XXII LE MANUSCRIT DU VATICAN. homme, et comment nous avons été conduit, en remontant le cours des âges pour nous rapprocher le plus qu'il est possible des origines du texte, jusques à cet antique manuscrit qui n'est pas seulement le plus complet des documents anciens où les livres de la nouvelle alliance nous sont conservés, mais encore celui qui, comparé à tous les autres, offre les plus grandes apparences de fidélité et de correction. Le manuscrit du Vatican n'est sans doute pas exempt de ces fautes de transcription qui se glissent inévitablement dans toute copie de grande étendue; mais, outre que la plupart de celles qu'il renferme ont été déjà corrigées par le premier copiste luimême, il suffit de le confronter avec les autres manuscrits du Nouveau Testament, pour se convaincre que son texte présente des caractères d'exactitude et de pureté, qui ne se retrouvent au même degré dans aucun autre document. En effet, ce manuscrit contient presque toutes les leçons que les témoignages des Pères du troisième et du quatrième siècle attribuent à ce qu'ils appellent « les manuscrits anciens; » il est dégagé, dans les récits évangéliques, de toutes ces petites additions destinées à donner au texte un peu plus de clarté, et que l'on voit se multiplier à mesure que les manuscrits s'éloignent des origines; il est également pur de ces emprunts qui, pour rendre plus conformes les narrations parallèles, ont fait passer les détails de l'un des Évangiles dans le texte de l'autre; il conserve à beaucoup d'expressions, qui se sont légèrement modifiées en devenant techniques dans l'Église, leur forme primitive; il donne sous la forme, non pas primitive, puisque les auteurs eux-mêmes ne les ont pas placés à la tête de leurs écrits, mais la plus simple qui soit connue, les titres de chaque livre; il indique aussi pour chacun d'eux une division de date si ancienne, que seul il en a conservé la trace. Cette division ne peut être attribuée, cela va sans dire, au texte original même, qui ne contenait ni chapitres, ni sections, ni versets, et dont tous les mots, écrits d'une manière continue à la suite les uns des autres, ne donnaient probablement place à aucun signe de ponctuation. Mais elle représente le premier essai de ce genre, et à elle seule cette division suffirait pour faire placer, bien avant le quatrième siècle, les manuscrits sur lesquels a été copié celui du Vatican. Ce fut en effet dans la première moitié du troisième LE MANUSCRIT DU VATICAN. XXIII siècle qu'Ammonius d'Alexandrie divisa les Évangiles en sections qui, reproduites au commencement du siècle suivant dans les tables de concordance (ou canons) d'Eusèbe, furent promptement admises et se retrouvent dans presque tous nos manuscrits. Celui du Vatican n'en offre aucune trace. Vers la même époque les Évangiles reçurent, d'une main demeurée inconnue, une division en chapitres qui se trouve indiquée dans le manuscrit alexandrin et dans celui d'Ephrem, les plus anciens après celui du Vatican. Mais de cette division comme de la précédente l'exemplaire romain ne présente nul vestige, et à la place de toutes deux il en contient une qui n'appartient qu'à lui. Les Épîtres de Paul furent aussi dotées, on ignore quand et par qui, de chapitres conservés par le diacre Euthalius, lorsque au cinquième siècle il donna aux Épîtres catholiques et aux Actes des Apôtres une division semblable; les chapitres d'Euthalius se retrouvent dans tous nos manuscrits, sauf dans les deux que nous venons de nommer et dans celui du Vatican. Ce dernier a pour les divers livres du Nouveau Testament une division qui, comme nous l'avons dit, lui est exclusivement propre, et qui dans les Épîtres de Paul forme une série numérique non interrompue. Il est donc évident que les sections d'Ammonius, et les divisions par chapitres antérieures à Euthalius, n'avaient pas cours au moment où le manuscrit du Vatican fut exécuté, et c'est un motif de plus pour placer au début du quatrième siècle la date de sa transcription. Ce qui prouve en effet que, si ces divisions nouvelles avaient eu déjà le temps de s'établir, le copiste de notre manuscrit les aurait reproduites, c'est que, pour la place à donner à l'épître aux Hébreux parmi les lettres de Paul, il s'est conformé, non à l'ordre suivi dans le manuscrit qu'il transcrivait, et où, d'après la succession des numéros d'ordre que lui-même a conservés, cette épître venait immédiatement après celle aux Galates, mais à l'usage suivi de son temps, et qui fut bientôt changé, de la placer entre la seconde lettre aux Thessaloniciens et la première à Timothée. Si les divisions d'Ammonius et celles par chapitres eussent eu cours à son époque, il est clair qu'il les aurait aussi reproduites de préférence à celles qu'il a conservées. En joignant à tous ces indices de la haute antiquité, soit du texte copié, soit de la copie elle-même, les signes extérieurs aux XXIV LE MANUSCRIT DU VATICAN. quels se reconnaît l'âge des manuscrits, on est conduit à une conclusion semblable. C'est ainsi que l'écriture onciale du manuscrit du Vatican offre des particularités graphiques qui dénotent une grande antiquité, et qu'elle présente de frappantes analogies avec celle des papyrus grecs découverts à Herculanum, et qui datent au moins du premier siècle de notre ère. C'est ainsi encore que la forme oblongue du manuscrit lorsqu'il est ouvert, comme aussi le nombre et les dimensions des colonnes de texte qu'il présente alors aux regards, lui donnent l'apparence de ces rouleaux antiques (volumina) dont les fouilles d'Herculanum ont révélé, non l'existence, mais la configuration réelle. Ces ressemblances, auxquelles on pourrait en ajouter d'autres qui rapprochent encore l'exemplaire du Vatican des plus anciens manuscrits connus, achèvent de lui assigner, parmi les monuments où s'est conservé le texte grec du Nouveau Testament, la première place dans l'ordre chronologique. Nous avons montré que, par son mérite intrinsèque, il possède également le premier rang entre toutes les copies du Nouveau Testament. Nous n'avons donc rien fait que de très-naturel et de très-légitime en le choisissant pour le représentant de ce texte grec le plus ancien que nous désirions reproduire en français. Nous en pouvons dire autant, quoique à un moindre degré, du manuscrit dit alexandrin, auquel nous avons dû recourir pour suppléer à la déplorable lacune qui nous prive de la dernière partie de celui du Vatican. Plus récent d'un siècle environ, et moins correctement transcrit, le manuscrit de Londres est cependant, quant à l'ordre des dates et du mérite, celui qui se rapproche le plus du manuscrit de Rome. Il ne le vaut pas, sans doute, mais il est le seul qui, pour le but que nous nous sommes proposé, puisse en tenir lieu. Nous voulons un texte réel, nous le voulons le plus ancien possible; il faut, pour la moindre partie du Nouveau Testament, nous contenter de rester d'un siècle au-dessous du texte que nous avons le bonheur de posséder pour les huit neuvièmes de ce recueil sacré. Après avoir dit ce que nous avions fait pour mettre le texte original, d'après lequel est exécutée notre traduction, à l'abri de tout arbitraire personnel, il nous reste à indiquer brièvement ce que nous avons fait ou voulu faire dans les diverses parties de notre INCONVENIENTS ET AVANTAGES DES TRADUCTIONS. XXV travail où nous étions bien obligé de laisser intervenir notre propre activité. Il est évident que jamais on ne pourra assimiler une traduction, avec quelque soin qu'elle ait été faite, au texte original qu'elle doit reproduire. Nous n'avons pas la prétention de présenter la nôtre comme faisant exception à cette impossibilité, et comme méritant par cela même de supplanter toutes les versions françaises du Nouveau Testament, présentes et à venir. Nous n'aspirons point à devenir l'auteur d'une Vulgate privilégiée, et nous regardons comme un grand avantage pour les Églises de notre langue, d'avoir en ceci préféré la liberté au monopole. L'inégalité nécessaire qui existe entre le texte original et les traductions est jusques à un certain point compensée par la multiplicité de celles-ci. Cette multiplicité empêche qu'on n'accorde à la lettre plus d'importance qu'à l'esprit; elle apprend à rechercher, sous la diversité des formes, l'immuable identité du fond; en changeant la contexture du langage elle renouvelle les idées; en provoquant les comparaisons elle prévient cette somnolence religieuse qui naît souvent de l'uniforme répétition des mêmes mots, et elle éveille la pensée en brisant les habitudes d'une lecture routinière. Cependant elle n'altère ni le dessin ni la couleur générale de l'Évangile; elle les place seulement dans des jours différents qui en font mieux juger les nuances et les contours accessoires. Elle réalise en un mot cette variété dans l'unité, qui est l'une des plus précieuses prérogatives et l'un des plus puissants stimulants de la foi chrétienne protestante. Il ne faut donc pas que les auteurs d'une version nouvelle, non plus que les éditeurs d'un nouveau texte, élèvent des prétentions semblables à celles dont le triomphe les débouterait eux-mêmes de leur droit. Ils sont ouvriers dans une œuvre sans terme. Comme jamais on ne constituera un texte du Nouveau Testament qui puisse passer pour être le type incontestable du texte primitif ; comme jamais on ne fera une traduction qui soit le dernier mot de l'art de traduire, il y aura toujours place pour de nouvelles versions et pour des éditions nouvelles. Faire mieux que ses devanciers, et permettre ainsi à ses successeurs de faire mieux encore, voilà tout ce qu'on peut se promettre, et ce serait déjà beaucoup que d'y réussir. Notre ambition ne va pas au delà. Nous XXVI PRINCIPES OBSERVÉS DANS LA TRADUCTION. ne disons point qu'en choisissant pour notre texte le plus ancien des manuscrits connus nous ayons fait un choix infaillible; nous disons moins encore qu'il y ait rien d'infaillible dans notre traduction. Tout ce qu'il nous est permis d'affirmer, c'est que nous avons cherché à la rendre aussi exacte qu'il nous a été possible, en nous conformant aux règles de la langue grecque, telles qu'elles ont été observées par les écrivains du Nouveau Testament, et sans trop braver celles de la langue française, telle qu'on la parle aujourd'hui. Nous ne saurions entrer ici dans les détails de la méthode que nous avons suivie, et où nous croyons avoir tenu plus de compte, qu'on ne l'avait fait peut-être jusques ici, des deux conditions que nous venons d'énoncer. Il nous suffira de dire d'une manière générale que nous nous sommes proposé comme but essentiel d'éveiller dans l'esprit des lecteurs français des pensées semblables à celles que devait faire naître, dans l'esprit des premiers lecteurs grecs, chaque mot et chaque phrase des livres du Nouveau Testament. Nous avons cherché à atteindre à ce but, auquel il n'est pas probable qu'on puisse jamais rigoureusement parvenir, en nous tenant aussi près du texte original que le permettent les exigences du vocabulaire et de la syntaxe de notre langue. Mais, de même que l'idiome hellénique dans lequel sont écrits les livres de la nouvelle alliance s'éloigne, à bien des égards, de la pureté classique des beaux temps de la langue grecque et reproduit souvent dans sa contexture les tours du langage hébreu, de même, nous avons, dans notre version, préféré les formes simples et sans apprêts d'un français rude et élémentaire aux locutions et aux tournures variées d'un français plus littéraire et plus élégant. L'importance qui, en raison même de leur contenu, s'attache au texte des livres du Nouveau Testament, nous faisait d'ailleurs un devoir de nous rapprocher le plus qu'il était possible des formes de la langue originale, et de placer pour ainsi dire nos pas dans les traces mêmes des écrivains sacrés. En outre, le désir de relever les variantes du texte et de rendre avec une scrupuleuse exactitude les passages parallèles, nous a conduit à reproduire des nuances souvent fugitives et quelquefois peut-être imaginaires; par conséquent à serrer de plus près encore notre original. Mais si |