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virginité est-elle bien réellement préférable au saint état du mariage? Dieu n'a-t-il pas attaché une bénédiction particulière à l'union de l'homme et de la femme? Le divin Sauveur luimême n'a-t-il pas daigné prendre part aux joies des noces de Cana? Si la pratique de la vertu de chasteté dans les liens du mariage était plus agréable au Créateur que la pratique de la virginité? Ce doute la torture. Un siècle plus tard, elle aurait pu entendre l'illustre fils de sainte Monique s'écrier : « O que la fécondité qui fait produire les fruits des prières et des bonnes œuvres que l'on retrouve dans le ciel est bien plus heureuse et plus désirable que celle qui donne des enfants sur la terre » et, plus près de nous, l'angélique saint Thomas d'Aquin résoudre négativement cette question avec l'autorité qui s'attache à ses décisions 2.

1

Cette lutte prend bientôt fin. Le calme renaît. Persuadée plus que jamais que Dieu lui réserve, malgré tout et quoi qu'il arrive, une place spéciale parmi ses Vierges, mais, d'autre part, habituée à se rendre au moindre désir de sa mère, Lucie garde un respectueux silence sur la présentation qui vient de lui être faite. Elle croit pourtant qu'il lui est permis de faire observer à sa mère que, ce noble compatriote étant païen, elle ne peut, elle chrétienne, s'unir à lui sans de grands dangers. pour sa foi. Pourra-t-elle se rendre librement aux assemblées des chrétiens et continuer la pratique de ses bonnes œuvres ?

Mais, soit qu'Eutychia fût assurée suffisamment de la fermeté de sa fille, soit qu'elle eût la secrète espérance que celle-ci ramènerait son époux des ténèbres du paganisme à la lumière éblouissante du christianisme, elle ne s'arrêta pas longtemps à cette objection. Elle l'avait depuis longtemps prévue; du reste, aucune loi ecclésiastique ne s'opposait alors à ces sortes d'unions, que l'Eglise tolère encore aujourd'hui dans les pays païens. «< On sait, en effet, que l'Eglise dispense plus facilement de l'empêchement résultant de la disparité du culte, lorsqu'il

1. Saint Augustin, Lettre CL, à Proba et à Julienne, p. 253.

2.

Ex Summâ sancti Thomæ, secunda secundæ, article 152, tome V.

s'agit d'un mariage entre la femme catholique et l'homme protestant, que lorsqu'il s'agit d'un mariage entre la femme protestante et l'homme catholique, et qu'il en est de même par rapport au mariage entre le chrétien et l'infidèle 1. >>

Cette mesure prouve une fois de plus quelle influence réelle possèdent les femmes et comme ceux qui les entourent font plus facilement le bien ou le mal, suivant l'exemple qu'elles donnent. N'est-ce pas une femme, pour ne pas remonter trop haut dans l'histoire, qui, au milieu des lâchetés des apôtres et des disciples, malgré les menaces et les moqueries des Juifs, eut le courage de consoler le Sauveur sur le chemin du Calvaire et d'essuyer sa face adorable, souillée par le sang et les crachats ? N'est-ce pas une vierge qui, par sa soumission entière à l'inspiration divine et par la pureté angélique de sa vie, mérita de rendre au roi de France son royaume et son drapeau en péril? N'est-ce pas une femme héroïque qui soutint le pontife Grégoire VII, abandonné par ses alliés, et lui fourni l'argent et les armes nécessaires pour le salut de la Papauté ?

Hélas! ne sont-ce pas aussi les femmes qui pervertissent les nations les plus florissantes, en amollissant les caractères et en asservissant les hommes à leurs passions honteuses et à leur ambition?

Déjà, de son temps, Horace lui-même, le voluptueux Horace, n'est-il pas obligé de reconnaître 2, que le peuple romain se perd sous la mauvaise inspiration des femmes ? et, de nos jours, le citoyen de Genève n'a-t-il pas dépeint, en traits ineffaçables, dans les lignes suivantes, le navrant spectacle d'une société, dominée par les courtisanes :

« Lâchement dévoués aux volontés du sexe que nous devrions protéger et non servir, nous avons appris à le mépriser en lui obéissant, à l'outrager par nos soins railleurs, et chaque femme de Paris rassemble dans son appartement un sérail d'hommes, plus femmes qu'elles, qui savent rendre à la beauté

1. R. P. Ventura, La femme catholique, page 3. 2. Odes, livre III, Ode 6o, ad Romanos.

toutes sortes d'hommages, hors celui du cœur dont elle est digne 1. >>

Loin de se laisser abattre par ce commencement de résistance à ses vœux les plus ardents, Lucie vit dans cette épreuve une occasion nouvelle de prouver à Dieu la solidité de son amour et la fermeté de son espérance au moment où il semblait l'abandonner. Elle comprit que son divin Époux voulait mettre à l'épreuve sa foi; elle s'humilia, se reprochant les moindres imperfections qui, pensait-elle, avaient pu l'éloigner, et s'efforça, par ses prières, ses pénitences et sa tendre piété, de rappeler, pour ainsi dire, à Dieu le choix qu'Il avait fait d'elle quelques années auparavant. Puis, confiante et tranquille, elle s'abandonna complètement à la direction qu'il plairait à Dieu de lui indiquer, certaine qu'un jour viendrait où la volonté divine s'imposerait à tous d'une façon irrésistible.

Grande et sublime leçon, que notre siècle d'indifférence et de scepticisme aurait tant besoin de comprendre et de suivre! Une faible fille, malgré tous les obstacles qui semblent s'opposer à la réalisation de ses pieux desseins n'hésite pas un instant, prie Dieu de manifester clairement sa puissance et marche sans peur au milieu des ennemis de sa foi.

Dieu ne voulut pas se laisser vaincre en générosité par sa créature. Pour bien prouver que la prière humble et pressante trouvera toujours bon accueil auprès de lui, peut-être aussi pour faire comprendre à Eutychia l'imprudence qu'elle avait commise en confiant à un infidèle l'âme et le cœur de sa fille, Il frappa un grand coup. Eutychia fut prise d'un flux de sang, dont elle souffrit pendant quatre années, malgré les remèdes et l'habileté de tous les médecins.

Lucie fut sans doute la seule à penser que cette maladie était une punition pour sa mère et un signe pour elle-même que Dieu la couvrait toujours de son regard paternel. Les visites du jeune patricien diminuèrent tout naturellement, l'état

1. Rousseau, citoyen de Genève, à d'Alembert, cité par le R. P. Ventura, page 20.

de santé d'Eutychia ne permettant pas à ce jeune homme d'unir, pour le moment, son sort à celui de Lucie. Pendant ces quatre années, la piété de celle-ci se développa de plus en plus, ses prières devinrent plus nombreuses et plus ferventes. Enfin, obéissant à une secrète inspiration du ciel, elle conjura sa mère de ne plus désespérer de sa guérison et de faire au tombeau de sainte Agathe un pèlerinage dont elle attendait, disait-elle, des grâces merveilleuses.

En effet, la renommée de la bienheureuse vierge sainte Agathe augmentait de jour en jour dans la province de Sicile, et le peuple se portait en foule à Catane, distante de Syracuse de cinquante milles (environ quarante-neuf kilomètres), pour y vénérer les restes précieux de cette jeune martyre 1. Les païens eux-mêmes suivaient l'impulsion générale, espérant être secourus, en ce lieu, dans leurs maladies et leurs dangers.

Eutychia se laissa gagner par les supplications de sa fille, d'autant plus qu'au milieu des épreuves qu'elle traversait depuis plusieurs années sa foi s'était accrue.

1. Manuscrit du xire siècle, page 1re. Mombritius, Passio sanctæ Luciæ, page 1. Surius, page 247. (Voir aux Annexes.)

CHAPITRE III

LUCIE SE REND A CATANE AVEC SA MÈRE.
RÉVÉLATION DE Lucie.

EUTYCHIA EST GUÉRIE.

La mère et la fille partirent donc ensemble, le 5 février 301 1, et parvinrent bientôt au tombeau de la martyre. Elles s'agenouillèrent pieusement pour assister aux saints offices, Eutychia surmontant les douleurs cuisantes qui l'avaient réduite à un grand état de faiblesse. Pendant la célébration des saints mystères, l'un des officiants récita le passage de l'Évangile où est rapportée la guérison de l'hémorroïsse au simple contact du vêtement du Sauveur 2. Frappée de cette coïncidence heureuse, pleine d'un doux espoir, Lucie dit à Eutychia : « O mère! si << vous croyez à ce qui vient d'être lu, soyez assurée qu'Agathe « a mérité et obtenu du Christ, pour le nom de qui elle a souf« fert le martyre, d'être pour toujours en sa divine présence; << prosternez-vous auprès de son sépulcre, et vous serez sau« vée 3. >>

L'office terminé, tous les assistants se retirèrent, à l'exception de nos deux Syracusaines, qui s'empressèrent de courir à la châsse contenant les reliques de sainte Agathe et redoublèrent de ferveur et d'insistance. Bientôt Lucie fut prise d'un sommeil

1. L'abbé Noël, Sainte Lucie, page 9.

2. Saint Mathieu, 1x, 20-22.

3. Bréviaire romain, 13 décembre.

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