Page images
PDF
EPUB

Et, si, du milieu de ce chaos d'iniquités, la voix généreuse d'un homme de cœur, sélevant en faveur de l'innocence opprimée, ose faire crier, comme celui d'Abel, le sang de ces tristes victimes de la perversité humaine, les oppresseurs, à défaut de moyens de justifieation, l'envoient en exil pour raison d'Etat, ou le plongent vivant dans les sépulcres du cachot, comme un malfaiteur. Et, si quelquefois ils daignent lui faire grâce de la liberté, ils ne manquent pas de lancer à sa poursuite une meute de folliculaires affamés, qui, pour quelques pièces de monnaie qu'on leur jette dans la boue, aboient l'outrage et le mensonge.

Enfant des Montagnes, voilà les choses que j'ai vues parmi les nations les plus civilisées de cette terre de douleurs. Ce que j'ai vu au delà des mers et dans les contrées lointaines, au milieu des peuples encore plus profondément ensevelis dans la nuit des ténèbres du monde, ma langue serait impuissante à l'exprimer, et mes forces ne peuvent déjà plus me soutenir.

C'est pour cela qu'étant venu chercher un peu de repos dans la solitude de la vallée, au milieu de ces ruines antiques, des soupirs amers comme l'absythe, s'échappaient de mes entrailles, et que, mes yeux, penchés vers la terre, répandaient des ruisseaux de larmes.

Mon âme est toute désolée, et mon corps est entièrement épuisé par la fatigue et la douleur. L'amertume a fait vieillir ma peau et ma chair, et le chagrin a brisé mes os. J'ai été au milieu des peuples comme un plante arrachée. Ma peau s'est brûlée au soleil, elle s'est noircie sous l'ardeur de ses rayons, et elle s'est collée sur mes os, et s'est desséchée. Mon corps est comme un arbre que les avalanches ont renversé, et que les eaux boueuses d'un torrent ont emporté au loin, puis rejeté sur leurs rives sablonneuses, dans une contrée déserte.

Et mes soupirs se redoublent sans cesse, et mon cœur est accablé. La paix a été bannie de mon âme ; j'ai perdu le souvenir de toute joie. Et j'ai dit en moimême: Enfin c'est fait de moi, et, l'espérance que j'avais au Seigneur s'est évanouïe.

XXXVII.

Lamentations sur les calamités qui affligent les enfants des hommes.

Seigneur, Seigneur ! Ce que j'entends me fait frissonner d'horreur et glace mon âme d'épouvante.

Jusques à quand la terre pleurera-t-elle ? Jusques à quand l'herbe de ses champs sera-t-elle desséchée, à cause de la méchanceté de ceux qui l'habitent ?

Seigneur, Seigneur! Voyez le déluge de maux qui couvre la face du monde, entendez les sanglots et les cris de détresse de ces enfants des hommes, plongés dans les gouffres les plus profonds de l'affliction humaine.

Leur âme est triste comme le suaire d'un sépulcre. L'espérance ne les accompagne plus jusqu'aux portes du tombeau; elle les abandonne, des l'aurore même de leur carrière, et elle les fuit dans leurs douleurs. Tout n'est, pour eux, que misère, souffrance et désolation, et la vie leur est amère comme le fiel.

Signeur, Seigneur! Jetez un regard de compassion sur les souffrances de l'Humanité, sortie de sa voie : voyez l'intensité des fléaux qui l'accablent, la profondeur des palaies qui la rongent. Tous les jours de sa vie, le

peuple marche dans les ténèbres et s'abreuve de larmes, à la coupe de l'adversité. Les pauvres cherchent de l'eau, et ils n'en trouvent point; leur langue est brûlée par les ardeurs de la soif. Ils cherchent du pain pour soutenir leurs membres défaillants, et ils n'en trouvent point; leurs forces les abandonnent, et ils succombent sous les étreintes de la faim.

Et les méchants sont dans la prospérité; ils meurent dans la splendeur, après avoir vécu dans l'abondance. Ils ne sont point dans les tourments, comme les autres mortels; ils ne sont point frappés avec les autres hommes. C'est pourquoi l'orgueil les couvre comme un bouclier, et la violence les environne comme une cuirasse. Ils s'engraissent de la substance des pauvres ; leur rapacité ne connaît point de bornes; ils sont aussi insatiables que la mort et la tombe.

Ils raillent ceux qui courbent la tête devant eux, et ils oppriment ceux qui la relèvent et qui essaient de rejeter leurs entraves. Ils parlent avec hauteur aux faibles; leur bouche attaque le ciel, et leur langue empoisonne la terre.

Ils ont versé au peuple, à pleines coupes, l'eau amère de leurs iniquités. Et le peuple, impuissant à se défendre, l'a bue jusqu'à la lie. Il a pleuré toutes ses larmes dans la nuit obscure du désespoir, et son cœur s'est desséché comme la cendre.

Les apôtres les plus courageux sont tombés en défaillance, et les plus zélés se sont affaissés sur euxmêmes ; ceux qui ont persévéré ont été couverts d'opprobres, et ceux qui ont voulu franchir les barrières ont été renversés; ils sont devenus comme des troncs décharnés que les vagues des méchants ont rejeté sur la grève du monde, au milieu d'une écume de sang et d'ordures.

Et, toutes les voix qui se sont élevées pour le peuple ont été refoulées, et le peuple est resté plongé dans la nuit de ses douleurs, sans que personne ose venir à son secours. Le rayon de lumière qui avait effleuré son esprit s'est dissipé, et l'espérance qu'il avait au cœur s'est évanouïe. Les arbres pleurent de tristesse, les plantes languissent, courbées sur leurs tiges, et la terre est toute désolée, à cause de l'affliction du peuple.

Seigneur, Seigneur, qu'est devenue votre justice, et où est votre miséricorde? Que sont devenues les paroles de votre Christ, lorsqu'il disait à ses disciples: Tout ce que vous demanderez au Seigneur Dieu en mon nom, vous sera accordé ? Et depuis un jour jusqu'à l'autre nous ne cessons de prier et d'élever nos voix vers le ciel, et nos voix et nos prières ne sont point entendues, elles se perdent comme dans un désert.

O si vous vouliez ouvrir les cieux, et en descendre! les montagnes s'écouleraient devant vous. Elles fondraient comme si elles étaient consumées par la feu; les eaux deviendraient toutes embrasées, et la grandeur de votre puissance remplirait de terreur les ennemis du peuple, et les nations trembleraient devant votre face.

Ouvrez, Seigneur, la porte de votre demeure éternelle, afin que nous soyons témoins de votre gloire, et, qu'en voyant les cieux, nous soyons couvaincus de la vérité des paroles de votre Fils, et des promesses qu'il nous a faites étant sur la terre.

Venez nous visiter dans notre abandon, afin que l'espérance renaisse dans nos cœurs, qne la lumière revienne dans notre esprit, et que nous soyons remplis de force car je ne me tairai point en faveur du peuple, je n'aurai point de repos en faveur des pauvres et de tous ceux qui gémissent, jusqu'à ce que votre justice. paraisse dans notre sein comme une vive lumière, et que

votre vérité brille au milieu de nous comme une lampe toujours allumée.

Et le Seigneur a entendu ma prière, et son Esprit s'est reposé sur moi; il m'a rempli de force, et il m'a envoyé pour annoncer sa parole à ceux qui sont doux, pour guérir ceux qui ont le cœur brisé; pour publier l'année de la délivrance et le jour de la réconciliation; pour consoler ceux qui pleurent; pour avoir soin de ceux qui sont dans les larmes; pour leur donner une couronne au lieu de la cendre, une huile de joie au lieu des larmes, et un vêtement de gloire au lieu d'un esprit affligé; et il y aura parmi eux des hommes puissants en justice, qui seront des plantes du Seigneur pour lui rendre gloire.

Ils rempliront d'édifices les lieux déserts depuis plusieurs siècles, ils relèveront les anciennes ruines, et ils rétabliront les villes abandonnées, où il n'y avait eu qu'une solitude pendant plusieurs âges.

Je me réjouirai avec une effusion de joie dans le Seigneur, et mon âme sera ravie d'allégresse dans le Dieu éternel, parce qu'il m'a revêtu des vêtements du salut, et qu'il m'a paré des ornements de la justice, comme un époux qui a la couronne sur la tête, et comme une épouse parée de toutes ses pierreries.

Car comme la terre fait germer la semence, et comme un jardin fait pousser ce qu'on a planté ainsi le Seigneur Dieu fera germer sa justice, et fleurir sa louange aux yeux de toutes les nations.

« PreviousContinue »