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ELLE FAIT LE VOU DE VIRGINITÉ.

Lucie ou Luce naquit à Syracuse, l'an 284. L'époque est solennelle et significative, et mérite une mention expresse. L'Église allait bientôt subir, avec l'héroïsme qu'elle avait montré depuis trois siècles, la dernière et la plus cruelle des persécutions. Elle était alors gouvernée, depuis plus d'un an, par le pape saint Caïus (283-296). Ce glorieux pontife, originaire de Dalmatie, comme Dioclétien, son parent, devait occuper le SaintSiège pendant douze années encore, et souffrir le martyre avec Gavinien, son frère, et Suzanne, fille de ce dernier. Il devait laisser après lui la renommée d'un Pasteur vigilant. Entre autres sages prescriptions, on lui doit celle-ci, de ne jamais ordonner comme évêque que celui qui aurait reçu, préalablement et réellement, les ordres de portier, de lecteur, d'exorciste, de sous-diacre, de diacre et de prêtre1. Après son martyre,

1. « Si quis episcopus esse mereretur, ut esset ostiarius, lector, exorcista, sequens subdiaconus, diaconus, presbyter, et exindè episcopus

son corps fut déposé dans le cimetière de Saint-Calliste (ou Callixte), sur la voie Appienne, le x des calendes de mai 296.

Tout autre était le chef de l'empire romain. Dioclétien (Caïus Valerius Diocletianus, 284-305) était depuis peu revêtu de la pourpre impériale. Né en Dalmatie, l'an 245, fils d'un esclave, il était parvenu, grâce à son courage et à ses talents, au commandement d'une partie de la garde impériale, lorsque Numérien fut assassiné par Aper, son beau-père. L'armée le choisit pour chef et l'élut empereur; immédiatement il perça de son épée Aper, son concurrent, réalisant ainsi la prédiction faite par une devineresse gauloise « que Dioclétien serait empereur, quand Aper serait tué par lui. >> Oracle obscur, comme ceux de l'antiquité, laissant à deviner s'il s'agissait de tuer un sanglier (en latin aper) ou Aper lui-même.

Avare, sanguinaire, débauché, Dioclétien, qui se faisait appeler Jupiter, seigneur et dieu, donna les plus détestables exemples, détruisant, sans raison, les plus beaux édifices, pour les faire remplacer par d'autres, qui devaient bientôt disparaître à leur tour; accablant d'impôts iniques et exorbitants les peuples soumis à son empire pour grossir son trésor. « Les infamies de Sodome ne lui suffisaient pas, » nous dit Rohrbacher; « son plaisir était de déshonorer les jeunes personnes des premières familles. Partout où il passait, dans ses voyages, les vierges étaient aussitôt enlevées à leurs parents. Il mettait son bonheur et le bonheur de son empire à ne rien refuser à ses passions 1. >>

Peu de temps après son élection, il se donna comme collègue Maximien, qui prit le surnom d'Hercule. C'était le fils d'un ouvrier de Pannonie (la Hongrie actuelle), brave, mais ignorant, perfide, cruel et adonné à la luxure. Dioclétien et Maximien, on le voit, étaient dignes l'un de l'autre ; ils se partagèrent alors l'empire, Dioclétien se réservant l'Orient et attribuant l'Occident à son collègue.

ordinaretur.» (Anastase le Bibliothécaire, in Caïum, Patrologie latine de Migne, tome CXXVII, p. 1458.)

1. Rohrbacher, tome VI, pages 1 à 3.

L'histoire contient peu de documents sur les premières années de Lucie. Le nom de son père est totalement oublié, mais on a tout lieu de penser qu'il était de race latine.

Sa mère était Grecque, ainsi que le prouve surabondamment son nom d'Eutychia.

Si ses parents étaient peu connus, la tradition nous apprend pourtant qu'ils étaient d'origine illustre et distingués moins encore par leur naissance et leurs richesses que par leurs

vertus 1.

La jeunesse de Lucie fut, ainsi, du reste, qu'en témoigne sa glorieuse fin, l'objet de toute la sollicitude de ses parents, de sa mère surtout, qui resta veuve de bonne heure.

Nous aurions aimé à reproduire ces traits charmants qui, dès leur naissance, pour ainsi dire, désignent d'avance, à l'admiration et au respect de ceux qui les entourent, les âmes d'élite; le plus souvent, d'un mot, d'un geste, ces âmes privilégiées esquissent sans recherche toute une vie glorieuse. « L'enfance des saints,» dit excellemment un pieux uteur de nos jours 2, «< c'est la fleur avant le fruit. Il s'y révèle d'ordinaire quelque chose de ce parfum de vertu, de cette beauté d'âme qu'on sera ravi d'y rencontrer plus tard, dans l'épanouissement de leur vie. Voilà pourquoi il y a toujours un si grand charme à en recueillir les plus lointains souvenirs. » Cette manière de voir et d'apprécier est la nôtre, et nous aurions glané, avec bonheur, tous ces menus propos, ces réparties fines que chaque mère conserve avec soin au plus intime de son cœur. Nous devons, bien malgré nous, glisser rapidement sur ces années de préparation.

La pieuse enfant, dont nous racontons l'histoire, reçut au baptême le nom de Lucie. Faut-il voir dans ce nom un souvenir de celui que portait sans doute son père? Devons-nous, au contraire, le considérer comme un symbole de la lumière que l'eau sainte promettait à cette jeune âme? n'indique-t-il

1. « Lucia, Virgo Syracusana, genere et Christiana fide ab infantia nobilis.» (Bréviaire romain, 13 décembre.)

2. M. l'abbé Gillet, La vénérable Louise de France, p. 28.

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pas cette voie lumineuse que notre héroïne n'a cessé de suivre depuis sa naissance jusqu'à son glorieux martyre? « Les noms des premiers chrétiens avaient tous une grande portée significative; les uns désignaient les vertus le plus en honneur, les autres certains dogmes de la religion. Les chrétiens sont souvent appelés dans les textes sacrés enfants de lumière: Vos filii lucis estis (I Thessal., v, 5). Quelques noms propres paraissent avoir été inspirés par ces textes '........ >> Nous pouvons, sans crainte d'erreur, affirmer qu'il en fut ainsi du nom de Lucie. Ses parents, élevés dans l'amour et la pratique des saintes Ecritures, n'hésitèrent pas à lui conférer l'appellation qui répondait le mieux à leurs secrètes pensées et à leurs saintes espérances sur cette enfant de bénédiction. N'avaient-ils pas l'intuition, que Dieu concède souvent aux parents chrétiens, que leur fille serait une fervente adoratrice du Dieu sauveur, que ses vertus laisseraient après elle une trace lumineuse qui éclairerait le monde jusqu'à la fin des siècles, que ses yeux contempleraient, comme face à face, l'idéale beauté du Christ. et que cette contemplation intime illuminerait son âme à ce point que de ses yeux corporels jailliraient comme des flammes sanctifiantes, reflets de la lumière du monde ?

Chaque jour, comprenant l'importance des premières impressions et d'une bonne éducation, la sage et sainte Eutychia s'efforçait de faire pénétrer dans l'intelligence de sa jeune enfant les enseignements qui convenaient à son esprit encore tendre. Elle l'entretenait des beaux temps de Syracuse; elle lui apprenait à chérir sa patrie, sa seconde mère, courbée sous le joug dur et implacable des Romains; elle lui rappelait ces héros, ces poètes, ces savants qui avaient illustré une ville dont on pouvait être fier encore, malgré ses malheurs. En effet, Syracuse (anc. Syracusa, en italien Siracusa et Siragosa) était alors et depuis longtemps la capitale florissante de la Sicile. Fondée l'an 735 avant Jésus-Christ, par des Corinthiens, sous la conduite d'Archias, elle était restée jusqu'en 484 une répu

1. M. l'abbé Martigny, Dictionnaire des antiquités chrétiennes, p. 440 et suiv.

blique aristocratique; mais souvent agitée par des dissensions intestines, comme en souffrent toutes les républiques, les démocraties d'origine grecque en particulier, où l'ambition de chacun prétend, de sa portion d'autorité, faire le marche-pied d'une puissance sans rivale, Syracuse, ville forte, commerçante, possédant un magnifique temple dédié à Minerve, renommée par toute la contrée pour ses vins et ses blés sans rivaux, avait de tout temps, à ces divers titres, attiré l'attention de voisins turbulents et ambitieux. Tour à tour gouvernée par des rois, par des magistrats républicains, par des tyrans, dont les plus célèbres furent les deux Denys, après avoir glorieusement résisté aux envahissements de divers peuples ennemis, elle finit, l'an 212 avant Jésus-Christ, par succomber, malgré le génie et la défense admirable d'Archimède, et la Sicile tout entière devint la première province romaine et le grenier de l'Italie. A l'époque où commence notre récit, Syracuse était encore et pour peu d'années soumise à la domination de Rome, et partant de Maximien, représenté dans la Sicile par le préfet Paschase, armé de tous les pouvoirs politiques, militaires et judiciaires, et résidant à Syracuse même 1. Un siècle plus tard, elle devait tomber sous les coups des Vandales, puis des Goths, jusqu'à ce qu'elle devînt la proie des Musulmans en 827.

Insensiblement, le cœur de la mère se dilatait : elle élevait son enseignement; elle montrait à Lucie, autant que l'âge de l'enfant le permettait, le rôle prédominant de la religion. parmi tout peuple civilisé; elle lui faisait voir, pour ainsi dire, Dieu châtiant ceux qui l'oubliaient et rendant plus prospères et plus grands ceux qui se soumettaient aux lois divines.

Comme toutes les vraies chrétiennes dignes de ce nom, Eutychia faisait apprendre à Lucie les saintes Écritures, si

1. « Præfectura urbis cunctis quæ intra urbem sunt, antecellat, dignitatibus tantum ex omni parte derivatis, quantum sine injuria ac detrimento honoris alieni ut supra. » Datum 6 Kalend. Jun. Valente A. V. et Valentiniano Jun. Conff. 368. (Codicis Justiniani, lib. I, tit. XXVIII, I. 3). — Urbicaria præfectura omnibus aliis præsideat dignitatibus, id est, ante sedeat. » (Novelle LXII, 3 2, tit. XVII, De consultationibus.)

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