LA TRADUCTION ET LES NOTES. XXVII nous n'avons jamais hésité à observer la littéralité stricte, quand nous avons pu le faire sans nuire à la fidélité de la traduction, nous avons aussi peu hésité à nous en affranchir, quand il eût fallu, pour conserver le calque des expressions ou des constructions grecques, en sacrifier l'exact équivalent français. Le même principe nous a conduit à remplacer sans scrupule par une construction explicite les ellipses de l'original, lorsque celles-ci parfaitement claires pour un lecteur grec, ne pouvaient le devenir également pour un lecteur français qu'en se complétant; dans ce cas, ajouter aux mots, ce n'est pas ajouter au sens. Mais, d'un autre côté, nous n'avons pas cherché, par des périphrases ou des gloses, à rendre notre traduction plus lumineuse et plus claire que l'original même, et lorsqu'il nous a paru que celui-ci devait réellement faire naître dans l'esprit des premiers lecteurs des difficultés ou des obscurités, nous n'avons tenté ni de lever les unes, ni de dissiper les autres; c'est-à-dire que nous nous sommes proposé de distinguer soigneusement l'œuvre du traducteur de celle de l'exégète, à plus forte raison de celle du théologien. Autant qu'il était en nous, nous avons voulu reproduire le texte que nous traduisions avec une absence entière de parti pris, de manière à placer le lecteur dans la position la plus favorable pour librement se rendre compte des pensées et des faits contenus dans l'original. C'est encore en vue de ce résultat, que, dans les notes explicatives qui accompagnent notre traduction, nous avons écarté tout ce qui tient à l'interprétation des enseignements et des faits religieux, pour ne donner que des éclaircissements relatifs aux allusions et aux détails de langue, de mœurs, d'opinion et d'histoire qui, connus des premiers lecteurs, n'avaient pas besoin pour eux d'explication. Si les effets spirituels que doivent produire la lecture et l'étude des livres de la nouvelle alliance sont la chose essentielle; si la persuasion d'y trouver la parole de Dieu doit porter le chrétien à y rechercher avant tout la source, la règle et l'aliment de sa vie religieuse, il ne faut cependant pas perdre de vue les réalités au milieu desquelles la révélation de Jésus-Christ s'est pour la première fois manifestée, et qui, en attestant son caractère historique, permettent de mieux apprécier sa crédibilité. D'ailleurs il est de principe dans le protestantisme que l'interprétation religieuse des livres saints relève du libre arbitre de l'individu ; c'est une obliga XXVIII DES CHAPITRES ET DES VERSETS DU NOUVEAU TESTAMENT. tion personnelle dont chaque fidèle doit s'acquitter sous sa propre responsabilité. Il en résulte que des notes sur les points de doctrine ou d'édification, outre qu'elles sont en quelque sorte sans limites, sont surtout sans autorité et propres à altérer l'impression directe que doit produire sur le lecteur croyant le texte même des écrits sacrés. Il n'en est pas de même de notes qui offrent sur des points de fait en petit nombre des renseignements avérés. C'est également parce qu'elles rentraient dans la catégorie des données positives, que nous avons cru utile de reproduire les citations de l'Ancien Testament faites dans le Nouveau, et qui, tour à tour empruntées avec plus ou moins de fidélité, soit au texte hébreu, soit à la version grecque dite des Septante (LXX), se présentent sous des formes variées, dont la comparaison n'est pas sans intérêt. Nous nous sommes aventuré sur un terrain un peu moins sûr, et nous avons abandonné celui des faits acquis, en introduisant dans le corps de notre traduction un mode de division tout nouveau. Il est vrai que nous pouvions à cet égard agir avec une pleine liberté et sans scrupules. Nous avons déjà rappelé que les écrits du Nouveau Testament ont été, depuis leur rédaction primitive, reproduits pendant plus de deux siècles sans offrir dans leur contexture la moindre trace de subdivisions grandes ou petites. Dès lors se sont succédé des divisions de diverse nature; les chapitres usités aujourd'hui datent, paraît-il, du treizième siècle où ils furent introduits, dans le texte de la Vulgate latine, par le cardinal Hugo de Saint-Cher. Les versets actuels sont dus à l'imprimeur Robert Étienne qui les inséra pour la première fois en 1549 dans le texte de la Vulgate, et en 1551 dans une édition grécolatine du Nouveau Testament publiée à Genève. Le cardinal et l'imprimeur sont à nos yeux des autorités qui ont d'autant moins de poids que, tout en reconnaissant l'utilité matérielle des chapitres et des versets pour les citations et les renvois, nous ne pouvons les envisager, en ce qui concerne l'intelligence même du texte, que comme une invention funeste. Ce morcellement irrationnel nuit plus qu'on ne le pense à la lecture fructueuse des écrits sacrés, dont il rompt l'unité primitive et détruit l'enchaînement naturel. DES CHAPITRES ET DES VERSETS DU NOUVEAU TESTAMENT. XXIX Comme une étoffe d'une trame serrée et d'un dessin original, qu'aurait hachée de place en place un outil malfaisant, les livres de la nouvelle alliance qui, plus qu'aucun autre écrit, paraissent composés d'un seul jet, ont été transformés en une série de sentences isolées et de fragments séparés, qu'une déplorable habitude fait envisager comme une des formes essentielles de leur composition. On cite un verset, on lit un chapitre, absolument comme si Jean ou Paul avaient jeté leurs inspirations dans ces moules factices et glacés. Qu'on se représente l'auteur ou les lecteurs du premier Évangile, au moment où notre Seigneur va expliquer, par la parabole des vierges, son enseignement sur la vigilance, s'arrêtant tout à coup pour reprendre une autre fois la suite du discours, comme s'il commençait à nouveau; ou bien l'apôtre Jean morcelant en deux ou trois chapitres les émouvants adieux de son maître et découpant en versets symétriques sa prière suprême ! Qu'on se représente le grand apôtre des Gentils suspendant, malgré l'entraînement de sa sainte verve, le cours d'un de ces arguments passionnés qui coulent de source sous sa plume, pour ne pas dépasser l'étendue normale d'un chapitre, quitte à reprendre plus tard la suite de ses pensées au beau milieu de leur développement. Ou bien encore qu'on se représente les chrétiens de Corinthe, de Colosses ou de Rome se mettant, avant de lire les lettres apostoliques qui leur étaient adressées, à les couper en petits fragments de même longueur, en grandes sections à peu près égales, puis se disant: Aujourd'hui nous lirons jusques-ici, demain jusques-là, et s'arrêtant chaque fois, sans souci d'en savoir davantage, au point marqué d'avance. La lecture du Nouveau Testament par beaucoup de chrétiens ne ressemble que trop à ce procédé de mutilation barbare, et il est facile de s'en apercevoir à l'étrange ignorance qui en résulte, à la manière tour à tour formaliste ou superficielle dont on traite les livres saints, tantôt en leur empruntant quelques lignes isolées comme on fait des articles d'un code, tantôt en bornant sa lecture au chapitre sacramentel, sans avoir pris garde à suivre jusques au bout le développement d'un même sujet. Ce n'est certainement ni dans cet esprit que ces livres ont été composés, ni de cette manière qu'ils ont été lus par les premiers chrétiens auxquels ils étaient destinés. Ce n'est pas ainsi non plus, que l'on parviendra jamais à les bien connaître et à les pleine XXX DE LA MANIÈRE DE LIRE LE NOUVEAU TESTAMENT. ment comprendre. Chacun d'eux forme un tout, où l'intelligence de l'ensemble est nécessaire à celle des détails. Ce n'est que par une lecture suivie, et souvent renouvelée sous cette même forme, de la totalité de chaque livre, que l'on peut saisir l'enchaînement naturel et l'importance relative des diverses parties, et les voir dans leur vrai jour en les voyant à leur vraie place. Cette lecture suivie, où l'esprit entre en communication plus intime avec l'auteur sacré, et pénètre plus avant dans le fond de son enseignement, de sa prophétie, ou de son récit, cette lecture suivie est seule capable de prévenir l'exclusisme sectaire, qui s'attache de préférence à quelque côté partiel des saints livres et oublie que l'impression juste est celle qui résulte de la lecture d'ensemble. Elle seule peut conduire à distinguer entre les idées maîtresses, qui forment le grand courant de la vérité évangélique, et les pensées secondaires ou ébauchées qui sont à l'arrière-plan. Elle seule apprend à accepter, et à concilier dans l'unité de l'esprit chrétien, les contradictions logiques que soulèvent des assertions en apparence discordantes, quoique également affirmatives. La lecture suivie concentre sur un foyer lumineux l'attention de l'esprit, la lecture morcelée disperse la pensée et la fait divaguer. Ce n'est que quand on s'est pleinement initié au contenu de chaque livre, que l'on peut sans inconvénient butiner dans les saintes lettres; l'on ne risque plus d'altérer le sens des passages isolés, parce qu'ils ne cessent pas de tenir, dans notre esprit, au tronc même dont ils sont détachés. Ce sont alors comme des rameaux qu'on attire à soi pour en cueillir les fruits, en se gardant bien de les arracher de l'arbre qui leur donne la sève et la vie. Nous savons bien que, quoique l'on procède d'ordinaire tout différemment, la puissance vivifiante de la parole de Dieu est si grande, qu'elle agit même au travers de la méthode la moins propre à rendre efficace la connaissance de la révélation chrétienne. Mais ce n'est pas un motif pour renoncer à faire mieux. Si la découpure irrationnelle et la lecture sans suite des livres du Nouveau Testament, si le choix d'un mauvais texte pour l'original, si l'imperfection de la plupart des traductions, n'empêchent pas l'Évangile de faire son chemin, il est bien d'autres infirmités qui ne s'y opposent pas davantage, et dont on a pourtant mille fois raison de chercher le remède ou la suppression. Ce sera aussi notre DIVISION NOUVELLE DES LIVRES DU NOUVEAU TESTAMENT. XXXI excuse, pour avoir tenté, en rompant avec des traditions que nous croyons funestes, un commencement de réforme dans le champ d'études que nous avons choisi. La réforme eût été plus complète, sans doute, si nous étions revenu purement et simplement à l'absence primitive de toute subdivision; mais c'eût été aller d'un extrême à l'autre, et l'intelligence générale du texte aurait également eu à souffrir, vu nos habitudes d'esprit, d'une continuité typographique absolue. C'est pourquoi nous avons pensé qu'il était permis d'essayer de conserver le principe de la distinction des parties sans porter atteinte à l'unité de l'ensemble, et d'introduire, dans ce but, une division plus judicieuse que le fractionnement mécanique du texte, et qui fût plus d'accord avec la nature particulière de chaque livre. C'est dans le principe de coordination, plus ou moins marqué mais nécessaire, qui préside à la composition de toute œuvre historique, didactique ou littéraire; c'est dans les rapports, plus ou moins perceptibles mais inévitables, qui existent entre le tout et les détails de chaque livre; c'est en un mot, dans la structure intime des divers écrits du Nouveau Testament que nous avons cherché les règles de la méthode à suivre, pour rendre visibles aux yeux et sensibles à l'esprit la distinction et la succession des parties dont ils se composent. Mais nous ne saurions trop le redire, ce sont des points de repos et non des points d'arrêt que nous avons voulu marquer. Ce n'est pas pour nuire à la lecture continue de chaque écrit, mais pour la faciliter en la relayant, que nous avons matériellement indiqué la coupe naturelle des récits ou des enseignements sacrés. En tête de chacun des livres nous avons placé un tableau analytique, qui présente la division sommaire de son contenu, et auquel correspondent, dans l'intérieur même du texte, soit des chiffres, soit des intervalles de séparation. A côté de ces divisions nouvelles, nous avons conservé pour la commodité des lecteurs et pour la nôtre, mais en lui assignant un rang tout à fait subalterne, la division artificielle en chapitres et en versets, dont nous espérons que le lecteur bien averti ne subira plus le joug. Nous attachons beaucoup moins d'importance, vu la manière dont s'est graduellement formé le recueil du Nouveau Testament, à l'arrangement que nous avons suivi pour les divers livres dont |