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mystérieux, pendant lequel elle aperçut Agathe, entourée d'esprits célestes, richement vêtue, ornée de pierreries, ainsi qu'il convient à une reine. En effet, « toute vierge est reine, »> dit saint Ambroise, « soit parce qu'une vierge consacrée à Dieu est Epouse du plus grand des souverains, soit parce que, domptant ses passions qui forment le plus honteux esclavage, elle acquiert un nouvel empire sur elle-même 1. »

Agathe s'exprimait en ces termes : « Ma sœur Lucie, vierge vouée à Dieu, pourquoi me demandez-vous ce que vous pouvez obtenir vous-même à votre mère? Car votre foi lui est venue en aide, et la voilà guérie. Vous avez, en effet, préparé dans votre virginité un sanctuaire agréable à Dieu. De même que, grâce à moi, Jésus-Christ a rendu célèbre la ville de Catane, de même la ville de Syracuse sera glorifiée, grâce à vous 2. » Rien de simple comme ce récit ! on croirait entendre un passage de la Bible 3.

Il ne rappelle à aucun point de vue les narrations des fausses extases, dont se croient l'objet les hallucinés, les hystériques, les cataleptiques. Lucie n'est point représentée la face convulsée, les yeux fixes ou hagards, les membres agités de secousses violentes ou privés de tout mouvement. Non, rien de semblable. Elle n'a pas cru à une fausse apparition; elle n'a pas été le jouet d'une illusion des sens. Ce qu'elle a entendu a bien et réellement été dit par Agathe. Une preuve, en dehors de l'autorité qui s'attache aux traditions de l'Eglise, suffira pour établir ce point, qui nous paraît indiscutable : c'est la guérison d'Eutychia, qui se produisit sans aucun retard.

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3. Somnus Luciam arripuit. » (Legenda aurea, Jacques de Voragine, 13 décembre.) [Voir aux Annexes.] « Somno Lucia Virgo arripitur. » (Surius, 13 décembre.) [Voir aux Annexes.] « Lucia somno arrepta. » (Vincent de Beauvais, Speculum hystoriale.) [Voir aux Annexes.] << Somnum Lucia Virgo arripuit. » (Manuscrit de Montiéramey du XIIe siècle.) [Voir aux Annexes.] « Orante sancta Lucia apparuit ei beata Agata et consolabatur ancillam Christi. » (Bréviaire romain, 13 décembre.)

A peine éveillée de cette somnolence mystérieuse, Lucie dit à sa mère : « Mère, mère! vous êtes guérie 1! »

Immédiatement, en effet, Eutychia, naturellement émue, se releva, entièrement délivrée d'une maladie qu'on avait crue désespérée. Pleine de reconnaissance, elle se prosterna devant le Seigneur, adressant au ciel un hymne dans lequel s'exhala l'expression de son bonheur et de sa gratitude.

Devant ce fait réel, indéniable, de la guérison miraculeuse d'Eutychia, devant la manifestation du culte rendu depuis seize siècles à Lucie, par l'Église, si sage, si prudente, qui a reproduit dans son office les paroles mêmes adressées à la vierge de Syracuse par la vierge de Catane, nous n'insisterons pas davantage, persuadé que les incrédules s'inclineront en silence, comme se sont inclinés les critiques, les auteurs de toute nation et de tout temps, sauf deux disciples de l'école de Port-Royal, Le Nain de Tillemont et Baillet. Ces deux philosophes, en vrais jansénistes qu'ils étaient, ont osé seuls s'attaquer à cette gloire si pure et si unanimement respectée de Lucie, comme ils s'étaient attaqués à celle de sainte Cécile et de tant d'autres saints. On lira avec intérêt et profit la réfutation sans réplique que l'éminent et si regretté Restaurateur de l'ordre de Saint-Benoît 2 a faite de ces dangereuses et fausses théories qu'il apprécie en termes dans lesquels perce sa noble et juste indignation de fervent catholique, fermement attaché à l'Église romaine et au Saint-Siège, ce Phare lumineux, d'où descend sur les chrétiens le rayon de la vérité. Voici comment Tillemont 3, « l'un des plus savants et des plus dangereux adeptes de Port-Royal, l'un de ces hommes qui ont éteint en eux, par la servitude de l'orgueil et de l'esprit de système, ce sens que le Créateur nous a donné pour discerner la vérité du roman, » et Baillet,« nouvel et fougueux adepte de cette téméraire critique »; voici, disons-nous, comment ces hommes funestes

1. Brévaire romain, 13 décembre.

2. Dom Guéranger, Vie de sainte Cécile, pages 293 et suiv.

3. Ibid. 4. Ibid.

apprécient les actes de sainte Lucie, notamment l'apparition de sainte Agathe : « Ces faits, dans la simplicité desquels nous devons chercher la vérité, sont représentés dans ses Actes avec des ornements qui ne servent qu'à nous les rendre suspects. Ils sont suivis d'autres faits, dont quelques-uns sont manifestement contraires à la vérité et quelques autres peu probables 1. » Quant à fournir des preuves de cette assertion, quant à l'essayer même, Baillet n'ose ni ne peut. Aussi, devant ces attaques absurdes et de parti pris, nous nous sentons saisi d'une immense pitié, et nous passons.

Du reste, cette apparition d'Agathe, cette extase de Lucie, sont-elles donc des faits isolés, sans précédents, sans conséquents? On nous pardonnera d'en rappeler quelques autres. Que de fois, sous l'ancienne Loi, le Créateur n'a-t-Il pas apparu lui-même ou n'a-t-Il pas adressé des avertissements mystérieux, à Adam, à Abraham, à Samuel, à Moïse; et, depuis. l'ère nouvelle, Jésus-Christ n'a-t-Il pas comblé de la même faveur les apôtres; saint Pierre; enfin, plus près de nous encore, la bienheureuse Marguerite-Marie, la vierge apôtre du Sacré-Cœur!

La Vierge immaculée n'a-t-elle pas, dans les circonstances graves, obtenu de son divin Fils l'autorisation de se montrer sur la montagne de la Salette, dans la grotte de Lourdes, à des âmes simples, plus aptes qu'aucunes autres à voir et à écouter la Reine de toute pureté, à retenir ses avertissements?

Au retour de ce pèlerinage, qui ne le cédait en rien, ni par le nombre ni par la foi des fidèles qui en faisaient partie, aux grandes démonstrations de nos jours, si dénigrées par ceux qui n'en comprennent pas la haute portée, Lucie, qu'un auteur du XVIIe siècle, dans un panégyrique digne d'être lu", proclame une femme forte contre le monde, contre la chair et contre Satan, Lucie, voyant Eutychia encore tout émue par la grâce particulière dont elle venait d'être l'objet, comprit que l'occasion était favorable pour révéler à sa mère le vœu qu'elle

1. Voir aux Annexes.

2. Marchant, Vitis florigera. (Voir aux Annexes.)

avait fait. Après s'être recommandée d'une manière spéciale à son Ange gardien et à la bienheureuse Agathe, sa protectrice, elle dit donc à sa mère : « Mère! au nom de celle qui, par ses « prières, vient de vous obtenir votre guérison, je vous supplie « de ne plus me reparler d'un époux terrestre et de ne plus << compter sur ma postérité. Je suis l'heureuse Fiancée de mon << Sauveur, je suis son humble servante pour l'éternité; je « vous serai donc reconnaissante, ô ma mère, de me remettre « les biens que vous aviez l'intention de me donner à l'occasion << de mon union avec ce jeune Syracusain, qui m'aurait fait perdre le trésor de ma virginité. Ces biens, je les distribuerai «< aux pauvres, les membres souffrants du Christ, qui sera le gardien et la récompense de ma chasteté 1. »

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Eutychia, malgré la douleur qu'elle ressentait à la pensée de quitter sa fille, ne souleva aucune objection; ce qu'elle avait pressenti se réalisait à la lettre. Son cœur maternel se serra douloureusement; mais, devant un ordre de Dieu, elle s'inclina sans murmure. En ce qui concernait la dot, elle répondit à Lucie : « Ma fille, depuis neuf ans que votre père est mort, j'ai conservé sans en rien perdre les biens qu'il a laissés; je les ai plutôt fait fructifier. Pour ma fortune personnelle, vous la connaissez mieux que moi (la maladie d'Eutychia et la confiance qu'elle avait en sa fille l'avaient sans doute amenée à se décharger sur celle-ci de la gestion de ses propriétés); attendez donc qu'il plaise à Dieu de me retirer de ce monde, et quand vous m'aurez fermé les yeux, vous ferez ce qu'il vous plaira de ce que vous recueillerez 2. >>

Eutychia était du nombre de ces chrétiens qui sont généreux en paroles, mais qui oublient la promesse si formelle et si encourageante du Sauveur : « En vérité, je vous le dis, tout ce que vous ferez au moindre de mes frères, c'est à moi-même que vous le ferez 3. » Elle voulait bien faire aux pauvres des distributions larges et abondantes, mais elle restait encore

1. Voir, aux Annexes, les auteurs déjà cités. 2. Id.

3. S. Matth., xxv, 40.

trop attachée aux biens de ce monde. Sa fille, au contraire, avait mieux profité des enseignements évangéliques apportés à Syracuse d'abord par saint Pierre (en l'an 42) et plus tard par saint Paul, l'Apôtre des gentils (59). Elle ne perdait pas de vue « le grand principe qui veut que, d'un côté, l'on fasse briller aux yeux des hommes la lumière des bonnes œuvres, tandis que d'autre part la main qui remplit la lampe verse son huile en secret et n'est connue que de Celui à qui rien n'est caché . » Elle insista donc respectueusement en ces termes: << Mère, permettez-moi de vous faire observer qu'il n'y a pas << grand mérite à donner à Dieu au moment de mourir ce <«< qu'on ne peut emporter avec soi dans la tombe; au con<< traire, si vous voulez vous rendre agréable à la Providence, <<< donnez dès maintenant ce que vous pourriez encore légiti<< mement garder. Le sacrifice que vous vous imposerez en agissant ainsi sera plus méritoire que toutes vos autres << actions 2. >>>

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Quelle fermeté de langage! comme Lucie comprenait la sublime mission que tout vrai chrétien doit remplir autour de lui, non seulement par l'exemple, mais aussi, lorsque la charité le demande, par de sages paroles, dites à propos. C'est bien ainsi que nous aimions à nous figurer cette douce jeune fille : aimable, bonne, mais en même temps inébranlable dans ses principes; prudente, en ce sens qu'elle ne brusque rien, mais qu'elle sait profiter de l'occasion que Dieu lui offre; chérissant sa mère, mais aimant Dieu par-dessus tout; s'oubliant toujours et en tout; ne pensant qu'à faire le bien; d'une pureté de mœurs irréprochable, d'une délicatesse de conscience écartant jusqu'à l'ombre du mal, mais excluant le scrupule, comme indigne de Dieu et funeste à l'avancement dans la vraie perfection. Telle est bien la vierge, dans ce qu'elle a de plus délicat et de plus suave. Aussi quel concert de louanges depuis seize siècles! Les auteurs ont chanté cette aimable vierge avec une grande délicatesse et une grande variété de

1. Cardinal Wiseman, Fabiola, page 119.
2. Voir, aux Annexes, les auteurs déjà cités.

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