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ruines d'un antique palais. D'autres cherchent plus loin à réchauffer leurs membres glacés, auprès de la flamme qui éclaire quelques pierres empilées contre la borne du chemin. Le silence de la nuit n'est interrompu que par le bruit lugubre des pas de tout un peuple de mendiants, pâles et misérables créatures, qui cherchent, dans les balayures des maisons, quelque morceau de pain oublié, ou quelque os qui ne soit pas entièrement dépouillé.

Des enfants en bas âge, abondonnés sur la voie publique par des parents qui ne peuvent les nourrir, pleurent de faim, de froid et de détresse; des viellards mendient la paille d'un taudis; tandis qu'ailleurs, dans des réduits méphitiques, des milliers de jeunes filles luttent, de leur côté, contre le sommeil, la fatigue, la maladie, les privations, pour tenir l'aiguille dans leurs doigts raidis par toute une longue journée de travail.

Des hommes à la fleur de l'âge périssent d'inanition, ou s'arrachent la vie, pour échapper au besoin. Des mères désolées remercient la mort d'avoir mis un terme aux privations et aux tortures de leurs enfants. Au seuil même de somptueuses habitations, où règne l'abondance de toutes choses, la faim, prélude de la mort, promène sa face livide sur ce peuple de fantômes. Et, du carrefour voisin, les accents lugubres d'une complainte, que râle une poitrine épuisée, sélèvent sur ce théatre de la désolation, comme le chant de l'oiseau des ténèbres sur les tombeaux.

XXXIV.

L'opulence et la misère.

Il il avait, en ce tems-là, des hommes qui habitaient des palais somptueux, qui vivaient au sein des plaisirs, des festins et des réjouissances. Ils n'avaient jamais faim ni soif, ni froid. Ils possédaient tous les biens en abondance, et n'étaient jamais iniquiétés dans leurs demeures.

Et, sur le seuil de leurs palais, il y avait d'autres hommes affaissés par la douleur, pâles comme des fantômes accroupis sur des tombeaux. Ils étaient tristes, et leur cœur était rempli d'amertume. Ils avaient froid, et il n'avaient rien pour couvrir la nudité de leur corps, pas même un toit pour s'abriter.

Or, quand le ventre crie: j'ai faim, les facultés de l'homme s'énervent dans son corps affaibli, l'horison de ses pensées s'obscurcit, et son âme attristée, ne s'élève plus aux nobles aspirations divines.

J'ai vu des hommes pâles et graves, longeant les rues désertes, parcourant les allées solitaires des jardins publics ou quelque sentier perdu de la vallée voisine. Leur allure est timide, leur regard doux et inoffensif. Leurs vêtememts usés les couvrent à peine. Quelques feuilles de papier, placées dans un carton, forment tout leur trésor, et un morceau de pain qu'ils portent dans leur poche, compose souvent leur unique repas de la journée.

Ce sont des âmes qui s'agitent dans leur enveloppe mortelle. Elles cherchent Dieu, à travers le voile encore brumeux de la science humaine, et voudraient s'élancer jusque dans la sphère lumineuse des vérités éternelles, pour frayer à l'Humanité un chemin moins rude au

progrès de ses aspirations vers le règne de la paix et du bonheur.

Le cultivateur, qui, du matin au soir, remue la terre, le manœuvre, qui porte de lourds fardeaux, l'homme de peine, qui tourne une roue et trempe de ses sueurs la place qu'il occupe, ne font pas un travail plus dur que ces pauvres parias de l'intelligence, qu'on refoule dans leur solitude et leur dénûment, et qui vivent d'un pain amer et grossier, entre la misère et l'apostasie.

Je les ai vus, ces hommes de douleurs, épuisés de veilles et de fatigues, succomber sous le faix de leurs nobles travaux, victimes de l'envie et de la malveillance des faux travailleurs. Ils succombent sous le poids de l'amertume, du mépris et de la calomnie; et ils tombent, ignorés, dans la nuit du délaissement et de la solitude, comme le fruit oublié tombe de l'arbre, au premier souffle des vents d'automne, sans avoir attiré l'œil ou la main des passants.

J'ai vu aussi des âmes pures, trempées d'une noble et énergique fierté, pleines de courage dans leurs souffrances, repousser l'aumône, comme une insulte, préférer aux épines de l'humiliation les étreintes de la faim et consumer, dans une lente et cruelle agonie, l'héroïsme de leur résignation.

J'ai vu des riches orgueilleux, noyés dans le luxe de toutes les jouissances, se dérober, par une fuite précipitée, à la vue de quelque misère profonde, étalée sur leur passage, de peur qu'un sentiment d'humanité ne fît explosion au fond de leur cœur, ou que l'aiguillon du remords ne vint troubler la quiétude de leurs plaisirs.

J'ai vu des hommes gorgés d'or, nageant dans l'opulence, élever constamment le prix des vivres et des loyers, en diminuant celui des salaires. Je les ai vus

arracher à de pauvres paysans affamés leur dernier morceau de pain, et leur disputer un coin de terre ou quelques branches mortes ramassées dans la forêt. Que leur fesait à eux cette misère, qu'ils envenimaient? Ne trouvaient ils pas, au bout de toutes ces exactions, un accroissement dans leurs revenus, une satisfaction de plus à cette soif inextinguible de l'or qui les dévore et que rien ne peut assouvir?

D'une côté, au milieu de riches salons, splendidement éclairés, autour de tables somptueusement servies, des convives vêtus avec une extrême recherche boivent les vins les plus généreux, les liqueurs les plus fines, savourent, parmi les fleurs et les parfuns les mets les plus délicats, les fruits les plus rares et les plus doux, et se repaissent de tout ce que la terre et l'intelligence du travailleur produisent de plus succulent et de plus exquis.

De l'autre côté, sur des tables bôiteuses et vermoulues, puantes de malpropreté, étalées dans un lieu plus puant encore, s'accoudent des hommes et des femmes en haillons, aux propos ignobles, aux visages déformés par l'ivrognerie, ravalés au dessous des animaux les plus vils et n'ayant plus rien qui appartienne à l'espèce humaine. Ces êtres dégradés par les vices hideux que la misère engendre, chantent, d'une voix rauque, leur vin empoisonné. Et, quand leurs yeux s'appesantissent et que leurs jambes chancellent, ils se roulent sous les tables, dans les souillures du cabaret, ou se vautrent dans les immondices de la voie publique.

XXXV.

Les saintes femmes.

Et, dans ce tems-là, de saintes et pieuses femmes pratiquaient les plus héroïques vertus et s'efforçaient de répandre un peu de baume sur ces hideuses plaies de la misère. Elles allaient dans les hôpitaux soigner et consoler ces tristes victimes de l'exploitation humaine, ces pauvres malades, que l'excès du travail, le défaut d'air, de lumière et de nourriture envoient mourir par milliers loin de leurs proches et de leurs amis. D'autres allaient de demeure en demeure visiter ceux qui n'avaient pu trouver place dans ces lieux privilégiés de la souffrance, et ceux mêmes que la honte, ou une répulsion trop vive retenait sur leurs grabats. Mais c'est vainement que, dans cette longue vallée de larmes, ces saintes femmes ont versé quelques consolations sur tant de douleurs. Leur dévouement héroïque n'a pu vaincre la puissance du mal, et, chaque jour, des milliers de malheureux meurent, ignorés, loin de tout secours humain. Elles se sont usées dans le sacrifice de toutes les joies sans que le nombre des infortunés ait diminué d'un seul, sans que la débauche, la prostitution, la mort aient reculé d'un pas devant leurs courages. Elles-mêmes succombent, épuisées sous ce poids des douleurs humaines, qui les accable; et le mal qu'elles combattent, semble se rire de leurs efforts et jeter un défi à l'héroïsme de leurs sacrifices et de leur dévouement.

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Soyez bénies, femmes sublimes, vous qui aimez et consolez les martyrs, qui compatissez à toute une race couchée dans le sang et la fange, sous la main des bourreaux et sous la malédiction des impies, soyez bénies; car votre charité s'élève, comme un parfun

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