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Je continuai à courir dans Rome tout le long du jour, sauf deux heures que je passais le matin avec Gustave, et le repos que je prenais le soir au spectacle ou en soirée. Mes entretiens avec Gustave étaient animés; car, entre deux camarades de pension, les moindres souvenirs fournissent d'intarissables sujets de rire et de causeries. Mais il était zélé protestant et enthousiaste comme le sont les piétistes d'Alsace. Il me vantait la supériorité de sa secte sur toutes les autres sectes chrétiennes, et cherchait à me convertir, ce qui m'amusait beaucoup; car je croyais que les catholiques. seuls avaient la manie du prosélytisme. Je ripostais ordinairement par des plaisanteries; mais, une fois, pour le consoler de ses vaines tentatives, je lui promis que si jamais l'envie me prenait de me convertir, je me ferais piétiste. Je lui en donnai l'assurance, et, à son tour, il me fit une promesse, celle de venir assister aux fêtes de mon mariage, au mois d'août. Ses instances pour me retenir à Rome furent inutiles. D'autres amis, MM. Edmond Humann et Alfred Lotzbeck s'étaient joints à lui pour me déterminer à passer le carnaval à Rome. Mais je ne pus m'y décider ; je craignais de déplaire à ma fiancée, et M. Vigne m'attendait à Naples, d'où nous devions partir le 20 janvier.

Je mis donc à profit les dernières heures de mon séjour à Rome, pour achever mes courses. Je me rendis au Capitole et visitai l'église d'Aracali. L'aspect imposant de cette église, les chants solennels qui retentissaient dans sa vaste enceinte et les souvenirs historiques éveillés en moi par le sol même que je foulais aux pieds, toutes ces choses firent sur moi une impression profonde. J'étais ému, pénétré, transporté, et mon valet de place, s'apercevant de mon trouble, me dit, en me regardant froidement, que plus d'une fois il avait remarqué cette émotion dans les étrangers qui visitent l'Aracæli.

En descendant du Capitole, mon cicerone me fit traverser le Ghetto (quartier des Juifs). Là, je ressentis une émotion toute différente, c'était de la pitié et de l'indignation. Quoi ! me disais-je à la vue de ce spectacle de misère. est-ce donc là cette charité de Rome qu'on proclame si haut! Je frissonnais d'horreur, et je me demandais si, pour avoir tué un seul homme il y a dix-huit siècles, un peuple tout entier méritait un traitement si barbare et des préventions si interminables!... Hélas! je ne connaissais pas alors ce seul homme! et j'ignorais le cri sanguinaire que ce peuple avait poussé... cri que je n'ose répéter ici et que je ne veux pas redire. J'aime mieux me

rappeler cet autre cri exhalé sur la croix : Pardonnez-leur, ô mon Dieu! car ils ne savent ce qu'ils font !

Je rendis compte à ma famille de ce que j'avais vu et ressenti. Je me souviens d'avoir écrit que j'aimais mieux être parmi les opprimés que dans le camp des oppresseurs. Je retournai au Capitole, où l'on se donnait beaucoup de mouvement à l'Aracæli, pour une cérémonie du lendemain. Je m'enquis du but de tant de préparatifs. On me répondit qu'on disposait la cérémonie du baptême de deux Juifs, MM. Constantini, d'Ancône. Je ne saurais exprimer l'indignation qui me saisit à ces paroles; et quand mon guide me demanda si je voulais y assister: Moi! m'écriai-je, moi! assister à de pareilles infamies! Non, non : je ne pourrais m'empêcher de me précipiter sur les baptisants et sur les baptisés!

Je dois dire, sans crainte d'exagérer, que jamais de ma vie je n'avais été plus aigri contre le christianisme que depuis la vue du Ghetto. Je ne tarissais point en moqueries et en blasphèmes.

Cependant j'avais des visites de congé à faire et celle du baron de Bussières me revenait toujours à l'esprit, comme une malencontreuse obligation que je m'étais gratuitement imposée. Très-heureusement je n'avais pas demandé son

adresse, et cette circonstance me paraissait déterminante. J'étais enchanté d'avoir une excuse pour ne point effectuer ma promesse.

C'était le 15, et j'allai retenir ma.place aux voitures de Naples; mon départ est arrêté pour le 17 à trois heures du matin. Il me restait deux jours, je les employai à de nouvelles courses. Mais, en sortant d'un magasin de librairie où j'avais vu quelques ouvrages sur Constantinople, je rencontre au Corso un domestique de M. de Bussières père; il me salue et m'aborde. Je lui demande l'adresse de M. Théodore de Bussières; il me répond avec l'accent alsacien : Piazza Nicosia, no 38.

Il me fallut donc, bon gré, mal gré, faire cette visite, et cependant je résistai vingt fois encore. Enfin je me décide, en traçant un p. p. c. sur ma carte.

Je cherchais cette place Nicosia, et, après bien des détours et circuits, j'arrive au no 38. C'était précisément la porte à côté du bureau des diligences où j'avais pris ma place le même jour. J'avais fait bien du chemin pour arriver au point d'où j'étais parti; itinéraire de plus d'une existence humaine! Mais du même point où je me retrouvais alors, j'allais repartir encore une fois pour faire un tout autre chemin!

Mon entrée chez M. de Bussières me causa de l'humeur; car le domestiqne, au lieu de

prendre ma carte que je tenais en main, m'annonça et m'introduisit au salon. Je déguisai ma contrariété, tant bien que mal, sous les formes de sourire, et j'allai m'asseoir auprès de madame la baronne de Bussières, qui se trouvait entourée de ses deux petites filles, gracieuses et douces comme les anges de Raphaël. La conversation, d'abord vague et légère, ne tarda point à se colorer de toute la passion avec laquelle je racontai mes impressions de Rome.

Je regardais le baron de Bussières comme un dévot, dans le sens malveillant qu'on donne à ce terme, et j'étais fort aise d'avoir l'occasion de le tympaniser à propos de l'état des Juifs romains. Cela me soulageait; mais ces griefs placèrent la conversation sur le terrain religieux. M. de Bussières me parla des grandeurs du catholicisme; je répondis par des ironies et des imputations que j'avais lues ou entendues si souvent; encore imposai-je un frein à ma verve impie, par respect pour madame de Bussières, et pour la foi des jeunes enfants qui jouaient à côté de nous. << Enfin, me << dit M. de Bussières, puisque vous détestez << la superstition et que vous professez des << doctrines si libérales, puisque vous êtes un « esprit fort si éclairé, auriez-vous le courage « de vous soumettre à une épreuve bien in

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