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forces de Luitprand, roi des Lombards. Son premier soin fut de transporter le corps de la sainte à Corfino, l'ancien Corfinium, ville de son duché, aujourd'hui Pentina, village du territoire des Campi di San Pelino, dans l'Abbruzze citérieure 1.

Cette première translation mériterait mieux le nom d'enlèvement, et la piété mal éclairée des barbares, nouvellement convertis au christianisme, pouvait seule la justifier. A cette époque, en effet, les translations solennelles des corps des Martyrs n'avaient pas encore été autorisées par l'Eglise. Quelques objets ayant appartenu aux Martyrs, l'huile sainte qui brûlait dans les lampes suspendues devant leur tombeau, voilà les seules Reliques accordées par les Souverains Pontifes. Différentes descriptions de ces souvenirs pieux furent tracées, sous le nom d'Itinéraires, et l'on peut «< classer dans la même catégorie le Catalogue des Reliques recueillies par l'abbé Jean, du temps de Saint Grégoire le Grand, et envoyées à Théodelinde, reine des Lombards, par le Souverain-Pontife. Cette liste (publiée par Marini, Papir. diplom., p. 327, no CXLIII), écrite sur du papyrus, est conservée avec beaucoup de ces sortes de reliques et les petits morceaux de parchemin qui y sont attachés dans le trésor de la cathédrale de Monza 2. >> Nous avons eu le bonheur, grâce à l'obligeante communication de M. l'archiprêtre de cette cathédrale 3, de pouvoir lire une copie de ce précieux document, et nous ne négligeons pas de faire remarquer, pour la suite de ce récit, que le nom de sainte Lucie n'y est pas une fois mentionné.

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La Providence, certainement, permit que la dépouille de sa fidèle servante ne demeurât pas à Syracuse, pour faire briller d'un plus vif éclat cette lumière, qui jusque-là n'avait éclairé qu'une population restreinte. Dieu voulait que, dans le monde entier, le nom et la gloire de sainte Lucie fussent connus et célébrés.

Mais ce n'était pas la dernière station de ces Restes précieux.

1. Abbé Noël, page 68.

2. Paul Allard, Rome souterraine, page 31.

3. Lettre du 15 avril 1882.

Le bienheureux Thierry d'Hamelan, élu Évêque de Metz en 961, fut l'un des prélats qui mirent le plus grand soin à enrichir son église des Reliques de Saints et de Martyrs. La tradition, qui nous a été conservée par Meurisse 1, le vieil historien des Évêques de Metz, raconte que saint Clément, premier Évêque de cette ville, avait reçu de la main d'un Ange la liste de tous les prélats qui devaient se succéder sur ce siège, et que, pour marquer la différence de leurs mérites, la première lettre de leur nom étaient tracée en caractères d'or, d'argent, de cuivre ou de plomb. Thierry, ayant remarqué que la première lettre de son nom était d'argent, dit qu'il espérait, avec la grâce de Dieu, faire tant de bien durant son épiscopat que cette lettre serait transformée d'argent en or 2.

En effet, grâce à son zèle infatigable et à ses nombreuses démarches, il enrichit de Reliques la célèbre abbaye de SaintVincent, qu'il avait lui-même fondée dans une île de la Moselle, dite l'île de Metz ou de Saulcy. Parmi tant de richesses dont il combla cette noble abbaye se trouva un trésor inestimable, le Corps de sainte Lucie. En 969, Thierry accompagnait en Italie Othon le Grand, son parent et son ami, dont il était depuis peu le conseiller intime. Il s'arrêta dans la ville de Corfino, pour satisfaire sa dévotion envers la Martyre de Syracuse; et, par ses prières, ses instances et la puissante intervention de l'Empereur, il obtint le Corps de la chaste Vierge. Pour s'assurer de l'authenticité de cette Relique, il fit jurer à l'Evêque du lieu que c'était bien le Corps de la Vierge Martyre de Syracuse, « dont on chantait les répons, les antiennes et la messe dans toute l'Eglise 3. »

Le prêtre Wigeric, alors chantre et depuis coûtre de l'église

1. Meurisse (Martin), de Roye en Picardie, évêque (in partibus) de Madaure, suffragant et administrateur général du diocèse de Metz, fonda les bénédictines de Montigny, près de Metz, et mourut en 1644. On a de lui, notamment, l'Histoire des Evêques de Metz, 1634, in-fol. (Diction. de Feller, 4 vol., p. 439.)

2. Acta Sanctorum ordinis Sancti Benedicti, 5e volume, page 352. Voir aux Annexes.

3. Sigebert de Gemblours. Voir aux Annexes. Cf. Spicilegium de D'ACHERY. (Voir aux Annexes.)

cathédrale de Saint-Etienne, fut chargé d'aller recueillir ce riche dépôt à Corfino et de le transporter à Metz. On était au mois de janvier; et, malgré la rigueur de la saison, une foule considérable se transporta au devant de la sainte martyre. A son arrivée (le 18), les acclamations les plus enthousiastes éclatèrent, les parfums les plus suaves furent brûlés en son honneur. Thierry ne s'en tint pas là. Il éleva, sous le vocable de Sainte-Lucie, une chapelle dans l'église abbatiale de SaintVincent, et en fit la dédicace le 6 août 972, assisté de Gérard, évêque de Toul, et de Wicfriede, évêque de Verdun, ses suffragants 1.

A partir de cette époque, le culte de sainte Lucie, déjà en honneur en France depuis Charlemagne, ainsi qu'en témoignent les vers d'Alcuin gravés sur l'autel dédié à sainte Lucie et à trois autres Vierges par l'abbé Radon, Archichancelier du Royaume, dans la magnifique église de Saint-Waast2, ce culte, disons-nous, se répandit plus complètement en France, en Allemagne, dans les contrées avoisinantes et y devint très populaire. Nous verrons, dans le deuxième chapitre de cette seconde partie, ce que fit la France en l'honneur de notre sainte. Pour ne pas interrompre l'ordre de ce récit, mentionnons d'abord une translation partielle de Reliques de la grande Sainte.

Vers le milieu du xie siècle, Thierry II, évêque de Metz, continuant les traditions de son pieux prédécesseur, venait d'achever l'église abbatiale de Saint-Vincent et d'en faire la dédicace solennelle, lorsque l'Empereur Henri III lui demanda quelques Reliques de la sainte Martyre pour l'abbaye de Luitbourg, que son père Conrad le Salique et l'Impératrice Gisèle, sa mère, avaient fondée en 1030, dans le diocèse

1. Acta Sanctorum Ordinis Sancti Benedicti, ut suprà. Voir aux Annexes,

2.

Coecilia, Agathes, Agnes et Lucia Virgo,
Hæc istis pariter ara sacrata micat,
Lilia cum rosis fulgent in vertice quarum,
Et lampas rutilat luce perenne simul.

(Alcuini Carmina, inscriptio 51.)
Cité par M. l'abbé Noël, page 52.

de Spire. Il s'agissait bien de l'abbaye de Luitbourg et non pas de Ladenbourg ou Landibert, ainsi que l'écrit à tort le Père Croiset 1. Cette dernière ville, située à quelques lieues de Mannheim, sur la rive droite du Neckar, a toujours appartenu au diocèse de Worms et non à celui de Spire 2. Thierry fit don au monastère de Luitbourg 3 d'un bras de l'illustre Vierge, qu'il transféra lui-même en 1042. Cette célèbre abbaye, qui avait une église magnifique avec vingt autels, fut pillée, saccagée et incendiée totalement par le comte Enrich VIII, aidé des paysans de Dürkhein, en 1504. On n'en voit plus que quelques ruines.

Soixante ans plus tard, en 1100, les moines de Luitbourg adressèrent aux religieux de Saint-Vincent une lettre très intéressante pour l'histoire de ces deux monastères, et très précieuse pour nous, dans laquelle ils racontent comment cette Relique leur a été remise par Thierry II et comment ils ont prié Dieu de leur montrer d'une façon éclatante que cette Relique est bien celle de la Vierge de Syracuse; ils ajoutent que de nombreuses grâces et guérisons ont été obtenues par par l'intercession de sainte Lucie. Ils demandent enfin un récit plus circonstancié de la vie de la Martyre. C'est à cette occasion que Sigebert composa le poème que nous retraçons à la fin du volume. (Voir aux Annexes.)

En 1350, Charles IV, de la maison de Luxembourg, Empe

1. Voir aux Annexes.

2. Communication de M. l'abbé Jung, à Neusatzeck (duché de Bade), en date du 6 février 1882.

3. « La Limbourg ou Lindburg (château des Tilleuls) appartenait au XIe siècle au duc Conrad le Salique, qui, en 1024, devint Empereur d'Allemagne. Son fils s'étant tué à la chasse, Conrad II résolut de consacrer à Dieu, pour le salut de l'âme de son enfant, le château de ses ancêtres. Le 12 juillet 1030, il y posa la première pierre d'une église, puis il alla à Spire poser la première pierre du Dom. » (Les bords du Rhin, par Adolphe Joanne, page 436.)

« La bibliothèque de l'abbaye de Luitbourg ou Limbourg fut transférée à Heidelberg. En 1622, le général Tilly la transporta à Rome, où elle se trouve encore, sous le nom de Palatina. Dans le Codex 513 de la Palatina se trouve le Bréviaire ad usum Ecclesiæ Spirensis du xive siècle, avec un Office en l'honneur de sainte Lucie. » (Nous reproduisons cet office dans le chapitre III de cette seconde partie.) Communication de M. l'abbé Jung, ut supra.

reur d'Allemagne, fils de Jean l'Aveugle, se rendit à Metz, après son couronnement, ainsi que ses pieux prédécesseurs lui en avaient donné l'exemple. Il séjourna deux mois dans cette ville et y fit rédiger les derniers chapitres de la célèbre Bulle d'or qu'il publia solennellement, le 24 décembre 1356, dans une diète à laquelle assistèrent l'Impératrice, les sept Electeurs, les autres princes et seigneurs de l'Empire et un grand nombre d'Evêques. L'Empereur voulut entendre, à la nuit de Noël, les matines de l'église abbatiale, entouré de toute cette Cour brillante, et il y chanta la septième leçon, tenant en main l'épée nue et levée en signe de la protection qu'il avait promise à l'Eglise au jour de son sacre 1.

Mais cet exemple de haute piété ne fut pas le seul qu'il donna à la cité messine: il visita, comme un simple particulier, les principales églises et les lieux honorés d'un culte dans cette ville. Le 16 décembre, il se rendit à Saint-Vincent, pria longtemps devant la châsse de sainte Lucie, qu'à sa demande les moines avaient descendue; puis il déclara qu'il était désireux de posséder quelque parcelle des Reliques; immédiatement Pierre de Baudoche, accompagné de tous ses religieux, fit don à l'Empereur d'un doigt de la sainte Martyre. C'est en reconnaissance de cet abandon gracieux que l'Empereur délivra ce même jour un diplôme, dont nous devons une copie à la bienveillance de Sa Grandeur l'évêque de Metz et qui est reproduit aux Annexes. Charles IV apposa son sceau impérial sur la châsse de sainte Lucie, qui fut replacée au-dessus de son autel. De retour dans ses Etats, il fit déposer la Relique sainte, avec d'autres qu'il avait recueillies pendant ses voyages, dans un magnifique reliquaire, enrichi d'or, d'argent et de pierres précieuses, qui se garde encore dans l'église métropole de Prague. Le pape Innocent VI (1352-1362), à la prière du pieux Empereur, permit qu'on en fit solennement la fête, dans tout le diocèse de Prague, le 2 janvier, jour de l'octave de saint Etienne.

1. Abbé Noël, page 89.

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