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me le persuader. Ce n'est pas néanmoins que je croie que le pommier, par exemple, qui est dans le germe du pepin, ait à peu près les mêmes proportions de grandeur et des autres qualités entre ses branches, ses feuilles et ses fruits, que les grands arbres; et assurément Théodore ne le prétend pas non plus. Je prétends seulement que toutes les parties organiques du pommier sont formées et si bien proportionnées aux lois du mouvement, que, par leur propre construction et l'efficacité de ces lois, elles peuvent croître sans le secours d'une providence particulière.

Je comprends bien votre sentiment; dites-nous votre

-

ARISTE. expérience. THEOTIME J'ai pris, Ariste, une vingtaine des plus grosses fèves; j'en ai ouvert deux ou trois, et j'ai remarqué qu'elles étaient composées en dedans de deux parties qui se séparent aisément, et que j'ai appris qu'on appelle leurs lobes; que le germe était attaché à l'un et à l'autre de ces lobes; que d'un côté il se terminait en pointe vers le dehors, et que de l'autre il se cachait entre les lobes. Voilà ce que j'ai vu d'abord. J'ai semé les autres fèves pour les faire germer et voir comment elles croissent. Deux jours après, j'ai commencé à les ouvrir; j'ai continué pendant environ quinze jours, et j'ai remarqué distinctement que la racine était contenue dans cette partie du germe qui est en dehors et se termine en pointe; que la plante était renfermée dans l'autre partie du germe qui passe entre les deux lobes; que la racine était elle-même une plante qui avait ses racines dans la substance des deux lobes de la fève dont elle tirait sa nourriture; que, lorsqu'elle avait poussé en terre comme les plantes dans l'air, elle fournissait abondamment à la plante le suc nécessaire; que la plante, en croissant, passait entre les lobes, qui, après avoir servi à l'accroissement de la racine, se changeaient en feuilles, et mettaient la plante à couvert des injures de l'air. Ainsi je me suis persuadé que le germe de la fève contenait la racine de la plante et la plante même, et que les lobes de la fève étaient le fond où cette petite plante était déjà semée et avait déjà ses racines. Prenez, Ariste, de ces grosses fèves vertes dont on mange au commencement de l'été; ouvrez-les délicatement; considérez-les attentivement; vous verrez sans microscope une partie de ce que je viens de vous dire; vous découvrirez même les premières, feuilles de la plante dans cette petite partie du germe qui se replie entre les deux lobes 1.

ARISTE. Je crois bien tout cela; mais que cette graine contienne la plante que nous verrons dans vingt ans, c'est ce qui est 1. Voyez l'Anatomie des plantes de M. Grew et de M. Malpighi.

difficile à s'imaginer et ce que votre expérience ne prouve point. THEOTIME. Il est vrai; mais nous voyons déjà que la plante est dans la graine; nous voyons sans le secours du microscope qu'en hiver même la tulipe est dans son oignon; nous ne pouvons pas voir actuellement dans la graine toutes les parties de la plante. Hé bien, Ariste, il faut tâcher de les imaginer. Nous ne pouvons point imaginer comment les plantes qui viendront dans cent ans sont dans la graine. Il faut tàcher de le concevoir du moins cela se peut-il concevoir. Mais on ne voit point que les plantes se forment uniquement en conséquence des lois générales des communications du mouvement. On ne peut imaginer comment cela se peut faire; on peut encore moins le concevoir. Quelles raisons peut-on donc avoir de le soutenir et de nier ce que Théodore vient de nous dire?

ARISTE. Je serais fort porté à croire que Dieu conserve les animaux et les plantes par des volontés particulières, si Théodore ne m'avait pas fait remarquer que d'òter à la Providence sa généralité et sa simplicité, c'était la rendre humaine et lui faire porter le caractère d'une intelligence bornée. Ainsi il en faut revenir là, et croire que Dieu, par la première impression du mouvement qu'il a communiqué à la matière, l'a si sagement divisée, qu'il a formé tout d'un coup des animaux et des plantes pour tous les siecles. Cela est possible, puisque la matière est divisible à l'infini. Et cela s'est fait ainsi, puisque cette conduite est plus digne de l'Être infiniment parfait, que toute autre.

THÉOTIME. -Ajoutez à cela, Ariste, que l'Écriture nous apprend que maintenant Dieu se repose, et que d'abord il n'a pas fait seulement les plantes de la première année de la création, mais encore la semence pour toutes les autres. « Germinet terra, dit-il, » herbam virentem et facientem semen, et lignum pomiferum faciens >> fructum, juxta genus suum, cujus semen in semetipso sit super >> terram1. >> Ces dernières paroles, «cujus semen in semetipso sit, » jointes à celles-ci . « Et requievit die septimo ab omni opere quod >> patrarat, » marquent ce me semble, que Dieu, pour conserver ses créatures, n'agit plus comme il a fait dans le temps qu'il les a formées. Or, il n'agit qu'en deux manières, ou par des volontés particulières, ou par des volontés ou des lois générales. Donc il ne fait plus maintenant que suivre ses lois, si ce n'est qu'il y ait de grandes raisons qui l'obligent à interrompre le cours de sa providence; raisons que je ne crois pas que vous puissiez trouver dans les besoins des animaux ou des plantes.

X. ARISTE.

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Non, sans doute; car quand il y en aurait la 1. Gen., 1.2. Ch. 2, 2.

moitié moins, il n'y en aurait que trop. Car, je vous prie, Théodore, à quoi bon tant de plantes inutiles à notre usage, tant d'insectes qui nous incommodent? Ces petits animaux sont l'ouvrage d'une sagesse infinie je le veux. Mais c'est cela mème qui fait la difficulté; car pourquoi former tant d'ouvrages excellents pour nourrir les hirondelles et dévorer nos bourgeons? Est-ce, Théodore, que le monde ne serait pas aussi parfait qu'il est, si les chenilles et les hannetons ne venaient point dépouiller les arbres de leurs fruits et de leurs feuilles?

THÉODORE. - Si vous jugez, Ariste, des ouvrages de Dieu uniquement par rapport à vous, vous blasphémerez bientôt contre la Providence; vous porterez bientôt d'étranges jugements de la sagesse du Créateur.

ARISTE. tout fait ?

Mais quoi! n'est-ce pas pour l'homme que Dieu à

THÉODORE.Oui, Ariste, pour cet homme sous les pieds duque! Dieu a tout assujetti, sans en rien excepter; pour cet homme dont parle saint Paul dans le second chapitre de l'Épître aux Hébreux. Dieu a tout fait pour son fils, tout pour son Église, et son Église pour lui. Mais s'il fait les puces pour l'homme, c'est assurément pour le mordre et pour le punir. La plupart des animaux ont leur vermine particulière; mais l'homme a sur eux cet avantage, qu'il en a pour lui seul de plusieurs espèces, tant il est vrai que Dieu a tout fait pour lui. C'est pour dévorer ses blés que Dieu a fait les sauterelles. C'est pour ensemencer ses terres qu'il a donné comme des ailes à la graine des chardons. C'est pour flétrir tous ses fruits qu'il a formé des insectes d'une infinité d'espèces. En ce sens, si Dieu n'a pas fait toutes choses pour l'homme, il ne s'en faut pas beaucoup.

Prenez garde, Ariste, la prescience de Dieu est infinie. Il doit régler sur elle tous ses desseins. Avant que de donner à la matière cette première impression de mouvement qui forme l'univers pour tous les siècles, il a connu clairement toutes les suites de toutes les combinaisons possibles du physique avec le moral dans toutes sortes de suppositions. Il a prévu que l'homme dans telles et telles circonstances pécherait, et que son péché se communiquerait à toute sa postérité en conséquence des lois de l'union de l'âme et du corps 1. Donc, puisqu'il a voulu le permettre, ce funeste péché, il a dù faire usage de sa prescience, et combiner si sagement le physique avec le moral, que tous ses ouvrages fissent entre eux, et pour tous les siècles, le plus bel accord qui soit possible. Et cet accord 1. Recherche de la Vérité, liv. II, ch. 7. L'Éclaircissement sur ce même ch.

merveilleux consiste en partie dans cet ordre de justice, que l'homme s'étant révolté contre le Créateur, ce que Dieu prévoyait devoir arriver, les créatures se révoltent, pour ainsi dire, contre lui, et le punissent de sa désobéissance 1. Voilà pourquoi il y a tant de différents animaux qui nous font la guerre.

XI. ARISTE. Quoi! avant que l'homme eût péché, Dieu avait déjà préparé les instruments de sa vengeance? Car vous savez que l'homme n'a été créé qu'après tout le reste. Cela me paraît bien dur. THÉODORE. - L'homme avant son péché, n'avait point d'ennemis; son corps et tout ce qui l'environnait lui était soumis; il ne souffrait point de douleur malgré lui. Il était juste que Dieu le protégeàt par une providence particulière, ou qu'il le commit à la garde de quelque ange tutélaire pour empêcher les suites fâcheuses des lois générales des communications des mouvements. S'il avait conservé son innocence, Dieu aurait toujours eu pour lui les mêmes égards, car il ne manque jamais de rendre justice à ses créatures. Mais quoi! ne voulez-vous pas que Dieu fasse usage de sa prescience, et qu'il choisisse la plus sage combinaison qui soit possible entre le physique et le moral? Voudriez-vous qu'un être infiniment sage n'eût point fait porter à sa conduite le caractère de sa sagesse, ou qu'il eût fait l'homme et l'eût éprouvé, avant que de faire ces créatures qui nous incommodent; ou enfin qu'il eût changé de dessein et réformé son ouvrage après le péché d'Adam? Dieu, Ariste, ne se repent et ne se dément jamais. Le premier pas qu'il fait est réglé par la prescience de tout ce qui le doit suivre. Que dis-je Dieu ne se détermine à faire ce premier pas qu'après qu'il l'a comparé non-seulement avec tout ce qui le doit suivre, mais encore avec une infinité d'autres suppositions, et d'autres combinaisons de toutes espèces du physique avec le moral et du naturel avec le surnaturel.

Encore un coup, Ariste, Dieu a prévu que l'homme dans telles et telles circonstances se révolterait. Après avoir tout comparé, il a cru devoir permettre le péché. Je dis permettre, car il n'a pas mis l'homme dans la nécessité de le commettre. Donc il a dù, par une sage combinaison du physique avec le moral, faire porter à sa conduite des marques de sa prescience. Mais, dites-vous, il a donc préparé avant le péché des instruments de sa vengeance ? Pourquoi non, puisqu'il l'a prévu, ce péché, et qu'il a voulu le punir? Si Dieu avait rendu malheureux l'homme innocent; s'il s'était servi de ces instruments avant le péché, on aurait sujet de se plaindre. Mais est-il défendu à un père de tenir des verges prêtes pour

1. Eccl., 39, 35.

châ

tier son enfant, principalement s'il prévoit qu'il ne manquera pas de lui désobéir? Ne doit-il pas même lui montrer ces verges menaçantes, pour le retenir dans le devoir? Peut-on douter que les ours et les lions ne soient créés avant le péché? Et ne suffit-il pas de croire que ces cruelles bêtes, dont Dieu se sert maintenant pour nous punir, respectaient en Adam son innocence et la majesté divine? Mais si vous trouvez mauvais que Dieu avant le péché commis ait préparé des instruments pour le punir, consolez-vous; car, par sa prescience, il a aussi trouvé le remède au mal avant qu'il fût arrivé. Certainement, avant la chute du premier homme, Dieu avait déjà dessein de sanctifier son Église par Jésus-Christ; car saint Paul nous apprend qu'Adam et Éve étaient dans leur mariage, qui a précédé le péché, la figure de Jésus-Christ et de son Église : << Sacramentum hoc magnum est. Ego autem dico in Christo et in >> Ecclesia 1. » Le premier Adam étant la figure du second, forma futuri, jusque dans son péché. C'est, Ariste, que la prescience de Dieu étant infinie, elle a réglé toutes choses. Dieu a permis le péché. Pourquoi ? C'est qu'il a prévu que son ouvrage, réparé de telle et telle manière, vaudrait mieux que le même ouvrage dans sa première construction. Il a établi des lois générales qui devaient faire geler et grêler les campagnes; il a créé des bêtes cruelles et une infinité d'animaux fort incommodes. Pourquoi cela? C'est qu'il a prévu le péché. Il a mis une infinité de rapports merveilleux entre tous ces ouvrages; il a figuré Jésus-Christ et son Église en mille manières. C'est un effet et une marque certaine de sa prescience et de sa sagesse. Ne trouvez donc point mauvais que Dieu ait fait usage de sa prescience, et qu'il ait d'abord combiné sagement le physique avec le moral, non pour le peu de temps que le premier homme devait conserver son innocence, mais par rapport à lui et à tous ses enfants tels qu'ils devaient être jusqu'à la fin des siècles. Adam ne pouvait pas se plaindre que les animaux se mangeassent les uns les autres, lui rendant à lui, comme à leur souverain, le respect qui lui était dù. Il devait plutôt apprendre par là que ce n'étaient que des brutes incapables de raison, et que Dieu l'avait distingué entre toutes ses créatures.

XII. ARISTE. - Je comprends bien ce que vous me dites. Dieu a eu de bonnes raisons de créer de grands animaux capables de nous punir. Mais pourquoi tant de petits insectes qui ne nous font ni bien ni mal, et dont la mécanique est peut-être plus merveilleuse que celle des grands animaux, mécanique cachée à nos yeux, et qui ne nous fait point connaître la sagesse du Créateur?

1. Eph., 5.-2. Rom., 5.

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