, esclave de la lettre écrite, eut prononcé l'inflexible sentence de sa condamnation, je vis ce vétéran du travail, ce patriarche du prolétariat voué à la glèbe, fondre en larmes, et, de sa voix faible et tremblante, avec l'accent de la plus douloureuse supplication: je ne demanderai plus de pain, dit-il, je mangerai de l'herbe, des feuilles, des racines; mais, de grâce, laissez-moi mon soleil! C'est la vie pour un pauvre vieillard comme moi!

Mais la justice des hommes fut sourde à la supplication du vieillard.

Ils emprisonnent ceux qui ont faim, parce qu'ils demandent du pain! Est-ce que l'air et la lumière n'appartiennent pas à tous ? Est-ce que Dieu a créé des prisons pour ses créatures?

-Ton indignation allège ma douleur, Enfant des Montagnes. Et moi aussi, le cœur serré de tristesse, je

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me demandais: quand donc viendra le jour où le malheur ne sera plus un crime, où le pauvre trouvera toujours un peu de pain pour apaiser sa faim, un peu de paille ou quelques feuilles sèches pour reposer sa tête, une humble cabane pour s'abriter, sans encourir l'inflexible rigueur des lois que le riche a faites?

Le cerf est libre dans la forêt, le poisson est libre dans les eaux, l'hirondelle est libre dans les airs, l'insecte est libre dans la prairie, toutes les créatures de Dieu sont libres dans l'univers. Elles vont et elles viennent comme il leur plait; ni la faim ni la soif ne viennent les attrister, et personne ne leur mesure l'air qu'elles respirent, ni la chaleur du soleil qui les réchauffe.

-O vous, âmes, d'élite et de prédilection, qui donnez un asile à celui qui n'a point d'abri et un morceau de pain à celui qui a faim, réjouissez-vous: car, lorsque la colère céleste viendra balayer les iniquités du monde, l'ange du Seigneur veillera sur vous et sur vos enfants; et vos terres et vos foyers ne seront point enveloppés dans le tourbillon de la vengeance.

XXX.

Le prolétaire et le financier,

Homme de la Vallée, qu'as-tu vu encore ?

-En cheminant dans la région d'occident, j'ai rencontré une cité vaste et riche, populeuse et bruyante. Les eaux d'un fleuve célèbre traversent son enceinte; et la majesté de ses édifices impose l'admiration à l'étranger qui les contemple. Elle se dit la mère du progrès, la reine de la civilisation, la maîtresse des belles manières.

Et, au sein de cette grande cité, par une nuit brumeuse et glacée de la saison des plaisirs des grands, la somptueuse

demeure d'un financier projetait sur la voie publique, à travers la gaze de ses draperies, le voluptueux reflet de ses girandoles de vermeil, émaillées de cristaux aux prismes étincelants.

Ces gerbes de lumière éclairaient une orgie.

Et, dans un salon orné de tout le luxe des orientaux, autour d'une table chargée des mets le plus rares, des liqueurs les plus fines, régnait un long cordon de joyeux convives. Il y avait là, de jeunes femmes demi-vêtues, parées de leurs atours les plus séduisants, étincelantes de pierreries; et, au milieu des capricieuses ondulations de la fumée aromatique d'un tabac turc, ces jeunes femmes, enivrées par la vapeur d'un vin mousseux et pétillant, échangaient gaiement, avec les princes de la finance, de ces lubriques propos dont le vulgaire ignore le raffinement.

Et, tandis que, dans le délire de leurs ébats, ces heureux sybarites vidaient jusqu'à la lie la coupe du plaisir, voici qu'à deux pas de là, au détour d'une rue transversale, faiblement éclairée par la lueur douteuse d'un pâle reverbère, un prolétaire au teint hâve et décharné, accoudé sur l'angle d'une maison, grelottant contre la pierre froide, la tête penchée sur sa poitrine, luttait vainement contre les poignantes étreintes de la faim. Les bruyants éclats de rire qui percent à travers les jalousies, arrivent, par intervalles, jusqu'à son oreille, comme l'écho d'un murmure lointain. Il relève peniblement la tête, rouvre une paupière déjà mourante, et jette un regard d'angoisse sur les délices de cette demeure splendidement illuminée. Mais une fièvre brûlante dévore ses entrailles, le sentiment de la vie lui échappe, ses jambes fléchissent et refusent de le soutenir, il s'affaisse d'inanition.

L

Devant lui s'étalent l'or, les bijoux, les éblouissantes parures, toutes les somptuosités de l'abondance et du luxe; ses yeux se troublent; le bourdonnement des conversations, le roulement des voitures, les ébats de l'orgie, n'apportent plus à son oreille que des sons confus; sa poitrine atrophiée râle son dernier souffle; il meurt faute d'aliments.

XXXI.

Le sort du prolétaire.

Je le vois, Enfant des Montagnes, le récit de ces choses fait bouillonner d'indignation ton cœur généreux ; et pourtant le spectacle de bien d'autres misères est venu rendre plus lourd encore le découragement qui pèse sur mon âme attristée.

Le labeur du pauvre prolétaire fournit largement aux besoins, aux plaisirs, au luxe, aux capricieuses fantaisies des heureux du siècle. C'est lui qui, de ses sueurs, fertilise la terre, d'où émane toute l'alimentation humaine; c'est lui qui construit les navires, au moyen desquels s'échangent les produits des diverses contrées du globe; c'est de ses maims que sortent tous les éléments du bienêtre; et c'est de son intelligente activité que découle, sans jamais tarir, cette source perpétuellement féconde qui répand et entretien l'abondance au banquet de la vie.

Et de ce banquet lui seul est exclu!

Constamment en proie aux sombres appréhensions d'un lendemain affreux pour lui et pour sa femme et pour ses enfants, il parcourt tristement le chemin de son calvaire; il s'en va sous le soleil, comme l'exilé des

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